Chapitre 13
PREMIÈRE CONFRONTATION
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13.0. L'enjeu :
À l'issue de la phase d'émergence, la notion de produit-fabriqué et celle d'intention n'ont pas encore acquis le statut de notions globales résumant tous les aspects qui se rapportent à chacune, elles sont toujours pensées au cas par cas, chaque cas correspondant à un conflit particulier qui n'est pas perçu comme représentatif d'un antagonisme général entre les deux notions. Toutefois, la phase d'émergence a permis que les deux notions ne soient plus complètement étrangères l'une pour l'autre puisqu'elles y ont acquis la capacité de se mettre en relation lorsqu'elles se confrontent, et cela quels que soient leurs types respectifs, 1+1 ou 1/x.
À l'entrée de la nouvelle phase, que l'on appellera de « 1re confrontation », cette capacité de mise en relation au cas par cas des deux notions va engendrer deux situations bien distinctes. Car en effet, il existe toujours deux façons différentes d'entrer en relation : soit la notion de produit-fabriqué et la notion d'intention sont pensées complètement indépendantes l'une de l'autre, et c'est en cette qualité de notions indépendantes qu'elles se mettent « librement » en relation mutuelle, soit elles sont posées d'emblée comme étant les deux parties d'un couple, et c'est à l'intérieur de ce couple qu'elles entrent en relation. Dans le premier cas on dira que les deux notions ont une relation au cas par cas qui relève du type 1+1, plus exactement on la dira du type « additif », cela afin de bien distinguer la relation entre les deux notions et le type des deux notions prises individuellement, chacune pouvant en effet être aussi bien du type 1+1 que du type 1/x. Dans le second cas, on dira que les deux notions ont une relation au cas par cas qui relève du type 1/x, une relation qu'on appellera du type « couplé » afin de bien distinguer la relation entre les deux notions et le type des deux notions prises individuellement, lesquelles pourront à nouveau être aussi bien du type 1+1 que du type 1/x. La différence entre ces deux types de relation implique une différence fondamentale entre les arts plastiques et l'architecture :
– une architecture correspond à un bâtiment qui est fabriqué pour remplir des usages largement indépendants de la volonté de son architecte, et elle correspond aussi à l'intention de celui-ci concernant plus spécialement sa mise en forme. Dans une architecture, les notions de produit-fabriqué et d'intention forment donc d'emblée un couple, c'est-à-dire qu'elles y entretiennent fondamentalement une relation du type couplé ;
– par différence, une peinture, une sculpture ou une installation sont des oeuvres fabriquées qui n'existent que par l'intention d'un artiste de les fabriquer, ce qui revient à dire qu'elles n'existent que parce qu'il y a d'abord une intention les concernant, puis qu'elles sont ensuite fabriquées. Elles correspondent donc à une intention + à un objet fabriqué pour répondre à cette intention, et par conséquent elles relèvent fondamentalement d'une relation du type additif.
Dans la phase d'émergence, cette différence avait déjà eu des conséquences. Dans les arts plastiques, elle avait impliqué que l'on attende la toute fin de la phase pour que les deux notions, alors en relation du type additif, trouvent le moyen d'entrer en relation mutuelle. Dans l'architecture, par contre, on a vu que l'amorce de cette relation mutuelle était acquise d'emblée, et que pendant cette phase l'évolution de l'architecture n'avait fait qu'amplifier progressivement la force de cette relation couplée.
Dans la phase de 1re confrontation nous allons retrouver la même différence d'évolution entre les arts plastiques et l'architecture, une mutation n'apparaissant que brusquement à la dernière étape dans le cas des arts plastiques alors qu'elle commencera à se manifester dès la première étape dans l'architecture pour s'y épanouir progressivement au fil des étapes. Toutefois, la différence entre ces deux modes d'expression sera plus essentielle encore puisque, tout simplement, il ne se passera pas du tout la même chose dans les arts plastiques et dans l'architecture. Dans les arts plastiques, le caractère additif de la relation entre les deux notions impliquera une difficulté intrinsèque pour la faire évoluer, de telle sorte que leur évolution consistera essentiellement à transformer ce caractère additif de leur relation (1+1) en une relation de type couplé (1/x). Dans l'architecture cette fois, une mise en relation des deux notions étant d'emblée assurée par le caractère couplé de leur assemblage, l'enjeu de la phase consistera, à l'intérieur de cette relation, à approfondir la vigueur du contraste entre la notion de produit-fabriqué et la notion d'intention jusqu'à le porter à son paroxysme.
Après ce préambule général, on en vient à ce qui va spécialement se passer dans les arts plastiques qui seront l'objet du prochain chapitre. Il faut sans doute s'accrocher un peu pour saisir la subtilité de la situation, mais elle est incontournable.
À l'issue de la phase précédente, on a dit que les deux notions savaient désormais se mettre en relation, du moins au cas par cas. On avait toutefois négligé de regarder de près les différents cas de figure correspondant à chacune des quatre filières analysées, si bien qu'on ne s'est pas aperçu que tous les cas de figure n'ont pas été envisagés. Plus précisément, on a envisagé les cas où la mise en relation des deux notions pouvait se réaliser commodément, et les cas de figure plus ardus, négligés lors de la phase d'émergence, sont précisément ceux qui seront envisagés dans la nouvelle phase ontologique. Qu'ont-ils donc de spéciaux ces cas de figure suffisamment ardus pour résister à l'évolution intervenue lors de la phase précédente ? Ils correspondent à des situations où l'une des deux notions comporte un ou des éléments que l'on appellera « célibataires ». Une telle situation ne se rencontre que si l'une des deux notions est du type 1+1, et l'on dira qu'elle comporte un élément célibataire si l'un de ses éléments, qui est donc en +1 à l'intérieur de sa propre notion, vient également en +1 par rapport aux éléments qui constituent l'autre notion.
Cet élément célibataire est donc une espèce de grumeau qui complique la relation entre les deux notions, qui résiste à leur mise en couple car il n'est pas « neutre » vis-à-vis des éléments de l'autre notion, il est en situation de +1 par rapport à eux, c'est-à-dire spécialement étranger à eux, spécialement hétérogène, spécialement indépendant.
Deux cas de figure peuvent se rencontrer, que l'on peut schématiser de la façon suivante, selon que c'est la notion de produit-fabriqué qui est du type 1+1 avec la notion d'intention du type 1/x (1er schéma) ou si c'est l'inverse (2e schéma) :
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Dans ces schémas, on a donné les index 1 et 2 aux deux éléments de chaque notion, mais on peut évidemment concevoir des notions regroupant plus de deux éléments. Dans les cercles, on a regroupé les éléments qui sont relativement neutres vis-à-vis des éléments de l'autre notion, c'est-à-dire les éléments qui ne posent pas de problème particulier pour la mise en relation des deux notions, qui ne résistent pas spécialement à leur mise en situation couplée qui est symbolisée par le trait de fraction horizontal. Le « grumeau » est donc l'élément laissé hors du cercle.
Si les deux notions sont du type 1/x, il va de soi qu'il n'y a aucun élément disponible pour faire un grumeau en +1.
Comme on le résume dans les schémas suivants, on peut également écarter d'emblée les cas où les deux notions sont de type 1+1 avec présence d'une notion célibataire. Puisqu'on sait, grâce à l'évolution intervenue lors du cycle précédent, qu'une relation du type 1+1 est maintenant compatible avec une lecture en 1/x, désormais la relation en type 1+1 du dénominateur peut aussi bien se lire en 1/x, et l'on est alors spontanément ramené aux deux cas envisagés plus haut :
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mutation permise par la phase d'émergence |
mutation permise par la phase d'émergence |
Lors de cette phase de 1re confrontation, on n'aura donc affaire qu'à deux cas de figure, soit l'association de produits fabriqués du type 1+1 avec une intention du type 1/x, soit l'association d'intentions du type 1+1 avec un produit fabriqué du type 1/x, et ces deux cas donneront lieu à deux filières d'évolution bien distinctes. Toutefois, dans chacun des cas on aura une possibilité de tension de faible ou de forte énergie entre les deux notions, si bien que nous nous retrouverons finalement, comme dans la phase précédente, avec quatre filières distinctes d'évolution pendant les cinq étapes que comporte la phase de 1re confrontation.
Avant d'attaquer l'évolution de ces quatre filières, il est toutefois utile de revenir sur les situations qui correspondaient à la phase précédente afin de bien comprendre pourquoi on n'était jamais dans un cas de figure avec élément « célibataire ».
Dans la phase d'émergence, en effet, même lors de la première étape de chaque filière, sauf dans la 2e chaque produit fabriqué était en relation avec au moins une intention, et l'enjeu de cette phase était qu'il puisse établir aussi une pleine relation avec toutes les autres intentions impliquées.
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Vincent Kohler : Unplugged à Lausanne, Suisse (2017 – détail)
Source de l'image : https://www.vincentkohler.ch/unplugged/ |
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Ainsi, dans le cas de la première étape de la 1re filière, au chapitre 12.1.0 on a donné l'exemple de la fontaine réalisée par Vincent Kohler au moyen d'instruments de musique. On a dit alors que l'intention de faire des instruments de musique (i1) était associée à la présence d'objets fabriqués pour ressembler à des instruments de musique (PF1), et que l'intention d'en faire une fontaine (i2) était associée à la présence de jets d'eau fabriqués et incorporés à ces instruments (PF2).
Le problème n'était donc pas que, par exemple, l'intention de faire une fontaine (i2) ne soit associée à aucun produit fabriqué et donc en situation célibataire, mais qu'elle n'ait aucune relation avec les produits fabriqués qu'étaient les instruments de musique (PF1), ce qui résultait du type 1+1 des deux notions dans cette filière. L'évolution de cette filière a consisté à permettre que la lecture selon le type 1+1 soit compatible avec une lecture en 1/x, ce qui a permis, à la dernière étape de la phase, que tous les produits fabriqués et toutes les intentions concernées soient désormais en relation les unes avec les autres.
Pour utiliser la même présentation schématique que précédemment, on peut dire que, dans tous les cas de la 1re filière envisagés lors de la phase précédente, la relation entre les deux notions se présentait ainsi, d'abord à la première étape de cette phase, puis à la dernière :
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De la même façon, dans le même chapitre 12.1.0, et pour la 3e filière, on a donné l'exemple des friandises contenant des lames de cutter réalisées par Kader Attia.
IMAGE ÉVOQUÉE : Kader Attia, Sweet Sweat (2004)
Elle est en principe accessible à l'adresse http://old.likeyou.com/archives/kader_attia_andrehn_06.htm
Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Kader Attia Sweet Sweat 2004
Chacun des deux aspects de ces friandises contenant deux parties engoncées l'une dans l'autre (PF1 et PF2 de type 1/x en tant que produit fabriqué) était en relation avec une intention qui lui était propre : le morceau de barre chocolatée (PF1) était en relation avec l'intention de proposer un produit comestible (i1) et la lame de cutter (PF2) était en relation avec l'intention de proposer un matériau coupant (i2). Le problème alors était que le morceau de barre chocolatée (PF1) n'avait aucune relation avec cette seconde intention d'y intégrer un matériau coupant (i2) car les deux intentions concernées relevaient du type 1+1 et étaient donc indépendantes l'une de l'autre.
Là encore, à la dernière étape de cette phase et dans cette filière, la solution a consisté à permettre que les intentions du type 1+1 puissent également se lire en 1/x, ce qui a permis, grâce à cette seconde lecture possible, de mettre en relation chacun des produits fabriqués avec chacune des intentions, une évolution qui peut se résumer de la façon suivante :
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Willie Cole : Scene from a Battle (1999)
Source de l'image : https://www.moma.org/collection/works/146865 |
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Pour la première étape de la 4e filière, on avait donné l'exemple des empreintes de fer à repasser réalisées par Willie Cole dans « Scène from a Battle ». L'intention était ici de donner la même forme à toutes les empreintes, de telle sorte que, pour ce qui concerne l'intention manifestée par leur forme, chacune relève du type 1/x. Par contre, pour ce qui concerne leur orientation et la force plus ou moins grande de leur brûlure telles que fabriquées par l'artiste, les empreintes s'additionnent en 1+1 les unes à côté des autres sans générer ensemble une unité plus grande que l'on pourrait repérer.
Surtout, sans que l'orientation et l'intensité de la brûlure de chaque empreinte ait la moindre relation significative avec l'intention de donner la même forme à toutes ces empreintes.
À l'inverse de la filière précédente, cette fois c'est la lecture en 1+1 des produits fabriqués qu'il a fallu transformer en lecture simultanée selon le type 1/x afin d'établir une relation entre l'intention générale et l'ensemble des dispositions adoptées par les produits fabriqués relevant de cette intention. Ce que l'on peut résumer de la façon suivante, sachant toutefois, comme dans tous les croquis précédents, que la quantité des intentions en cause et la quantité des produits fabriqués concernés ne sont pas obligatoirement limitées à deux :
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Dans la 2e filière aucune des deux notions n'était du type 1+1, raison pour laquelle il n'y a pas lieu d'y revenir dès lors que cette situation n'était pas susceptible d'engendrer des éléments célibataires.
En résumé, comme on vient de le voir en récapitulant la situation des quatre filières de la phase d'émergence, jamais, même à la première étape de chacune des filières, nous n'avons rencontré une situation dans laquelle une intention ou un produit fabriqué venant en +1 ne restait célibataire, c'est-à-dire sans aucune relation avec au moins un élément de la notion adverse.
Comme déjà indiqué, lors de la phase de 1re confrontation que l'on va maintenant examiner, nous aurons seulement affaire dans les arts plastiques à deux cas de figure, mais chacun dédoublé du fait de l'intensité variable de la tension entre les deux notions :
– soit l'association d'un produit fabriqué du type 1/x avec des intentions du type 1+1, ce qui donnera lieu à deux filières distinctes, la 1re filière qui correspondra à un faible niveau de tension entre les deux notions, et la 2e filière qui correspondra à un niveau de tension élevé ;
– soit l'association d'une intention de type 1/x avec des produits fabriqués du type 1+1, ce qui donnera lieu, cette fois, à la 3e filière pour un faible niveau de tension entre les deux notions et à la 4e filière qui correspondra à un niveau de tension élevé
Puisqu'en première étape de la nouvelle phase on se trouve avec une intention ou un produit fabriqué célibataire, cela implique une situation plus dure à affronter qu'en phase précédente, car il est plus dur de mettre en relation un élément qui n'est pas initialement, de lui-même, déjà en relation avec au moins un élément de la notion opposée. C'est pour cette raison que de telles situations n'ont jamais été envisagées lors de la phase d'émergence, la difficulté étant plus ardue elles ne pouvaient être affrontées d'emblée, il fallait d'abord que cette phase précédente soit franchie pour qu'une maturité suffisante permette de traiter ce type de situation.
On dispose maintenant de suffisamment d'éléments pour figurer schématiquement la situation qui sera celle de la phase de 1re confrontation, un schéma que l'on encadre par un rappel de la situation qui prévalait pendant la phase d'émergence, puis par une présentation de la situation qui prévaudra pendant la phase de 2d confrontation. L'ajout de points de suspension après les schémas est là pour rappeler qu'il s'agit toujours de relations au cas par cas et que l'on pourrait donc répéter à volonté ces schémas par des schémas similaires mis à leur suite.
ontologie matière/esprit émergente :
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ontologie fabriqué/intention de 1re confrontation :
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- en architecture (type couplé) |
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- dans les arts plastiques (type additif) |
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ontologie fabriqué/intention de 2d confrontation :
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- option pré-fabriquiste : |
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- option pré-intentioniste : |
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Dans ces schémas, la couleur noire symbolise ce qui se rapporte aux produits fabriqués, la blanche ce qui se rapporte à l'intention, une forme en quart de rond groupée signifie le type 1/x et des ronds ou portions de ronds plus petits écartés les uns des autres signifient le type 1+1.
Dans le cas de l'architecture, une relation en couple est déjà présente dès la première étape de la phase, et c'est donc seulement à contraster au maximum les deux notions que la phase de 1re confrontation sera consacrée. Pour cette raison, les schémas correspondant à la phase de 2d confrontation sont équivalents à ceux de l'architecture en situation couplée de 1re confrontation, mais en écartant au maximum les deux notions afin de schématiser leur contraste maximal obtenu à l'occasion de cette 1re confrontation.
Dans le cas des arts plastiques, la présence d'un élément célibataire génère une relation de type additive entre les deux notions et l'objet unique de la phase de 1re confrontation sera de transformer cette relation en une relation couplée. Comme les deux notions sont d'emblée bien différenciées du fait de leur situation additive, il ne sera pas nécessaire de faire un effort quelconque pour les contraster puisqu'elles le sont dès le départ. À l'arrivée, avec des notions couplées et clairement contrastées, la phase de 1re confrontation dans les arts plastiques aboutit donc à la même situation que dans l'architecture pour affronter la phase de 2d confrontation.
Dans les deux cas, et toujours au cas par cas, on se retrouvera donc en fin de phase avec deux notions perçues d'emblée comme un couple de deux notions bien distinctes, mais deux situations différentes seront toutefois à envisager que l'on trouvera pendant toute la phase de 2d confrontation, celle où c'est la notion d'intention qui sera du type 1/x avec la notion de produit-fabriqué du type 1+1, et la situation inverse. Dans les schémas, on a utilisé les termes d'option pré-fabriquiste et d'option pré-intentionniste pour caractériser ces deux situations, l'option fabriquiste correspondant à la notion de produit-fabriqué du type 1/x avec une notion d'intention du type 1+1, l'option intentionniste correspondant à la situation inverse. Ces deux mots ont été forgés afin de pouvoir repérer simplement la notion qui a le type 1/x.
On l'a déjà dit, le caractère additif de la relation entre les deux notions dans le cas des arts plastiques ne permettra pas d'observer la progression de cette relation à chacune des étapes de la phase de 1re confrontation, ce n'est qu'à la dernière étape que l'on pourra constater sa transformation en une relation de type couplé.
Comme on l'avait fait pour la phase d'émergence qui présentait la même particularité, et afin de faire comprendre aussi clairement que possible l'évolution pendant la phase de 1re confrontation, on va commencer par comparer directement la première étape de chaque filière à sa dernière étape. Dans cette introduction, pour ne pas alourdir les analyses, on n'envisagera pas tous les effets plastiques correspondant à chacune des œuvres, seulement l'effet prépondérant car c'est lui qui implique le classement d'une œuvre dans l'une ou dans l'autre des quatre filières. L'analyse des effets plastiques sera toutefois complète lorsqu'on envisagera l'ensemble des étapes de chaque filière.
À la première étape, pour les filières « faibles » (la 1re et la 3e) l'effet prépondérant est celui du centre/à la périphérie, le moins énergétique de tous les effets plastiques, et pour les filières fortes (la 2e et la 4e) l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre. À chaque étape, l'effet prépondérant augmente d'un cran dans chaque filière, sauf pour les filières fortes dans lequel l'effet de ça se suit/sans se suivre redouble à la deuxième étape avant d'augmenter d'un cran à chacune des étapes suivantes ([1]).
13.1. La 1re confrontation au cas par cas dans les arts plastiques :
13.1.0. La 1re et la dernière étape de chacune des 4 filières de la phase de 1re confrontation :
13.1.0.1. L'évolution dans la 1re filière, dans laquelle PF est du type 1/x alors qu'i est du type 1+1 et que la tension entre les deux notions est de faible intensité :
Ardan Özmenoğlu Source de l'image : http://alanistanbul.com/turkce/coming/ardan-ozmenoglu-1979?lang=en
Comme exemple d'expression analytique de la première étape, une œuvre d'Ardan Özmenoğlu qui est une artiste turque (née en 1979) utilisant souvent des Post-it pour décomposer la surface de ses œuvres. C'est le cas de cet angle de panneaux représentant de multiples façades de machines à laver présentés dans une galerie d'Istanbul en 2014.
Puisqu'on y trouve de multiples fois la même façade de machine, les panneaux qu'elle a fabriqués pour regrouper ces façades sont du type 1/x.
Chaque façade de machine est colorée de façon différente, et la reconstitution de la photographie des façades à l'aide de Post-it est souvent très grossière, soit parce qu'ils sont mal jointifs, voire collés de travers, soit parce qu'ils sont d'une couleur uniforme qui masque une partie de la façade. Ainsi, sur certaines le tableau de commande de la machine avec ses boutons est complètement escamoté, ce qui cependant n'empêche jamais que l'on reconnaisse bien le rond central, ce qui suffit pour que l'on sache qu'on a affaire à une image semblable aux autres, à son coloris près et à ses détails près. Le choix de donner tel ou tel jeu de couleurs à l'une des façades et celui de dégrader plus ou moins sa représentation relèvent de l'intention de l'artiste. Cette intention est différente d'une machine à l'autre, et cela sans que l'on puisse repérer une quelconque logique dans l'alternance des couleurs ou dans la décision de conserver ou d'altérer leurs détails. Ne relevant d'aucune logique, d'aucune régularité, ces intentions s'ajoutent donc en 1+1 les unes à côté des autres pour correspondre, chaque fois, à l'une des 1/x images de machines fabriquées par l'artiste.
Outre le caractère additif de toutes ces intentions de mise en couleur et de dégradation de l'aspect sans lien entre elles et placées les unes à côté des autres, par elle-même l'intention de dégrader l'image des façades de machine à laver s'ajoute en +1 à l'intention de représenter ces façades, car il n'y a aucune relation entre le fait de vouloir représenter une machine et le fait de vouloir dégrader cette représentation. Ce sont deux intentions différentes relatives au même objet fabriqué, et même deux intentions opposées, puisque l'une revient à dégrader l'autre.
Globalement, on peut donc conclure que si l'intention de représenter des façades de machines à laver est nécessairement en relation avec la fabrication de telles images, l'intention de dégrader de 1+1 façons différentes l'image de ces machines reste en situation célibataire puisqu'elle n'est, ni d'emblée en relation avec la fabrication normale d'une image de machine à laver, ni capable de s'associer avec l'intention de fabriquer de telles images. Ce qui permet de schématiser ainsi la situation correspondant à l'oeuvre d'Ardan Özmenoğlu :
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On a ici un produit fabriqué qui est du type 1/x et des intentions qui sont du type 1+1, et parmi ces intentions celle de dégrader l'aspect de la représentation des machines est en situation célibataire. On est donc dans l'une ou l'autre des deux premières filières de la phase de 1re confrontation.
Chaque façade de machine constitue un centre d'intérêt visuel qui est entouré sur tous ses côtés par des centres visuels similaires : la limpidité ici de cette disposition implique que l'effet plastique prépondérant est celui du centre/à la périphérie, et donc que l'on est dans la 1re filière, celle où la tension entre les deux notions est de faible intensité puisque l'effet prépondérant qui la concerne est moins énergique que dans la 2e filière.
Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément l'aspect 1/x des images fabriquées et l'aspect 1+1 de l'intention de dégrader ces image de 1+1 manières.
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Ella & Pitr : fresques sur terrasse à Montréal (2016) et sur un mur à Roche-la-Molière (2015) Sources des images : https://pointcontemporain.com/ella-pitr/ et https://www.saint-etienne-hors-cadre.fr/patrimoine-culturel/street-art-ella-et-pitr-roche-la-moliere/ |
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Toujours pour la première étape de la 1re filière, son expression synthétique avec deux fresques réalisées par les artistes français Ella & Pitr (Pitr né en 1981, Ella née en 1984). La première sur une toiture en terrasse de Montréal, au Canada, date de 2016, l'autre sur un mur de Roche-la-Molière, près de Saint-Étienne en France, date de 2015.
Chaque fois il s'agit de personnages géants recroquevillés qui occupent toute la surface du bâtiment sur lequel ils sont peints, semblant même pousser sur toutes ses limites. Les deux artistes les appellent des « Colosses ». Et chaque fois il y a deux produits fabriqués fondus l'un avec l'autre et relevant donc du type 1/x : d'une part, une paroi de bâtiment préexistant à l'intervention des artistes, y compris ses édicules de ventilation et le relief d'une nervure centrale dans le cas de la terrasse, y compris la forme pentue de ses toitures dans le cas du pignon, et d'autre part la fresque fabriquée par les artistes qui occupe toute la surface de cette paroi. Cette fresque est en effet tellement dépendante de la forme, de la surface disponible et des détails de la paroi, qu'il est impossible de l'envisager sans prendre en compte le bâti qui la reçoit.
Chaque fois aussi on a affaire à deux intentions bien distinctes : celle de réaliser une fresque dont le sujet occupera toute la surface libre et celle de peindre une femme. Non seulement ces deux intentions n'ont aucune relation l'une avec l'autre mais elles sont aussi incompatibles, puisque adapter la taille de la femme représentée à la dimension de la surface disponible conduit à peindre une géante, ce qui n'a rien à voir avec l'apparence normale d'une femme. Étant sans relation et même incompatibles, ces deux intentions s'ajoutent en 1+1. Autant l'intention de donner au sujet représenté la dimension de la surface disponible est en relation cohérente avec la production d'une fresque occupant toute cette surface, autant l'intention de faire de la représentation d'une femme le sujet de cette fresque reste en situation célibataire puisqu'elle n'est pas en relation avec la dimension disponible du bâti, lequel est bien trop grand pour accueillir une représentation de femme occupant toute sa surface, d'autant plus si elle est accroupie ou recroquevillée.
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Comme on l'a déjà vu, l'effet prépondérant à la première étape est celui du centre/à la périphérie. La déstabilisation que provoque en nous la vue d'une femme de dimension aussi gigantesque est évidemment impliquée dans cet effet, mais une autre de ses expressions est ici bien affirmée :
puisque les femmes recroquevillées semblent pousser de tous côtés sur les limites du bâtiment, il en ressort que leur équilibre central est obtenu par l'équilibre de leurs pressions sur toute leur périphérie.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer qu'il s'agit de la représentation de femmes sans s'affronter à leur aspect de géantes, et donc à leur incompatibilité avec la surface qu'elles occupent.
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Nicolas K Feldmeyer : collage de cartes postales
Source de l'image : http://www.feldmeyer.ch/index.php?page=274
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Pour observer le résultat de l'évolution de la 1re filière, nous passons maintenant directement à sa cinquième et dernière étape, d'abord dans le cadre d'une expression analytique et avec un montage de cartes postales anciennes réalisé par l'artiste suisse Nicolas Feldmeyer (né en 1980).
L'une de ces cartes postales représente la nef intérieure d'une église dont la partie correspondant au choeur a été découpée pour être remplacée par la vue d'une montagne extraite d'une seconde carte postale, et comme celle-ci a été basculée de 90° sa ligne d'horizon se retrouve à la verticale. Sans difficulté, on peut déclarer que le montage fabriqué par Nicolas Feldmeyer est du type 1/x : une image contenant deux images distinctes s’enchâssant parfaitement l'une dans l'autre.
Ce montage révèle deux intentions autonomes s'ajoutant donc en 1+1 : montrer une vue de l'intérieur d'une église présentée dans son sens normal + montrer la vue d'une montagne présentée dans un sens anormal. Ces deux intentions sont autonomes pour deux raisons : les sujets montrés sont sans relation et les choix du sens de présentation sont incompatibles.
Chacune des intentions est en relation spécifique avec l'une des deux images utilisées pour fabriquer le montage : l'intention de représenter l'intérieur d'une église vue dans son sens normal est exclusivement associée à la partie extérieure du montage, l'intention de représenter une montagne vue après rotation de 90° est exclusivement associée à sa partie intérieure. Aucune intention ne se retrouve donc en situation célibataire, et cela n'empêche pourtant pas que le caractère 1/x du montage fabriqué tout comme le caractère incompatible des deux intentions, et donc leur type 1+1, sont parfaitement présents dans cette œuvre qui relève, par conséquent, de la 1re ou de la 2e filière.
Cette situation peut être schématisée ainsi :
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Étant contiguës, les vues des deux cartes postales se suivent en continu, mais étant de sens de lecture incompatibles elles ne se suivent pas dans le cadre d'une seule lecture, ce qui correspond à l'effet de ça se suit/sans se suivre qui est prépondérant à la dernière étape de la 1re filière, filière dans laquelle cette œuvre mérite donc d'être classée de préférence à la 2e.
Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément qu'il y a là un assemblage de deux cartes postales et que les vues représentées sur ces cartes postales sont incompatibles quant à leurs sujets et quant à leurs orientations.
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Nicolas Party : Chat (2016)
Source de l'image : http://atpdiary.com/nicolas-party-antinori-art-project/ |
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L'exemple synthétique que l'on envisage maintenant pour la dernière étape de la 1re filière est la représentation d'un chat peint en 2016 par l'artiste suisse Nicolas Party (né en 1980).
Ce tableau manifeste certainement l'intention de représenter un chat, mais c'est aussi un chat bizarre, étrange : un chat aux pattes raides, au corps aplati, au sommet de la tête étonnamment rectangulaire, au museau et aux yeux bizarrement concentrés, avec des plis nets au niveau du cou et au-dessus des pattes avant qui tranchent étrangement avec l'aspect lisse très excessif du reste de son corps. Puisque de tels détails anatomiques n'ont rien d'habituel pour un chat, qu'ils n'ont pas de rapport avec l'aspect normal d'un chat, on peut en dire qu'ils correspondent à l'intention de donner au chat un aspect bizarre et viennent s'ajouter en +1 à l'aspect normal d'un chat tel qu'il résulterait seulement de l'intention de représenter un chat. L'intention est donc ici du type 1+1 : l'intention de représenter un chat + l'intention de le munir de détails anatomiques bizarres lui donnant un aspect étrange.
Si l'on ne considère plus les intentions de l'artiste mais la façon dont il s'y est pris pour parvenir à les satisfaire, cette fois on peut dire que la représentation du chat qu'il a fabriquée relève du type 1/x : sa couleur uniforme et sa forme simplifiée, tout comme l'aplatissement de son volume, lui donnent un caractère très unifié lequel, par contraste, fait bien ressortir les divisions que constituent ses pattes, son flanc, son cou, sa tête, sa queue, ses oreilles, les plis de son cou et les plis au-dessus de sa patte avant. Dans le cas de la tête notamment, la simplification orthogonale de son contour l'unifie fortement en la rassemblant dans une forme bien nette, facilement lisible, tout en soulignant le caractère de coins, et donc de parties, que forment ses angles supérieurs d'où pointent les oreilles.
On a donc ici une image fabriquée pour qu'elle relève du type 1/x et deux intentions qui s'ajoutent en 1+1, et il se trouve que dans cette image c'est seulement l'exagération de l'aspect 1/x de la représentation du chat qui lui donne l'allure bizarre correspondant à l'intention de lui donner un aspect étrange, car c'est parce que ce chat est exagérément unitaire et exagérément divisé en parties identifiables séparément qu'il est bizarre. Ainsi, par exemple, dans un chat « normal », la patte avant n'a pas une forme aussi rigide et aussi simplifiée, donc aussi unitaire, et les poils d'un chat génèrent habituellement une transition plus progressive entre la forme de sa patte et celle du reste de son corps, de telle sorte que l'allure de ce membre en tant que partie distincte, presque séparable du corps global de l'animal, est moins accusée dans un chat normal que sur la représentation qu'en a fabriqué Nicolas Party.
On peut donc schématiser ainsi la relation entre les deux notions telle qu'elle résulte de cette image :
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L'apparence de ce chat suit, par certains aspects, l'apparence d'un chat réel, mais elle ne la suit pas par d'autres aspects, ce qui correspond à l'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre.
Comme pour le collage des cartes postales de Nicolas Feldmeyer, toutes les intentions sont maintenant en relation avec l'aspect 1/x de l'image fabriquée, mais elles le sont cette fois de façon collective, chaque intention n'étant plus spécifiquement en relation avec l'une des parties de cette image, ce qui correspond à une expression synthétique : comme les deux intentions indépendantes 1+1 se superposent sur la totalité de la même image, on ne peut pas y considérer séparément leur caractère 1+1 du type 1/x de l'image fabriquée.
13.1.0.2. L'évolution dans la 2e filière, dans laquelle PF est du type 1/x alors qu'i est du type 1+1 et que la tension entre les deux notions est de forte intensité :
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Uttaporn Nimmalaikaew : Indistinctness of mood No.1 (2016)
Source de l'image : http://nimmalaikaew.com/index.php/2014-2016/nggallery/page/2 |
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Pour envisager l'expression analytique de la première étape de la 2e filière, une œuvre de l'artiste thaïlandais Uttaporn Nimmalaikaew (né en 1980). Elle représente une jeune femme dont le torse et le haut de la tête sont floutés, dont les cheveux et une partie du visage sont troués par d'importantes lacunes, et de très fins fils argentés flottent sur elle aléatoirement. Souvent Uttaporn Nimmalaikaew peint sur de fins tissus juxtaposés les uns sur les autres, ce qui est probablement ici à l'origine de l'effet de flou et de moiré que l'on observe sur la partie externe de l'image, seul le visage étant nettement rendu, du moins si l'on excepte les trous qui l'affectent à la verticale d'un œil et les fils argentés qui le parsèment.
Cette différence entre le visage nettement dessiné et le reste du personnage flou ou déchiqueté correspond à la présence de deux intentions différentes. D'une part, il y a l'intention de représenter un personnage « normal », d'autre part, mais sur une partie seulement de l'image, il y a l'intention de le représenter de façon très dégradée, soit très flou, soit très déchiqueté, et même troué, soit bizarrement recouvert d'une poussière de fils argentés.
Comme il n'y a aucun rapport, aucun lien logique, entre l'intention de représenter « normalement » un personnage et l'intention de dégrader son aspect, les intentions de l'artiste sont ici du type 1+1 : représenter normalement une grande partie du visage + représenter le reste du personnage déchiqueté, troué ou flou, voire affecté simultanément de plusieurs de ces anomalies.
Le portrait fabriqué est du type 1/x : un seul personnage fait de multiples parties bien tranchées, son visage, ses cheveux et son torse. Ce type 1/x est aussi celui de son traitement plastique : le visage correspond à une surface continue, donc unitaire, contenant les multiples détails des yeux, des sourcils, du nez et de la bouche, les cheveux forment une masse unitaire faite de multiples traits bien distincts les uns des autres, et du torse flou on peut dire qu'il est à la fois unitaire dans son aspect et divisé en multiples zones moirées de bleu clair isolant de multiples îlots bleu plus soutenu. Très normalement, le torse, le visage et la chevelure du personnage sont à leur place, et l'intention de représenter normalement ce personnage est donc en relation avec le portrait qui en a été fabriqué. Par contre, l'intention de dégrader son aspect n'est pas généralisée puisqu'elle ne concerne pas sa disposition générale ni la plupart des détails de son visage, ce qui implique que l'intention de dégrader la représentation n'est pas globalement en relation avec ce portrait mais vient seulement en parasiter certaines parties (sa périphérie) et certains aspects (le détail de son apparence, dans sa périphérie mais aussi pour quelques détails isolés de son visage). Cette relation seulement partielle de la représentation fabriquée par l'artiste avec son intention de dégradation est donc très différente des deux cas de figure que l'on a envisagés pour correspondre à la dernière étape de la 1re filière : dans le montage de cartes postales de Nicolas Feldmeyer chaque intention était en relation spécifique avec une partie spécifique de ce montage, soit sa partie centrale, soit sa partie périphérique, et dans le chat de Nicolas Party les deux intentions étaient en relation avec la totalité de la représentation. Ici, l'une des intention est en relation avec la totalité de l'image tandis que l'autre n'est en relation qu'avec une partie de celle-ci, ce qui implique qu'elle est en situation célibataire puisqu'elle n'est ni en relation exclusive avec une partie de l'image, ni en relation avec sa totalité.
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Sur l'image, les cheveux et le torse suivent normalement l'emplacement occupé par le visage, mais leur traitement anormal, flou ou déchiqueté, ne suit pas l'apparence normale qu'ils devraient avoir, ce qui correspond à l'effet de ça se suit/sans se suivre qui est prépondérant à la première étape de la 2e filière, un effet qui correspond à une énergie plus forte que celui du centre/à la périphérie rencontré à la même étape de la 1re filière.
Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément les parties normales de l'image et ses parties dégradées.
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Sascha Braunig : Saccades (2014)
Source de l'image : https://www.ngv.vic.gov.au/explore/collection/work/116274/ |
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Toujours pour la première étape de la 2e filière, mais cette fois pour une expression synthétique, un tableau datant de 2014 de l'artiste canadienne Sascha Braunig (née en 1983) intitulé « Saccades ».
Puisque cette image a été fabriquée pour ne comporter qu'une multitude de boules semblables, elle relève très clairement du type 1/x.
On peut déceler deux intentions concourant à sa fabrication, d'une part utiliser une trame de boules uniformes, d'autre part modeler cette trame et l'éclairer pour lui donner l'aspect schématique d'une tête humaine. Puisqu'une figure humaine normale ne se décompose pas en une multitude de boules de même taille, l'intention d'utiliser une telle trame de boules est tout à fait saugrenue, pour ne pas dire inadaptée. Comme il n'y a aucun rapport entre l'aspect d'une tête humaine (la continuité de sa peau, ses détails spécifiques plus ou moins fins, les modifications de sa texture à l'endroit des lèvres, des yeux ou des cheveux, ses modifications de couleur, etc.) et l'aspect d'une trame de boules toutes semblables, l'intention d'utiliser une trame aussi inadaptée vient évidemment en +1 par rapport à l'intention de figurer un visage.
L'intention d'utiliser une trame de boules identiques est bien en rapport avec le caractère 1/x de l'image fabriquée, mais l'intention d'utiliser cette trame pour en faire un visage humain n'a aucun rapport avec ce caractère et reste donc en situation célibataire. On peut même dire qu'il a fallu que l'artiste lutte contre l'aspect uniforme et très prégnant de cette trame de boules au caractère 1/x pour parvenir, malgré elle, à suggérer la présence d'un visage humain.
On peut donc résumer ainsi la situation :
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À la première étape, l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre : la trame de boules identiques se poursuit sur toute l'image, mais le modelage de cette trame, souligné par des effets d'éclairage, fait que cette trame ne se poursuit pas toujours de la même façon, cela précisément pour procurer l'impression qu'il y a là l'image schématique d'un visage.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas percevoir la vague ressemblance de l'image avec un visage humain sans surmonter la difficulté de lecture liée au fait qu'elle a été réalisée au moyen d'une trame faite de multiples boules semblables.
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Christine Streuli : Liegende II (2014)
Source de l'image : https://www.monicadecardenas.com/christine-streuli-ickelackebana/ |
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Comme exemple analytique de la cinquième et dernière étape de la 2e filière, ce tableau de 2014 de la Suissesse Christine Streuli (née en 1975) intitulé « Liegende II ».
Les intentions, ici, correspondent aux différents styles graphiques et aux différents coloris utilisés : parfois des sortes de coups de brosse très contrastés, parfois des rythmes réguliers, parfois des découpes qui évoquent un déferlement de vagues, parfois de simples rayures, parfois le style en « coup de brosse » utilise un coloris violet, parfois il utilise un coloris rouge, parfois il est en noir et blanc, parfois il combine deux coloris bleutés ou un coloris orangé et un coloris noir, etc. Il n'y a aucun motif dominant ni aucune organisation d'ensemble que l'on pourrait repérer et dont chaque motif formerait une partie distincte. Ces différents styles graphiques, parfois de différentes couleurs, s'ajoutent donc en 1+1 les uns à côté des autres.
Si l'on néglige l'autonomie d'allure ou de couleur de chaque morceau de cette peinture, on ne peut que conclure qu'elle est formée d'une multitude de parties indépendantes et que le principe d'autonomie de style pour chacun de ces morceaux ainsi que le choix systématique de coloris vifs lui donne une unité d'ensemble. En tant que peinture fabriquée, c'est-à-dire considérée seulement comme un assemblage de morceaux peints autonomes les uns des autres, elle relève donc du type 1/x : une œuvre globalement cohérente et visuellement équilibrée faite de multiples parties.
Comme il en allait avec les deux cartes postales assemblées par Nicolas Feldmeyer, chaque intention correspond spécifiquement à l'une des parties de cette œuvre : l'intention de présenter une trame de ronds verts sur fond orange correspond à une partie bien précise du tableau, l'intention de faire un effet de vague bleue tapissée par des motifs d'ancres de marine correspond à une autre partie bien précise, l'intention de faire de fines rayures noires sur fond jaune paille correspond à encore une autre partie bien précise, etc. Aucune intention n'est donc laissée célibataire et la situation peut se schématiser ainsi :
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Il y a quelque chose de miraculeux dans la façon dont ces morceaux autonomes de styles graphiques si différents, et parfois si dynamiques, parviennent à se combiner dans un assemblage hétéroclite dont on doit reconnaître qu'il est globalement équilibré, ce qui correspond à l'effet de synchronisé/incommensurable qui est prépondérant à la dernière étape de la 2e filière.
C'est une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément, d'une part chacun des styles plastiques différents qui se combinent dans ce tableau, et d'autre part que celui-ci, dans son ensemble, forme une mosaïque que l'on peut diviser en multiples parties.
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Christine Streuli : Crunch (2009)
Source de l'image : https://artfacts.net/artist/christine-streuli/18131 |
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Comme expression synthétique de la dernière étape de la 2e filière, on donne un autre exemple de peinture réalisée par Christine Streuli. Il s'agit d'une toile qu'elle a intitulée « Crunch » et qui date de 2009.
Comme dans l'exemple analytique précédent, les différentes intentions correspondent aux différents styles graphiques utilisés. Par différence toutefois, ici ces styles très autonomes les uns des autres ne s'accumulent pas les uns à côté des autres, ils se superposent : dans une première couche on peut distinguer un fond irrégulier aux coloris principalement bleus et rouges violacés, cette couche est en partie cachée par des bandes blanches horizontales bordées et divisées par des arcs de cercle verts dans la partie haute et rouges dans la partie basse, par-dessus encore, une grande écriture noire fait des entortillements de différentes formes et en différentes épaisseurs, et enfin, par-dessus tout cela, des bandes de prismes orangés et rouges ou jaunes et orangés viennent s'encastrer exactement en limite des arrondis verts qui bordent les bandes blanches de la moitié supérieure du tableau.
Ces différents styles graphiques correspondent à une intention graphique chaque fois différente, ils s'additionnent les uns au-dessus des autres sans faire ensemble une grande forme ou en grand rythme qui pourrait les rassembler, ces intentions graphiques s'ajoutent donc les unes aux autres en 1+1.
En tant qu'image fabriquée, puisque ce tableau est une superposition, sur une même surface, de multiples couches graphiques, il relève du type 1/x.
Bien que les diverses intentions graphiques s'ajoutent en 1+1, chacune des couches superposées correspond à l'intention de faire valoir un style graphique particulier, si bien qu'aucune intention n'est laissée célibataire, c'est-à-dire sans qu'une des superpositions fabriquées ne lui soit attribuée en propre. La situation est donc la suivante, comme il convient pour la dernière étape de la phase de 1re confrontation :
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Ces styles graphiques qui se superposent les uns sur les autres ont des rythmes complètement autonomes les uns des autres, certains très serrés, d'autres très amples, certains réguliers, d'autres très irréguliers. Bref, les évolutions qu'ils décrivent sont incommensurables les unes avec les autres, mais ils se synchronisent cependant pour évoluer sur le même espace et selon une vague symétrie verticale, une synchronisation qui est même spécialement poussée entre les bandes de prismes orangées et les bandes blanches aux bords arrondis puisqu'elles s'intercalent exactement les unes entre les autres. Ces deux caractéristiques correspondent à l'effet prépondérant à la dernière étape de la 2e filière, celui de synchronisé/incommensurable.
Il s'agit d'une expression synthétique, puisqu'on ne peut pas constater que différentes intentions de graphisme très autonomes les uns des autres se superposent sans s'affronter à la division de l'image en couches superposées, et donc à son type de construction en 1/x.
Conséquences de la différence de nature entre un produit fabriqué et une intention :
Les deux filières que nous allons maintenant aborder correspondent à une inversion des types 1/x et 1+1 entre les notions de produit-fabriqué et d'intention. Cette inversion symétrique des deux notions n'implique pourtant pas que les filières vont elles-mêmes fonctionner de manières symétriques. La cause de cette dissymétrie est qu'un produit fabriqué est une réalité concrète tandis qu'une intention n'a qu'un caractère abstrait.
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Sascha Braunig : Saccades (2014)
Source de l'image : https://www.ngv.vic.gov.au/explore/collection/work/116274/ |
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Pour comprendre l'implication de cette différence, on revient sur l'exemple de la tête humaine de Sascha Braunig réalisée à l'aide de boules identiques envisagée en première étape de la 2e filière.
Cette œuvre est fabriquée à l'aide d'une multitude de boules semblables, et comme la représentation de chaque boule résulte de la fabrication de l'artiste qui l'a peinte, la fabrication de l'ensemble de ce tableau relève du type 1/x. On a dit que deux intentions s'ajoutant en 1+1 y intervenaient, d'une part l'intention d'utiliser une trame de boules uniformes, d'autre part l'intention de modeler cette trame et de l'éclairer de façon à lui donner l'aspect schématique d'une tête humaine. La présence concrète de la multitude des boules résulte entièrement de la première de ces deux intentions, tandis que la seconde intention n'implique l'apport d'aucun produit fabriqué supplémentaire : elle se contente de modifier la position et l'éclairage des boules déjà présentes du fait de la première intention. En un sens, on peut dire que la deuxième intention s'exerce donc toute seule, sans être en rapport avec la présence de produits fabriqués qui lui soient spécifiques, et c'est ce qui nous a d'ailleurs fait dire qu'elle était en situation célibataire.
Dans les 3e et 4e filières que nous allons maintenant aborder, les produits fabriqués seront du type 1+1, ce qui impliquera nécessairement une intention spécifique pour mettre en œuvre l'un de ces produits, une autre intention spécifique pour en mettre en œuvre un second, et autant d'intentions spécifiques supplémentaires qu'il y aura d'autres produits fabriqués supplémentaires. Dans le cas de l'exemple « Saccades », on a vu que la deuxième intention s'invitait toute seule dans le tableau, sans être accompagnée d'un produit fabriqué spécifique, ce qui ne sera plus possible dans les 3e et 4e filières dès lors qu'un produit fabriqué ne peut jamais s'inviter tout seul, c'est-à-dire sans correspondre à une intention spécifique d'utiliser ce produit fabriqué-là. Par conséquent, non seulement un produit fabriqué est quelque chose de concret par différence avec une intention qui est par nature abstraite, mais il faut ajouter qu'un produit fabriqué est toujours accompagné d'une intention, l'intention de le fabriquer et de l'utiliser, alors qu'une intention, parce qu'elle est abstraite, peut parfaitement se passer d'un produit fabriqué spécialement dédié et se contenter d'utiliser, pour se manifester, un produit fabriqué venu pour correspondre à une autre intention.
Dès lors, on comprend facilement qu'un produit fabriqué ne pourra pas être considéré « en situation célibataire » dans les 3e et 4e filières au seul motif qu'il n'est en relation avec aucune intention puisque, précisément, il sera toujours en relation avec au moins une intention, celle de le rendre présent dans l'œuvre.
Il est aussi nécessaire d'examiner un autre aspect de la différence entre produit fabriqué et intention. Toujours dans l'exemple « Saccades », chaque boule représente une fraction de l'œuvre fabriquée complète et, si l'on suppose qu'il y a 100 boules en tout, on peut dire que chaque boule représente alors 1 % de l'œuvre fabriquée, soit 0,01 partie de l'œuvre fabriquée. Parce qu'il s'agit d'une réalité concrète, une œuvre fabriquée peut être ainsi divisée en parties, chaque partie représentant une fraction de produit fabriqué, mais il n'en va pas de même pour une abstraction comme une intention. Il ne peut pas exister quelque chose qui soit 0,01 intention, la quantité minimale d'intention que l'on peut avoir est 1 et le nombre d'intentions en cause dans une œuvre est toujours nécessairement un nombre entier. En fait, dans les 3e et 4e filières on trouvera un nombre d'intentions égal au nombre des produits fabriqués ajoutés les uns aux autres en 1+1, et par-dessus ces x intentions différentes, il existera en plus une intention globale pour correspondre à la mise ensemble de ces x produits fabriqués dans l'œuvre, et donc aux x intentions qui leur seront associées. C'est évidemment la relation existant entre cette intention globale et les x intentions incluses en elle qui donnera à la notion d'intention son caractère 1/x.
Après ces remarques préalables, on peut maintenant annoncer d'où proviendra la situation « célibataire » d'un produit fabriqué dans les 3e et 4e filières : elle résultera du fait qu'il ne sera pas associé avec une intention relevant de l'aspect principal de l'œuvre, et donc de son intention principale, mais avec une intention secondaire, annexe. Car en effet, s'il ne peut exister d'intention décimale, inférieure à un, il peut exister des intentions en situation minorée, ou reléguée, et c'est cette possibilité qui sera utilisée dans les 3e et 4e filières pour mettre en situation célibataire un ou plusieurs des produits fabriqués contenus dans une œuvre. Avec le premier exemple qui sera maintenant donné (Figures from the past), on comprendra mieux ce que cela veut dire.
13.1.0.3. L'évolution dans la 3e filière, dans laquelle PF est du type 1+1 alors qu'i est du type 1/x et que la tension entre les deux notions est de faible intensité :
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Uttaporn Nimmalaikaew : Figures from the past (2014)
Source de l'image : https://vsemart.com/hologram-painting-uttaporn-nimmalaikaew/ |
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Pour une expression analytique de la première étape de la 3e filière, on retrouve l'artiste thaïlandais Uttaporn Nimmalaikaew avec une œuvre de 2014 : « Figures from the past ».
Elle comporte deux éléments complètement étrangers l'un pour l'autre, d'une part la représentation d'une jeune femme, d'autre part une espèce de nuage de gribouillis blancs qui recouvre presque toute la surface en se répandant même par-dessus la jeune femme. Puisque ces deux parties sont de natures autonomes et qu'elles ne font rien ensemble de compréhensible, elles s'ajoutent l'une à l'autre ou, plus précisément, le nuage de gribouillis s'ajoute par-dessus l'image de la jeune femme. En tant que produit fabriqué, cette œuvre est donc du type 1+1.
L'une des intentions de l'artiste a été de représenter une jeune femme, une autre a été de dessiner un gribouillis, et son intention globale a été de générer un effet d'étrangeté, de bizarrerie, à l'occasion de la réunion de ces deux éléments qui ne font rien ensemble. Son intention est donc ici du type 1/x puisqu'elle regroupe, dans une même intention globale d'étrangeté, deux intentions correspondant chacune à l'un des deux produits fabriqués qui s'ajoutent en 1+1. Dans cette image, seul le gribouillis de tracés blancs est à l'origine de l'effet d'étrangeté, car on ne sait pas à quoi il peut bien correspondre. La représentation de la jeune femme n'a rien de bizarre ou d'étrange, et seule la partie de l'image qui correspond au gribouillis est donc en relation avec l'intention d'étrangeté qui est l'intention globale à l'origine de ce tableau. La partie de l'image qui représente la jeune femme est donc en situation célibataire puisqu'elle n'est portée que par une intention secondaire, subordonnée, puisqu'elle n'est là que pour faire valoir, par contraste, l'aspect bizarre du gribouillis qui lui est ajouté. Ce que l'on peut schématiser ainsi :
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L'impression de bizarrerie ou de mystère qui se dégage de cette image dont on ne comprend pas le sens a pour effet de nous déstabiliser, ce qui correspond à l'une des expressions privilégiées de l'effet du centre/à la périphérie qui est prépondérant à la première étape des 1re et 3e filières.
Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément la décomposition de l'image en deux éléments et l'effet de mystère qui résulte du passage du gribouillis par-dessus la représentation de la jeune femme.
Certes, dans l'absolu, on aurait pu dire aussi bien que cette œuvre correspond à deux intentions différentes s'ajoutant en 1+1, d'une part l'intention de dessiner un gribouillis blanc, d'autre part l'intention de représenter une jeune femme. Toutefois, comme ce gribouillis et cette représentation de femme ont des natures trop différentes pour être perçus comme un couple d'éléments fabriqués générant ensemble une fabrication globale de plus grande échelle, on se retrouverait alors dans la situation où la notion d'intention et la notion de produit-fabriqué seraient tous les deux du type 1+1, ce qui n'est pas envisageable puisque la phase ontologique précédente a permis une maturité suffisante pour éliminer ce type de situation.
En fait, pour savoir si l'intention est du type 1+1 ou du type 1/x, le plus commode est de se concentrer d'abord sur la notion de produit-fabriqué et d'en déduire, par différence, le type qui correspond à l'intention. On pourrait critiquer cette façon de procéder puisqu'elle s'appuie sur le présupposé que l'œuvre relève de la phase de 1re confrontation alors que, si on la classait dans la phase d'émergence précédente, il serait possible de l'attribuer à sa 1re filière. Toutefois, le classement d'un artiste dans une phase ou une autre ne s'appuie pas sur l'analyse d'une seule de ses œuvres mais sur son ensemble. Dans le cas d'Uttaporn Nimmalaikaew, il a produit de nombreuses œuvres qui relèvent certainement de la phase de 1re confrontation, telle que celle qui va maintenant nous servir d'exemple synthétique, et telle que celle que nous envisagerons pour la 4e filière lorsqu'on en viendra à analyser l'ensemble du déroulé de cette filière.
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Uttaporn Nimmalaikaew : Peinture sur multiples voiles décalés (2016)
Source de l'image : https://art4d.com/utta16 |
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Pour une expression synthétique de la première étape de la 3e filière on retrouve donc Uttaporn Nimmalaikaew, avec une œuvre peinte sur plusieurs tissus transparents séparés les uns des autres dans la profondeur, de telle sorte que la femme représentée semble dédoublée. Ces deux images semblables, fabriquées sur des supports différents et représentant la même femme, se gênent mutuellement, elles ne font pas ensemble une même image bien lisible dont chacune ne serait qu'une partie, elles s'ajoutent donc l'une à l'autre en 1+1 images fabriquées.
On trouve ici deux fois l'intention de représenter la même jeune femme assise derrière une table, et nécessairement on y trouve aussi l'intention globale de regrouper ces deux représentations dans une même œuvre en les décalant un peu l'une de l'autre afin de générer une image brouillée. Une intention qui en regroupe deux autres, c'est une intention de type 1/x.
Seul l'ajout d'une seconde image décalée s'accorde avec l'intention globale de réaliser une image brouillée, car l'autre image serait bien lisible si elle était seule, et elle n'impliquerait pas alors cette intention. Peu importe que ce soit l'image de gauche ou l'image de droite qui est en trop, dans tous les cas il y en a une qui est sans relation avec l'intention de brouiller l'image par l'ajout d'une seconde représentation décalée de la jeune femme. L'image peinte de la première femme est par conséquent en situation célibataire, ce qui peut se schématiser ainsi :
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Nous sommes déstabilisés par l'impossibilité de saisir l'image de la jeune femme qui est pourtant présente, ce qui correspond à une expression usuelle de l'effet du centre/à la périphérie prépondérant à la première étape de cette filière.
Il s'agit d'une expression synthétique, puisque l'on ne peut se rendre compte qu'il y a deux images semblables sans s'affronter au fait qu'elles se gênent mutuellement.
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Christine Streuli : au Kunstmuseum Luzern en 2013
Source de l'image : http://www.davidaebi.ch/2495687/christine_streuli_luzern |
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Pour une expression analytique de la dernière étape de la 3e filière, on retrouve Christine Streuli pour une installation qu'elle a réalisée en 2013 au Kunstmuseum Luzern.
Cette œuvre comporte deux parties bien distinctes : un tableau apparemment réalisé en atelier, et des graphismes faits à même le mur du musée et cernant ce tableau. Le tableau et les graphismes faits sur place correspondent à des principes de fabrication autonomes l'un de l'autre, en tant que produits fabriqués ils s'ajoutent donc en 1+1. Plus précisément, on peut dire que ce sont les graphismes faits à même le mur qui s'ajoutent en +1 au tableau préalablement réalisé en atelier.
L'intention de l'artiste, toutefois, a été de faire en sorte qu'on relie visuellement ces deux productions, celle faite en atelier et celle faite sur place, et pour cela elle a utilisé des graphismes similaires sur les deux parties, l'un des graphismes étant même identique dans les deux cas, une fois sur la bordure gauche du tableau, qui d'ailleurs le coupe, et une autre fois immédiatement à sa gauche. Dans le même esprit, la peinture à la bombe réalisée à gauche du tableau et sur ses bordures hautes et basses passe progressivement du jaune au rouge tout comme le fond du tableau passe progressivement du jaune au rouge depuis le haut vers le bas. L'intention de donner une unité d'ensemble à l'installation s'accompagne toutefois de l'intention de traiter différemment ses deux parties : la couleur des dessins faits sur le mur « bave » davantage que celle des dessins du tableau, et certains n'ont même aucun détail interne, étant réduits à des silhouettes rouge ou orange homogènes. En outre, les bandes régulières de ronds qui recouvrent toute la surface du tableau sont complètement absentes de la surface du mur.
En résumé : on a là l'intention de traiter dans le même style le tableau fait en atelier et les graphismes faits sur place, et cette intention s'accompagne de l'intention d'utiliser ce style de deux façons sensiblement différentes. On ne peut dire laquelle de ces intentions est la plus importante, toutes les deux étant amalgamées dans l'intention globale de réunir les deux parties de l'oeuvre de telle sorte qu'elles apparaissent simultanément cohérentes entre elles et différentes l'une de l'autre, ce qui correspond à une intention du type 1/x.
Par différence avec les exemples précédents d'Uttaporn Nimmalaikaew, chaque partie fabriquée pour réaliser cette œuvre est maintenant en relation avec l'intention principale de l'artiste, celle de donner à l'oeuvre un caractère unitaire en traitant ses différentes parties, bien que dissemblables, avec le même type de graphisme. Il n'y a plus ainsi aucune partie de l'image fabriquée qui reste célibataire, comme il convient pour la dernière étape de cette filière. Une situation qui peut se schématiser ainsi :
Si le même type de graphisme se poursuit sur le mur et sur le tableau, en revanche toutes les spécificités du style utilisé sur le tableau ne se poursuivent pas sur le mur, ce qui correspond à l'effet prépondérant à la dernière étape des 1re et 3e filières, celui de ça se suit/sans se suivre.
On peut considérer séparément l'aspect unitaire des graphismes qui correspond à l'unité de l'intention, et d'autre part la division de l'œuvre en deux parties fabriquées distinctement, l'une en atelier, l'autre sur place, ce qui implique qu'il s'agit d'une expression analytique.
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Nicolas Party : au Modern Institute , Art Basel Miami Beach (2011)
Source de l'image : http://www.contemporaryartdaily.com/2011/12/miami-the-modern-institute-at-art-basel-miami-beach/ |
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Pour un exemple synthétique de la dernière étape de la 3e filière, une autre installation faite dans une galerie combinant des peintures réalisées à même le mur avec des tableaux réalisés en atelier. Cette fois, il s'agit d'une installation de Nicolas Party à Miami Beach, en 2011.
Encore plus aisément qu'avec l'installation de Christine Streuli du Kunstmuseum Luzern, on repère clairement qu'il y a deux types d'images fabriquées différemment. Des formes en amande très colorées sont peintes à même les murs, sans aucune régularité de direction ni de couleur, mais selon une densité très uniforme sur toute la surface. Par ailleurs, des cadres réalisés en atelier sont accrochés sur les murs, bien alignés horizontalement et selon un rythme d'espacement très régulier, chacun cerné de noir et avec une petite image en noir et blanc en son centre.
Bien qu'ils n'empêchent pas de repérer la régularité de la densité des formes en amande colorées, les tableaux accrochés au mur en masquent cependant une partie et s'ajoutent donc en +1 sur ce fond coloré. En 1+1 parce qu'ils détruisent en partie ces formes en amande, mais aussi parce qu'ils correspondent à des graphismes sans relation avec celui des formes en amande.
L'intention de l'artiste a été de donner à chacune des deux parties de son œuvre un rythme régulier, densité uniforme pour l'une, alignement et espacements uniformes pour l'autre, cela afin qu'elles aient quelque chose en commun et que l'on puisse ainsi repérer une unité entre elles malgré leur dissemblance de style. Mais elle a aussi consisté à les rendre très dissemblables afin qu'on les distingue bien l'une de l'autre. Globalement, son intention relève donc du type 1/x puisqu'il s'agit d'une intention ayant deux aspects distincts, régularité pour l'un de ses aspects, dissemblance pour l'autre. Accessoirement, elle a aussi consisté à faire en sorte que la présence des tableaux ne masque pas trop les formes colorées peintes sur le mur afin que l'on puisse bien repérer la coexistence de ces deux parties.
On ne saurait dire qu'elle est ici l'intention principale, celle de donner un effet de régularité aux deux graphismes ou celle de les différencier, mais de chacune des deux parties différemment fabriquées, l'une sur place et l'autre en atelier, on peut dire qu'elle est en relation avec chacune de ces deux intentions et qu'elle n'est donc pas en situation célibataire. Ce que l'on peut schématiser ainsi :
Les formes peintes sur le mur et les tableaux accrochés au mur se suivent dans notre perception, mais on voit bien que les tableaux ont été rajoutés par-dessus les formes peintes et que les deux ne suivent donc pas sur une même surface, ce qui correspond à l'effet de ça se suit/sans se suivre.
Comme les tableaux cachent une partie des formes colorées, on ne peut considérer celles-ci sans s'affronter à la présence des tableaux, ce qui correspond à une expression synthétique.
13.1.0.4. L'évolution dans la 4e filière, dans laquelle PF est du type 1+1 alors qu'i est du type 1/x et que la tension entre les deux notions est de forte intensité :
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Claire Tabouret : Les Débutantes - Jaune Topaz (2014)
Source de l'image : http://www.bugadacargnel.com/en/artists/73501-claire-tabouret/works/10101-les-debutantes |
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Comme expression analytique de la première étape de la 4e filière, le tableau de 2014 « Les Débutantes (Jaune Topaz) » que l'on doit à la peintre française Claire Tabouret (née en 1981).
Il se compose de deux parties entremêlées : d'une part les visages assez détaillés et réalistes des jeunes femmes, principalement traités dans les teintes bleu clair et verdâtres, et d'autre part un lacis imprécis d'enchevêtrements noirs sur fond jaune topaze qui évoque schématiquement, en continuité et de façon assez indifférenciée, leurs corps, les plis de leurs vêtements et les rideaux qui ferment la scène derrière elles.
On ne peut manquer de repérer le contraste entre la continuité des lacis noirs sur fond jaune topaze et la discontinuité des surfaces occupées par les visages des personnages. Malgré l'affirmation bien isolée de chacun de leurs visages, aucune des « débutantes » n'est aisément ressentie dans sa continuité, c'est-à-dire dans son unité de personne, les tracés des lacis noirs tendant à nier leurs unités individuelles en mélangeant tous leurs corps dans une sorte de fluide commun continu. Figures clairement séparées les unes des autres pour une partie de l'œuvre, lacis dont la continuité handicape la perception de l'unité de chaque personne pour son autre partie, puisqu'elles se contrarient ces deux parties du tableau fabriquées l'artiste ne s'aident pas pour permettre une bonne compréhension de la scène, elles s'ajoutent donc en 1+1.
L'intention de la peintre a été de montrer le rassemblement de jeunes femmes qui semblent poser pour une photographie. Puisqu'il s'agit de montrer le groupe que forment de multiples personnes, cette intention est du type 1/x : chaque personne représentée correspond à une intention spécifique tandis que la vue de groupe correspond à l'intention globale de réunir ces intentions spécifiques dans un même tableau.
Évidemment, la partie du tableau qui correspond aux entrelacs noirs sur fond jaune topaze est en relation avec l'intention de réunir les jeunes femmes dans un même groupe. Davantage, même, la continuité de ce réseau, qui s'étend d'ailleurs jusqu'au sol et sur le mur du fond, accuse l'effet de groupe, elle le maximise. Par contraste, les visages des différentes personnes apparaissent d'autant plus isolés les uns des autres qu'ils ne participent pas, du fait de leur style différent, à cette continuité jaune et noire qui rassemble toute la surface du tableau. N'étant pas en relation avec l'intention « de faire groupe », les représentations des visages et des épaules des personnages, parfois de leurs bras, ne sont chacune en relation qu'avec l'intention annexe, subalterne, de représenter l'individualité de l'une des débutantes. Cette intention est annexe car la continuité des lacis noirs ne lui permet pas de s'accomplir complètement, elle est seulement nécessaire pour nourrir l'effet de groupe qui ne se lit qu'à l'échelle globale du tableau, et chaque représentation de visage forme donc une figure célibataire, comme perdue à l'intérieur de l'effet de groupe porté par les entrelacements noirs et jaunes.
Ce qui peut se schématiser ainsi :
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La continuité des entrelacs noirs et jaunes fait que les vêtements des jeunes femmes se suivent en continu, et qu'ils suivent même la texture du sol et celle du rideau situé en arrière-plan. Toutefois, nous comprenons bien que chaque personnage a sa propre robe, que le tissu de l'une ne se poursuit pas dans le tissu de l'autre, et encore moins dans le tissu du rideau. Cela correspond à l'effet de ça se suit/sans se suivre prépondérant à la première étape de la 4e filière, tout comme il était prépondérant à la première étape de la 2e filière, toutes deux étant les filières dont l'énergie de la tension entre la notion de produit fabriqué et la notion d'intention est la plus forte.
Il s'agit d'une expression analytique : on peut considérer séparément l'intention de réaliser l'image d'un groupe de personnes et la façon dont cette image est séparée en deux styles graphiques, l'un qui concerne les habits des personnages, l'autre qui concerne leurs visages et leurs épaules.
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Claire Tabouret : Le maquillage – étude 1 (2015)
Source de l'image : http://www.clairetabouret.com/en/works/ |
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Toujours pour la première étape de la 4e filière, mais cette fois pour un exemple d'expression synthétique, on retrouve Claire Tabouret avec une peinture de 2015 qui fait partie d'une série intitulée « Le maquillage ». Comme toutes les peintures de cette série, la fillette représentée a le visage comme barbouillé. Ainsi, le rouge de ses lèvres est en grande partie étalé à côté de celles-ci, ses pommettes sont largement badigeonnées d'un rose agressif, lequel recouvre même une partie d'un œil, ses sourcils sont dessinés par plusieurs traits donnant des informations contradictoires sur leur position, et l'un d'eux est anormalement en violet. Le reste du visage est rendu sans relief, et pour la plus grande part sommairement souillé d'un jaune verdâtre uniforme qui n'a rien de naturel. De la même façon, ses cheveux, son cou et son vêtement sont réalisés très sommairement et en couleurs parfois peu crédibles.
Malgré cette bizarrerie des couleurs et la discordance entre l'emplacement des couleurs des lèvres et des sourcils d'avec l'emplacement réel de ces détails anatomiques, le portrait de la fillette n'en est pas moins présent, et même convaincant de justesse quant aux contours de sa tête et de son cou, quant à la position de ses lèvres, de ses narines, de ses yeux.
On a donc ici deux fabrications qui se superposent, d'une part un dessin « bien fait » du visage de la fillette, d'autre part un barbouillage de couleurs qui « défait » la qualité de ce dessin et semble largement autonome de lui quant au choix des couleurs et quant à leur position. Puisque les couleurs ne s'accordent pas au dessin, qu'elles ne font pas avec lui une unité visuelle convaincante, elles s'ajoutent sur lui en parasites, elles détruisent sa qualité. Ces deux fabrications se superposent donc en 1+1.
L'une des intentions de l'artiste a été de faire un portrait schématique mais réaliste d'une fillette, une autre a été d'en faire une représentation très négligée, et son intention globale a été de réunir ces deux aspects dans une même vue pour que l'ensemble apparaisse « barbouillé », une intention qui est donc du type 1/x.
Seule la partie de l'œuvre qui correspond aux couleurs inadaptées et aux emplacements imprécis est en relation avec cette intention globale. Le dessin, quant à lui, n'a aucun rapport avec l'intention de donner à voir une œuvre mal faite : les yeux sont bien dessinés et au bon endroit, de même que les narines, la bouche, la courbe du menton, celles du cou et celles des cheveux et de leur ruban. L'intention de bien dessiner ces parties est donc seulement ici en situation subalterne, pour mieux faire valoir, par contraste, l'effet « barbouillé » correspondant à l'intention globale. Puisque le dessin qui décrit correctement la tête de la fillette est une partie de l'œuvre en situation célibataire, on peut résumer ainsi la situation :
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On a dit que, pour ne pas surcharger les analyses, on n'allait pas détailler pour le moment tous les effets plastiques impliqués, mais on peut se douter que celui de fait/défait est concerné par cette étape puisque ce visage est à la fois bien fait par certains aspects et défait par d'autres. L'effet prépondérant est toutefois le ça se suit/sans se suivre : les taches de couleur suivent approximativement leur emplacement normal et leur teinte normale, mais elles ne les suivent pas de façon correcte et s'en éloignent à bien des égards.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer l'aspect défait du portrait sans prendre en compte ses parties bien faites qui sont indispensables pour comprendre qu'il s'agit du portrait d'une fillette.
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Christine Streuli : Smash It (2013)
Source de l'image : https://www.artberlin.de/ausstellung/berlin-october-3/ |
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Comme exemple analytique caractéristique de la dernière étape de la même 4e filière, nous retrouvons Christine Streuli avec une œuvre de 2013 qu'elle a intitulée « Smash it ».
Comme l'exemple donné pour la 3e filière, il s'agit d'une œuvre qui combine un tableau apparemment fait en atelier et des graphismes réalisés directement sur le mur de la galerie. Cette fois encore on a donc affaire à deux images fabriquées de façons très autonomes l'une de l'autre, ce qui amène à les considérer relevant du type 1+1 : un tableau fabriqué en atelier a été fixé au mur, puis des graphismes ont été ajoutés sur le mur autour de lui.
Bien que réalisés sur des supports différents, les deux graphismes sont similaires, au point que ceux réalisés sur le mur semblent très exactement suivre ceux du tableau. Dans le cas de la forme ondulante située à gauche, le dessin du mur suit en tout point celui du tableau et l'on peut seulement déceler une couleur vert clair un peu plus soutenue sur le mur que sur le tableau. Dans le cas des autres formes qui se poursuivent, en haut à gauche et en bas à droite, les formes et les couleurs se poursuivent, mais de façon différente puisque les aplats uniformes du tableau se transforment en rayures colorées sur le mur. L'intention de l'artiste a donc été de réaliser des formes qui se poursuivent en continu et qui relèvent du même type de graphisme, mais de telle sorte que l'on puisse bien distinguer deux parties dans cette image continue, celle qui a été réalisée en atelier sur un tableau rectangulaire à fond blanc, et celle qui a été réalisée sur place, à même le mur déjà recouvert d'un rythme régulier de petits dessins (nota : ou sur des feuilles collées à même le mur, en tout cas pas sur le tableau). Il s'agit d'une intention à la fois une et double, donc du type 1/x.
Comme il sied pour la dernière étape de la phase de 1re confrontation, aucune des deux parties de l'œuvre n'est laissée célibataire : chaque partie, bien que fabriquée différemment de l'autre et sur un autre support, est associée aux deux aspects de l'intention. Ce que l'on peut schématiser ainsi :
Les formes utilisées dans cette œuvre se tortillent de façons très compliquées et dans tous les sens, elles sont donc incommensurables entre elles, pourtant elles se synchronisent pour se poursuivre parfaitement entre le tableau et le mur. Il s'agit de l'effet de synchronisé/incommensurable qui est prépondérant à la dernière étape de la 4e filière, tout comme il en allait pour la 2e filière.
C'est une expression analytique, car on peut considérer séparément le fait que les deux parties de l'œuvre sont réalisées sur des supports différents et le fait que leurs graphismes se poursuivent en continu d'un support à l'autre.
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Nicolas Party : Landscape (2014)
Source de l'image : Vitamin P3 aux Éditions Phaidon |
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Pour finir ce chapitre d'introduction, un exemple synthétique correspondant à la même dernière étape de la 4e filière. On retrouve Nicolas Party avec un tableau de 2014 qu'il a intitulé « Landscape » (Paysage).
Il se décompose clairement en deux parties fabriquées de façons très indépendantes l'une de l'autre, l'une est un grand tableau rectangulaire horizontal représentant en noir et blanc une femme nue, l'autre est un tableau rectangulaire vertical beaucoup plus petit, réalisé en couleur et représentant de façon schématique un paysage de rochers. Ce petit tableau est ajouté par-dessus le grand, il n'est pas réalisé dans le même style puisqu'il est en couleurs, il représente quelque chose qui n'a rien à voir avec le personnage qu'il cache partiellement, et son coloris vif tranche brutalement avec le noir et blanc du grand tableau. Bref, les deux tableaux ne font rien ensemble et le petit s'ajoute par-dessus le grand en 1+1.
Si les deux tableaux superposés représentent des sujets et des styles graphiques sans rapport l'un avec l'autre, leurs formes semblent toutefois se coordonner : les fesses de la femme semblent vaguement se poursuivre dans le massif rocheux de gauche, et le massif rocheux de droite semble continuer parfaitement l'arrondi du torse et des épaules de la femme. La coïncidence des formes est telle que, si l'on regarde globalement l'assemblage des deux tableaux, le corps de la femme semble coupé en deux à l'endroit même du passage qui s'ouvre entre les deux massifs de rochers. Cette coïncidence a évidemment été voulue par le peintre, elle correspond à son intention de fournir une occasion de synchroniser son tableau en noir et blanc représentant une femme et résultant d'une première intention avec son tableau en couleur représentant des rochers et résultant d'une autre intention. Son intention globale de synchroniser ses deux intentions est évidemment du type 1/x.
Puisque l'intention était de faire une œuvre rassemblant deux tableaux qui semblent se compléter malgré l'autonomie de leurs intentions concernant leur thème et leur mise en couleur, chacun des tableaux est en relation avec l'intention globale de les synchroniser. Ce que l'on peut résumer ainsi :
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La synchronisation improbable entre les formes d'une femme et celle de blocs de rocher correspond évidemment à l'effet de synchronisé/incommensurable qui est prépondérant à la dernière étape de la 4e filière.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas s'apercevoir de la continuité des formes entre celles de la femme allongée est celle des groupes de rochers sans s'affronter à leurs différences de support et de styles graphiques, l'un en noir et blanc et l'autre en couleur.
Récapitulatif et présentation de la suite :
À la première étape de toutes les filières on a donc vu que la notion qui y est du type 1+1 a au moins un de ses aspects qui reste célibataire. À leur dernière étape, on a vu que ce caractère 1+1 de l'une des notions n'empêchait pas tous ses aspects d'être en relation avec l'un des aspects ou avec tous les aspects de l'autre notion, laquelle est toujours du type 1/x.
Nous allons maintenant examiner pas à pas, dans chaque filière, l'évolution qui mène d'une situation à l'autre, c'est-à-dire qui mène d'une relation du type additif entre la notion de produit-fabriqué et celle d'intention à une relation du type couplé entre ces deux mêmes notions.
Comme on l'a dit en introduction, le caractère additif de leur relation impliqué par la présence d'élément célibataire empêche que sa transformation en relation couplée ne soit perceptible avant le stade de la dernière étape. La présence d'éléments célibataires se retrouvera donc pendant toutes les étapes, sauf la dernière, et le seul indice qui montrera qu'une évolution se produit d'une étape à l'autre sera l'évolution des effets plastiques qui augmenteront d'un cran à chaque étape. À l'exception toutefois des effets prépondérants des filières « de forte tension », c'est-à-dire la 2e et la 4e, qui garderont le ça se suit/sans se suivre comme effet prépondérant pendant leurs deux premières étapes avant de progresser en énergie à partir de leur troisième étape.
Puisque, hormis pour la dernière étape, l'évolution d'une étape à l'autre ne peut se lire que dans l'évolution de leurs effets plastiques, tous ces effets seront envisagés dans les chapitres suivants.
13.1.1. L'évolution de la 1re filière de la phase de 1re confrontation de l'ontologie Fabriqué/intention, filière dans laquelle PF est du type 1/x et i du type 1+1 avec une tension de faible intensité entre les deux notions :
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Ardan Özmenoğlu : à deux échelles différentes, détails d'un mur de Post-it réalisé dans une galerie d'Istanbul (2015) Source des images : http://www.pictame.com/tag/ardanozmeno%C4%9Flu et http://aujourdhuilaturquie.com/fr/watch-out/ |
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Pour l'expression analytique de la première étape de la 1re filière, on retrouve les Post-it de l'artiste turque Ardan Özmenoğlu. Par différence avec ses façades de machine à laver analysées en 13.1.0.1, ce mur de Post-it ne représente rien de commodément décelable. De place en place, on peut repérer des dessins noirs qui se poursuivent sur plusieurs Post-it contigus et qui représentent, peut-être, les craquelures d'un sol argileux asséché. Leur continuité est toutefois souvent cassée par le défaut d'adhérence qui fait se soulever le bas des Post-it, et qui empêche ainsi que les dessins ne soient réellement continus. D'autant que d'un Post-it à l'autre la couleur du papier change complètement, un changement de couleur qui l'emporte sur l'effet de continuité des dessins noirs. Fondamentalement, en fait, c'est l'aspect bariolé de l'œuvre qui domine la perception, et cela sans qu'aucun rythme ne puisse être repéré dans la disposition des différentes couleurs.
Cette œuvre a été fabriquée par le rassemblement de multiples Post-It semblables fabriqués puis collés les uns à côté des autres, et de multiples ramifications de dessins ont été fabriquées par-dessus ces Post-it, ce qui correspond donc à une fabrication relevant complètement du type 1/x.
Plusieurs intentions peuvent se repérer. D'une part, bien entendu, l'intention d'utiliser des Post-it colorés. D'autre part, l'intention de mélanger les couleurs d'une façon qui semble seulement liée au hasard, de telle sorte qu'aucun rythme ni aucune régularité ne puisse être décelé dans la mise en place des différentes couleurs. Enfin, l'intention de recouvrir la plupart de ces Post-it par des dessins noirs assez fins. Autant on peut dire que ces deux premières intentions vont ensemble, autant il apparaît que la dernière est hétérogène avec l'intention d'utiliser des Post-it aux vives couleurs mélangées, car le décollement du bas des Post-it empêche de lire la continuité des dessins et les modifications brutales de coloris cassent la perception correcte de ces continuités. Étant hétérogène à l'intention d'utiliser des Post-it aux vives couleurs mélangées, l'intention de réaliser des dessins noirs continus à leur surface vient donc s'ajouter en +1 à cette première intention.
Comme l'utilisation de multiples Post-it colorés est contradictoire avec l'intention de réaliser par-dessus des dessins noirs continus, l'intention de réaliser de tels dessins est sans relation avec ce support relevant du type 1/x et se trouve donc en situation « célibataire » selon le sens que l'on a donné à cette notion au chapitre 13.0. Cette notion d'intention célibataire qui vient en +1 ayant été suffisamment expliquée à ce chapitre 13.0, désormais on n'utilisera plus de schéma pour résumer la situation.
L'effet prépondérant à la première étape de la 1re filière est celui du centre/à la périphérie : chaque Post-it est un centre d'intérêt visuel entouré sur toute sa périphérie de centres visuels similaires.
Les autres effets plastiques de la première étape sont les mêmes dans toutes les filières. Ici, on peut reconnaître l'effet de regroupement réussi/raté dans le fait que le regroupement en continuité des dessins noirs est raté à cause du décollement des Post-it qui leur servent de support. L'effet de fait/défait qui concerne la continuité de ces dessins est en liaison avec la même cause. L'effet de relié/détaché, quant à lui, peut se lire dans cette continuité des dessins qui cherche à relier les divers Post-it tandis que leurs décollements partiels détachent diverses parties de ces dessins les unes des autres. Plus globalement, il peut aussi se lire dans le fait même que les Post-it sont à la fois reliés entre eux par leur adhérence au fond commun qui les reçoit et détachés les uns des autres du fait du décollement de leur partie basse dépourvue de colle. À la première étape l'effet du centre/à la périphérie fait également partie des effets secondaires, on l'a déjà envisagé dans son rôle d'effet prépondérant.
Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément le principe du découpage de la surface en multiples Post-it et l'intention d'utiliser cette surface comme support pour des dessins réalisés en noir.
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Sascha Braunig : La Maitresse (2015)
Source de l'image : https://www.contemporaryartlibrary.org/project/sascha-braunig-at-kunsthall-stavanger-stavanger-9795/16 |
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Comme expression synthétique de la première étape de la 1re filière, une peinture en trompe-l'œil de 2015 intitulée « La Maîtresse » que l'on doit à Sascha Braunig.
Bien qu'il s'agisse d'une peinture sur surface plane, l'effet de trompe-l'œil donne l'impression qu'il s'agit d'une silhouette vaguement humaine réalisée au moyen d'un réseau métallique portant ombre sur une surface orangée située à quelque distance de lui. Ce qu'a fabriqué l'artiste, c'est donc l'illusion que la lecture d'une unique surface plane est divisée en deux surfaces séparées par la profondeur, soit une fabrication du type 1/x.
Sascha Braunig a évidemment eu l'intention de réaliser un effet de trompe-l'œil. Elle a aussi eu l'intention de représenter une étrange silhouette représentant vaguement une personne humaine, en l'occurrence une femme si l'on en croit le titre du tableau qui fait peut-être allusion à la pratique sadomasochiste, la peinture évoquant alors la pratique du bondage en ligotant cette silhouette féminine. Ces deux intentions n'ont aucune relation l'une avec l'autre, car rien n'oblige à représenter une silhouette bizarre en grillage lorsqu'on utilise une technique de trompe-l'œil. Ces deux intentions s'ajoutent donc en 1+1.
L'intention de réaliser un trompe-l'œil est en relation avec la réalisation du faux réseau métallique et avec la réalisation du fond orangé impacté par la fausse ombre, mais l'intention de donner un aspect bizarre à la silhouette en faux grillage n'a rien à voir avec l'utilité de ce fond orangé. Cette intention qui vient en +1 est donc en situation célibataire puisque sans relation avec l'une des deux parties du trompe-l'œil fabriqué.
L'effet prépondérant du centre/à la périphérie correspond à notre déstabilisation quand on comprend qu'on est trompé par l'apparence et que la profondeur qui semble résulter de l'ombre portée par le réseau métallique ne correspond qu'à un effet de trompe-l'œil.
L'effet de regroupement réussi/raté correspond aussi à cet effet de trompe-l'œil car, selon qu'on se laisse ou non aller à suivre la suggestion du trompe-l'œil, on ne sait pas si l'on doit ou non considérer que la peinture du réseau métallique est regroupée avec la surface du fond orangé. Pour la même raison, on ne sait pas dire si la profondeur qui sépare le fond orangé de la résille métallique est faite ou défaite (effet de fait/défait), et l'on ne sait pas dire non plus si cette résille est partout reliée au fond comme elle est certainement reliée au bord du tableau ou si elle en est détachée par un écart dû à la profondeur (effet de relié/détaché).
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas percevoir qu'il s'agit d'un trompe-l'œil sans percevoir la silhouette bizarre qui en est le prétexte.
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Hugh Hayden : American Hero 2 (2011)
Source de l'image : https://www.pinterest.fr/dianebalbi/mountain-goat/ |
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Pour un exemple d'expression analytique de la deuxième étape de la 1re filière, une chèvre de montagne empaillée que l'on doit à l'artiste états-unien Hugh Hayden (né en 1983). Il a intitulé « American Hero 2 » cette œuvre qui date de 2011.
Le remarquable est évidemment que les poils de son dos ont été tressés. En tant qu'objet fabriqué, cette chèvre empaillée a ainsi son pelage divisé en deux parties, l'une qui n'a subi aucune transformation, l'autre qui a été tressée et qui se retrouve divisée en multiples rangées qui sont elles-mêmes divisées en multiples chevrons. Il en résulte que cette fabrication de l'artiste relève du type 1/x : deux parties pour un même pelage, et l'une de ses parties elle-même divisée en multiples parties de parties.
Deux intentions ici : d'une part mettre en scène une chèvre de montagne empaillée, d'autre part tresser une partie de son pelage. Comme ce tressage est très inhabituel, incongru même pour une chèvre qui vit normalement à l'état sauvage, ces deux intentions n'ont aucune relation allant de soi et elles s'ajoutent en 1+1.
L'intention de réaliser des tresses avec le pelage est évidemment en relation avec la partie de l'œuvre qui a été tressée, mais elle n'est pas en relation avec la partie qui a gardé son aspect normal uniforme, elle est donc en situation célibataire puisque sans relation avec l'un des aspects de la fabrication de cette chèvre empaillée.
À la deuxième étape de la 1re filière l'effet prépondérant est l'entraîné/retenu : on est entraîné à estimer qu'il y a là une chèvre sauvage empaillée car cela correspond à son apparence principale, mais on en est retenu par la présence du tressage tout à fait inattendu pour une chèvre sauvage.
La partie tressée du pelage et la partie non tressée ont des aspects très autonomes mais ont ensemble la même apparence de toison de chèvre : c'est un effet d'ensemble/autonomie. La différence de texture entre ces deux parties porte aussi l'effet d'ouvert/fermé : les poils tressés sont enfermés par les nattes qui les attachent, les autres sont laissés libres, et donc ouverts à leurs extrémités. Le pelage blanc se poursuit sur toute la surface de l'animal mais son aspect naturel ne se poursuit pas dans la partie tressée, c'est un effet de ça se suit/sans se suivre.
Il s'agit d'une expression analytique, puisqu'on peut considérer séparément le fait que le pelage de l'animal est traité de deux façons différentes et le fait que l'un de ces traitements est incongru pour une chèvre sauvage.
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Daniel Arsham
Source de l'image : https://www.pinterest.co.uk/pin/181129216241218244/ |
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Comme exemple d'expression synthétique de la deuxième étape de la 1re filière, l'une des nombreuses installations réalisées par l'artiste états-unien Daniel Arsham (né en 1980) dans lequel il fait jouer un rôle inattendu, car invraisemblable et comme magique, à la peinture des parois de la pièce. Ici, cette peinture figée sur un mur vertical prend la forme en couronne et anneaux caractéristique d'une surface liquide horizontale soumise au choc brutal d'un impact.
En tant que produit fabriqué par l'artiste, la peinture du mur apparaît uniforme et continue sur toute sa surface, depuis le sol jusqu'au plafond. Bien qu'unique, ce matériau comporte cependant deux parties bien distinctes, d'une part la surface principale du mur uniformément plane, d'autre part la surface affectée par le relief en forme de couronne et par les reliefs en forme d'anneaux qui l'entourent. La partie uniformément plane fait précisément de l'uniforme, et donc du « un », tandis que l'autre partie fait de multiples reliefs. Une même surface peinte se divise donc en deux parties, l'une faisant du « un » quand l'autre fait du multiple, cette fabrication de l'artiste est par conséquent du type 1/x.
Une intention de Daniel Arsham a été d'utiliser la peinture du mur, ou du moins de nous faire croire que ce que l'on voit affecte le matériau qui recouvre le mur, et une autre a été de nous faire croire qu'il arrive localement quelque chose d'extraordinaire à ce matériau. Du fait qu'il est évidemment impossible que la peinture du mur puisse adopter naturellement une telle disposition, cette disposition n'est pas en relation avec la réalité matérielle de la peinture et l'intention de lui donner cette forme impossible s'ajoute donc en tant qu'anomalie, c'est-à-dire en +1, à l'intention d'utiliser la peinture courante du mur.
Cette anomalie de l'intention ne concerne que la partie du matériau qui a l'aspect d'une éclaboussure, elle n'a pas de relation avec la surface du revêtement courant du mur qui est resté plan, uniforme, elle est donc en situation célibataire par rapport à l'un des aspects du produit fabriqué par l'artiste.
L'effet prépondérant d'entraîné/retenu est lié au contraste qui existe entre la dynamique d'éclaboussure dans laquelle semble entraîné le revêtement du mur et la fixité dans laquelle il est retenu. Il est aussi lié au fait que le matériau qui forme l'éclaboussure est retenu en l'air alors qu'on ressent qu'il devrait être entraîné vers le bas par la gravité puisqu'il semble liquide.
L'effet d'ensemble/autonomie concerne la variété des reliefs qui, bien qu'ayant des formes autonomes les unes des autres, produisent ensemble l'effet d'éclaboussure : une goutte qui rebondit au centre, une couronne qui éclate à distance tout autour, puis un creux, puis une large ondulation circulaire, puis des ondulations qui s'atténuent progressivement, enfin le calme lisse tout autour. L'effet de ça se suit/sans se suivre correspond aux mêmes aspects : le même matériau recouvrant le mur se poursuit en continu mais ne se poursuit pas partout de la même façon. L'effet d'ouvert/fermé correspond à l'impression que la surface du mur s'ouvre sous l'effet d'un choc qui la liquéfie tandis qu'elle reste figée dans la fixité, et donc rigidement fermée.
Il s'agit une expression synthétique, car on ne peut pas considérer que l'effet d'éclaboussure est invraisemblable sans supposer qu'il concerne le matériau courant qui recouvre le mur puisque c'est précisément pour cette raison qu'il est invraisemblable.
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Henrique Oliveira : Baitogogo au Palais de Tokyo, Paris (2013)
Source de l'image : https://twistedsifter.com/2014/04/beams-to-branches-baitogogo-by-henrique-oliveira/ |
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Pour une expression analytique de la troisième étape de la 1re filière, une installation du sculpteur brésilien Henrique Oliveira (né en 1973) réalisée en 2013 au palais de Tokyo à Paris.
Cette installation consiste en un réseau de poteaux et de poutres en bois qui se croisent sur deux niveaux et qui, en plusieurs endroits, se transforment en branches d'arbres. En tant qu'œuvre fabriquée cette installation est continue, donc « une », mais elle se décompose en deux parties bien distinctes, d'une part les poutres et les poteaux bien rectilignes peints en blanc, d'autre part les branches d'arbres tordues et ramifiées en tous sens laissées dans la couleur naturelle du bois, ce qui en fait une fabrication du type 1/x.
Deux intentions peuvent se déceler. D'une part l'intention de produire une installation qui semble réalisée dans un matériau continu, d'autre part l'intention de donner l'aspect anormal de branches d'arbres à une partie de cette construction, comme si ces branches avaient poussé après l'abattage des arbres et le sciage des troncs qui sont devenus les parties blanches bien lisses de l'installation.
La présence de telles branches tortueuses poussées à partir des poutres et poteaux blancs est tout à fait anormale, elle a donc un caractère « parasite ». Puisque l'intention de transformer localement les poutres et les poteaux en branches d'arbres n'a aucune relation logique avec l'intention de construire une structure manufacturée régulière orthogonale aux surfaces bien planes, elle vient s'ajouter à elle en +1, et puisqu'elle n'est donc en relation qu'avec l'une des deux parties de l'œuvre fabriquée, elle est en situation célibataire.
À cette étape et dans cette filière, l'effet prépondérant est celui d'effet d'ensemble/autonomie : les deux parties d'aspect très autonomes l'un de l'autre font ensemble une structure qui semble continue.
L'effet d'homogène/hétérogène fait partie des autres effets à prendre en compte à cette étape : le matériau bois est utilisé de façon homogène sur toute la structure, mais il génère deux registres de formes hétérogènes entre eux, d'une part des poutres et des poteaux bien réguliers, d'autre part des branches tortueuses. Ces deux registres de formes sont visuellement bien séparés mais ils sont rassemblés en continu, c'est un effet de rassemblé/séparé, tout comme la stricte séparation des poteaux entre eux et celle des poutres entre elles, des séparations qui font contraste avec le rassemblement des branches en partie centrale. Ces branches se répandent dans l'espace en suivant des directions multiples et complexes qui sont incommensurables entre elles tandis que les poutres et les poteaux respectent un rythme régulier bien synchronisé : c'est un effet de synchronisé/incommensurable. Enfin, la structure des poutres et poteaux est continue, mais les poutres et les poteaux se coupent mutuellement aux endroits de leurs croisements, et ils se coupent aussi aux endroits où ils se transforment en branches d'arbres : effets de continu/coupé.
Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément la continuité de l'œuvre réalisée et l'intention de donner l'impression anormale que l'une de ses parties est constituée de branches d'arbres qui auraient poussé sur une structure de poteaux et de poutres.
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Henrique Oliveira : Boxoplasmose (2011)
Source de l'image : https://www.samartprojects.org/henrique-oliveira |
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Comme exemple d'expression synthétique de la troisième étape de la 1re filière, une autre œuvre d'Henrique Oliveira, datant de 2011 et intitulée Boxoplasmose. Elle se présente sous l'aspect d'une caisse en bois éclatée sous la pression d'un entortillement de formes en bois qui aurait gonflé à son intérieur.
En tant que produit fabriqué, cette œuvre possède deux aspects unitaires : toutes ses parties sont en bois et, malgré le phénomène d'éclatement qui domine sa perception, elle reste parfaitement compacte, groupée. Tout en étant ainsi unitaire, elle est aussi multiple : on voit bien que l'on a affaire à deux sortes de bois différents, des plaques planes qui forment la boîte extérieure et des bandes en placages torsadées qui correspondent à la forme intérieure qui semble se gonfler. En plus de correspondre à deux types de bois différents, on peut souligner que les surfaces planes de la caisse extérieure sont uniformes, et donc « unes », tandis que les placages torsadés ne cessent de varier leurs couleurs, ce qui décompose leurs entortillements en multiples bandes aux couleurs différentes qui se succèdent les unes à côté des autres. Enfin, bien que l'on repère la présence d'une caisse unique emprisonnant les entortillements, on doit aussi constater qu'elle est brisée en multiples morceaux. Bref, on ne manque pas de raisons pour dire que cette œuvre fabriquée est du type 1/x.
Une intention de l'artiste a été d'utiliser du bois pour réaliser l'ensemble de son œuvre, une autre a été de fabriquer une caisse en contreplaqué, et une autre encore a été de donner l'impression que les entortillements de sa partie interne s'étaient considérablement gonflés jusqu'à faire exploser la boîte qui les contenait. Si le phénomène de gonflement d'un bois sous l'effet de l'humidité est bien connu, un gonflement dans de telles proportions ne peut résulter de façon crédible d'un apport d'humidité, de telle sorte que nous avons l'impression qu'il s'agit d'un organisme végétal vivant qui s'est gonflé au cours de sa croissance, ce qui ne correspond nullement à la nature des placages visiblement fabriqués artificiellement que l'on observe. Cette intention de donner l'impression que les entortillements correspondent à un organisme vivant qui enfle est donc sans rapport avec l'intention de réaliser toute l'œuvre en bois « mort » et vient s'ajouter à elle en 1+1, et elle est sans rapport aussi avec l'intention de fabriquer une caisse en contreplaqué pour contenir ces entortillements et s'ajoute donc aussi à elle en 1+1. Comme l'intention de faire croire que les entortillements forment un organisme vivant n'a aucune relation avec l'utilisation de contreplaqué en bois « mort » pour fabriquer la caisse, elle est en situation célibataire.
L'effet d'ensemble/autonomie qui est prépondérant est bien exprimé par la décomposition de cette œuvre en deux parties bien autonomes, celle qui aurait gonflé en augmentant excessivement de volume, et celle qui se fracture du fait de ce gonflement, ces deux effets complémentaires produisant ensemble un effet de fracture d'une forme par l'autre.
L'effet d'homogène/hétérogène correspond au contraste entre les surfaces lisses homogènes de la caisse fracturée et les surfaces aux contorsions hétérogènes des entortillements centraux, lesquels disposent d'ailleurs de couleurs qui changent continuellement et qui sont donc hétérogènes entre elles. La caisse fracturée et les entortillements centraux sont visuellement séparés mais simultanément accolés, bien rassemblés, ce qui correspond à un effet de rassemblé/séparé, un effet qui est également exprimé par le rassemblement visuel que l'on fait des divers morceaux physiquement séparés de la boîte fracturée. Bien que se tortillant dans toutes les directions, lesquelles sont incommensurables entre elles, l'entortillement central réussit à se synchroniser pour rester compact sans se disperser en tous sens, ce qui correspond à un effet de synchronisé/incommensurable. Enfin, de cet entortillement central on peut dire qu'il est continu mais coupé par de multiples coudes, de la caisse extérieure qu'elle formait un volume continu avant d'être éclatée en morceaux coupés les uns des autres, et de l'ensemble de l'œuvre qu'il est compact, et donc continu, tout en étant coupé en deux parties, son entortillement central et sa caisse extérieure, ce qui constitue autant d'expressions différentes de continu/coupé.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas percevoir l'anomalie du gonflement apparent de l'entortillement central sans faire le constat que l'ensemble de l'œuvre s'affirme comme réalisé en bois.
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Zbigniew Rogalski : Varsovie (2013)
Source de l'image : https://fr.phaidon.com/agenda/art/articles/2016/october/13/zbigniew-rogalski-why-i-paint/ |
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Comme expression analytique de la quatrième étape de la 1re filière, une peinture de 2013 assez énigmatique intitulée « Varsovie » du peintre polonais Zbigniew Rogalski (né en 1974).
Cette peinture représente un paysage urbain, celui de Varsovie si l'on en croit son titre. Il est vu à travers une vitre très embuée qui ne permet pas d'en distinguer les détails, sauf à l'endroit d'inscriptions faites au doigt qui ont effacé la buée et rendu la netteté de la vue à travers elles.
Pour être ainsi fabriquée, cette vue se décompose en plusieurs éléments : il y a d'abord la ville elle-même, puis il y a la vitre embuée, et enfin il y a les écritures réalisées dans cette buée. Ces multiples éléments font ensemble et indissociablement la vue reconstituée dans le tableau, il s'agit donc d'une fabrication de type 1/x.
On peut y relever deux intentions contradictoires qui s'ajoutent en 1+1 : l'intention de masquer la ville à travers un voile de buée, et l'intention d'effacer cette buée avec des écritures faites au doigt. L'intention d'effacer la buée est en relation avec la présence d'une vitre embuée, puisqu'elle est sa condition même, mais elle ne concerne qu'une très petite partie de la buée et ne suffit pas pour reconstituer la vision de la ville, même approximativement, de telle sorte qu'elle n'est pas en relation efficace avec la présence de la ville. L'intention de réaliser des écritures effaçant la buée se trouve donc en situation célibataire puisqu'elle n'est pas en rapport avec l'un des aspects essentiel de la fabrication de cette vue.
À la quatrième étape de la 1re filière, l'effet prépondérant est l'ouvert/fermé : la vue est laissée bien ouverte à l'endroit des lettres, elle est bouchée sur les surfaces embuées.
L'effet de lié/indépendant se réfère aussi à la présence de buée : ce que l'on voit est lié à l'aspect réel de la ville, mais l'aspect qu'on en voit à travers la buée est très indépendant de son aspect réel. L'effet de même/différent joue sur le contraste entre la partie du panorama qui est cachée par la buée et la partie que l'on voit à l'endroit des écritures : c'est la même vue, le même panorama, mais la clarté de ce que l'on voit est complètement différente d'un endroit à l'autre. La présence de la buée souligne que l'on regarde le paysage extérieur depuis l'intérieur d'une pièce, c'est un effet d'intérieur/extérieur. Enfin, on a un seul panorama qui est vu de deux façons différentes, flou à travers la buée et net à l'endroit des écritures, c'est un effet d'un/multiple.
Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément le fait que le tableau représente la vue d'une ville à travers une vitre embuée et le fait que des mots ont été écrits qui ont localement effacé cette buée.
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David Altmejd : Oeil (2015)
Source de l'image : https://www.iheartmyart.com/post/160793087193/david-altmejd-eye-2015-sculptures-polyurethane |
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Autre expression analytique de la quatrième étape de la 1re filière, une œuvre de 2015, intitulée « Oeil », de l'artiste canadien David Altmejd (né en 1974) qui réalise fréquemment des personnages très anormaux. Cette œuvre représente le visage d'une personne blonde creusé de part en part, la paroi interne de son trou étant recouverte de cristaux translucides. Accessoirement, on peut noter un trou plus petit dans le menton dont suinte un liquide marron, un autre trou près de la tempe qui semble recouvert de sang, et diverses taches de couleur, vertes, bleues et noires sur le périmètre du grand trou qui dévore l'essentiel du visage.
Cette œuvre en un seul morceau continu se décompose en deux parties très différentes mais bien adhérentes l'une à l'autre, son extérieur réaliste et son intérieur très irréaliste. En tant qu'œuvre fabriquée, cette tête très bizarre relève donc du type 1/x, un type 1/x qui vaut aussi pour les détails de sa fabrication puisque sa partie trouée est tapissée de façon uniforme par une multitude de cristaux.
Malgré ses graves anomalies, on comprend bien qu'il s'agit d'un visage humain. Une intention de l'artiste a donc été de réaliser un visage humain, et une autre a été de le défigurer en creusant l'intérieur de son crâne pour le tapisser d'une multitude de cristaux translucides qui n'ont rien à faire là. Il va de soi que ces deux intentions sont contradictoires puisque la seconde revient à nier la première, à l'annihiler tant que faire se peut. N'ayant aucune relation entre elles, ces deux intentions s'ajoutent l'une à l'autre en 1+1.
L'intention de défigurer gravement le visage est en relation avec la fabrication de sa partie tapissée de multiples cristaux, mais elle n'a aucune relation avec la fabrication de sa partie « normale », non défigurée : le dessus, l'arrière et les côtés du crâne, les cheveux, les oreilles et le cou. Puisqu'elle n'est pas en relation avec toute une partie de l'objet fabriqué par l'artiste, cette intention de défiguration est en situation célibataire.
L'effet prépondérant d'ouvert/fermé va de soi : la tête forme un volume fermé largement ouvert à l'endroit du trou qui le traverse. L'intérieur tapissé de cristaux et l'extérieur de la tête sont collés l'un à l'autre mais relèvent d'aspects très indépendants l'un de l'autre, c'est un effet de lié/indépendant. L'extérieur a le même aspect que celui d'une tête normale tandis que l'intérieur du trou a un aspect très différent de celui d'un visage normal, c'est un effet de même/différent. Un seul et même visage a donc deux aspects différents, c'est un effet d'un/multiple. Du fait de la présence du trou qui le traverse, l'espace extérieur vient se lover à l'intérieur même du crâne du personnage : c'est un effet d'intérieur/extérieur.
Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément les parties de la tête qui sont normales et celles qui n'ont rien à voir avec l'aspect d'une tête humaine.
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Anita Mikas : Dedication (2014)
Source de l'image : https://anitamikas.com/2017/05/18/2014/ |
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Comme exemple d'expression synthétique de la quatrième étape de la 1re filière, ce tableau de la peintre polonaise Anita Mikas (née en 1988), réalisé en 2014 et intitulé « Dedication ». On a du mal à lire cette image très sombre, ce qui est évidemment voulu par l'artiste. On peut deviner qu'il s'agit d'une pièce intérieure saccagée avec quantité de livres entassés en désordre sur le sol et sur des étagères.
Cette peinture a été fabriquée dans une tonalité gris bleuté uniforme qui lui donne son unité et elle comporte une multitude de détails, il s'agit donc d'une œuvre fabriquée du type 1/x.
L'artiste a eu l'intention de montrer une pièce saccagée encombrée de livres, et aussi l'intention de faire en sorte que la vision de cette pièce soit difficile, ce que manifeste le peu de contraste de sa peinture, comme si la pièce était à peine éclairée. L'intention de montrer la vue de la pièce et l'intention de compromettre fortement sa lisibilité au moyen d'une luminosité très insuffisante et monochrome sont deux intentions qui se contredisent, elles s'ajoutent donc en 1+1.
L'intention de faire une vue monochrome et trop mal éclairée pour être correctement visible n'a aucun rapport avec la réalisation de la vue d'une pièce comportant spécialement une multitude de livres entassés en désordre. Étant sans rapport avec l'un des aspects de la fabrication de cette peinture, l'intention de rendre l'image très difficile à lire est donc en situation célibataire.
L'effet prépondérant d'ouvert/fermé est lié à la difficulté de la lecture de cette œuvre réalisée avec peu de contraste et dans une tonalité très sombre : elle est suffisamment ouverte au regard pour que l'on puisse comprendre de quoi il s'agit, mais elle est suffisamment fermée au regard pour que l'on ait beaucoup de mal à la déchiffrer.
Dans la grisaille générale, on repère que tous les livres éparpillés en désordre sont à la fois agglomérés les uns aux autres et distinctement repérables : c'est un effet de lié/indépendant. La tonalité gris bleuté est la même sur toute la surface du tableau, mais de légères différences dans cette tonalité, soit un peu plus claires soit un peu plus foncées que la moyenne, permet un minimum de lisibilité : c'est un effet de même/différent. L'effet d'intérieur/extérieur s'exprime de façon inusuelle : les détails de la scène sont pris à l'intérieur de sa pénombre, mais ils s'en détachent, et sortent donc à l'extérieur de cette pénombre pour se rendre un minimum visible. Quant à l'effet d'un/multiple, on l'a déjà évoqué plusieurs fois.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas déchiffrer l'œuvre et constater qu'elle représente une multitude de livres entassés en désordre sans s'affronter à la difficulté de sa lecture liée à sa tonalité sombre et monochrome.
IMAGES ÉVOQUÉES : Adel Abdessemed, Mon Enfant (2014) et Décor, détail (2011-2012)
avec un détail de la photographie du « Garçon du ghetto de Varsovie » et une vue des Christ de barbelé à côté du retable d’Issenheim
Elles sont en principe accessibles aux adresses https://www.memorialdelashoah.org/wp-content/uploads/2023/02/photo-2-scaled.jpg
http://profondeurdechamps.com/2012/12/16/adel-abdessemed-ou-lesthetique-de-la-transgression-22/
https://www.wikiwand.com/fr/Gar%C3%A7on_
du_ghetto_de_Varsovie
et https://www.parismatch.com/Culture/Art/Adel-Abdessemed-croise-le-fer-avec-Jesus-157211
Sinon, faites une recherche sur un moteur de recherche de votre choix avec la requête : Adel Abdessemed Mon Enfant 2014 Garçon du ghetto de Varsovie, d'une part, et d'autre part : Adel Abdessemed Décor retable d’Issenheim 2011-2012
Comme autres exemples d'expression synthétique de la quatrième étape de la 1re filière, deux œuvres de l'artiste franco-algérien Adel Abdessemed (né en 1971). Un enfant juif du ghetto de Varsovie pris dans une rafle nazie, sculpté en 2014 à partir d'une photographie bien connue en assemblant des morceaux d'ivoire, et une file de quatre Christ en croix inspirés du retable d’Issenheim peint par Matthias Grünewald, réalisés en 2011-2012 à l'aide de fils de fer barbelé.
Que ce soit par l'assemblage de multiples morceaux d'ivoire ou par l'assemblage de multiples bandes d'acier barbelé, chacune de ces sculptures a été fabriquée à l'aide de multiples éléments semblables assemblés pour faire une même figure : type 1/x. Le caractère « un » de ces réalisations est d'ailleurs amplifié par l'uniformité du matériau utilisé sur chacune, tandis que le caractère « multiple » de la file des Christ est amplifié par la quadruple répétition de la même forme.
Dans les deux cas, Adel Abdessemed a eu l'intention de représenter en sculpture 3D le personnage principal d'une œuvre iconique 2D. Dans les deux cas aussi, il a eu l'intention d'utiliser un matériau non réaliste qui, notamment, ne permet pas de rendre compte des différences de texture et de couleur de son corps. Ce choix d'un matériau insolite (ivoire ou fils barbelés) relève d'une intention qui n'a aucun rapport avec les particularités physiques de l'image 2D à retranscrire en 3D, mais qui a un rapport avec le sujet de l'œuvre inspiratrice. En effet, le matériau précieux qu'est l'ivoire peut être perçu comme contrebalançant le statut très méprisé qu'avaient les Juifs auprès des nazis, tandis que les barbelés font échos à la couronne d'épines du Christ lors de son calvaire, et de façon générale à ses blessures puisqu'il s'agit d'un matériau pouvant blesser. Puisque l'intention de transcrire en volume la représentation plane d'un personnage n'a aucun rapport avec l'intention d'utiliser un matériau évoquant une émotion ou une impression générée par le sujet de l'œuvre servant de modèle, ces deux intentions s'ajoutent l'une à l'autre en 1+1.
Non seulement l'intention d'utiliser ces matériaux n'a aucun rapport avec les caractéristiques visuelles du modèle plan à reproduire en volume, mais en plus elle contrarie cette reproduction puisque la couleur uniforme de l'ivoire fait perdre toutes les nuances de la teinte et de la texture du corps et des habits de l'enfant juif, et puisque de la même façon la texture uniforme des fils barbelés fait perdre toutes les nuances de couleur et de texture qui sont dans la peinture de Grünewald. Puisque cette intention d'utiliser de tels matériaux n'a aucun rapport avec les caractéristiques visuelles des modèles à reproduire et contrarie la fidélité de leur reproduction, elle est sans rapport avec le respect des propriétés de ces modèles qui est un aspect essentiel de la fabrication de leur mise en volume et se trouve donc en situation célibataire.
L'effet prépondérant d'ouvert/fermé est lié à la nature du matériau employé. Dans le cas de l'ivoire, il s'agit d'un matériau très lumineux qui renvoie la lumière et semble donc la rayonner, faisant ainsi contraste au caractère compact et bien fermé du volume de la statue. Dans le cas des fils barbelés, il s'agit d'entrelacements qui ne sont pas complètement compacts et laissent le volume en partie fermé et en partie ouvert.
L'effet de lié/indépendant s'exprime de deux façons : d'une part l'aspect global de l'œuvre est lié à une photographie célèbre ou à une peinture célèbre, mais il est également très indépendant de l'aspect réel de ces modèles ; et par ailleurs, on a affaire à diverses parties indépendantes d'un même matériau qui sont assemblées/liées ensemble pour réaliser l'œuvre complète. L'effet de même/différent s'exprime lui aussi de ces deux façons : la sculpture est à la fois identique et différente de son modèle, et les différentes parties qui servent à la fabriquer sont assemblées dans un même volume. Le principe d'entrelacement des fils barbelés engendre par lui-même un effet d'intérieur/extérieur, puisque l'extérieur des fils pénètre à l'intérieur de la masse entrelacée. L'absence de compacité du volume réalisé avec ce matériau intervient aussi dans cet effet puisqu'elle laisse l'extérieur pénétrer à l'intérieur du volume de la sculpture. Cet effet d'intérieur/extérieur est moins présent dans le cas de l'enfant juif où l'uniformité du matériau implique seulement que l'on soit plus attentif à l'évolution de sa surface, et donc aux creux intérieurs que forment ses reliefs à l'extérieur de la forme. L'aspect uniforme du matériau utilisé rassemblant de multiples morceaux d'ivoire ou de multiples fils barbelés est évidemment en résonance avec l'effet d'un/multiple.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas percevoir le volume reconstitué à partir de son modèle plan sans s'affronter à la difficulté de saisir sa fidélité à ce modèle du fait du matériau inadapté utilisé.
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Nicolas K Feldmeyer : Greed - installation à la galerie PastVynerStreet à Londres (2011)
Source de l'image : http://www.feldmeyer.ch/index.php?page=152&PHPSESSID=qaralxzll |
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Nous revenons à la cinquième et dernière étape de la 1re filière. Dans le chapitre d'introduction nous l'avions abordée avec des exemples 2D, nous allons maintenant envisager des œuvres des mêmes artistes mais qui se développent cette fois dans l'espace 3D.
Comme exemple analytique, un énorme cube tronqué en chocolat installé par Nicolas Feldmeyer dans une galerie de Londres en 2011 sous l'intitulé « Gourmandise » (Greed). La particularité de ce cube est qu'on ne peut jamais le voir en entier : soit on reste au niveau bas et on n'entrevoit qu'une partie de sa masse logée dans un grenier ainsi que l'une de ces pointes qui dépasse sous le plafond, soit on utilise l'échelle mise à disposition pour monter dans le grenier afin de mieux voir la masse qu'il y occupe, mais alors on ne peut plus voir la pointe qui dépasse sous le plancher.
Ce cube en chocolat est donc fabriqué en deux parties, celle que l'on voit dépasser sous le plafond et celle qui est à l'étage, la trappe ouverte entre les deux niveaux permettant de repérer que ces deux parties se prolongent mutuellement pour faire ensemble un seul et même plus grand volume. En tant qu'objet fabriqué, cette œuvre est par conséquent du type 1/x.
Une intention a été de faire en sorte que l'une des parties du volume ne soit visible que depuis la pièce inférieure, une autre a été de laisser une trappe permettant d'accéder à l'étage afin de permettre la vision de l'autre partie du volume. L'incapacité des deux vues partielles à se grouper dans une vue globale permettant de voir d'un coup l'ensemble du volume amène à considérer que ces deux intentions de vues partielles s'ajoutent en 1+1.
Par différence, toutefois, avec tous les exemples des étapes précédentes, chacune de ces deux intentions est précisément en lien avec l'une des parties de l'installation : l'intention de faire voir une partie du volume depuis le niveau inférieur est évidemment en relation avec le fait que ce volume comporte une partie qui dépasse sous le plafond, et l'intention de permettre de voir une autre partie du volume à l'étage est en relation avec le fait que ce volume comporte une partie qui se trouve à l'étage.
En s'associant ainsi chacune des deux intentions à chacune des deux parties du volume en chocolat fabriqué par l'artiste, les deux intentions profitent de son caractère 1/x, et bien qu'elles s'ajoutent en 1+1 on peut aussi considérer que relève du type 1/x l'intention de montrer la totalité du volume puisqu'elle est divisée en deux intentions, celle d'en montrer une partie depuis le niveau bas, celle d'en montrer le reste depuis l'étage.
À la dernière étape de la 1re filière on a vu que l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre : les diverses faces des deux parties du volume de chocolat se prolongent et se suivent donc en continuité, mais elles ne se suivent pas puisqu'elles sont séparées par le plafond du comble.
À la dernière étape de la phase de 1re confrontation les autres effets plastiques se décalent d'un cran par rapport à ceux de la quatrième : l'effet de lié/indépendant disparaît et l'un/multiple est maintenant suivi du rassemblement réussi/raté. On envisage d'abord l'effet de même/différent : un même bloc de chocolat est fait de deux différents morceaux, l'un situé sous le plafond et l'autre situé au-dessus. L'effet d'intérieur/extérieur est également en relation avec la séparation du volume dans deux pièces différentes : lorsqu'on considère la partie qui est à l'intérieur de la pièce située au niveau bas, on observe que l'autre partie en est à l'extérieur, et inversement. L'effet d'un/multiple va de soi pour un volume unique ainsi divisé en deux parties. Enfin, l'effet de rassemblement réussi/raté tient au fait que l'on peut rassembler par l'imagination les deux parties du volume de chocolat dans un volume unique, mais que ce rassemblement est raté pour notre vision puisque nous ne pouvons jamais le voir en entier.
Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément le fait que le volume de chocolat est divisé en deux parties et le fait que ces deux parties se prolongent mutuellement pour générer un volume unique.
Nicolas Party : à gauche, Blakam stone - pomme (2013) Source des lmages : http://atpdiary.com/nicolas-party-antinori-art-project/ et https://weiwenku.net/d/104105940 |
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Comme expressions synthétiques de la dernière étape de la 1re filière, deux exemples de Nicolas Party que l'on peut considérer, dans leur principe, comme l'équivalent 3D de la représentation 2D de son chat que l'on avait analysé au chapitre 13.1.0.1. D'une part, il s'agit d'une pomme peinte sur une grosse pierre débitée de façon assez cubique, d'autre part d'un panda peint sur un cube.
La pomme comme le panda ont un caractère très compact tout en étant divisés en multiples facettes bien distinctes les unes des autres : ce sont des fabrications du type 1/x.
L'une des intentions de l'artiste a été, dans un cas de représenter une pomme coupée en deux, dans l'autre de représenter un panda marchant sur ses quatre pattes. À chaque fois, une autre intention a été de donner à ces représentations des allures bizarres, incohérentes avec l'aspect véritable du fruit ou de l'animal représenté. Cette intention de générer une anomalie concernant leur aspect vient parasiter l'intention de les représenter, presque la contredire, elle s'y ajoute donc en 1+1.
Si ces représentations sont bizarres c'est qu'elles sont réalisées sur des supports inadaptés du fait de la décomposition de leur volume en multiples facettes bien séparées les unes des autres par des arêtes nettes, ce qui ne correspond ni au volume arrondi d'une pomme, ni au volume aux multiples arrondis du corps d'un panda, mais exagère fortement le caractère 1/x de ces représentations. L'intention de représenter une pomme ou un panda est bien satisfaite puisqu'on reconnaît dans ces fabrications une pomme ou un panda, et l'intention de donner une allure bizarre à ces représentations est également satisfaite grâce à l'anormale fabrication de leurs corps décomposés en multiples facettes brutalement distinctes. Puisque aucune intention ne se retrouve en situation célibataire, on est bien à la dernière étape de la 1re filière, ce qui correspond aussi au fait que l'intention de donner à la pomme et au panda un caractère bizarre a été obtenu en exagérant leur caractère 1/x, et donc à permettre de lire la relation entre l'intention de représenter une pomme et un panda et l'intention de leur donner une allure bizarre aussi bien en 1+1 qu'en 1/x.
Ces œuvres suivent l'apparence d'une pomme ou celle d'un panda, mais elles s'en démarquent aussi très nettement de telle sorte qu'on peut également dire qu'elles ne suivent pas ces apparences : il s'agit de l'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre.
Pour la même raison, on peut dire de ces formes qu'elles sont les mêmes que celles d'une pomme ou d'un panda tout en en étant très différentes : c'est un effet de même/différent. On peut aussi évoquer des effets d'intérieur/extérieur : l'intérieur de la pomme est visible sur l'extérieur de l'œuvre puisque la pomme est coupée, et le volume qui devrait être à l'intérieur du parallélépipède limité par les quatre pattes du panda et son ventre est représenté par les surfaces blanches des faces extérieures du cube, et en sens inverse la tête du panda qui devrait être à l'extérieur de ce volume cubique se trouve plaquée sur lui, et donc à son intérieur. Comme dans tous les exemples précédents, l'effet d'un/multiple est directement impliqué par le caractère 1/x de l'œuvre fabriquée. Quant à l'aspect de regroupement réussi/raté il est lié au fait que l'apparence d'une pomme et d'un panda sont suffisamment regroupées sur ces volumes cubiques pour qu'on les reconnaissent, tandis que l'inadaptation de formes aussi cubiques pour correspondre à leur volume réel fait simultanément rater le réalisme de ce regroupement visuel.
Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer la façon dont chaque volume est divisé en multiples facettes bien séparées sans constater que cela donne un aspect bizarre à la pomme et au panda représentés sur ces volumes.
[1]Les étapes correspondant à la phase de 1re confrontation sont repérées sur le site Quatuor allant de B1-11 à B1-20. On peut trouver les artistes qui y correspondent à l'adresse http://www.quatuor.org/art_histoire_d30_0000.htm