PROMENONS NOUS DANS LES BOIS...

 

Sylvain en avait vraiment marre des spots surpeuplés : vingt ou trente mecs à l’eau qui vous font la gueule pendant que vous ramez vers le pic, pas un bonjour, pas un sourire, rien…. Il fallait trouver autre chose ! Il devait bien y avoir encore des coins déserts le long de ces centaines de kilomètres de côtes. Aussi quand Marc lui avait parlé de ce spot secret quelque part dans les Landes, Sylvain avait souri, il avait imaginé la plage déserte, les vagues vierges… Tant pis pour la route et tant pis pour la marche dans la forêt qui paraît-il était un peu longue. Ca faisait partie du surftrip ! La découverte, l’effort avant la récompense, c’était ça aussi l’esprit du surf !

         Les indications de Marc étaient assez vagues mais Sylvain avait fini par trouver le chemin cantonal quelques centaines de mètres à droite à la sortie du village de Lahonce. Le chemin n’était même pas sur la carte… en pleine zone militaire… Le chemin était droit, il allait vers la mer mais il s’arrêtait bien avant. Sylvain gara la Clio maculée de sable et de poussière et se prépara. On était au milieu de l’été et il faisait particulièrement bon ce matin là, il n’avait pas besoin de sa veste qu’il cacha, avec son portefeuille et son portable dans le coffre de la voiture. Puis il prit sa planche, fourra sa combinaison, une serviette et une bouteille d’eau dans un grand sac et s’engagea sur le sentier. Il était encore tôt, il n’y avait pas un bruit dans la forêt , pas un souffle de vent… les vagues seront parfaites pensa Sylvain et quel plaisir de marcher ainsi tranquillement à l’ombre des pins, de respirer les senteurs fraîches de la forêt, de l’humus, des champignons…

        Au bout de vingt minutes de cette marche plaisante et silencieuse, Sylvain fut contraint de s’arrêter car le sentier se divisait en plusieurs voies. Marc n’avait pourtant pas parlé de bifurcations ! Sylvain hésita quelques instants puis s’engagea dans le chemin de droite. Il marcha encore environ dix minutes avant d’arriver à un nouvel embranchement. Cette fois Sylvain prit à gauche pour rester, lui semblait-il, dans une direction ouest/ Nord-ouest qui devait tôt ou tard l’amener  à la mer. Il regretta de ne pas avoir mis ses baskets parce que marcher en tongues était fatiguant et parce que les aiguilles de pins piquaient ses pieds nus. A plusieurs reprises, le sentier se divisa et Sylvain continuant sa marche en avant dut choisir à chaque fois au hasard une direction plutôt que l’autre. Au bout d’un long moment, il fît une halte, jeta son sac par terre en jurant et se massa doucement l’épaule droite car la sangle de la planche lui faisait mal. Le soleil était maintenant plus haut dans le ciel et il commençait à avoir vraiment chaud et à suer.

        Il regarda sa montre, cela faisait plus de deux heures qu’il marchait ainsi dans la forêt et il n’était toujours pas arrivé ! Quel con ce Marc, pensa Sylvain, je vais lui faire sa fête en rentrant ! C’était foutu maintenant, il n’allait quand même pas y passer la journée ! Il décida de rebrousser chemin et essaya mentalement de refaire le trajet parcouru, il avait toute confiance dans son sens de l’orientation. N’était-ce pas à lui qu’on confiait, plus jeune, le soin de guider son père et toute la famille dans les rues d’une ville inconnue !

       Au troisième carrefour pourtant, il hésita longuement, il ne reconnaissait pas bien ce coin, ou plutôt ce coin ressemblait à un autre coin qui ressemblait à tous les autres coins de la forêt. Il lui semblait bien être passé par là peu de temps auparavant mais il n’y avait aucune trace de ces pas. Il regarda autour de lui et ne vit que des fougères et des pins à perte de vue... Il s’était perdu ! Il s’était perdu comme un idiot… pas en plein désert du Sahara non ! là en France à peut-être quelques kilomètres à peine d’un village ! Personne ne le croirait ! Il se mit à pester, à s’injurier haut et fort tout en gesticulant nerveusement. Au bout d’un moment plus calme il termina la petite bouteille d’eau qu’il avait emmenée et reprit sa marche. Il erra ainsi jusqu’à la tombée de la nuit ; de temps à autre il criait, appelait et ses cris résonnaient interminablement dans la forêt. Chose étrange il lui semblait entendre par moment les bruits de vagues qui déferlent mais il lui était impossible de dire d’où le bruit venait et puis il n’était pas très sûr de vraiment les entendre. Si au moins il n’avait pas laissé son portable dans la voiture, il aurait pu appeler, on serait venu le chercher et il en aurait été quitte pour une bonne trouille et la honte devant les copains

         Sylvain se coucha au pied d’un arbre et se couvrit avec la serviette. Il était épuisé mais il eut du mal  à trouver le sommeil . il écoutait les bruits de la forêt, espérant entendre au loin le moteur d’une voiture ou les aboiements d’un chien mais en vain ! Le lendemain matin, Il se remit en marche ; bien vite la faim et la soif commencèrent à se faire sentir. Il portait toujours sa planche, une 6’4 shapée par Eric Arakawa lui même qu‘il avait rachetée après une compétition à un Hawaïen de passage. Cette planche dont il louait la légèreté lui pesait maintenant comme un fardeau. En soupirant, il la laissa contre un arbre, se promettant bien de venir la chercher quand il serait sorti d’affaires. L’après-midi était bien avancé quand il eut l’idée de monter en haut d’un arbre pour se repérer. Il choisit l’arbre le plus haut et commença l’ascension

 

 

 

 

 

        

 

 

 

          Dans sa partie inférieure, l’arbre, comme les autres pins, étaient dépourvus de branche et Sylvain dut s’y reprendre à plusieurs reprises…A force de volonté, les mains en sang, haletant, il se hissa en haut de l’arbre et regarda autour de lui. Derrière et sur les côtés s’étendait la forêt mais devant lui, à environ cinq cents mètres se trouvait la mer ! Bon Dieu la mer ! Il sourit et rêva un instant à l’eau, à la fraîcheur de l’eau , au bain qu’il allait prendre… Et puis il y aurait certainement du monde sur la plage : des surfers ou des baigneurs, des promeneurs, des cavaliers, des nudistes, des enfants jouant au cerf-volant, des golfeurs cherchant leurs balles…Sylvain rigolait tout seul tout en haut de son arbre ! Cette histoire à la con était bientôt fini ! Il commença à redescendre rapidement, trop rapidement peut-être et il tomba. Un moment après, une douleur atroce dans sa jambe droite le réveilla, c’était une fracture ouverte au niveau du tibia qui saignait abondamment. Il se releva pourtant et recommença à avancer cette fois dans la direction de la mer ; titubant et traînant sa jambe douloureuse et inutile, s’arrêtant tous les cinquante mètres pendant de longues minutes pour reprendre son souffle ! Plusieurs heures s’écoulèrent avant qu’il n’arrive enfin à la lisière de la forêt ! Il parvint à ramper dans un dernier effort jusqu’au sommet de la dune. Avant de fermer les yeux, il vit un bref instant la plage absolument déserte et de jolies vagues de deux mètres dérouler au loin tranquillement dans la douce lumière du soleil couchant…

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