Interview
de Guillaume Sorel (01/2004)
La lettre de dargaud
"Un
air d’écosse"
Il fait chaud en ce mois de juin
2003. C’est donc à la terrasse d’un café de Caen, sous un parasol et entre
deux bières fraîches, que Guillaume Sorel a accepté de répondre à quelques
questions à propos de sa collaboration avec Mathieu Gallié sur Algernon
Woodcock dont le deuxième volume vient de paraître chez Delcourt.
Qui de Mathieu Gallié ou toi a eu l’idée d’Algernon Woodcock ? C’est Mathieu qui a tout apporté. Sa méthode est de tout écrire avant même de me présenter quoi que ce soit. L’histoire telle qu’on l’a présentée chez Delcourt au départ comportait quatre énormes récits. Quand je les ai lus la première fois en 1996, tout était déjà écrit. |
Quand l’idée des Contes des Hautes terres, la série parallèle,
est-elle venue ?
Je ne sais plus trop. Assez tard probablement. Par contre, c’est totalement lié
à Algernon dès le départ puisqu’il est médecin et qu’il n’exercera
jamais réellement. Il va progressivement devenir folkloriste. Mathieu savait dès
l’origine qu’Algernon traverserait l’Écosse à longueur de temps afin de
récupérer des légendes et des contes auprès des uns et des autres. Il ne
savait pas réellement quelle forme cela prendrait dans l’avenir, mais était
certain qu’il y avait là matière à développer quelque chose.
Mais alors comment s’est faite la construction de cette série qui
vient juste après le tome 1 d’Algernon et qui en enrichi l’univers ?
Comment s’est fait le choix de Phil Castaza ?
C’est une discussion festive chez Olivier Ledroit entre Mathieu, moi et Franck Debernardi (Les Temporalistes Réunis) qui fut à l’origine des histoires courtes. Nous avions promis à Franck, dans un état difficilement descriptible ici, de lui écrire deux nouvelles pour une collection qu’il développait dans sa maison d’édition. Le lendemain matin, à jeun, nous ne pouvions plus revenir en arrière et nous avons donc décidé de le faire. Je devais en réaliser une et la seconde devait être dessinée par quelqu’un d’autre. Je connais Phil depuis longtemps et il désirait travailler avec nous. Une fois signé le contrat chez Delcourt, il semblait assez difficile que Les Temporalistes éditent ces histoires. Franck a donc laissé le projet à Guy Delcourt et c’est Phil qui, au bout du compte, a tout dessiné car je n’en avais pas le temps. Ai-je été clair ?
Tout à fait. Et maintenant? |
En ce qui concerne Les Contes des Hautes terres, il y aura un temps d’arrêt
puisque l’idée est vraiment de changer de dessinateur à chaque fois. Nous
avons lentement commencé nos recherches et du coup nous sommes très en retard.
L’idée est de sortir un album tous les 8 à 10 mois… ou tous les ans ! On
n’en sait trop rien en fait. Mathieu a réuni un grand nombre de légendes
qu’il va proposer aux dessinateurs en fonction de leurs envies. Sachant que
chaque dessinateur aura un peu de temps devant lui, c’est le plus rapide qui
sortira le premier ! Quoi qu’il en soit, cette série ne va pas subir de
grands changements.
Il s’agit vraiment d’Algernon Woodcock quelques années plus tard (par
rapport à la série principale), à l’époque où il a définitivement
abandonné la médecine. On ne se soucie pas des notions d’âge ou de temps.
Pour revenir à Algernon, comment se déroule la collaboration avec
Mathieu justement ?
C’est une vieille lutte entre nous. Il écrit seul l’histoire, en tire un scénario
et ce n’est qu’à partir de ce moment qu’on se voit et qu’on attaque le
découpage. Il m’a, bien entendu, préalablement envoyé le scénario, avec
les descriptions planche par planche, les scènes, les dialogues. Je ferais une
petite parenthèse sur les dialogues : c’est par eux que Mathieu commence
souvent l’écriture car pour lui tout le plaisir d’Algernon réside dans la
manière dont il parle. Voilà, fin de la parenthèse. Pour revenir à ta
question, le problème est que j’adore le personnage d’Algernon et la série
dans sa globalité, mais il m’arrive de péter les plombs parce que je ne veux
pas devenir chef opérateur. J’aimerais bien rester un peu metteur en scène.
Algernon est réellement la créature de Mathieu, c’est son univers et c’est
un grand plaisir d’y participer, mais je dois parfois m’énerver pour
trouver ma place.
Tu apportes donc des retouches ?
Oui et il est très ouvert à cela. Nos affrontements ne sont que marrants. Il
n’y a aucune tension. Il arrive souvent avec des idées précises de mise en
scène et y va même parfois de certains croquis. Je les mets d’ailleurs de côté
pour les publier un jour car c’est vraiment magnifique. Bref, il n’a rien
contre le fait que je chamboule tout si ça me correspond mieux. Ça finit
d’ailleurs souvent par lui plaire.
Tu commences à dessiner en présence de Mathieu. S’agit-il de simples
ébauches ou au contraire de planches avancées ? Cela dépend des scènes. Nous allons parfois très loin dans les détails quand nous ne sommes par sûrs de nous. Il y a des scènes qui s’imposent mais on en discute et puis… C’est vraiment ma technique : Mathieu raconte, parle trop, et moi je trace le cadre de ma planche sur ma feuille blanche en réfléchissant à ce qu’elle va bien pouvoir devenir. Je ne commence à dessiner que lorsque j’ai une idée précise. C’est plus ou moins élaboré selon mon niveau d’assurance. Ensuite, on retouche mais le premier découpage est souvent le bon. Il arrive parfois à Mathieu de réécrire complètement une scène et là j’arrête tout. On en discute et je retrace le cadre de ma planche. Ce n’est pas un hasard si Mathieu a longtemps été Maître de jeu de rôle ; c’est un conteur né. Quand il parle, je ressens les choses, je saisis l’atmosphère de la pièce dans laquelle il veut qu’on situe l’action et je me lance sur une esquisse. Algernon se construit réellement à deux et nous faisons régulièrement la navette entre Arcachon et Rennes. Récemment, nous nous sommes vus pour le tome 3. Nous avons découpé 31 planches parce qu’on ne va pas se revoir avant la fin de l’été. |
En ce qui concerne l’encrage et la couleur, ma technique est de poser une
feuille sur ma table et de ne la décoller terminée que deux à trois jours après.
Sur Algernon, il m’est arrivé de travailler une scène entière en noir et
blanc. Si elle fait 6 pages, je les encre toutes et n’attaque les couleurs
qu’après, juste pour garder l’atmosphère de la scène. Cette technique me
permet aussi de voyager : si je veux travailler en noir et blanc, il me suffit
d’un carton à dessin, de quatre feuilles, d’un crayon, d’une plume et
d’une bouteille d’encre. Je peux ainsi me permettre d’aller bosser
ailleurs de temps à autre. Ce que je me suis permis sur Algernon deux ou trois
fois.
Éric Le Pape