Christian RICORDEAU

Essai sur l'art

 

tome 1

Par-delà

Philippe DESCOLA

 

Chapitre 1

OUVERTURE

 

 

 

 

 

1.0.  Préambule :

 

Autant prévenir d'emblée. Si cet essai se propose d'expliquer pour quelle raison les humains ont inventé l'art, pourquoi celui-ci diffère d'une époque à l'autre et d'une société à l'autre, sauf erreur d'inattention il ne comprend pas une seule fois le mot « beau » ou le mot « esthétique », car dans son principe l'art n'a rien à voir avec le beau. Certes, il utilise parfois le beau, mais de la même façon qu'il utilise l'imaginaire, le tragique ou le quotidien. Se baser sur la notion de beau pour définir l'essence de l'art est comme se baser sur le militaire pour définir la musique au prétexte qu'il existe une musique militaire.

Si l'art était fondamentalement affaire de beau, alors une œuvre aussi essentielle que « Les demoiselles d'Avignon » de Pablo Picasso ne serait pas une œuvre d'art, car il n'y a rien vraiment que l'on puisse dire beau dans ce tableau dont Georges Braque a dit, en le découvrant, que c'était comme si Picasso avait voulu nous faire manger de l'étoupe ou boire du pétrole. Et « le retable d'Issenheim » de Matthias Grünewald ne serait pas non plus une œuvre d'art tellement son Christ envahi de pustules est atrocement laid. Il ne sera donc jamais question ici de « Beaux Arts ».

 

M'étant débarrassé de ce que cet essai n'est pas, on n'en vient à ce qu'il est : la fusion improbable de deux sources complètement étrangères l'une de l'autre.

La première est une recherche personnelle qui m'a conduit à décomposer l'histoire de l'art en une suite d'étapes s'enchaînant logiquement, chaque fois correspondant à une combinaison d'effets plastiques bien déterminée ([1]). Cette décomposition des différentes époques artistiques en combinaisons d'effets sera exposée tant que de besoin au fil de l'essai, sans qu'il ne soit utile de la présenter ou d'en prendre connaissance dès maintenant. Si cette recherche suggérait une explication pour l'évolution de l'histoire de l'art d'une époque à l'autre, elle ne donnait toutefois aucune piste pour comprendre pourquoi l'art est si différent d'une civilisation à l'autre.

La deuxième source a été l'ouvrage de Philippe Descola, « Par-delà nature et culture », paru en 2005 (Éditions Gallimard nrf ). Il y expose que les sociétés humaines relèvent de quatre types d'ontologie radicalement différents, Descola définissant une ontologie comme une façon de vivre le rapport entre ce qu'il appelle « l'intériorité » et ce qu'il appelle « la physicalité ». Pour être plus facilement compris, je n'utiliserai pas ces termes et appellerai « l'esprit » ce qu'il appelle l'intériorité et « la matière » ce qu'il appelle la physicalité. Réécrites de cette façon, les ontologies décrites par Descola correspondent à quatre façons différentes de ressentir, de vivre et de concevoir, le rapport entre la matière et l'esprit. Son analyse étant convaincante, ses ontologies variant selon les civilisations et chaque ontologie étant associée à une relation bien particulière aux images ([2]), sa conception me procurait la piste qui me manquait pour comprendre pourquoi l'art se modifie d'une civilisation à l'autre.

Il restait toutefois un obstacle, car il fallait combiner ma décomposition en nombreuses étapes successives de l'histoire de l'art avec les ontologies de Descola qui sont seulement au nombre de quatre. Un obstacle que j'ai pu lever lorsque j'ai fait l'hypothèse que ces ontologies évoluent au fil du temps en empruntant successivement, logiquement et inexorablement, les multiples étapes qui leur sont nécessaires pour atteindre la maturité. Dans cette hypothèse, les quatre ontologies définies par Descola correspondent seulement à un moment particulier de cette évolution, étant bien entendu que cette façon de les traiter sort du cadre de son explication.

 

La fusion de ces deux approches s'est faite par ajustements et approfondissements progressifs sur lesquels on reviendra en post-scriptum, spécialement au chapitre 19.1. Comme la rédaction de cet essai a participé à ce processus de fusion, s'étalant sur une longue période entrecoupée de recherches destinées à creuser, à nourrir et à vérifier les hypothèses qui surgissaient au fur et à mesure, plutôt que de présenter d'emblée la théorie constituée qui en résulte, il m'est apparu plus pédagogique de faire progresser le lecteur au même rythme et selon les mêmes découvertes que moi, gardant pour cela la rédaction initiale des premiers chapitres seulement corrigés des erreurs qu'ils contenaient et qui me sont apparues par la suite. Pour cette raison, la rédaction de l'essai aura un peu un caractère de spirale, revenant plusieurs fois sur les mêmes notions, les enrichissant chaque fois un peu plus ou les présentant sous des angles différents.

Dans ce chapitre d'ouverture on s'efforcera d'introduire de façon intuitive aux notions abordées, espérant y ouvrir l'appétit du lecteur pour les chapitres suivants.

 

 

1.1. Un bref rappel des quatre ontologies proposées par Philippe Descola :

 

Il semble inévitable de commencer par une présentation succincte de la thèse de Descola concernant ses quatre ontologies. Ceux qui la connaissent pourront bien sûr s'en dispenser.

Descola a défini ses quatre ontologies sur la base des quatre combinaisons possibles qui résultent de la mise en relation des deux notions qu'il a appelées « intériorité » et « physicalité », et que j'appellerai donc plutôt la notion d'esprit et la notion de matière.

Selon Descola, pour chacune on peut envisager deux options :

         pour la notion d'esprit : soit une société considère que tout ce qui existe possède un esprit doté d'une capacité de compréhension, de pensée, de prise de décision et de volonté, soit, à l'inverse, elle considère que seuls les humains possèdent un esprit doté de telles qualités et se différencient donc sur ce point des animaux, des plantes et des pierres, tous supposés ne pas en posséder ;

         de la même façon, cette fois pour ce qui est de la matière ou de la matérialité : soit une société considère que tout ce qui existe fonctionne selon les mêmes principes physiques, soit elle considère que les humains, les animaux, les plantes et les pierres ne fonctionnent pas physiquement de la même façon.

En résumé, soit tous les êtres existants disposent d'un esprit, soit ils sont différents sous cet aspect, et soit ils ont le même type de corps soumis aux mêmes principes pour leur fonctionnement physique, soit ils sont différents sous cet aspect. Comme le groupement deux à deux de ces quatre cas de figure peut se faire de quatre façons possibles, il en résulte les quatre ontologies décrites par Descola.

On rappelle maintenant brièvement le principe de chacune, en prévenant que l'on fera des développements plus longs pour ce qui concerne notre propre civilisation, cela afin de mieux souligner ce qu'il y a de conventionnel et de construit par l'habitude dans ce que nous avons nécessairement tendance à prendre pour des réalités naturelles bien établies et allant de soi.

 

1) D'abord, envisageons ce qu'il en est de la civilisation occidentale contemporaine.

Fondamentalement, celle-ci considère que tout ce qui est dans l'univers est fait de la même matière : les êtres humains sont faits des mêmes atomes que les atomes qui servent à faire les pierres, les herbes et les animaux, et ils sont soumis de la même manière aux mêmes forces physiques, telles que la pesanteur des corps ou celles qui rendent sensibles à la chaleur et à l'électricité. Pourtant, et malgré ces mêmes ingrédients « de fabrication », il est souvent considéré que les humains sont d'une essence différente de celle de tous les êtres naturels qui nous entourent. Ainsi, que ce soit à partir d'un point de vue philosophique ou à partir d'un point de vue religieux, beaucoup considèrent que seuls les humains sont dotés d'une âme immortelle. Plus prosaïquement, et plus laïquement, il est usuellement admis qu'un produit chimique fabriqué par des humains mérite d'être déclaré « artificiel », alors pourtant qu'il est fait d'atomes qui sont tout aussi naturels que sont naturels les atomes dont sont faites les pierres et les plantes que l'on dit « naturelles ». Lorsqu'un oiseau agence des brindilles pour faire un nid, pour nous son ouvrage reste fondamentalement un ouvrage naturel, aussi compliqué, élaboré et sophistiqué soit-il, tandis que si un humain agence quelques bouts de bois, même de manière extrêmement fruste, pour en faire une cabane, ou bien de manière plus sophistiquée s'il agence quelques produits chimiques pour en faire un médicament, ou encore quelques molécules pour fabriquer une plante OGM, bien qu'il ne s'agira que d'ingrédients toujours décomposables en atomes complètement naturels fonctionnant sur les mêmes principes physiques que tous les autres atomes de l'univers, il en résultera quand même des ouvrages que l'on dira artificiels et qui ne mériteront donc pas d'être déclarés naturels. L'humain occidental se vit dans la nature, et il admet qu'il est physiquement entièrement soumis aux lois de fonctionnement de la nature, mais il ne se considère pas, pour autant, être une partie de la nature qui transforme la nature, ainsi que peut l'être un arbre qui transforme le gaz carbonique en oxygène ou un oiseau qui transforme des brindilles en nid. Ni même comme ont pu l'être les cyanobactéries qui, il y a quelque quatre milliards d'années, ont radicalement bouleversé l'écologie terrestre en démarrant la photosynthèse et produit l'oxygène qui a permis l'explosion de la vie sous la forme qu'on lui connaît, et qui ce faisant ont bien davantage bouleversé notre planète par leur seul fonctionnement naturel de cyanobactéries naturelles que le changement climatique provoqué artificiellement par l'activité humaine ne pourra le modifier.

On a donc vu que notre civilisation part du principe que la nature physique de tout ce qui existe est fondamentalement identique : les mêmes atomes, soumis aux mêmes lois de fonctionnement, et qui font aussi bien les humains que les animaux et les plantes. Et l'on a vu qu'elle part aussi du principe que les humains disposent d'un esprit qui les différencie des animaux, lesquels seraient essentiellement soumis à leur instinct et à des fonctionnements réflexes, et qui les différencient aussi des bactéries, des plantes et des rochers qui ne sauraient être d'aucune façon des êtres pensants munis d'un esprit.

Cette ontologie de notre civilisation occidentale, dont les critères sont : « semblables pour ce qui est de la matérialité physique des corps », « différents pour ce qui est de la possession ou non d'un esprit », Descola la dénomme l'ontologie « naturaliste ».

On conviendra que, depuis ces dernières années, cette conception progressivement élaborée depuis le XVe siècle est en train de changer. Ainsi, beaucoup de nos contemporains commencent à admettre que les animaux pensent eux aussi, et qu'ils ont des cultures qui ne relèvent pas du pur instinct puisqu'ils les inventent et les transmettent de génération en génération. Toutefois, les mêmes qui font de telles déclarations sur les cultures animales pourront, l'instant d'après, déclarer qu'il va de soi qu'un « produit chimique » sorti d'un laboratoire n'a rien de naturel bien qu'il soit seulement fait de molécules naturelles respectant strictement les lois du fonctionnent naturel des molécules, tellement est ancrée en nous l'idée que les humains ne font pas des productions naturelles mais des productions artificielles. En fait, il ne s'agit que d'un déplacement de la frontière entre nature et artifice, les animaux étant déplacés du même côté que nous de cette frontière-là, c'est-à-dire hors de la pure nature au fonctionnement purement automatique dans lequel n'intervient aucune décision ou inflexion due à un esprit qui observe, analyse, réfléchit et décide par lui-même. L'omniprésence des élevages industriels, aussi bien pour l'obtention de nourriture que de fourrures animales, laisse toutefois penser que, dans la réalité, ce n'est qu'une très petite fraction des animaux qui ont pu franchir cette frontière.

 

2) En Chine ancienne, qui correspond à l'un des trois autres cas de figure envisagés par Descola, tout comme en Occident contemporain les humains sont ressentis différents des plantes et des animaux.

Cette fois, cependant, c'est pour une autre raison : parce que tout ce qui existe dans le monde est différent de tout le reste de ce qui existe dans le monde, dès lors que tout ce qui existe est fait d'une combinaison spécifique des « Dix Mille Essences », d'une « combinaison et d'un dosage plus ou moins harmonieux et équilibrés entre des éléments hétérogènes qui procèdent de l'Eau, du Feu, du Bois, du Métal, de la Terre » ([3]). Puisque tout ce qui existe est différent de tout le reste de ce qui existe, cela implique nécessairement que la matérialité physique des humains est différente de celle des plantes et de celle des animaux, tout comme leur esprit est, lui aussi, de nature différente. Contrairement, toutefois, à la conception occidentale contemporaine qui tranche usuellement de façon binaire – soit on dispose d'un esprit pensant, soit on n'en dispose pas – la Chine traditionnelle envisage mille façons différentes d'avoir un esprit, celui d'une montagne n'étant pas similaire à celui d'un humain, et le dosage des essences constituant leur matérialité étant lui aussi différent.

Même matérialité physique, mais statuts différents pour ce qui est de l'esprit, c'était l'ontologie naturaliste. Cette fois, matérialités physiques différentes pour les divers existants et différences aussi entre eux pour ce qui concerne leur esprit, c'est l'ontologie que Descola a dénommée « l'analogisme ». Il l'a dénommée ainsi du fait que, dans un tel monde complexifié à l'infini du fait de sa forêt touffue de différences, un moyen privilégié pour s'y repérer consiste à user d'analogies afin de regrouper quelque peu les choses et les êtres au moyen des ressemblances qu'ils peuvent malgré tout présenter.

Outre la Chine, l'Afrique noire, l'Océanie et diverses civilisations amérindiennes relèvent, selon Descola, de la même ontologie analogiste.

 

3) Pour les Aborigènes d'Australie, cette fois, c'est tout l'inverse : humains et non humains sont considérés équivalents entre eux, et il est admis qu'ils disposent des mêmes propriétés puisque tous procèdent d'une même substance qu'ils partagent avec leur totem. Ainsi, dans les temps anciens, par leurs actions et leurs pérégrinations, les « êtres du Rêve » ont donné forme au monde. Ce peut être en laissant une empreinte en creux dans le sable à l'endroit où ils se sont couchés, laquelle empreinte est maintenant devenue lac, ou parce qu'ils ont avalé puis recraché un personnage dont le corps est devenu rocher. Avant de disparaître, ces êtres des temps anciens ont toutefois laissé des graines de leur substance qui ont germé aux époques suivantes et qui germent encore à l'époque actuelle. En germant ces graines donnent naissance aux humains, aux animaux et aux végétaux, et tous les êtres issus des mêmes graines partagent par conséquent une même substance restée identique depuis la genèse du monde. Faits « corps et âmes » d'une même substance qui remonte à la formation du monde, tous les êtres d'un même totem ont donc fondamentalement même consistance, tant pour ce qui est de leur matérialité physique que pour ce qui est de leur esprit.

Descola a nommé « totémisme » cette ontologie dans laquelle les matérialités sont les mêmes et dans laquelle les esprits sont aussi de même nature, que cela concerne les humains, les animaux et les végétaux, et même les rochers et les paysages qui participent d'un même totem.

 

4) Enfin, dernier cas de figure, que l'on rencontre notamment en Amazonie, les humains et les non-humains peuvent être pensés suffisamment équivalents entre eux pour pouvoir muter les uns en les autres. C'est ainsi que, la nuit, les jaguars quittent leur peau et leurs griffes de jaguars pour retrouver leur apparence humaine avant de rejoindre leurs maisons et d'y vaquer à leurs humaines occupations. Dans cette civilisation, les humains et les animaux possèdent des esprits semblables puisqu'ils disposent d'une même faculté d'intention, et ils disposent d'une même vie intérieure faite de pensées et de volontés. Propriété qu'ils partagent même avec certaines plantes.

Mais si les esprits sont semblables, les attributs corporels sont différents, et donc les propriétés physiques puisque, selon le milieu physique où l'on vit, c'est l'usage de becs et de plumes ou c'est l'usage de griffes et de poils qui se révèle utile à la survie.

Même possession d'un esprit doté des mêmes facultés mais matérialités différentes des corps physiques, ce sont les caractéristiques de l'ontologie que Descola nomme « animisme ». Animisme, du fait que les animaux et certaines plantes y sont supposés animés d'une même vie intérieure que celle dont bénéficient les humains.

 

Pour Descola, ces quatre cas de figure, seulement rappelés ici de façon sommaire, ne sont ni meilleurs, ni pires, ni intrinsèquement plus vrais ou plus justifiés les uns que les autres.

Il s'agit simplement des quatre qui sont permis par le jeu des combinaisons possibles entre ce qu'il en est du statut de l'esprit et ce qu'il en est du statut de la matérialité, selon que l'on considère ou non que la faculté d'intention et de vie intérieure de l'esprit dont disposent les humains se retrouve chez les autres existants, et, dans chacune de ces deux possibilités, selon que l'on considère ou non que les matériaux dont sont faits les humains sont identiques, ou du moins très semblables, à ceux qui servent à fabriquer les autres existants.

Un peu au hasard, les différentes sociétés humaines seraient « tombées » dans un cas de figure ou dans un autre, « au gré de l'inclinaison des peuples pour telle ou telle façon d'organiser leur pratique du monde et d'autrui » ([4]). Éventuellement, au fil d'une lente évolution, une culture donnée pourrait changer d'ontologie, mais c'est alors pour tomber dans n'importe quelle autre, sans que Descola ne suggère un sens de progression particulier qui mènerait systématiquement d'une conception donnée à une autre conception bien précise.

 

 

1.2. Les ontologies de Descola perdent de leur pertinence à l'époque contemporaine :

 

Descola a proposé son découpage sur la base d'une analyse des sociétés dites « traditionnelles ». Pour ce qui concerne la société occidentale, il l'a successivement envisagée à l'époque du Moyen Âge, montrant que son ontologie était alors du type analogiste, semblable par exemple à l'ontologie de la Chine traditionnelle, puis entre la Renaissance du XVe siècle jusqu'aux environs du milieu du XXe siècle où il repère la naissance puis la pleine maturité de l'ontologie naturaliste qu'elle ne partage, cette fois, avec aucune autre société.

Descola est anthropologue, et il est donc bien normal qu'il traite de façon pertinente des sociétés traditionnelles, mais, pour ce qui concerne la société véritablement contemporaine, c'est-à-dire celle de la fin du XXe siècle et du début du XXIe, son analyse ne me paraît plus du tout pertinente. Il y a consacré quelques leçons dans ses cours du printemps 2011 au Collège de France qui terminaient son cycle sur « l'Ontologie des images » ([5]), et il y a consacré un chapitre dans son ouvrage de 2021 intitulé « Les Formes du visible » ([6])

L'idée qu'il y soutient est que, à notre époque, les contraintes sociales étant moins prégnantes et l'ouverture à la culture des autres étant une attitude plus commune, chacun peut désormais choisir l'ontologie qui convient le mieux à son goût personnel, piochant à son gré dans le marché des ontologies et pouvant même en changer, de temps en temps, comme on change de chemise. Ainsi, par exemple, donne-t-il l'exemple du peintre Victor Brauner qui aurait manifesté une ontologie analogiste dans sa « Force de concentration de Monsieur K » de 1934, cela au prétexte que, sur la forme du personnage, sont fixées de petites poupées en Celluloïd qui sont comme autant de répliques miniatures de sa forme d'ensemble. Pour Descola, ce thème de l'autosimilitude, c'est-à-dire de la forme d'ensemble qui se retrouve de façon similaire à elle-même dans ses détails, serait caractéristique de l'ontologie analogiste, ainsi qu'on peut l'observer, par exemple, dans la sculpture en bois du dieu A'a de l'île de Ruturu en Polynésie.

 

IMAGE ÉVOQUÉE :  Victor Brauner, Force de concentration de Monsieur K, Centre Pompidou de Paris

Elle est en principe accessible à l'adresse https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/6Kd87LO

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Victor Brauner Force de concentration de Monsieur K

 

 


 

Cette œuvre de Victor Brauner est reprise du thème d'une sculpture de type analogiste représentant le dieu A'a (Rurutu - Polynésie - au British Museum de Londres).

Source de cette image : https://britishmuseum.withgoogle.com/object/aa-figure

 

Dans son tableau de 1941 « Conciliation extrême », cette fois c'est une ontologie animiste que Brauner aurait manifestée, au prétexte de la représentation d'un visage à double facette caractéristique de la commutation animiste entre deux points de vue. Une telle commutation est par exemple utilisée dans les masques qui, selon le profil présenté, apparaissent comme une représentation humaine ou comme une représentation animale, ainsi qu'il en va du masque à face mi-humaine mi-tigre d'origine malaisienne présenté ici.

De la même façon, Descola donne des exemples selon lesquels Salvador Dali serait, lui aussi, tour à tour analogiste et animiste.

 

IMAGE ÉVOQUÉE :  Victor Brauner, Conciliation extrême, collection particulière

Elle est en principe accessible à l'adresse https://arthur.io/art/victor-brauner/conciliation-extreme-1941 ou à l'adresse https://ru.pinterest.com/pin/552535448033994641/

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Victor Brauner Conciliation extrême

 


Un masque de l'esprit « Moyang melur » à dissymétrie latérale permettant le basculement du point de vue par un simple mouvement de la tête de gauche à droite, passant ainsi en un clin d'oeil de la forme humaine (côté à notre gauche) à la forme tigre (côté à notre droite). Ce masque est caractéristique de la commutation du point de vue que l'on trouve fréquemment dans l'ontologie animiste

(Ahmad Kassim, masque ma'betisek de Moyang melur, Singalor, Malaisie, 1976, collection particulière)

 

Source de l'image : La Fabrique des images - musée du quai Branly - SOMOGY Editions d'Art

 

Il envisage aussi le cas du peintre Jackson Pollock dont l'œuvre s'analyserait comme une réplique, au moyen de sa technique du « dripping » (peinture dégoulinant par gouttes sur une toile posée au sol), des cérémonies de fécondation par semailles rituelles que pratiquaient les chamanes des cultures amérindiennes du Sud-Ouest des États-Unis. Tout en avançant, ceux-ci faisaient un geste répété de dispersion de graines de maïs et de gouttes de pluie, lequel geste serait fondamentalement analogue à celui de Pollock lorsqu'il laisse goutter sa peinture d'un pinceau trempé dans un pot de couleur tout en tournant autour de sa toile. Du fait de cette reproduction gestuelle d'un acte de fécondation chamanique revendiquant de mettre en connexion le macrocosme et le microcosme, Descola en déduit que Pollock, bien que participant de la société occidentale à l'ontologie naturaliste, relèverait, lui personnellement, de l'ontologie analogiste, et il estime être conforté dans cette déduction par le fait que Pollock aurait manifesté son intérêt pour le chamanisme amérindien et inuit.

Il est à noter que ce classement est opéré par Descola sans le moindre examen de la peinture de Pollock, c'est-à-dire de la texture peinte qu'il produit sur la toile par son action de dripping et des effets visuels qui résultent de l'intrication, sur la toile, des coulures de la peinture.

 

 


 

Jackson Pollock en train de peindre une toile en faisant goutter son pinceau

 

Source de l'image : https://artpla.co/artistes/p-t/pollock/ (photographie de Hans Namuth)

 

À notre époque contemporaine, nous serions donc en pleine confusion ontologique, le libre choix de chacun pour son ontologie préférée s'ajoutant au dilettantisme de ceux qui en changent comme on change de chemise.

Pour être tout à fait clair, mon point de vue est que le découpage ontologique de Descola ne fonctionne plus du tout pour la période contemporaine. Fondamentalement, mon avis est que les ontologies décrites par Descola ne seraient pas des possibilités intemporelles, c'est-à-dire quatre alternatives entre lesquelles on pourrait choisir assez librement (à la période contemporaine) ou entre lesquelles la pression du conformisme social dicterait notre choix (dans les sociétés traditionnelles), mais qu'il s'agit de points de vue qui ont une histoire évolutive parfaitement déterministe, et que l'on ne peut donc pas échapper à l'ontologie qu'implique notre participation à une société donnée, à une époque donnée.

Sans les développer maintenant, mais seulement pour les présenter, voici quelques-uns des points qui seront abordés dans cet essai :

 - d'une part, il n'y aurait pas que quatre ontologies, mais une dizaine, chacune étant elle-même sous-divisée en multiples étapes successives, les quatre ontologies décrites par Descola correspondant seulement à un état de maturité particulier ([7]). Avant d'atteindre le stade décrit par Descola chaque ontologie passerait par des stades plus embryonnaires, et elle connaîtrait par la suite divers stades de maturité de plus en plus accentuée ;

 - d'autre part, ces différents stades de maturité s'enchaîneraient de façon inévitable à l'intérieur de chacune des civilisations humaines. Dans cette évolution, les ontologies du totémisme et de l'analogisme seraient des passages obligés tandis que l'alternative serait laissée, en fonction de l'histoire propre de chaque société, entre l'ontologie naturaliste et l'ontologie animiste, du moins quand arrive le stade d'évolution correspondant à l'une ou l'autre de ces possibilités ;

 - enfin, puisque les ontologies mûrissent progressivement au fil de l'histoire des civilisations humaines, cela implique nécessairement qu'elles ont eu un début et qu'elles auront une fin. À notre époque, le cycle des ontologies basées sur le rapport entre la matière et l'esprit serait déjà dépassé pour les plus jeunes générations, et un nouveau cycle, que l'on s'efforcera de décrire, serait déjà amorcé.

 

On va maintenant exposer l'hypothèse que l'on fait sur le début des ontologies basées sur le rapport entre la matière et l'esprit et sur l'amorce de ce qui va progressivement les remplacer au cours du XXIe siècle, et donc sur le début et la fin du cycle des ontologies basées sur les notions de matière et d'esprit, mais on commencera par sa fin, et pour cela on ne se fondera pas sur les conceptions philosophiques ou religieuses affichées ou implicites de la société contemporaine, on se basera seulement sur l'analyse de quelques-unes de ses expressions artistiques récentes.

 

 

1.3. Un nouveau cycle de civilisation humaine s'amorce sous nos yeux :

 

Pour introduire la nouvelle problématique dont on fait l'hypothèse qu'elle va remplacer celle des relations entre la matière et l'esprit correspondant aux ontologies de Descola, on évoquera d'abord l'œuvre de Brian Jungen.

Brian Jungen est un Canadien de la province de Colombie-Britannique. Métis Indien, membre, à ce titre, de la nation Dane-Zaa, ce qui est d'une importance particulière pour son œuvre, il est né en 1970 et commence à se faire connaître autour des années 2000, alors qu'il avait donc environ 30 ans, ce qui permet de le considérer comme un artiste de la jeune génération.

On donne quelques exemples caractéristiques de sa démarche dont Descola dirait, très probablement, qu'elle est celle d'un Indien qui a fait le libre choix tout personnel, en pleine société occidentale d'ontologie naturaliste, de mettre en scène l'ontologie hybride animiste et totémique caractéristique de ses ancêtres de la côte Nord-Ouest de l'Amérique du Nord ([8]).

On commence par un groupe de totems fabriqués au moyen de sacs de golf. Ces entassements de sacs produits industriellement et commercialisés par des marques connues ressemblent étonnamment aux totems traditionnels des cultures indiennes de la Colombie-Britannique. Ensuite, dans la même veine d'inspiration, ce masque de corbeau réalisé avec des morceaux de chaussures d'entraînement de la marque « Nike Air Jordan » qui rappelle l'allure des masques de corbeau en bois peint des mêmes cultures traditionnelles.

 

À gauche, totems réalisés par Brian Jungen au moyen de sacs de golf.

À droite, un groupe de totems traditionnels en bois du Village Haida dans les Îles de la Reine-Charlotte (maintenant : Haïda Gwaii) au nord de la côte de la Colombie-Britannique

 



 

Sources des images : https://ago.ca/agoinsider/reimagining-totem  et American Museum of Natural History de New York

 


Sources des images : https://americanindian.si.edu/exhibitions/jungen/works.html  et  http://www.artfact.com/auction-lot/native-american-thunderbird-mask-carved-and-pai-205-c-c12f8d3ce4


 

À gauche, un masque de corbeau, de la série « Prototype for new understanding », réalisé par Brian Jungen en morceaux de chaussures d'entraînement de la marque « Nike Air Jordan ».

À droite, un masque récemment fabriqué en bois peint par l'artiste Frank Smith en reprenant le style des masques de corbeau traditionnels de la côte Nord-Ouest de l'Amérique du Nord

 

La référence à la culture indienne traditionnelle ne résume pas, toutefois, l'œuvre de Brian Jungen. On donne deux nouveaux exemples qui, cette fois, pourraient avoir été réalisés par un artiste d'une tout autre origine. Ainsi, ce squelette de baleine réalisé au moyen de morceaux de chaises de jardin en plastique, ou cette carapace de quelque tortue géante réalisée en assemblant de grandes poubelles en plastique. Et l'on aurait pu donner encore bien d'autres exemples réalisés de façon similaire par assemblage inattendu de produits industriels. Tel un requin fabriqué à partir d'éléments de valises rigides, ou tel un court de base-ball fabriqué par l'assemblage de tables de machines à coudre récupérées d'un atelier de confection.

 

Brian Jungen - à gauche : Shapeshifter, 2000 (squelette de baleine réalisé à l'aide de morceaux de chaises de jardin en plastique), à droite : Carapace, 2009 (réalisé par l'assemblage de grandes poubelles en plastique)

 



 

Source des images : https://www.reddit.com/r/pics/comments/4sxhzl/whale_
skeleton_made_out_of_plastic_lawn_chairs/

et
http://nmai.si.edu/exhibitions/jungen/works.html

 

Tous ces exemples relèvent d'un même procédé utilisé par Brian Jungen : prendre des produits industriels de consommation courante, ou du moins banalisés, et les assembler pour fabriquer des « choses » qui n'ont rien à voir avec l'usage normal prévu pour ces objets. Ce procédé n'est pas propre à Jungen et l'on donne maintenant quelques autres exemples d'artistes de la jeune génération qui, d'une façon ou d'une autre, utilisent également des produits déjà élaborés pour les transformer en « quelque chose » qui n'a rien à voir avec l'usage prévu pour lequel ils ont été fabriqués.

D'abord, l'Américain Willie Cole, né dans le New Jersey en 1955, le plus âgé des artistes que l'on évoquera. Pendant un temps, Cole a fait des images formées d'empreintes de brûlures laissées sur du papier par des fers à repasser. On aura l'occasion d'y venir plus tard, mais c'est sa « période hauts talons » que nous retiendrons pour le moment. Ainsi, en assemblant des chaussures de femme, il a fabriqué des fauteuils, tels que celui que l'on donne ici. Tout comme Jungen, il a aussi utilisé ce procédé pour évoquer ses origines, et cette stupéfiante évocation d'une sculpture en bois d'Afrique noire, réalisée elle aussi avec des chaussures de femme, suffit pour signaler qu'il se revendique comme Afro-Américain, tout comme Brian Jungen se revendiquait Indien.

 


 

Assemblages de chaussures de femmes réalisés par Willie Cole

À gauche : Made in the Philippines

À droite : Mother And Child 1

Sources des l'image : http://fantastic-dl.blogspot.fr/2008/12/willie-cole-sculptor-new-jersey.html et www.williecole.com


 

Maintenant un Français, Kader Attia, né en 1970 en Île-de-France et d'origine algérienne. Attia fabrique une ville entière en regroupant des réfrigérateurs et en y collant des bandes de rectangles qui évoquent des fenêtres. Comme pour les deux artistes précédents, on donne aussi un exemple où il évoque la culture de ses ancêtres, ce Moucharabieh obtenu par l'assemblage de menottes. En d'autres occasions, il assemblera différemment les menottes pour  en faire des toiles d'araignée.

 

IMAGES ÉVOQUÉES : Kader Attia : Fridges, 2006 (installation à partir de réfrigérateurs)

et Moucharabieh, 2006 (installation réalisée à l'aide de menottes)

Elles sont en principe accessibles à l'adresse http://dasartesplasticas.blogspot.fr/2007/12/kader-attia-dugny-seinesaint-denis.html  ou aux adresses https://www.lemonde.fr/blog/lunettesrouges/2006/07/29/2006_07_kader_attia/  et https://www.artcurial.com/fr/lot-kader-attia-ne-en-1970-moucharabieh-2006-menottes-en-acier-inoxydable-dans-cadre-en-metal-3151

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec les requêtes : Kader Attia Fridges et Kader Attia  Moucharabieh

 

Les réfrigérateurs d'Attia nous ont amenés à la cuisine. On y restera quelque temps, avec des casseroles et divers ustensiles de cuisson, mais on change de continent car nous voilà en Inde, avec Subodh Gupta, né en 1964 dans l'État de Bihar et qui a basé son activité d'artiste à New Delhi. Avec des casseroles, des vases, des bidons, des plats et autres instruments de cuisine, il fabrique une tête de mort gigantesque ou un champignon atomique miniature.

 


 

 

Subodh Gupta, installations réalisées à l'aide d'instruments de cuisine métalliques - à gauche : Line Of Control, à droite : Mind shut down, 2008

Sources des images : http://www.artwiki.fr/?SubodhGupta et http://ekladata.com/WQqSNhw--8qBqiHwOCbkgxY1q64.jpg

 

On reste avec les casseroles mais l'on revient en Europe pour évoquer l'artiste portugaise Joana Vasconcelos, née à Paris en 1971. À plusieurs reprises elle a utilisé des faitouts en acier et leurs couvercles pour réaliser de gigantesques chaussures à haut talon. Celle-ci s'appelle Priscilla. Et c'est avec quelque 25 000 tampons hygiéniques pour femmes qu'elle réalise son lustre « La Mariée » à qui elle doit beaucoup de sa célébrité après sa présentation à la Biennale de Venise de 2005.

 

IMAGES ÉVOQUÉES : Joana Vasconcelos, Priscilla, 2007 (réalisé avec des faitouts en acier et leurs couvercles)

et A Noiva (La Mariée), 2001-2005 (réalisé avec des tampons OB)

Elles sont en principe accessibles aux adresses https://www.facebook.com/fiacparis/photos/un-artiste-une-oeuvre-fiac-hors-les-mursfiac-2007-jardin-des-tuileriesjoana-vasc/10155840075293270/ et  http://www.joanavasconcelos.com/det.aspx?o=4&f=184

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec les requêtes : Joana Vasconcelos Priscilla et Joana Vasconcelos  A Noiva

 

À nouveau en Amérique, cette fois avec Tara Donovan, née en 1969 à New-York. En empilant sur le sol des gobelets en plastique elle fait d'immenses paysages vallonnés, mais elle les assemble aussi pour faire des nuages, comme dans l'exemple que l'on donne ici.

 

 

Tara Donova : Untitled (Styrofoam Cups), 2008

(verres en polystyrène collés à chaud)

Source de l'image : http://artofresponse.wordpress.com/2009/02/03/tara-donovan/


 

Dans tous les exemples précédents les artistes utilisaient des produits finis, le plus souvent industriellement réalisés et assemblés entre eux par répétition. Avant de tirer des conclusions sur cette tendance de l'art contemporain, il reste à montrer des exemples dans lesquels les artistes n'utilisent pas ce principe.

Car les éléments assemblés peuvent aussi être des fragments de photographies. C'est ainsi que procèdent le Pakistanais Rashid Rana, né en 1968, et l'Américain Cameron Gray, né en 1974 en Californie. On donne un exemple de ce dernier, sa « Marilyn Orange » de 2011 qui reconstitue une peinture d'Andy Warhol au moyen d'une mosaïque de petites photographies.

 



 

Cameron Gray :  Marilyn Orange, 2011 (vue d'ensemble, à gauche, et détail agrandi, à droite) Source des images : http://www.hammergallery.com/artists/gray/gray.htm

 

Le Brésilien Vik Muniz, né en 1961, reconstitue souvent, lui aussi, des tableaux tirés de l'histoire de l'art, à moins qu'il ne reproduise des photographies célèbres. Pour cela il utilise des objets de récupération très divers, mais aussi des aliments : sucre en poudre, chocolat fondu ou caviar. Sa création la plus surprenante me semble cette gorgone reprise d'un tableau de Caravaggio et réalisée à l'aide de spaghettis à la tomate.

 

IMAGE ÉVOQUÉE : Vik Muniz : Medusa Marinara, 1997

Elle est en principe accessible à l'adresse http://www.boumbang.com/vik-muniz/

Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Vik Muniz Medusa Marinara

 

Pour finir, on évoque le procédé encore différent utilisé par le Portugais Alexandre Farto, alias Vhils, né en 1987. Il consiste à réutiliser de vieux murs et à piocher ses enduits de surface pour faire apparaître sélectivement, en forme de visages humains, la pierre ou la brique dont ils sont construits. Souvent, ses œuvres sont réalisées sur place, dans l'espace public ou à l'intérieur des bâtiments, mais parfois il découpe une surface de cloison qu'il travaille de la même façon. C'est le cas de ce visage de femme, obtenu en piochant le plâtre pour faire apparaître l'enduit ciment du dessous, piochant aussi parfois cet enduit en mettant alors complètement à nu la brique qui constitue la cloison.

 



 

Murs piochés d'Alexandre Farto - dans l'exemple de gauche, la partie correspondant aux yeux et au nez est complétée à la peinture

Source des images :  http://ifitshipitshere.blogspot.fr/2011/10/and-what-remains-is-art-artist.html

 

Certes, tous les artistes contemporains ne procèdent pas en prenant des produits « déjà là », « déjà fabriqués », qu'ils transforment pour en faire « quelque chose de bien repérable », soit par leur assemblage répétitif, soit par leur bricolage, soit, comme dans le dernier exemple, en les piochant. On verra d'ailleurs que les artistes que l'on vient d'évoquer ne s'en tiennent pas à cette façon de procéder.

Tout de même, il semble inévitable de considérer que cette manière est symptomatique d'une transformation contemporaine dans la conception que l'on peut avoir du rapport de la matière à l'esprit puisque, et cela est dit en pesant bien les mots, en y recourant ces artistes rompent avec plus de 30 000 ans de pratique artistique. Car en effet, depuis les « Vénus » et autres figurines préhistoriques taillées dans des ivoires d'animaux, en passant par les sculptures en poterie du néolithique, par les bronzes de la Chine ancienne ou par les jades de l'Amérique du Sud précolombienne, et cela jusqu'aux sculptures bien plus récentes d'un Rodin, taillées dans le marbre ou coulées dans le bronze, les artistes ont toujours procédé de la même façon : prendre une matière quelconque et la transformer en quelque chose pour laquelle elle n'était pas normalement faite, signalant ainsi l'intervention de leur esprit sur cette matière. Par exemple : de l'ivoire transformé en statuette, du bronze transformé en vaisselle cérémonielle ou en sculpture d'apparence humaine. Par différence, les artistes contemporains que l'on a donnés en exemple ne prennent pas une matière pour en faire quelque chose avec leur esprit, mais ils prennent une matière ou un matériau qui porte déjà la trace de l'intervention de l'esprit humain : des matériaux produits par l'industrie ou par l'artisanat, des ustensiles normalement fabriqués pour une activité sportive, ou pour cuisiner, ou pour l'hygiène, des photographies faites par d'autres, de la nourriture déjà préparée, des cloisons ou des murs anciennement construits, etc. C'est de cette matière qui porte donc déjà fortement la marque de l'intervention de l'esprit et de sa transformation par l'esprit qu'ils font « quelque chose » de spécial, quelque chose qui n'était pas initialement prévu lorsque ces produits ont été fabriqués, qui n'était même pas prévisible par ceux qui les ont fabriqués.

À notre époque contemporaine, on voit par conséquent apparaître dans l'art une innovation significative : un degré de plus, un cran de plus dans la relation entre la matière et l'esprit puisque les artistes contemporains ne se contentent plus de transformer la matière par leur esprit, ils transforment désormais de la matière déjà transformée par l'esprit. En quelque sorte, on peut définir cette nouvelle pratique comme une élévation au carré de la transformation de la matière par l'esprit.

 

Cela n'a pas surgi brusquement. On peut faire remonter les prémices de cette nouvelle attitude jusqu'au début du XXe siècle. Ainsi, les cubistes ont parfois intégré à leur tableau des collages de morceaux de papier peint, de morceaux de journaux ou de paquets de cigarettes. Les surréalistes aussi ont parfois intégré des objets divers à leurs tableaux, ainsi qu'on l'a vu avec Victor Brauner qui a collé de petites poupées de Celluloïd sur son tableau « Force de concentration de Monsieur K ». Cependant, dans tous ces cas, le produit déjà fabriqué n'était intégré que comme une composante du tableau, comme s'il était une partie déjà toute prête utilisable pour le tableau, dispensant l'artiste de la fabriquer spécialement et ne présentant d'intérêt que pour le temps qu'elle lui a fait gagner.

Bien entendu, toujours du début du XXe siècle, on doit citer les « Ready-mades » de Duchamp. Contrairement aux exemples que l'on a donnés d'artistes plus contemporains, Duchamp ne fabriquait toutefois souvent rien avec les objets industriels qu'il retenait, comme des porte-bouteilles ou des pelles, et il se contentait de les déplacer du magasin au musée. Pour lui et à cette époque, il suffisait de décréter qu'un banal objet de consommation courante était une œuvre d'art pour faire une intervention significative. Par différence, à notre époque ces matériaux sont désormais pris en tant qu'éléments de base qui construisent ensemble une forme signifiante qui n'était pas dans les objets de départ.

On ne va pas développer maintenant cette différence entre l'art du début du XXe siècle et celui du début du XXIe siècle puisqu'elle constituera la matière de plusieurs chapitres, mais il importait de constater ce remplacement tout récent, dans l'activité artistique, du « simple » matériau brut sur lequel l'esprit pourra marquer sa trace, par un matériau sur lequel l'esprit humain est déjà visiblement intervenu, car ce remplacement est précisément à la base du remplacement des ontologies basées sur les relations entre la matière et l'esprit, telles que définies par Descola, par de nouvelles ontologies basées sur cette nouvelle approche. Et si un nouveau cycle ontologique est effectivement en germe dans les œuvres des artistes que nous venons d'évoquer, quelles seront donc les notions qui pourront remplacer celles de matière et d'esprit ?

On a dit que, par différence avec les œuvres antérieures, celles des artistes contemporains n'utilisent pas la matière brute mais de la matière déjà transformée par l'esprit humain : produits industriels ou artisanaux standards, photographies, nourriture préparée, murs de bâtiments anciens. Il semble que la manière la plus générique de désigner ces productions humaines soit justement de dire que ce sont des produits, ou des productions, voire des fabrications ou des objets fabriqués. « Produit », « production », « fabrication », ou « produit fabriqué » serait donc le premier terme du nouveau couple de notions à distinguer. Étant sous-entendu que, chaque fois qu'on parle de produit ou de production, il faut comprendre qu'il s'agit de produit ou de fabrication résultant de l'activité humaine.

Et quel sera le second ? Pour le deviner, on considère à nouveau les œuvres données en exemple. Chaque fois on a dit que, par l'assemblage de produits résultant de l'activité humaine, il avait été fait « quelque chose » d'imprévu pour ces produits : des totems ou des masques réalisés en sacs ou en chaussures de sport, des squelettes de baleines réalisés en chaises pliantes, des carapaces de tortues construites en poubelles, des fauteuils ou des statues en chaussures de femme, des chaussures de femme construites en casseroles, etc. Pour découvrir le second terme du nouveau couple de notions on peut résumer toutes ces constructions en disant qu'elles résultent chaque fois de l'intention de produire quelque chose de repérable et que l'on peut même chaque fois nommer, mais aussi quelque chose de toujours incongru, imprévu, anormal par rapport au produit utilisé. Cet effet d'incongruité n'est probablement pas là pour rien, et puisque les produits utilisés et l'intention avec laquelle ils sont utilisés ne vont donc pas ensemble, il semble bien que ce soit la notion d'intention qui puisse être retenue comme second terme, puisqu'il résulte visiblement de son association avec celle de produit fabriqué que ces deux notions sont quelque peu incompatibles et qu'elles méritent donc d'être séparées, d'être tranchées l'une de l'autre dans notre esprit.

Cela n'apparaît pas d'emblée très alléchant pour définir ce que serait le couple d'un prochain cycle d'approfondissement de la conscience humaine, mais je ne trouve pas mieux, pour le moment, que de définir ce couple de notions par : « produit », « production », « fabrication » ou « objet fabriqué » pour l'un, et « intention » pour l'autre. En pratique, parmi ces diverses possibilités, je retiendrai les termes « produit-fabriqué » et « intention », étant toujours sous-entendu que produit-fabriqué doit être compris comme produit fabriqué résultant d'une production humaine, et qu'intention doit être comprise comme une intention manifestée par un esprit humain. Très probablement, il y a plusieurs dizaines de milliers d'années, lorsque les humains ont commencé à trouver utile de distinguer le plus clairement possible ce qui relève de la matière et ce qui relève de l'esprit, les mots qu'ils ont utilisés ne leur ont-ils pas semblé non plus très alléchants, ni très claire l'utilité de leur mise en relation. Mais c'était bien la moindre des choses puisqu'il a fallu ces dizaines de milliers d'années aux humains pour bien intégrer cette différence dans leur compréhension des choses, et de la même façon il n'apparaît pas anormal que la relation entre les termes « produit-fabriqué » et « intention » ne soit pas encore bien claire, ni l'utilité spéciale de leur mise en relation, puisque l'on doit s'attendre à ce qu'il faudra quelques générations humaines pour  confirmer l'importance de la différence entre ces deux notions, et pour en venir à bout.

Pour l'instant on ne formule l'avènement d'un nouveau cycle ontologique produit-fabriqué/intention que comme une vague intuition, mais on verra que cette intuition est confirmée par l'analyse de l'art contemporain de bien d'autres manières, et de façon bien plus profonde et plus systématique que par les suggestions des analyses d'œuvres précédentes. Dès à présent toutefois, on peut attirer l'attention sur la relation entre ce nouveau cycle et le cycle matière/esprit qu'il remplace. Qu'est-ce, en effet, qu'un produit fabriqué, sinon une matière transformée par l'esprit humain ? Le premier terme du nouveau couple ontologique serait donc tout simplement l'écrasement, dans une même notion, des notions de matière et d'esprit, et donc des deux termes du couple ontologique précédent. Et les artistes, depuis la préhistoire, n'ont-il pas eu des intentions particulières à chaque fois qu'ils ont entrepris une œuvre ? Par exemple l'intention de représenter ceci ou cela ? Pour sa part, le second terme du nouveau couple ontologique ne serait donc qu'une évolution du second terme du couple matière/esprit, une sorte de restriction de la notion d'esprit à son seul aspect d'intention, c'est-à-dire à la partie de la notion d'esprit qui ne se serait pas amalgamée à celle de matière pour engendrer avec elle la notion de produit-fabriqué. Le moment venu, on verra en détail ce processus de mutation des notions de matière et d'esprit en notions de produit-fabriqué et d'intention.

 

 

1.4. Retour à la Préhistoire :

 

Nous vivons à une époque où dire que l'esprit et la matière sont deux réalités distinctes va de soi. Et pas seulement pour notre civilisation occidentale, mais aussi pour tous ceux qui vivent encore avec une conception animiste, totémique ou analogiste du monde, la seule différence étant que varie, selon les filières de civilisation, la relation entre ce qui relève de la matière et ce qui relève de l'esprit.

Dans cet essai on fera l'hypothèse que la différence entre la matière et l'esprit, une évidence pour nous, résulte en fait d'une très longue quête poursuivie par l'humanité et qui s'est étalée sur des dizaines de milliers d'années. Cette hypothèse implique donc qu'il en allait différemment autrefois, et à titre seulement indicatif on proposera que cet autrefois-là se situe au moins cinquante mille ans avant le début des grottes peintes de la période aurignacienne, ce qui nous amène vers quatre-vingt ou cent mille ans avant le début de notre ère, et peut-être même bien avant.

À cette époque lointaine, les humains ignoraient-ils qu'il existe une différence entre les faits de l'esprit et les faits de matière ? Non, certainement. Tout comme les humains contemporains n'ignorent pas qu'il existe une différence entre ce que l'on produit et l'intention que l'on a de produire ceci plutôt que cela. En fait, cette analogie des situations entre une interrogation contemporaine et une interrogation du paléolithique peut nous aider à saisir comment pouvait alors se poser le problème : ils ressentaient bien que la matière et l'esprit devaient être des notions qu'il fallait distinguer, ils ressentaient bien l'importance qu'il y avait de penser cette différence, mais dans la pratique cela n'était pas clair et, pour être mieux saisie, cela méritait que cette relation soit visualisée d'une manière ou d'une autre. Tout comme nous savons distinguer la notion de produit fabriqué et la notion d'intention mais que cela n'empêche pas certains de trouver nécessaire de visualiser leur relation au moyen de casseroles assemblées en chaussure, ou de chaussures assemblées en fauteuil, car le caractère anormal, absurde et évidemment inconsistant de la fabrication de chaussures à l'aide de casseroles, correspondrait en fait à un moyen fruste de faire sentir l'incompatibilité entre la notion de produit fabriqué et la notion d'intention : qu'est-ce que cela signifie de fabriquer des chaussures à l'aide de casseroles, à quoi cela sert-il ? Et le recours à un moyen visuel très fruste pour mettre en relation un produit fabriqué avec une intention, celui d'une simple anomalie criante ou d'une absurdité évidente, traduirait simplement le fait que la différence ressentie entre les deux notions est elle-même encore très fruste.

Si c'est bien ainsi que cela se passe au début d'un cycle, lorsque la différence entre deux notions en est seulement à son émergence et qu'elle ne peut être saisie que par le moyen d'une anomalie flagrante ou d'une absurdité évidente, alors on doit pouvoir appliquer le même raisonnement pour analyser les œuvres des artistes préhistoriques qui ont vécu l'émergence de la différenciation entre la matière et l'esprit. Se séparant radicalement de ceux qui cherchent dans les figurations des grottes peintes paléolithiques les traces d'une ancienne religion chamanique, semblable donc à des religions plus ou moins contemporaines qui relèvent d'une conscience déjà très poussée de la différence entre la matière et l'esprit, on proposera plutôt d'y voir les traces d'un stade encore « très fruste » de la séparation entre la notion de matière et la notion d'esprit. Un stade très fruste qui doit donc impliquer, par analogie avec le stade contemporain d'une autre émergence, les moyens visuels frustes d'une simple anomalie criante ou d'une absurdité évidente. Concernant la différence entre la matière et l'esprit, quelque chose d'aussi absurde ou saugrenu que l'utilisation de casseroles pour faire une chaussure ou de spaghettis à la tomate pour reproduire des tableaux de maître.

 

On reviendra plus tard sur l'art préhistorique et on ne va pas maintenant traiter l'ensemble de ses aspects, seulement envisager des aspects significatifs de l'absurdité ou de l'anormalité évidente que l'on doit s'attendre à y trouver pour correspondre à l'hypothèse que l'on vient de faire.

Tout d'abord, on doit évoquer les mains, et spécialement les mains dites « négatives » que l'on trouve en abondance dans la période gravettienne, et même plus en amont, par exemple dans la première phase de la grotte Chauvet, attribuable à l'Aurignacien, et même plus loin encore, vers 35 000 ans avant notre ère si l'on en croit une datation qui reste à confirmer d'une main négative de la cave d'El Castillo en Espagne. Il est entendu que des mains négatives ont été réalisées aussi à des époques très récentes, et même qu'il en est toujours réalisé, mais il ne sera pas proposé une explication universelle et intemporelle à ce type de figuration, seulement recherché ce qu'elles pouvaient impliquer à l'époque du paléolithique.

Les mains négatives représentent des mains d'hommes, de femmes et même d'enfants, et elles ont été réalisées par soufflage de colorant en utilisant la main comme on le fait d'un pochoir : c'est ce que l'on en dit habituellement. Eh bien, non ! Les mains négatives de la préhistoire ne seraient pas des représentations de mains humaines, ce seraient des mains réelles, pas des représentations de mains, et pas non plus des mains humaines : ce seraient les mains que les préhistoriques ont faites à la roche, qu'ils ont données à la roche pour voir et saisir ce que cela fait si l'on donne à la matière de la roche l'un des outils dont les humains se servent pour mettre en action leur esprit. Le fait que la roche soit le plus souvent exempte de colorant au niveau du poignet est spécialement révélateur, la continuité de la roche étant ainsi bien lisible de telle sorte que la main donnée au rocher le prolonge tout comme la main d'un humain prolonge son avant-bras. Certes, on peut aussi doter le rocher d'une main en lui imprimant la marque positive d'une main humaine, mais l'effet d'appartenance de la main à la roche est plus fort si la main est négative et que le rocher se poursuit en continu depuis sa surface courante jusqu'à la surface interne de sa main.

 

 

Main négative d'époque préhistorique à la Grotte du Pech Merle, dans le Lot, France

source de l'image : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Pech_Merle_main.jpg


 

 

 

Bien sûr, les humains préhistoriques n'étaient pas des imbéciles, ils se rendaient bien compte que ces mains réalisées au pochoir ne donnaient pas à la roche de réelles possibilités de préhension, mais l'idée est que c'est précisément à cause de leur incongruité et de leur absurdité pratique pour la roche qu'ils lui ont donné ces mains. Ce qui comptait, ce n'était pas ce que la roche en faisait ou non, mais ce que cela faisait aux humains de voir la roche ainsi munie de mains et rendue semblable à eux sous cet aspect. Ce qui comptait, c'était de voir, par le moyen de cette anomalie criante, la matière pourvue des attributs habituellement considérés spécialement utiles pour concrétiser l'activité de l'esprit. Pour donner un équivalent contemporain à ce qu'ils devaient ressentir à cette vue, on peut probablement évoquer l'effet que produit sur nous un robot d'apparence humanoïde qui se déplace et qui agite ses jambes, ses bras et sa tête, exactement comme le ferait un humain, ou bien qui semble manifester des sentiments qui font douter qu'il ne soit pas un humain. Oui, bien sûr, ce n'est qu'un robot, et l'on est parfaitement conscients qu'il ne s'agit pas d'une personne qui pense et qui ressent des émotions, mais quel choc, tout de même, et quel choc précisément parce que l'on n'est pas dupe et que l'on considère pleinement le contraste entre l'apparence humaine d'un robot et sa réalité de mécanique construite de toutes pièces.

 




 

Quelques exemples de robots humanoïdes japonais    Sources des images : https://www.societyofrobots.com/robotforum/index.php?topic=16941.0, http://pinktentacle.com/2010/08/telenoid-r1-minimalist-humanoid-robot/  et https://boisdron.com/2021/03/pourquoi-a-t-on-peur-des-robots-la-vallee-de-letrange/

 

On peut aussi évoquer Hal, l'ordinateur du vaisseau spatial du film « 2001, L'odyssée de l'espace » de Stanley Kubrick, et ce qu'il y a de sidérant pour nous d'entendre l'ordinateur – une machine, pourtant, on en est bien conscient – se plaindre que le cosmonaute lui coupe progressivement l'énergie et l'étouffe progressivement, le tue progressivement. Ce qu'il y a de sidérant et d'émouvant pour nous à l'entendre geindre de plus en plus faiblement au fur et à mesure de son arrêt, exactement comme le ferait un humain conscient d'être en train de mourir. On est sidéré de l'entendre, alors que l'on sait bien, pourtant, que ce n'est qu'un ordinateur, seulement un ensemble de câbles et de circuits électriques, et alors même que l'on sait très bien que ce n'est que du cinéma.
 

 

« L'oeil » de Hal, l'ordinateur de L'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick

Source de l'image : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Logoparanobe.jpg


 

 

 

 

Ce n'est que du cinéma ! Parlons-en, précisément, de cinéma. N'est-on pas bouleversé, parfois, par ce qui se passe dans un film, alors que l'on sait que « ce n'est pas pour de vrai », que ce qui arrive sur l'écran n'arrive pas réellement et que c'est seulement « comme si » ? Et pourtant, rien que pour être ainsi bouleversé par des histoires dont nous savons parfaitement qu'elles sont factices, notre civilisation dépense des millions et des milliards dans l'industrie cinématographique. Alors, pourquoi considérer que les humains préhistoriques n'auraient pas dépensé l'énergie minime de la réalisation de mains en pochoir, tout absurde que cela soit, rien que pour être sidérés par l'effet que l'on ressent lorsqu'on fait comme si le rocher avait des mains ?

Les peintures sur les parois des grottes ne seraient pas des représentations de mains et d'animaux, ce serait leur cinéma à eux, aux préhistoriques, leur machine à fabriquer de l'illusion, leur façon de faire comme si, de faire comme si le rocher avait des mains ainsi qu'en ont les humains, de faire comme si le rocher avait une croupe, un poitrail, une queue, des cornes, des poils et des sabots, tout comme en ont les animaux. Juste pour voir ce que cela fait, l'impression que cela fait, la sidération que cela procure, de donner à la matière de la roche inerte et immobile les attributs des animaux et des humains, c'est-à-dire des êtres qui pensent et qui décident de leurs gestes et de leurs déplacements grâce à la capacité de réflexion et de décision que leur donne leur esprit.

Il n'était d'aucune utilité pour les humains préhistoriques de figurer des plantes, des arbres ou n'importe quoi de ce que nous appelons aujourd'hui « paysage », puisqu'ils voyaient bien que tous ces aspects de la réalité matérielle ne manifestaient aucune capacité à se déplacer à leur guise en fonction d'intentions propres permises par la possession d'un esprit. Il n'y aurait rien eu de fondamentalement anormal ou incongru à voir la paroi immobile de la grotte recouverte de végétaux peints immobiles. Il n'en poussait pas dans le fond des grottes, certes, mais il était évidemment très courant de voir des végétaux sur une paroi à l'air libre, et munir celle de la grotte de végétaux n'avait pas de quoi donner le moindre soupçon de surprise ou de stupeur, de telle sorte qu'il est cohérent avec l'hypothèse que l'on formule de ne pas trouver d'élément de « paysage » dans les fresques préhistoriques, pas même de « ligne d'horizon », sauf à quelques rares exceptions dans les périodes les plus tardives.

Des animaux, en revanche, en quantité, et de toutes sortes. C'est que les animaux, pour eux, devaient être clairement du côté de ceux qui disposent d'un esprit puisqu'ils disposaient de la capacité d'aller à leur guise là où ils le décidaient, et qui disposaient donc pour cela d'un centre de volonté et de décision. Ils avaient nécessairement observé, d'ailleurs, que pour les chasser efficacement il fallait ruser avec eux afin de déjouer l'habileté dont faisait preuve leur esprit pour nous tromper.

 

 

Dans la grotte de Cougnac (Lot, France), un mammouth est seulement évoqué par son dos et son front tracés en rouge. En dessous de lui, un bouquetin est seulement évoqué par son encornure, tracée en noir. Des paires de points noirs parsèment la surface

Source de l'image : http://forum.aceboard.net/81032-2144-6492-0-Gravures-surprenantes-Paleolithique-Superieur.htm


 

 

 

 

Et rien ne sert de représenter un animal en entier puisqu'il ne s'agit pas d'en donner une image fidèle mais de transformer la paroi en animal en la dotant de ce qui sert, à l'évidence, à faire un animal : une croupe, une crinière, des cornes, le profil d'une tête, une ligne de dos. Tout comme il suffit de munir la paroi d'une main pour en faire un humain. Et rien ne sert de remplir systématiquement la forme de l'animal de colorant, ou même de suggérer son volume, puisque le tracé de son profil suffit à munir la paroi des attributs d'un être doté d'un esprit. Et rien ne sert, non plus, de fermer le contour de sa forme car, comme pour les poignets des humains, il vaut mieux laisser ouvert le contour de l'animal en laissant des jours entre les traits ou en s'abstenant de dessiner les pieds afin de mieux préserver la continuité de la paroi. Par le seul dessin de cornes, ou par le moyen d'un contour plus complet mais non fermé, on perçoit mieux que l'on n'a pas affaire à un animal qui serait comme collé sur la paroi mais à une paroi rocheuse qui dispose des attributs d'un animal. Que l'on a affaire à de la matière rocheuse munie de cornes, d'une crinière, d'un museau ou d'une croupe, autant d'attributs dont on sait bien que n'en disposent que les animaux animés par la volonté de leur esprit.

 



 

Exemples de figures animales ne se refermant pas sur un tracé continu et préservant la continuité de la surface et la texture de la paroi. À gauche, un bouquetin et un cheval dans la grotte de Lascaux. À droite, un bison dans la grotte de Marcenac (Lot, France)    Source des images : http://paleo.revues.org/index1635.html

 

Souvent les préhistoriens font la remarque, pour s'en étonner, que les représentations humaines sont très rares sur les parois des grottes peintes, tandis que les animaux y sont représentés en grand nombre et correspondent même à la quasi-totalité des représentations. C'est étonnant, effectivement, si l'on part du principe qu'il s'agit de représentations. Toutefois, si l'on part du principe qu'il ne s'agit pas de cela, mais de marquer la matière de la roche par des traces de l'esprit, de tatouer la matière pour la confronter aux effets de l'esprit des humains, alors tout est trace humaine sur ces parois : les mains négatives en pochoir et les mains positives, bien sûr, mais aussi les dessins d'animaux dont il était évident pour eux qu'il s'agissait de tracés faits par des humains, et aussi les signes abstraits, points, traits, croisements, quadrillages dont il était également évident qu'ils étaient le résultat d'un souffle humain chargé de colorant ou d'une trace faite par une main humaine munie d'un quelconque outil colorant. Peut-être, d'ailleurs, ces signes ou ces tracés abstraits étaient-ils les mêmes que ceux que les humains peignaient ou tatouaient sur leur corps.

En totalité, les marques faites sur les parois étaient certainement ressenties comme des traces humaines et, par conséquent, comme des effets de l'esprit des humains.

 

Mais l'affaire ne se résumait pas à ce simple ressenti car, s'il s'agissait de munir la matière des marques de l'esprit, la matière elle-même n'était pas en reste et elle n'attendait pas que les humains s'en mêlent pour manifester toute seule de troublants effets de confusion entre paroi matérielle et formes dotées des marques de l'esprit.

 



 

À gauche, dans la grotte de Foissac (Aveyron, France), des petits cercles noirs ont été ajoutés pour transformer des stalactites en têtes de rongeurs ou de musaraignes. À droite, à Cougnac, des coulures de calcites ont été utilisées pour figurer les pattes et la toison d'un bouquetin, lequel a été complété par un tracé à partir de ces éléments proposés par la paroi. Les coulures ont été légèrement retaillées pour mieux s'adapter à la figure

Sources des images : http://lithos-perigord.org/spip.php?article217  et http://patrimoine-de-france.com/lot/payrignac/grotte-a-cougnac-1.php

 

C'est que tel ou tel relief de la roche semblait bien être, par lui-même, un morceau d'animal, et il suffisait parfois d'accentuer un relief, de dessiner une corne ou un œil pour révéler la forme latente d'un animal que la roche réussissait déjà toute seule à suggérer. De la matière inerte qui présente des apparences que l'on trouve normalement sur les seuls êtres que l'on sait dotés d'un esprit, n'est-ce pas étonnant ? De la matière inerte qui fait toute seule des évocations animales comme sait en faire l'esprit humain s'aidant d'un charbon de bois ou un outil colorant, n'est-ce pas troublant ? Ces effets complètement ambigus de mélange entre effet de matière et effet de l'esprit n'étaient-ils pas aussi stupéfiants pour les humains de cette époque que peut l'être pour nous l'ambiguïté indémêlable d'un entassement de sacs de golfs que l'on peut aussi bien prendre comme tel que comme un totem indien traditionnel ?

 




 

À gauche, à Cougnac, des draperies de calcite ont été complétées par un tracé pour figurer un personnage humanoïde.

Au centre, dans la grotte d'Arcy-sur-Cure (Yonne), le relief existant suffisait pour évoquer une figure féminine. Les humains préhistoriques y ont fait des marques d’ocre rouge sur la cuisse et la poitrine.

À droite, dans le Combel de la grotte de Pech-Merle (Lot), ils ont marqué de taches noires des stalactites ayant l'apparence de seins

Source des images latérales : Art Pariétal, Grottes ornées du Quercy, par Michel Lorblanchet aux Éditions du Rouergue (2010) Source de l'image centrale :  http://paleo.revues.org/index1635.html

 

Et non seulement la paroi suscite elle-même des formes animales, voire humaines, lorsqu'elle semble localement avoir la forme d'un sexe ou d'un groupe de seins pendants depuis la voûte, ou même de personnages humains presque complets, mais en plus elle se déforme toute seule puisque toutes les formes qu'elle propose s'agitent et bougent sous le vacillement de la lampe à huile ou à l'occasion des déplacements d'un flambeau. De la matière apparemment inerte qui palpite et qui bouge comme le font les êtres vivants dotés d'un esprit, n'est-ce pas stupéfiant, cela aussi ?

Et peut-être les rivières, parce qu'elles coulent, et bougent donc toutes seules, ont alors eu un statut à part, spécialement ambigu, car on sait que certaines des grottes peintes étaient épisodiquement traversées par un courant d'eau et que le trajet de ces rivières souterraines, notamment à l'endroit de leur pénétration dans la paroi, était spécialement traité et mis en valeur par les préhistoriques.

 

 

Prenons maintenant davantage de recul.

 

Nous avons suggéré que les humains ont mis quelque cent mille ans pour creuser en tous sens les relations possibles entre la matière et l'esprit avant de pouvoir les traiter d'instinct comme étant des faits séparés et aux effets bien distincts. Nous avons aussi suggéré que la maîtrise de cette séparation était maintenant suffisamment acquise et qu'un nouveau cycle s'amorçait sous nos yeux, la séparation à acquérir et à maîtriser étant cette fois entre la notion de produit-fabriqué et la notion d'intention.

Nous avons aussi suggéré que ce nouveau cycle commence, tout comme le précédent, en pointant les différences entre les deux notions au moyen de situations qui les mettent en relation de façon absurde, saugrenue, anormale, au minimum étrangement surprenante. De la même façon que pour la précédente, nous supposons que la séparation entre produit-fabriqué et intention en viendra à se clarifier progressivement et que les deux notions deviendront de plus en plus distinctes, cela jusqu'à ce que leur séparation en vienne à être ressentie d'instinct et comme relevant de l'évidence. Tout comme pour nous relève de l'évidence la différence entre naturel et artificiel.

Puisqu'il semble qu'un nouveau cycle de séparation démarre au moment même où se termine celui qui a permis la séparation entre la matière et l'esprit, on peut se demander à quel autre cycle celui-ci a lui-même succédé ? À quelle opposition encore plus ancienne a succédé, dans les préoccupations des humains, celle de l'opposition entre la matière et l'esprit ?

L'hypothèse que l'on fera est qu'il s'agit de la séparation de l'animal et de l'humain, c'est-à-dire de la capacité à percevoir d'instinct que les humains ne sont pas des animaux comme les autres. Il ne s'agissait certainement pas, alors, de repérer que les humains se distinguent des animaux parce qu'ils seraient les seuls à posséder une âme ou un esprit, il faudra attendre le XVIIe siècle occidental pour en venir à penser de cette façon-là. Dès lors qu'on a fait l'hypothèse que, aux époques préhistoriques, on était encore dans le brouillard concernant la différence précise entre ce qui est de la matière et ce qui relève de l'esprit, il s'ensuit qu'aux époques plus anciennes l'esprit ne pouvait pas être un critère discriminant. L'esprit, alors, était plus probablement associé à la volonté manifeste personnelle, c'est-à-dire à la capacité d'aller ici ou là selon ce que l'on a décidé, car ce comportement peut être clairement repéré et pouvait donc servir de critère objectif pour distinguer ce qui relevait de l'esprit sans trop risquer d'erreur. Comme on l'a déjà dit, sur la base de ce critère le comportement apparent des animaux les mettait plutôt du côté de ceux qui possèdent un esprit et une volonté interne, il les mettait donc du même côté que les humains de la frontière, tandis que de l'autre côté de cette frontière on pouvait ranger en bloc, la terre, les rochers, les herbes et les arbres qui, visiblement, ne vont pas à leur guise là où ils le veulent.

 

Il n'a certainement jamais existé un premier homme ni une première femme. Jamais aucun animal ne s'est dit, regardant sa progéniture, tiens, ce petit ou cette petite est décidément d'une autre espèce que moi. Jamais non plus un rejeton d'animal n'a pu ressentir et se dire qu'il était à l'origine d'une nouvelle espèce, en l’occurrence l'espèce humaine.

Ce n'est que longtemps après coup, après une accumulation suffisante et très progressive de différences que des humains ont pu se dire que, finalement, toutes ces différences qu'ils repéraient entre eux et les autres espèces vivantes valaient peut-être plus que les simples différences d'espèces qu'ils relevaient entre les diverses espèces animales et entre les diverses espèces bipèdes qui cohabitaient alors.

Qu'est-ce qui a pu, à l'époque, les amener à envisager qu'il y avait peut-être un « propre de l'humain » ? La maîtrise de la bipédie ? Le langage et le chant ? La maîtrise du feu ou la capacité à perfectionner des outils variés ? La danse ? La relation aux morts et au souvenir des ancêtres ? L'usage d'habits ? L'usage de parures ? Un peu tout cela à la fois ou une partie de tout cela ? Il n'apparaît plus possible de connaître avec exactitude les propriétés qui ont pu alors apparaître essentielles à nos ancêtres pour les amener à penser que, au fond, il semblait bien qu'ils étaient quelque peu différents, par nature, des autres animaux. Là aussi on a probablement peu de chance de se tromper si l'on dit que cela a dû commencer dans une relative confusion, dans la troublante et fascinante impression d'être à la fois comme les autres espèces animales et pas comme les autres en même temps, cela tout en étant incapables de définir et de cerner clairement ce qui fait la différence entre ces deux conditions.

Puisque l'époque des grottes peintes était vers le début de la recherche d'une séparation entre la matière et l'esprit, on doit penser que l'interrogation sur la spécificité humaine a commencé quelques centaines de milliers d'années encore avant. De même que la confrontation de faits de l'esprit avec la paroi matérielle de la grotte a été utile pour initier l'apprentissage de la séparation entre la matière et l'esprit, l'humanité a très certainement utilisé divers procédés pour confronter sa nature humaine à sa nature animale, et au départ en trouvant le moyen de rendre stupéfiantes des pratiques de confusion entre ces deux aspects. Est-ce pour cela qu'ils ont inventé les rites funéraires ? La danse, le chant, les tatouages, les parures ? On ne peut que spéculer, d'autant que la plupart des traces de leurs activités d'alors ne nous sont pas restées.

 

Il est certain que, à l'époque des grottes peintes, les humains se ressentaient comme une espèce spéciale, pas une espèce animale comme les autres et parmi les autres, car pourquoi sinon sur les parois des grottes auraient-ils peint presque toutes les espèces animales qu'ils connaissaient, sauf, et très précisément, l'espèce humaine ? Cette exclusion sélective des peintures implique nécessairement qu'un statut spécial était accordé aux humains dès cette époque, mais observer que, à un moment donné très vaguement repérable dans le temps, les humains ont fini par admettre d'instinct qu'il y avait un propre de l'humain, cela ne veut pas dire pour autant que l'affaire a été définitivement réglée, car chaque humain doit toujours en faire sa propre expérience et s'en convaincre personnellement, de même que chaque civilisation doit toujours inventer sa propre interprétation de ce fait et en forger ses propres conclusions. La séparation entre animaux et humains n'est pas dans les gènes, elle est un fait de culture, et pour cette raison elle doit être sans cesse ravivée et réinventée.

Parmi les plus anciennes sculptures retrouvées, il y a beaucoup d'êtres hybrides, mi-humains mi-animaux, la plupart des dieux de l'Égypte antique étaient également hybrides, par exemple un humain à tête d'oiseau ou un lion à tête humaine, comme le Sphinx de Gizeh. Les dieux anthropomorphes de la Grèce antique étaient aussi capables de changer leur forme humaine pour une forme animale, comme Zeus qui se changea en taureau blanc pour s'approcher d'Europe afin de l'enlever. Bien entendu, dans toutes les sociétés animistes, au sens que Descola donne à ce terme, la transformation d'un animal en humain va de soi, étant toutefois souligné que l'humain y a un statut bien particulier puisqu'il est la référence à laquelle se « ramènent » les animaux, le modèle auquel ils se conforment lorsqu'ils quittent leur apparence animale, les animaux y étant donc fondamentalement des humains déguisés en animaux ([9]). Et même dans la société occidentale la question de la réalité ou non d'un propre de l'humain est aujourd'hui encore vivement débattue, certains faisant clairement valoir que les humains ne seraient qu'une espèce animale parmi les autres.

« Animal/humain » aux débuts de l'humanité, « matière/esprit » ces cent mille dernières années, « matière transformée par l'esprit/intention » depuis quelques décennies et peut-être encore un ou deux siècles, ces paires de notions ne doivent pas être prises pour des réalités qui peuvent être tranchées l'une de l'autre une fois pour toutes, ce sont des problèmes ontologiques successifs que se posent les humains pour tenter de savoir de mieux en mieux qui ils sont et ce qu'ils font. Chacun de ces couples commence par la perception seulement fruste de la différence entre leurs notions et se termine par l'habitude devenue automatique, souvent même inconsciente, d'en traiter comme d'un couple de notions à la fois en relation privilégiée l'une avec l'autre et clairement distinctes, clairement séparées l'une de l'autre. Une « évidence acquise », en quelque sorte.

 

> Chapitre 2 –  Des formes


[1]La partie du site Quatuor qui expose cette théorie est accessible à l'adresse http://www.quatuor.org/art_accueil.htm. Certains développements de ce site sont maintenant devenus caducs, on s'en expliquera au chapitre faisant fonction de post-scriptum.

[2]Voir ses cours au Collège de France : http://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/course-2008-2009.htm, le livre établi sous sa direction : La Fabrique des images – musée du quai Branly/Somogy (2010), et son livre : Les Formes du visible – Seuil (2021)

[3]Citation de la page 287 de Par-delà nature et culture de Philippe Descola

[4]Citation de la page 289 de Par-delà nature et culture de Philippe Descola

[5]On peut en prendre connaissance sur le site du Collège de France : dernière partie du cours du 27 avril 2011 correspondant à la vidéo http://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/course-2011-04-27-14h00.htm et ensemble du cours du 4 mai 2001 correspondant à la vidéo http://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/course-2011-05-04-14h00.htm

[6]Chapitre « Variation 2 – Jouer sur tous les tableaux » (Éditions du Seuil – LES LIVRES DU NOUVEAU MONDE)

[7]Les phases C0-1 à C0-3 dans le « tableau de l'évolution des phases ontologiques » annexé

[8]voir son cours du 9 mars 2011 au collège de France : http://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/course-2011-03-09-14h00.htm  et le chapitre « Variation 1 – Image-répertoire et image-personne de son livre Les Formes du visible (2021)

[9]Au passage, signalons que l'on ne considèrera pas ici que les sociétés animistes ou totémiques étudiées par les anthropologues et auxquelles Descola se réfère sont des sociétés équivalentes à celles de la préhistoire. Ce sont des sociétés contemporaines et qui, pour cette raison, bénéficient de l'essentiel de la clarification entre les notions de matière et d'esprit dont bénéficie la société occidentale contemporaine. Et les quelques sociétés qui vivent encore de chasse et de cueillette, éventuellement en se servant toujours d'outils en pierre, ne sont pas non plus équivalentes aux sociétés de l'âge de la pierre, ce sont des sociétés contemporaines dont les conceptions bénéficient pour cette raison de dizaines de millénaires d'évolution.