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paradoxe 0

 
cycle du noeud
phase du noeud
paradoxes 0 à 3
 
   
 [ é liens pour rejoindre la nouvelle version des étapes correspondantes]
le nouage de l'organisation dans le temps
Société dans la seconde moitié du XXème siècle
 
 
 

ATTENTION, ce texte est périmé et il est seulement laissé à titre d'archive.
Les principes justifiant sa modification sont développés dans ce texte.
Les 4 textes à jour qui le remplacent sont accessibles par les liens signalés ci-dessus.

 
 

         Pour chacune des 12 étapes précédentes, nous avons expliqué séparément le phénomène physique que nous pouvions y associer, en partant d'un réseau cristallin gelé au zéro absolu, en passant par les divers épisodes de sa fonte puis de son emportement de plus en plus rapide dans des tourbillons de plus en plus impétueux. À l'étape juste précédente, nous avons vu l'organisation de ces tourbillons atteindre ce que nous avons appelé son optimum.
         Pour envisager ce qu'il devient de cette organisation quand l'impétuosité du courant la force à aller encore plus loin, il apparaît plus pédagogique de traiter en même temps l'explication des 4 étapes de la phase du noeud.
 
         Avant de commencer cette explication, il convient de dire que les éléments théoriques sur lesquels nous allons nous appuyer pour décrire l'évolution de la dynamique, ne sont pas clairement établis par les physiciens.
         Le passage de l'état solide à l'état liquide ne fait plus l'objet de controverses. De même que l'émergence de couches laminaires puis de spirales turbulentes dans un liquide qu'on accélère n'est plus l'objet de débats fondamentaux, tout au moins pour ce qui concerne l'ordre d'apparition de ces événements. L'évolution rigoureuse que l'on a décrite, des allées de von Karman à la forme d'une turbulence globale fixe après le passage par une phase de tourbillons isolés puis de tourbillons appariés, peut être davantage l'objet de controverses de la part de certains physiciens, car je n'ai jamais vu décrits ces différents cas de turbulences sous la forme du strict enchaînement que j'ai exposé. Mis à part la dernière phase, je crois cependant que l'enchaînement successif des trois premières est clairement établi par les simulations de turbulences.
         Les quatre étapes que l'on va maintenant décrire ne sont pas de notre invention bien entendu, mais la logique de succession que l'on va en proposer fait partie des débats en cours dans les milieux scientifiques sur la façon dont prend naissance la turbulence, et sur la place qu'il convient d'y faire aux théories dites du "chaos". C'est qu'effectivement les choses vont devenir furieusement impétueuses dans l'évolution de la dynamique que nous abordons, et il n'apparaît pas facile d'établir des appareillages de laboratoire ou même des simulations numériques qui peuvent reproduire pertinemment ces bouillonnements exacerbés.
         On verra cependant que tout reste simple si l'on s'y prend de la façon que l'on propose, et que les étapes suivantes de la dynamique s'enchaîneront avec la même logique que les étapes précédentes.

         La voile d'un bateau déformant les filets d'air nous avait permis de voir en une seule image è [rappel dans une autre fenêtre] les trois stades de l'évolution qui mène, depuis les courants strictement laminaires, en passant par les courants cisaillés, jusqu'à leur organisation finale en spirale. Cette fois aussi nous allons pouvoir suivre sur une même image l'évolution de trois étapes successives de la dynamique. Il ne manquera que la dernière, que nous ne pourrons pas voir en image dans la continuité des précédentes. Trois sur quatre, et avec une indication certaine sur l'ordre de leur apparition, ce sera tout de même une bonne base de départ. Qui plus est, nous allons utiliser une image dont n'importe quel petit ordinateur familial peut faire une simulation parfaitement utilisable.
         è [autre fenêtre] L'image est celle du graphique de "l'application logistique", qui est une petite simulation mathématique très utilisée depuis quelques dizaines d'années du fait de sa pertinence à reproduire des phénomènes étonnants que l'on trouve dans certains systèmes dynamiques réels.
     L'application logistique consiste à calculer la formule x = kx (x-1) puis, à partir du résultat x obtenu, à refaire le calcul pour trouver la nouvelle valeur de x correspondant à la formule, et ainsi de suite. La valeur de x utilisée au départ est comprise entre 0 et 1, et on marque sur le graphique en vertical les valeurs successives que prend x. On ne porte cependant pas les premières valeurs calculées, et l'on attend pour commencer à les porter sur le graphique que le résultat se soit stabilisé à une valeur fixe ou à une série de valeurs fixes, si toutefois bien sûr il y parvient. On fait le calcul en faisant varier les valeurs de k de 0 à 4, et les différentes valeurs de k prises au départ du calcul sont portées en horizontal. Une fois que l'on a commencé le calcul avec une valeur pour k, on ne la change pas, et l'on porte le résultat final obtenu pour x au dessus de cette valeur de k. L'augmentation de la valeur de k, peut ainsi être regardée comme indiquant l'augmentation de l'impétuosité de la dynamique.

         Nous verrons tout à l'heure à quoi correspond le graphique pour des phénomènes physiques réels, mais pour l'instant nous allons seulement examiner sa structure. En allant de la gauche vers la droite, nous pouvons distinguer trois phases successives nettement différentes, et qui correspondent aux trois phases que nous allons considérer.
         D'abord, il y a une phase que les mathématiciens appellent celle du "doublement de périodes", c'est-à-dire que l'on voit la courbe des résultats se diviser en deux, puis chaque branche obtenue se divise à nouveau en deux, etc. Les points qui construisent ces lignes correspondent à des résultats du calcul qui, à partir d'un certain moment, restent toujours les mêmes. Au départ, quand la ligne est unique, c'est qu'on obtient vraiment toujours le même résultat, x ne se modifie plus lorsqu'on répète la formule de calcul. Puis, quand la ligne se coupe en plusieurs, cela signifie que les résultats forment maintenant un cycle périodique de deux, quatre, huit, etc. valeurs, entre lesquels x saute tour à tour.
         Ensuite commence la phase que les mathématiciens appellent "chaotique", parce que le résultat ne se stabilise plus jamais sur une valeur ou sur une série de valeurs, et que de plus il est devenu tout à fait imprévisible. Désormais les résultats nous semblent se mouvoir aléatoirement sur la figure, sans que l'on puisse savoir si le prochain sera proche du précédent ou très lointain, en dessus ou en dessous de lui.  Pourtant, malgré ce caractère parfaitement aléatoire, les résultats font la preuve d'une curieuse régularité, puisqu'ils se débrouillent pour toujours retomber sur une figure qui possède la propriété d'être identique à elle-même à toutes ses échelles, ce que les mathématiciens appellent l'autosimilarité d'échelle. Cela veut dire que le détail de ce dessin est identique au dessin d'ensemble, et que le détail de ce détail, si on l'agrandit, est lui-même semblable à cette figure d'ensemble. À la différence de la phase précédente, la figure n'a plus l'aspect de courbes continues, mais celui d'un semis de points tous séparés les uns des autres. Lorsque certains semblent très voisins, l'agrandissement de la figure montre qu'en fait, ils sont toujours séparés.
         À partir d'un moment, on voit que la phase chaotique brusquement disparaît, et l'on retrouve des valeurs régulières et des points groupés sur des courbes continues qui se divisent à nouveau de plus en plus. Puis à nouveau également le chaos se réinstalle, puis il redisparaît. Ce cycle se répète plusieurs fois. Usuellement, cette série de disparitions et de réapparitions du chaos est amalgamé à la phase dite chaotique. Ici, nous allons au contraire considérer que cela constitue une phase distincte que nous appellerons la phase de "pulsation entre le construit et le déconstruit", de réapparition régulière de l'ordre après sa dislocation dans un désordre apparent. Que cette phase contienne la répétition des courbes et bandes chaotiques précédentes ne nous trouble pas, car à l'occasion de l'analyse des phases précédentes nous avons pris l'habitude de considérer que chaque nouvelle étape contient toujours les précédentes.

         Quelle est la signification pour nous de ces trois étapes ?
         Rappelons d'abord qu'à la fin du cycle précédent la dynamique en était arrivée à former une organisation fixe optimum. Que va t'il pouvoir arriver à une dynamique qui s'est trouvé un mouvement organisé selon une forme fixe, dont on sait qu'elle est un acquis irréversible, si pourtant elle doit trouver à s'adapter à un courant encore plus violent, et que la forme qu'elle s'est trouvée n'est pas capable d'encaisser ce surcroît d'impétuosité ? La solution à ce dilemme consiste en ce que la forme du mouvement organisé se scinde en deux formes semblables, et que la dynamique profite de cette réorganisation complète pour s'adapter au surcroît d'impétuosité qu'elle doit satisfaire : cette réorganisation permet de satisfaire l'exigence nouvelle d'accélération, mais elle satisfait aussi à l'irréversibilité de l'acquis précédent, puisque la dynamique reprend la même forme fixe qu'elle avait atteinte, mais en la reportant toutefois à une échelle plus petite et en la répliquant plusieurs fois.
         Pour donner un exemple de cela, nous pouvons évoquer les expériences que Libchaber mena en 1979 avec des rouleaux d'hélium liquide. Il confectionna une minuscule boite, dans laquelle l'hélium chauffé (à une température proche du zéro absolu, ceci pour dire que le mot "chauffé" correspond à un infime écart de température entre les deux faces du conteneur) avait juste la place de former deux rouleaux de convection tournant en cycles opposés. Cette organisation en rouleaux convectifs correspond à l'étape du rangement du fluide par ordre de vitesse. Dans cet espace si confiné, quand la température a augmenté, il a pourtant bien fallu que ces rouleaux de convection trouvent un moyen de s'organiser en une forme fixe pour passer au stade suivant de leur dynamique. La seule forme qu'ils purent trouver fut de se mettre à osciller dans le sens de leur longueur. Libchaber put mesurer l'existence de cette oscillation, et son rythme. Ce mouvement fixe d'oscillation des rouleaux était donc l'organisation fixe que s'était trouvée le mouvement, et il était donc le stade précédent juste la phase nouvelle qui nous intéresse. Face à un nouvel accroissement de température, cette forme d'organisation / oscillation devint incapable à son tour d'encaisser un surcroît d'énergie sans se déformer.
Ainsi que le montrent les graphiques qui résultent de cette expérience, ce que firent alors les rouleaux, ce fut de diviser par deux la période de leur oscillation, puis quand cela devint à nouveau insuffisant, ils la divisèrent encore par deux. À la suite, cette cascade de divisions ne continua pas, et les périodes prirent soudainement une allure tout à fait chaotique. Le phénomène avait donc commencé comme la courbe de l'application logistique, par une cascade de divisions de périodes, qui s'était comme elle soudain mutée en chaos. 
Cette expérience que l'on vient de relater a été l'une des premières - sinon la première - à permettre une observation précise de l'émergence d'un doublement de périodes se transformant en phase chaotique. Elle eut énormément de retentissement dans les milieux scientifiques qui s'efforçaient de comprendre la nature du chaos qui s'installe dans certains cas de turbulences. 
 
[dessin ci-contre : diagrammes spectraux de l'expérience de Libchaber - document Albert Libchaber extrait de "La théorie du chaos" de Gleick chez Champs/Flammarion]
 
 
         Précisément, comment se passe cette transition entre les doublements de périodes et le chaos ? Cette fois, c'est le mathématicien Feigenbaum qui eut l'influence décisive. Il montra que les branches que l'on voit se diviser de plus en plus dans le graphique de l'application logistique - et en fait, il y a quantité d'applications qui se comportent de façon équivalente - ne se divisent pas n'importe comment, mais présentent la particularité de se diviser dans un rapport de plus en plus proche d'un nombre irrationnel toujours le même, qui est quelque chose comme 4,669. Lorsque le rapport de longueur entre une branche et chacune des deux branchettes qui lui succèdent atteint cette valeur fatidique de 4,669 et quelques, aussitôt la cascade de divisions s'interrompt et laisse place au chaos . . . , dont on déjà dit qu'il n'est pas si chaotique que cela puisque les points qui apparaissent maintenant comme au hasard se répartissent pourtant imperturbablement sur une figure semblable à elle-même à toutes ses échelles. 
[dessin ci-contre : document Ian Stewart - Does God play Dice - éditions Penguin Books]
 
         Pour nous, le fait que les branches après division aient la même forme que les branches avant division, n'est pas un fait nouveau : la forme était irréversiblement acquise, donc elle se conserve. L'apparition dans la phase chaotique de détails semblables à la forme d'ensemble n'est pas non plus un fait nouveau, puisque le principe d'une division en des formes semblables était déjà contenu dans l'essence de la phase précédente. La nouveauté va être ce que permet ce rapport numérique, qui maintenant reste identique à chaque nouveau stade de division. Et que permet donc ce rapport numérique constant ? Si l'on regarde fixement telle ou telle partie du chaos on ne voit rien, sinon précisément le chaos, et si l'on regarde de plus loin on ne voit qu'un emboîtement de figures semblables à toutes les échelles, ce qui n'est pas nouveau non plus.
         Au début de chacune des deux phases précédentes nous avons appris à regarder différemment l'évolution du phénomène que nous le regardions dans la phase précédente. D'abord nous avions tout décomposé en points, puis pour la phase suivante nous avons pris du recul pour regarder les choses de façon plus globale, et nous avons alors regardé le classement statistique à grande échelle qui s'opérait entre les points séparés résultant de la première phase. À la phase encore suivante l'allure des classements devint trop compliquée pour être décrite de façon utile, et nous avons à nouveau appris à regarder les choses avec encore plus de recul, pour examiner cette fois le type d'organisation qui se créait. Mais maintenant, si nous nous reculons à nouveau pour voir ce qui se passe d'un point de vue encore plus global, nous ne voyons aucun phénomène nouveau :
    -  d'abord nous voyons la forme se diviser, mais après chaque division nous la voyons rester un moment dans le même état stationnaire, ce qui n'est rien d'autre qu'une forme dynamique fixe comme nous en avions déjà vues à la fin de la phase de l'organisation,
    -  puis dans le chaos, nous voyons une forme semblable à elle-même à toutes les échelles, ce qui à nouveau est une forme fixe qui reste dans le temps.
         Alors, que faut-il faire pour voir du nouveau, puisque prendre du recul ne nous sert plus à rien ?
 
         Le basculement essentiel qu'introduit cette nouvelle phase, est que maintenant il ne se passe plus rien de nouveau dans l'espace, mais que c'est dans le déroulement du temps que les choses significatives se passent. Quand par exemple nous avions le fluide qui se classait sous forme laminaire, nous pouvions à tout moment cesser d'augmenter sa vitesse : le nombre des couches séparées se stabilisait alors, et le fluide ne se divisait pas d'avantage. Mais même si la division du fluide cessait, le phénomène de classement continuait : chaque couche restait séparée et classée en bon ordre de vitesse avec ses voisines. Le phénomène en cours maintenant n'est plus un processus de classement mais un processus de division, c'est-à-dire d'augmentation du nombre des parties. Si nous arrêtons d'augmenter k, cela certes reste divisé, mais le phénomène même d'augmentation du nombre des parties cesse, et nous n'avons à faire qu'à une forme divisée fixe qui perdure, mais qui ne nous intéresse pas spécialement puisqu'une forme d'organisation fixe nous en voyons depuis la fin de la phase précédente. Si nous voulons voir le phénomène de division réapparaître, pour observer par exemple le passage de 2 morceaux à 4, ou de 4 à 8, etc., il faut augmenter l'effort que nous impulsons à la dynamique (ce qui revient ici à augmenter k), et alors nécessairement, pendant la durée de cet accroissement, du temps passe.
         L'attitude nouvelle que nous devons avoir au cours de ce cycle, ce n'est donc plus de regarder avec davantage de recul, mais de regarder l'évolution irréversible au fil du temps. Pour ce qui concerne le graphique de l'application logistique, cela signifie que c'est en suivant son évolution horizontale de la gauche vers la droite, que nous pourrons voir et comprendre ce qui s'y passe d'intéressant. 
         Dans la première phase de ce graphique, nous trouvons une division qui s'opère sur elle-même, c'est-à-dire que le résultat de la division se divise lui-même un peu plus tard de la même façon. Mais pendant cette phase là, les choses ne se répètent pas éternellement, puisqu'il arrive un moment où quelque chose de nouveau apparaît qui se mélange au processus de division. Le nouveau, c'est l'apparition du chaos, qui marque la naissance d'une seconde phase qui se différencie nettement de la première dans son fonctionnement. C'est en réfléchissant sur l'apparition de ce chaos que nous nous demandions ce que faisait de spécial le facteur de division constant de 4,669 environ qui s'était instauré. Pour enfin connaître ce que fait ce facteur, nous savons maintenant comment nous y prendre : nous devons chercher ce qui évolue dans le temps, c'est-à-dire que nous devons suivre du regard le graphique et chercher plus à droite si du nouveau apparaît ? Et du nouveau apparaît effectivement, puisque brusquement le chaos des points qui se dispersent sans aucune régularité disparaît, et que réapparaît un cycle parfaitement régulier qui se manifeste sous la forme de traits impeccablement formés. Et ces traits se maintiennent quelque temps, avant de donner place à une nouvelle phase de divisions puis de réapparition du chaos. Cette reprise périodique des phases de divisions et de chaos, nous y réfléchirons tout à l'heure. Pour l'instant, nous restons sur ce phénomène surprenant, de points aux positions complètement séparées, qui parviennent pourtant au bout d'un certain temps à se rassembler sur des positions identiques. 
         C'est donc cela que faisait souterrainement le facteur de division 4,669 : au fur et à mesure que la division continuait, il profitait de la redistribution complète des positions pour rassembler autrement ce que la division séparait. Nous ne pouvons pas voir de façon isolée ce processus de rassemblement : toujours il se mêle au processus de division, puisque précisément il se sert du malaxage qui s'opère à l'occasion de chaque division pour faire ses réunions. Nous ne pouvons pas l'isoler, mais nous pouvons voir son résultat à l'arrivée : indiscutablement il parvient finalement à regrouper complètement tous les points malgré la division de plus en plus fine qui s'opérait.
         Voilà pourquoi nous dirons que la première étape de notre nouveau cycle correspond à une division qui se répète dans le temps, et que sa deuxième étape correspond à un regroupement qui s'opère souterrainement dans le temps.
 
         Pour revenir à d'avantage de concret, tout de suite on peut se demander ce que signifie dans l'économie de la société occidentale, ce double mouvement de divisions puis de regroupement.
         En économie, la division "de plus en plus divisée", cela s'appelle la spécialisation. Cela a commencé par une forte parcellisation du travail sur les chaînes de production, qu'on a appelé taylorisme, puis la compétition est devenue si vive que le savoir faire s'est spécialisé par pays entiers. Ainsi, le Japon s'est spécialisé dans certains composants électroniques et dans certains appareils de radio ou de télévision, au point que bon nombre de pays ne cherchent même plus à fabriquer de tels produits. De la même façon que certains, depuis longtemps, ne cherchent plus à fabriquer d'automobiles. 
         Mais cette spécialisation finit toujours par atteindre un point où elle devient excessive. Par exemple, elle crée du chômage dans les pays qui perdent leur compétitivité dans certains secteurs, ce qui fait perdre autant de clients potentiels aux pays vainqueurs de la compétition, qui risquent alors de se retrouver avec un outil de production très efficace mais suréquipé pour les besoins. En outre, le prix du transport devient prohibitif à un certain moment par rapport au prix de production, et la marge de compétitivité des pays spécialisés risque de chuter au profit de la production dans d'autres pays moins spécialisés mais plus proches. La parade à cette situation a déjà été trouvée : les pays qui produisent des automobiles vont monter des chaînes dans les pays même où ils veulent les vendre, et de la même façon les firmes japonaises ou des autres pays du Sud-Est Asiatique montent maintenant leurs usines aux États-Unis ou en Europe. Ainsi, elles conservent et étendent leur clientèle, tout en réduisant l'incidence du coût du transport. Le résultat est que la spécialisation à l'extrême entraîne une nouvelle redistribution des rôles, qui débouche sur une nouvelle capacité de chaque pays à produire tous les types de produits.
         Comme dans l'exemple mathématique que nous avons donnés, faisant succéder une phase de regroupement à celle de divisions de divisions, un regroupement dans chaque pays des capacités de produire tous types de produits, succède bien à une première phase de spécialisation de plus en plus poussée de chaque pays dans certains produits particuliers.
         Lors d'une étape précédente, nous avions montré comment la construction de la Communauté Européenne par exemple, ne faisait que montrer l'apparition sous forme institutionnelle et à grande échelle, d'un processus de création de liens techniques entre pays qui s'était d'abord développé souterrainement par le développement des moyens de transport et de communication. De la même façon, nous pouvons suggérer que ce processus de spécialisation économique, puis de recomposition simultanée de capacités polyvalentes, aura dans quelques dizaines d'années une expression institutionnelle à l'échelle planétaire dans les rapports entre nations.
 
         Quittons l'économie et revenons à nos éprouvettes, ou pour le moins au laboratoire. Les rouleaux d'hélium qui oscillaient en doublant chaque fois leur période, nous ont servi d'exemple pour la première étape de notre dernière phase. Quand les oscillations sont devenues chaotiques, le phénomène entrait dans la phase du regroupement souterrain, mais nous n'avons pas pu y voir de recomposition finale en une oscillation unique.  C'est avec une autre expérience célèbre dans le milieu scientifique que nous pourrons l'observer. On appelle cela une expérience de Couette-Teylor, du nom des deux scientifiques qui eurent l'idée d'étudier la dynamique des fluides en faisant tourner l'un contre l'autre deux cylindres transparents qui emprisonnent de l'eau entre eux.
         è [autre fenêtre] Quand on commence à faire tourner l'un des cylindres suffisamment vite, l'eau se met à spiraler en rouleaux alternés qui forment comme un empilement de beignets. Si on augmente encore la vitesse de rotation, ces beignets se mettent à onduler, puis ils se divisent.
         Commence alors une période très compliquée où ils se fractionnent de mille manières différentes, au fur et à mesure que la vitesse continue d'accélérer. On est en plein dans le phase des fractionnements et regroupements entremêlés. Puis arrive un moment où, au plus fort du tourbillonnement violent qui déchiquette le fluide de toutes les manières, et qui provoque des ondulations variées qui montent et qui descendent le long du cylindre, se produit soudain la recomposition des beignets cylindriques, régulièrement empilés les uns sur les autres exactement comme ils étaient au presque début de l'expérience è [autre fenêtre]. La seule différence est qu'au début ces beignets étaient alors formés par le mouvement continu de l'eau en hélices régulières alternées deux à deux, alors que maintenant le trajet des parcelles de fluide est apparemment complètement irrégulier, et c'est la combinaison de tous ces mouvements effroyablement compliqués qui produit la forme générale régulière dont on voit maintenant le retour.
         Le chaos qui divise le liquide en une multitude de parcelles aux trajets dispersés, a donc nécessairement connu un mouvement souterrain de regroupement de ces trajets, puisqu'ils parviennent maintenant à se regrouper sur les mêmes rouleaux qu'au départ.
 
         Nous allons à présent examiner la troisième étape de cette quatrième phase, et pour cela nous revenons au graphique de l'application logistique. è [autre fenêtre] Comme pour les précédentes, on découvre sa spécificité en examinant ce que fait le graphique quand on le suit de la gauche vers la droite. Ce que fait maintenant de remarquable le graphique, c'est qu'il répète les phases précédentes : les formes linéaires continues se dissolvent en points séparés, puis se regroupent, puis se re-dispersent, etc.
         Encore une fois, que cette troisième étape contienne les deux précédentes n'est pas un phénomène nouveau, nous avons toujours vu cela dans toutes les phases antérieures. Ce qui est nouveau, c'est qu'il les fasse se succéder. Dans les étapes précédentes, lorsqu'on forçait un processus à accélérer, toujours nous avions vu qu'une étape débouchait sur une étape nouvelle. Mais maintenant une nouvelle étape ne fait pas naître un nouvel effet, elle fait resurgir les étapes précédentes.
         Ce fait nouveau, qui se produit cette fois encore dans l'espace, mais qui ne peut se remarquer que dans le déroulement du temps, nous fera désigner cette nouvelle étape comme celle du retour périodique de l'organisation, ou si l'on veut, celle de la pulsation périodique entre l'ordre et le désordre, entre le "fait" et le "défait", entre le "construit" et le "déconstruit", entre la forme et l'informe.
 
         Une fois encore on revient sur les phénomènes qui se produisent dans la société. On peut assimiler cette phase aux effets de mode, par lesquels certains produits, certaines musiques ou certains films, deviennent soudainement un événement mondial puis tombent dans un oubli complet, pour laisser aussitôt place à un autre produit, une autre musique ou un autre film qui suivra le même chemin. En amont de ces événements, des sociétés se forment pour les préparer, les fabriquer, les diffuser et les commercialiser avec l'ensemble de leurs "sous-produits dérivés". Ces sociétés doivent intégrer ce principe cyclique pour perdurer, et sont basées sur le principe même du lancement répété de "gros coups" médiatiques. L'industrie américaine du cinéma en particulier, fonctionne de cette façon. La micro-informatique donne lieu de la même façon au lancement périodique de nouveaux produits qui périment les anciens, et qui deviendront eux-même rapidement caduques.
         Cette phase là aussi a son équivalent dans la dynamique des fluides. Cela se produit dans des situations où le fluide est soumis à une déformation extrême. Alors se manifestent ce qu'on appelle des "bouffées turbulentes", c'est-à-dire que la turbulence ne se manifeste plus par des formes continues, ou même par des formes divisées mais permanentes, mais elle apparaît par bouffées de tourbillons très violents qui disparaissent très rapidement, puis qui se recomposent et qui réapparaissent peu après. On donne è [autre fenêtre] une représentation d'une simulation d'un tel phénomène. Il faut tenir compte du fait que les espèces de formes en bananes que prennent alors les tourbillons, ne sont pas des formes permanentes, mais des formes qui disparaissent puis réapparaissent : elles pulsent dans le temps, se font et se défont sans arrêt.
 
         On se demande maintenant quelle sera la prochaine étape qui succédera à ce cycle de destructions et de reconstructions ?
         Le graphique de l'application logistique nous a vaillamment aidé à voir en continu l'apparition et la transformation des trois premières phases, mais il nous lâche à l'abord de la quatrième. En effet, les calculs que l'on fait si on cherche à le poursuivre vers la droite, finissent tous par se diriger vers des valeurs infinies qui sortent du cadre de notre modeste feuille.
         À l'occasion des phases précédentes, nous avons appris que la quatrième étape se construisait toujours comme la combinaison des trois précédentes. Nous devons donc pouvoir deviner notre nouvelle quatrième étape, simplement en réfléchissant à ce que donne l'addition des trois que nous avons déjà vues : la phase de la dispersion par division sur soi-même, la phase de recomposition, et la phase de pulsation entre quelque chose qui est fait et quelque chose qui est défait. Tentons cette combinaison.
         De la troisième étape, nous savons qu'il doit y avoir de la pulsation, donc deux états différents qui vont alterner, et que l'un doit correspondre à l'état "disloqué" de ce qui s'est construit dans le temps de la pulsation précédente. Comme la quatrième étape ne doit pas se confondre avec cette troisième étape, on ne peut pas se retrouver simplement avec un temps pour le "fait" et un temps pour le "défait". Mais si l'on n'a pas cette alternance, on est toujours avec du "fait" ou toujours avec du "défait" . . . et pourtant les deux doivent alterner ! Il existe une solution à ce dilemme : il suffit d'avoir deux formes qui alternent, l'une se disloquant pendant que l'autre se construit, et vice versa. Dans les étapes précédentes nous n'avons jamais vu qu'il se créait deux formes mais toujours une seule dont nous assistions parfois à la décomposition et parfois à la recomposition, nous devons donc considérer que ces deux formes qui alternent maintenant ne sont pas vraiment deux formes autonomes, mais qu'elles sont les deux parties d'une même forme.
 
 

 
 pulsation sur place de deux moitiés symétriques emboitées, dont l'une se fait pendant que l'autre se défait
 
 
         On suppose donc que la forme initiale qui auparavant pulsait en se construisant "toute entière d'un coup", et en se défaisant de la même manière toute entière d'un coup, s'est maintenant décomposée en deux moitiés opposées et complémentaires d'une même forme, de telle sorte que pendant que l'une des moitiés se fait, l'autre moitié se défait, et inversement. Ce principe conserve bien l'étape de la pulsation, puisque la forme passe son temps à se faire et à se défaire en pulsations alternées. Il conserve également les deux étapes précédentes, celle de la démolition de la forme par son auto-division, et l'étape de reconstruction de la forme par son regroupement. Maintenant cependant, l'une et l'autre de ces deux étapes dominent à tour de rôle dans chacune des deux moitiés de la forme : au moment même où la division parvient à disloquer complètement l'une des deux moitiés, la reconstruction triomphe dans l'autre et l'a complètement recomposée, et cela s'inverse à la pulsation suivante.

         Dans les années 20 de ce siècle, les chimistes ne croyaient pas que les réactions chimiques pouvaient osciller. Les produits réagissaient dans un sens ou dans l'autre pour se transformer, mais ne pouvaient se transformer indéfiniment dans les deux sens. C'est du moins ce que les lois de la thermodynamique disaient. Quand William Bray en 1921 a découvert que l'eau oxygénée pouvait se décomposer en eau et en oxygène, puis se recomposer, et cela indéfiniment, les chimistes considérèrent qu'il y avait forcément un défaut dans son dispositif expérimental. Il fallut attendre 1958 pour que le chimiste russe Belousov observe un nouvelle réaction chimique oscillante. Depuis que Zhabotinsky améliora la recette en 1963, on en parle comme des réactions de Belousov-Zhabotinsky, et sont remarquables par la formation d'ondes qui se répandent en alternant régulièrement et indéfiniment la couleur bleue et la couleur rouge è [autre fenêtre]. Ces réactions reproduisent exactement le phénomène caractéristique de notre quatrième étape : le réactif bleu se défait pendant que le rouge se reconstruit, et inversement.
         Comme les trois précédentes, cette étape s'observe dans le temps, c'est-à-dire en laissant passer le temps de manière à voir tour à tour les deux situations qui alternent. Mais elle marque cependant une rupture radicale avec les trois étapes précédentes, puisque pour les voir se dérouler dans le temps on se rapprochait de l'étape suivante qui finissait inexorablement par arriver. Bref, le temps de ces étapes n'était pas réversible. Or maintenant, on peut voir le phénomène se répéter dans le temps aussi longtemps qu'on le veut, et l'on ne peut pas savoir en visionnant un film qui le reproduit, s'il est projeté dans le sens normal ou à l'envers. Le temps est devenu réversible, ou plus exactement, tout se passe comme s'il avait cessé de s'écouler pour ce qui concerne l'expérience : on est dans le même état dans l'espace et dans le temps, quelque soit le temps qui passe, et pourtant on ne peut pas dire que rien ne change plus, puisque tout change sans arrêt. 
         La dernière étape de la dernière phase du dernier cycle de la complexité, nous propose de considérer qu'elle débouche sur la création d'une onde de construction / déconstruction qui pulse interminablement sur place, c'est-à-dire à la même position ponctuelle. Les physiciens nous disent qu'un atome possède la propriété paradoxale d'être à la fois un train onde et un corpuscule ponctuel. Si on le considère comme une onde qui pulse interminablement sur la même position ponctuelle on satisfait la définition des scientifiques, et du même coup il apparaît possible de concevoir qu'un atome soit précisément le résultat d'un cycle complet de complexité qui se boucle en générant une réalité ondulatoire qui pulse sur place en se défaisant / construisant indéfiniment.
         L'ensemble de l'évolution que l'on a envisagée, depuis le réseau cristallin d'atomes jusqu'à cette ultime étape, ne débouche pas sur une nouvel atome, mais l'on peut supposer que les atomes du réseau gelé qui nous ont servi de points de départ étaient le produit d'un tel cycle de complexité se terminant par la création d'ondes pulsant sur place et que l'on appelle donc "atome". C'est en tout cas cette hypothèse qui est développée dans la section science de ce site, plus particulièrement dans le texte "Une particule est à l'espace ce qu'une vague est à la mer".
         Le fonctionnement de la dynamique de notre dernière étape débouche donc sur une réalité ponctuelle indéfaisable qui peut servir de "points de départ" à un tout  nouveau cycle complet similaire à celui que l'on vient d'achever. Cela nous l'avions déjà suggéré dans une clef de la complexité, en disant que le noeud qui boucle un cycle possède le caractère ponctuel qu'il faut pour en ouvrir un nouveau. Ce que l'analyse de l'évolution de l'ensemble d'un cycle nous a appris de plus, c'est que ce "point final / point de départ" n'est pas un "point mort", mais qu'il vit et qu'il porte en lui une contradiction interne à caractère paradoxal, et que c'est cette propriété là qui provoquera l'inévitable fuite en avant de la complexité dans un nouveau cycle.

 
   
 [ é liens pour rejoindre les étapes correspondantes dans leur version mise à jour, c'est-à-dire non semblable aux développements périmés ci-dessus]

Date d'obsolescence définitive de ce texte : 25 novembre 2007

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