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INDONESIE
Sulawesi
19 et 20 janvier 2007
Ce matin, nous sommes levés à trois heures quarante-cinq afin de quitter l'hôtel à quatre heures et demie. Un taxi nous emmène à l'aéroport de Yogya pour un départ à six heures. En attendant le vol de Sulawesi (ex-Célèbes), nous mangeons tranquillement et d'un bon appétit le panier-repas que l'hôtel nous a fourni juste avant de partir.
C'est avec un petit frisson dans le dos que nous montons dans l'appareil. On doit en effet atterrir à Makassar , là-même où les secours sont train de repêcher les restes de l'avion abîmé en mer au début du mois ! Mais le vol se passe très bien et c'est en taxi que nous arrivons devant l'hôtel, plutôt crade, choisi dans le guide. Tellement sale d'ailleurs que nous en ressortons quelques minutes plus tard les sacs sur les épaules ! À pied, nous en visitons un autre, puis encore un autre avant d'entrer dans un établissement nettement plus classe. Trop même, mais bon, on ruisselle de sueur et la recherche commence à devenir pénible : soit c'est vraiment sale, soit c'est trop cher ! Je monte visiter la chambre climatisée, moderne, avec une grande salle de bains et on se met d'accord sur les prix. Un groom en habit (si, si !) vient récupérer nos sacs pour les monter tandis qu'un serveur au gants blancs immaculés (si, si !) nous tend un plateau avec deux grands verres de jus de fruits. La classe quoi !... On a presque fini de déguster nos jus bien rafraîchissants lorsque la chef de réception me fait signer un papier. Et c'est avec horreur que je remarque qu'elle a tout simplement rajouté un zéro au montant sur lequel on s'était mis d'accord quelques instants auparavant !!! De correct, le prix passe tout de suite à indécent, surtout pour le lieu ! Devant notre refus de payer le prix demandé, le groom remonte chercher les affaires ! La chef, elle, a en plus le culot de vouloir me faire payer les jus de fruit de bienvenue !!! Ah, non alors !
Et nous voilà de nouveau, dans la chaleur de la rue, avec nos sacs, à la recherche d'un logement accessible à notre bourse. Nous le trouvons un peu plus loin, sur le bord d'une artère assez fréquentée. Ouf !....
Après une bonne douche et une sieste réparatrice, nous allons étancher notre soif d'une bonne bière, en haut de la terrasse d'un bar qui domine la mer. Les tables sont envahies, au fur et à mesure que le soleil décline et que le ciel s'embrase, par une clientèle jeune et rigolarde qui vient se restaurer de plats à base de riz. À les regarder manger, nous nous apercevons tous les deux que l'appétit nous tenaille l'estomac. Ne voulant pas rester là, nous mettons un certain temps à trouver un endroit qui nous convienne. La jeune femme est prête à fermer lorsqu'on se présente devant son petit boui-boui. Quelques brochettes plus tard, nous partons nous coucher le ventre plein.
À huit heures le lendemain matin, un bus, qui a déjà bien roulé sa bosse, quitte la gare routière de Makassar pour nous emmener plus au nord en pays Toraja à Rantepao . Après quatre heures de trajet, une première panne nous arrête plus d'une heure sur le bord de la route. Une demi-heure après être repartis, une nouvelle panne nous retiens trente bonnes minutes. Nous sommes à peu près à mi-chemin et les premières montagnes apparaissent. Le bus n'arrivera pas d'une traite au sommet de la première. Il devra s'arrêter, reprendre son souffle et faire le plein d'eau fraîche ! La descente est faite à la même allure que la montée, les freins ne semblant pas donner leur maximum !!! La seconde montée lui est fatale ! Le moteur est en pièces détachées sur la route, lorsqu'un autre bus de la même compagnie arrive pour nous emmener dans un bon confort (si, si !) jusqu'au terme du parcours à Rantepao . Le chauffeur poussera même la coquetterie à nous déposer juste devant l'hôtel que nous lui avons communiqué !
Il fait nuit noire depuis longtemps lorsque nous nous présentons à la porte de l'établissement situé à l'écart de la ville. Par deux fois, en montant les escaliers, je manque d'écraser des grenouilles qui envahissent les marches. Nous comprenons vite, en voyant l'état de leur meilleure chambre, que l'hôtel est fermé depuis pas mal de temps. C'est plus que moisi, il n'y a plus d'eau courante et pas d'électricité ! Mais, nous assure-t-on, il y a une très belle vue sur le lac depuis la terrasse..... Comme il fait nuit noire, on le saura jamais, car je décide, malgré l'heure tardive et au grand dam de Chantal, de repartir chercher un autre logement ailleurs. Elle me suit tout de même en grognant un peu, elle qui n'est pas rassurée de marcher dans le noir au milieu de ces crapauds qui tapissent littéralement le chemin !
Il est tard lorsque nous frappons, cinq ou six cent mètres plus loin, à la porte d'un petit hôtel familial où l'on tarde à venir nous ouvrir. La chambre proposée nous convient et, en plus, le restaurant est très bien noté dans le Routard . Mais, pour ce soir, la dame aux cheveux gris s'excuse de ne pouvoir nous servir : elle n'a rien à nous proposer. Après avoir déposé nos sacs dans la chambre, une violente averse se met à tomber alors que nous sommes prêts à partir au village trouver quelque chose à manger. Prise d'un remords, la patronne nous fait alors asseoir et, après un petit moment d'attente, nous sert un repas fait de bric et de broc, à base de poulet et de légumes, mais vraiment très bon.
Déjà, je pense qu'on a eu beaucoup de chance de tomber ici par hasard
21 et 22 janvier 2007
Même si le confort de la chambre est assez rustique, on a réussi à avoir un peu d'eau chaude dans le coin douche (fait maison avec du ciment incrusté de galets !). Et c'est en pleine forme que nous allons prendre notre petit-déjeuner. Pendant que son mari s'affaire dans la cuisine pour nous servir un excellent et copieux petit-déjeuner, la dame aux cheveux gris vient nous conseiller sur les destinations du coin. De sa voix douce, elle nous indique comment arrêter une voiture sur le bord de la route pour qu'elle nous conduise là où nous le souhaitons, combien il faudra payer ensuite le chauffeur. Elle nous donne encore plein d'autres petites recommandations qui facilitent grandement la vie dans un lieu que vous ne connaissez pas encore. Juste avant que nous partions, elle s'enquiert de savoir si nous avons de la monnaie. Nous n'avons que des gros billets ! Affolée, elle nous en prend deux, sort dans la rue et revient quelques instants plus tard avec une liasse de petits billets dans la main. Apparemment, ses voisins ont dû l'aider à en trouver ! Et c'est comme une maman qu'elle nous accompagne jusque sur le pas de la porte en nous demandant ce que nous voulons manger ce soir. Nous lui donnons l'autorisation de cuisiner absolument ce qu'elle veut. De toute manière, il y a de fortes chances que ce soit très bon. Nous la surnommerons désormais affectueusement Mam Pia's (Mam pour maman et Pia's pour son petit établissement le Pia's Poppies )
Nous voilà donc sur le bord de la route à attendre qu'une voiture veuille bien s'arrêter. C'est ce qui arrive très rapidement. On indique au chauffeur où nous désirons aller, à une quinzaine de kilomètres de là. C'est en vieux habitués que nous lui laissons la somme que Mam Pia's nous a recommandé de donner. Encore un bon kilomètre de marche sur le chemin qui mène au village de Lemo et nous voilà qui arrivons en plein coeur du Pays Toraja réputé, entre autres, pour ces rites funéraires.
Avant d'arriver devant la falaise qui abrite les tombes, nous nous arrêtons quelques instants devant ces fameuses maisons qui font tant pour la renommée de Sulawesi : les tongkonan. Elles sont magnifiques avec leur toit qui rappelle une coque de bateau retourné ou bien encore des cornes de buffle. Posées sur des pilotis et composées de milliers de bambous assemblés depuis des siècles de la même manière, elles sont très esthétiques. Des panneaux de bois sculptés et peints de rouge, jaune, blanc et noir ornent la façade devant laquelle, sur une poutre verticale, sont accrochées les paires de cornes de buffles sacrifiés. Leur nombre indique d'ailleurs la richesse de la famille. Par contre l'intérieur qui n'accueille qu'un buffet et quelques nattes pour dormir est particulièrement sombre, éclairé seulement par de toutes petites ouvertures. Aujourd'hui, avec le modernisme, l'épaisse couche de palmes qui recouvre la toiture tend à disparaître au profit de tôles ondulées de couleur brique. Les antennes paraboliques commencent même à orner certaines de ces magnifiques habitations. Plus petits les greniers à riz font face à l'habitation principale. Ils ont le même style et sont parfois aussi décorés que l'habitation. Ces villages traditionnels sont en général magnifiques. Aujourd'hui encore, la tradition est respectée avec la construction, dès que la famille en a les moyens, de ces magnifiques tongkonan.
Dans la campagne, juste derrière les maisons, les falaises sont creusées de balcons où sont exposées des statues des morts. Ces figurines en bois de jacquier sont sculptées par des spécialistes à l'image du défunt dont les ossements sont enfermés juste à côté dans un tombeau lui aussi creusé dans le roc. Elles sont sensées veiller sur les vivants, mais seuls les nobles ont droit à leur effigie.
Nous arrêtons de nouveau une voiture pour nous revenir vers Rantepao. Nous demandons au chauffeur de nous arrêter à Londa , autre village réputé pour ses sépultures. ette fois-ci, elles sont dans des grottes naturelles. Nous pénétrons dans l'une d'elles et là nous avons tous les deux un choc ! Des cercueils sont disposés sur des sortes de tréteaux de bois suspendus au plafond de la caverne, d'autres sont empilés les uns sur les autres. Mais pratiquement tous ont en commun le fait d'être éventrés et laisser entrevoir les squelettes ou ce qu'il en reste. Oh, mon Dieu, ben nous v'là tout chose !!! Personnellement, un grand frisson me parcourt l'échine tandis que Chantal reste interdite devant le spectacle. Des crânes sont impeccablement alignés le long de la paroi, et les os longs rangés par catégorie dans d'autres cercueils vermoulus. Tu parles d'un puzzle ! Une fois sortis de la caverne, nous remarquons d'autres cercueils enchevêtrés devant l'entrée et les balcons aux poupées de bois qui veillent sur nous les vivants ! Drôle d'impression tout de même, mais nous en revenons tout heureux d'avoir vaincu notre trouille.
C'est bien connu : les émotions, ça creuse ! Et c'est avec un appétit féroce que nous nous jetons sur une des spécialités de Mam Pia's : le pa'piong. De la viande de poulet, du riz, de la noix de coco râpée et des épices sont enfermés et mijotés pendant près d'une heure à l'intérieur d'un tronçon de gros bambou posé au milieu des flammes. Lorsque le bambou est complètement noir, le plat est prêt. On vide alors le tronçon dans son assiette et on déguste. D-é-l-i-c-i-e-u-x !
À voir nos mines réjouies, mam Pia's est toute contente. Il faut dire qu'elle prend bien soin de nous : nous sommes ses seuls clients. Elle nous explique que depuis le tsunami, les touristes étrangers ne viennent plus qu'en nombre limité en Indonésie et souvent uniquement sur Bali. Les violents tremblements de terre, le volcan qui pousse au milieu d'une ville à Java, les glissements de terrains, les accidents d'avion et de bateau, les attentats dont l'ensemble de la presse internationale se fait écho n'arrangent rien à l'affaire. En tout cas, nous apprécions, assez égoïstement d'ailleurs, le fait d'être pratiquement les seuls touristes en pays Toraja et par la même occasion, en guise de remerciement, d'être accueillis un peu comme des rois partout où nous allons.
Le lendemain matin, je m'aperçois que j'ai oublié de mettre mes batteries à recharger ! Un guide (une connaissance de Mam Pia's ) doit nous emmener à une cérémonie des funérailles. Impossible donc d'y aller sans appareil photo ! On profite des deux heures de recharge pour nous balader un peu autour de la pension. On reconnaît le premier hôtel où nous sommes arrivés l'autre soir. C'est vrai qu'il a les pieds dans l'eau, se reflétant parfaitement à la surface du lac. La vue de la terrasse doit effectivement être jolie. Mais nous n'avons aucun regret d'en avoir choisi un autre, les patrons du nôtre étant tellement charmants et le petit-déjeuner de ce matin ayant été encore plus copieux que celui d'hier !
En compagnie de notre guide, nous prenons un bemo (sorte de petit bus très couleur locale qui fait office de taxi collectif) vers dix heures, puis nous dirigeons vers le village où a lieu la cérémonie. Nous emportons une cartouche de cigarettes en guise de cadeau à la famille. Mais le début des funérailles est repoussé d'une journée, les diverses préparations n'étant pas encore toutes terminées.
Revenus à Rantepao, nous partons à pied tous les deux vers Kete Kesu, village très réputé pour ses maisons traditionnelles et ses tombeaux, distant d'environ cinq kilomètres. Lors d'une grosse averse, nous nous arrêtons sous l'auvent d'une maison et restons un bout de temps à chahuter avec des adolescents contents de pouvoir parler en anglais avec nous.
Parvenus devant l'entrée payante du village, nous choisissons d'y revenir une autre fois, par temps plus ensoleillé, car il fait gris et déjà la clarté du jour diminue.
Ce soir, du poisson cuit dans des feuilles de bananier et du gado-gado (salade de légumes cuits assez épicée, accompagnée de sauce aux cacahuètes) ne font pas long feu dans notre assiette ! En les voyant vides, contente de nous avoir fait plaisir, un large sourire fend encore une fois le beau visage de Mam Pia's.
Mardi 23 janvier 2007
Aujourd'hui nous allons vivre une journée qui restera à jamais gravée dans nos esprits.
Après notre petit-déjeuner, nous partons sur le marché de Bolu à la sortie de la ville. C'est un immense marché hebdomadaire pittoresque et authentique. On y trouve le tissu, la vaisselle, le tabac, l'alimentaire mais aussi le bétail et la volaille. C'est ce qui fait son intérêt.
Un des coins les plus impressionnant est le coin des cochons et des buffles. Pour y pénétrer, il nous faut payer un petit droit d'entrée. Les paysans, parfois venus de loin pour vendre leurs bêtes, se tiennent fièrement près d'elles. Les buffles roses (albinos) ou tachetés aux larges encornures valent beaucoup plus cher que les gris. Les castrés ont de plus larges encornures que les autres. Et comme d'hab (pardon mesdames) les mâles valent plus chers que les femelles ! Je note aussi que les buffles ont des yeux qui ressemblent à ceux des chèvres. Nous ne l'avions encore jamais remarqué !
Le vacarme des grognements des cochons nous attire inconsciemment sous la halle qui leur est réservée. Nous tombons sur des rangées entières de porcs noirs ventrus et ligotés sur des gros bambous. Un homme arrive avec un sac de riz sur l'épaule et en sort des porcelets qui se mettent aussitôt à couiner comme si on les égorgeait déjà. C'est d'ailleurs comme cela qu'ils termineront : sacrifiés lors d'une cérémonie. Non loin de là, des hommes avec des coqs de combat sous les bras tentent de négocier leurs prix à la hausse. Certains coqs peuvent allègrement atteindre la vingtaine d'euros, ce qui représente une sacré partie du salaire moyen, la moitié de la population indonésienne gagnant moins de deux euros par jour. Et que dire des buffles qui valent jusqu'à sept mille euros pour être ensuite sacrifiés.
Étalés à même sur le sol, une ribambelle de fruits et légumes est proposée aux badauds. Au contraire des bestiaux, c'est ici le domaine de la femme. C'est elle qui vend et elle qui achète. Des centaines de durians, des kilos de ramboutans (genre de litchi chevelu au goût subtil et sucré), des bananes, des piments de toutes formes, des légumes frais cueillis, des feuilles de tabac séchées vont trouver preneur. À l'écart, les marchands de vaisselle proposent de nombreux articles basiques en plastique coloré.
La matinée avance et, avec Samul notre guide, nous partons en bemo pour la cérémonie des funérailles. Le véhicule est bondé et je remarque que le chauffeur a un mal de chien à tenir son taxi sur la route. Pour prendre un virage à droite il incline très légèrement le volant de quelques degrés, par contre, pour en prendre un sur la gauche, il lui faut donner deux tours entiers !!! Je ne dis rien à Chantal pour ne pas l'affoler, mais je ne suis pas rassuré tant que ça moi non plus !
Les funérailles débutent bien aujourd'hui. Des tas de gens en habits se dirigent en effet vers le lieu de la fête. Car c'est bien d'une fête dont il s'agit.
Au Tana Toraja, la mort fait partie de la vie. Chacun travaille dur pour acheter du riz et des buffles, car à sa mort, une fois les animaux sacrifiés, il pourra en disposer dans l'au-delà et les partager avec ses ancêtres. Deux familles se sont regroupées aujourd'hui pour unir leur fortune et ainsi mieux préparer le grand voyage vers le Puya de leurs défuntes. Lorsque nous arrivons dans le village, une des filles de famille nous reçoit et, après avoir accepté la cartouche de cigarettes que nous lui offrons, nous fait monter dans une sorte de tribune qui n'était pas encore tout à fait terminée hier. Nous nous retrouvons assis sur des nattes au milieu d'autres invités qui nous dévisagent en nous faisant de grands sourires. C'est un grand honneur, en effet, de recevoir la visite d'étrangers lors des cérémonies. On vient nous servir du café, des gâteaux, puis un peu plus tard, de la viande et du riz dans des cornets en papier accompagnés de vin de palme. C'est à ce moment-là que j'ai vu les yeux paniqués de Chantal qui m'appelaient au secours ! Je l'invite à accepter par respect pour nos hôtes et me propose de prendre sa part si elle en laisse. Inutile de vous préciser que j'aurai bientôt les deux parts pourtant très grasses, beaucoup trop même, à m'enquiller ! Je vais en fait caler avant, un peu écoeuré et incapable d'avaler une bouchée de plus. Ma voisine, une vieille femme édentée bien charmante, croyant que je ne savais pas manger, me montre une première fois comment faire des boulettes avec les doigts puis m'invite d'un signe de la tête à en faire autant. Je feins de ne pas comprendre. Patiemment, elle me le montre une seconde fois et, cette fois-ci, devant son insistance, je suis bien obligé de céder. Et une bouchée pour maman, une !!! Pareil pour le tuak , ce vin de palme fait maison, mais là, j'ai encore un peu plus de mal. Je le trouve vraiment trop aigre et repose mon verre très, mais vraiment très discrètement pendant que ma voisine a le dos tourné ! À voir mon manège, Chantal est littéralement pliée en deux de rire.... Voilà, ça m'apprendra à vouloir rendre service ! ...
Le maître de cérémonie hurle ses incantations dans une sono trop forte pendant qu'une dizaine de femmes martèlent en rythme un tronc d'arbre évidé. Pendant ce temps, un petit groupe d'hommes tranche la gorge de quelques buffles, les découpe puis étale les morceaux sur des feuilles de cocotier posées sur la terre rougie par le sang. Suivront des chèvres et d'innombrables cochons amenés vivants, suspendus à des bambous portés par deux hommes. Une partie de toute cette viande servira au festin des convives tout au long des funérailles qui durent plusieurs jours, le reste sera vendu aux enchères.
Il règne une chaleur étouffante et l'odeur, mélange de viande chaude, de viscères, de sang et de poussière, commence à être forte et à vouloir nous retourner l'estomac.
Puis les invités s'en vont en file indienne, solennels, présenter leurs cadeaux aux deux familles regroupées dans une des nombreuses petites tribunes.
Arrive maintenant l'heure du défilé à travers le village. Les cercueils sont placés chacun dans une sorte de maison traditionnelle miniature qui, elle, est déposée sur une armature de gros bambous. Le tout est ensuite porté sur les épaules par un groupe d'hommes costauds qui ne se gênent pas pour le secouer fortement en criant et ainsi faire fuir les mauvais esprits. La famille proche en habits brodés traditionnels et des buffles aux cornes enrubannées suivent le cortège. Devant ce que j'appelle les tribunes, des cercles de personnes serrées les unes contre les autres se forment et se mettent à tourner lentement en balançant les bras au rythme d'une mélopée entonnée tous ensemble.
Le combat de buffles qui devait avoir lieu est annulé, et nous décidons, en commun accord avec Samul notre guide, de nous retirer. Nous allons remercier la femme qui nous a reçus en arrivant, puis partons à travers la forêt vers la grand route. Nous ne sommes pas partis depuis une demi-heure qu'un orage éclate nous obligeant à nous abriter chez un couple de paysans qui travaillent dans leur champ. L'averse à peine terminée, nous reprenons notre parcours au milieu d'un somptueux paysage et des rizières. Ce qui devait arriver arrive. Chaussée de tongs, Chantal glisse sur l'herbe mouillée et se retrouve les fesses dans l'eau ! C'est drôle comme elle est devenue, au fil des années et de nos voyages, la spécialiste du genre. Je ne me moque pas trop, car la dernière fois, c'était mon tour lors de notre passage à Longji en Chine !
Cet épisode rigolo passé, plus rien de fâcheux ne nous arrivera jusqu'à la grand route où nous attrapons un bemo en meilleur état que celui de ce matin.
Comme je l'ai déjà dit, cette journée restera à jamais gravée dans nos mémoires. Le marché aux bestiaux, la cérémonie remarquable, l'extrême gentillesse des gens, la beauté des paysages : nous venons de vivre un moment important de notre voyage...
24 au 27 janvier 2007
Hier soir, nous avons réservé une moto pour aujourd'hui. Le montant de location est trois fois plus élevé qu'à Java ! Nous en profiterons pour nous balader à notre rythme et sans contrainte. Nous commençons par retourner à Kete Kesu , le village dont nous avions repoussé la visite en raison du manque de lumière. Le site est classé Patrimoine mondial par l'Unesco. L'entrée est payante et en ce début de matinée, à part les familles qui y habitent, il n'y a que nous. Les maisons sont traditionnelles et leurs toits caractéristiques recouverts de chaume, mais l'ensemble fait un peu musée. Il faut dire que nous sillonnons le Tana Toraja depuis maintenant plusieurs jours et que nous avons vu des villages, loin de la route touristique, vraiment typiques et très beaux. Celui-ci ne déroge pas à la règle, mais il nous semble presque trop propre !!! Derrière, par un sentier, on atteint le cimetière. Là encore, les grottes de la falaise sont tapissées de cercueils moussus et d'ossements. Je ne sais pas si c'est l'habitude, mais aussi bien à Chantal qu'à moi, cela ne procure le moindre frisson. D'un seul coup, nous ne voyons plus la mort de la même manière.
Nous reprenons la moto pour arriver après une trentaine de kilomètres de route agréable au village de Kambira où des enfants morts avant l'âge de deux mois sont déposés en position debout dans des caveaux creusés dans les troncs d'arbre. L'arbre, en vieillissant, finit par refermer les orifices. Les ossements sont alors définitivement conservés dans le bois ! La croyance veut que les enfants grandissent ainsi en même temps que l'arbre...
Vers quinze heures, la pluie nous arrête dans une petite bicoque sur le bord de la route. Depuis que nous somme arrivés, nous avons droit tous les après-midi à un superbe orage. L'Indonésie est en effet un des pays les plus arrosés au monde. Avec la chaleur de l'après-midi, les nuages s'accumulent rapidement entre les montagnes et les averses sont subites et violentes.
Ce soir, les brochettes de viande grillée et les spaghetti (!) nous rassasient et en rentrant dans notre chambre une corbeille de fruits nous attend ! ... Merci Mam Pia's .
Avec la moto, je pars seul avec le lever du soleil dans la campagne. Il fait beau et c'est magnifique. Les gamins vont à l'école par petits groupes à travers les rizières, sérieux dans leur uniforme et le cartable sur les épaules. D'une main timide, ils me font coucou pour me dire bonjour. Et quand je leur réponds de la même manière, les rires fusent. Et ils recommencent, et je recommence... Le jeu dure jusqu'à ce qu'ils disparaissent au détour du chemin. Je pousse jusqu'à Labo village pas très connu et pourtant tellement beau avec ses maisons et ses nombreux greniers.
Après le copieux petit-déjeuner (oh, les pancakes !), avec Chantal assise derrière moi, nous partons pour une grande balade dans les montagnes environnantes. Nous nous arrêtons souvent, car de nombreux hameaux, d'une ou deux familles seulement, méritent largement le coup d'oeil. La route est totalement défoncée et nous mettons plusieurs heures (avec les arrêts photo) pour atteindre le dernier village. Les rizières accrochées aux versants sont en eau et des groupes de femmes sont en train de repiquer le riz. Les points de vue sur la vallée et les champs inondés sont époustouflants de beauté. Nous devons redescendre par la même route, car l'essai par l'autre versant n'a pas été concluant : trop de nids de dinosaures au milieu du chemin !
Revenus sans encombre à Rantepao , après quand même avoir musardé un peu, je stationne la moto devant une petite agence de voyage pour réserver les billets de bus du retour vers Makassar . La chose est rapidement conclue en une quinzaine de minutes et lorsque nous remontons sur la moto, le pneu arrière est complètement à plat. Je suis certain que durant la descente et à notre arrivée en ville tout était en état de marche, car un deux-roues avec un pneu crevé est absolument inconduisible, surtout à deux dessus. J'ai pas mal voyagé et je connais ce scénario par coeur. Quelqu'un passe discrètement dégonfler les pneus lorsqu'il est gentil, ou les crever lorsqu'il n'est pas sympa, puis vient vous conseiller d'aller à tel endroit pour la réparation. Ce n'est jamais bien loin. Nous venons à peine de nous rendre compte de notre ennui qu'un homme bien intentionné arrive et nous montre un petit garage à quelques dizaines de mètres de là ! Je le remercie vivement de son aide (ben, voyons !). L'homme qui nous a accompagnés échange quelques mots avec le garagiste qui, toute affaire cessante, accourt vers nous. Il nous explique qu'il doit démonter la roue, mettre une nouvelle chambre à air et tout le tralala. Un peu énervé, je lui demande tout simplement de regonfler le pneu, chose bien sûr qu'il refuse de faire devant nous (ben, voyons !). Devant sa mauvaise foi évidente, je perds patience et m'en retourne à pied avec Chantal jusque chez notre loueur à qui je conseille d'aller récupérer sa moto avec une pompe dans la poche..
Nous passons la journée du lendemain à nous balader en ville, tenter de faire un peu d'internet (une heure entière pour ouvrir deux mails !), acheter dans le supermarché local un paquet de chips pour grignoter ce soir en prenant une bière sur notre terrasse, choisir et écrire quelques cartes postales. En prenant un salon de coiffure en photo, Chantal est toute surprise de voir surgir un jeune travelo qui se plante devant elle en lui faisant un show mémorable. Il paraît que la coutume d'élever un de ses garçons comme une fille jusqu'à l'âge adulte est toujours en vigueur dans certaines familles. Ben, celui-là est vraiment réussi !!!
Pour le retour vers l'hôtel, nous demandons à un chauffeur de becak (moto-taxi à deux places) de nous ramener. Nous avons eu le nez fin, car c'est sous le déluge que nous arrivons. Heureusement notre engin avait une capote !
Pour notre dernière journée sur Sulawesi, nous nous accordons un peu de repos. Chantal en profite pour terminer La vie devant soi de Romain Gary qu'elle a trouvé dans un troc, tandis que je trie les photos sur mon ordinateur. Cela nous occupe toute la journée. Une journée qui se termine formidablement bien autour d'un pa'piong, ce fameux poulet cuit dans le bambou, préparé cette fois par le fils de la maison.
Du pays Toraja, nous nous souviendrons longtemps de l'extrême gentillesse des gens (elle paraît loin maintenant leur réputation méritée de coupeurs de tête), de l'accueil absolument charmant du Pia's Poppies et de ses petits plats , des paysages somptueux et des rites funéraires étonnants. Nous étions loin d'imaginer que cette grande île indonésienne allait autant nous séduire....
Selamat tinggal... Sampai jumpa lagi .... Au revoir... à bientôt sûrement...