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Daisy Miller - de Henry James (1843-1916)

traduit de l'anglais par Stephen Bishop

 

 


Le texte original est disponible ici :

2

 

 

   

Cependant, il s’était engagé à faire plus qu’il ne pouvait en promettant à Miss Miller de lui présenter sa tante, Mrs Costello. Sitôt que celle-ci fut remise de sa migraine, il alla la saluer dans sa chambre ; après les questions d’usage sur sa santé, il lui demanda si elle avait remarqué dans l’hôtel une famille américaine – une maman, une fille et un petit garçon.

- Et un majordome ? répondit Mrs Costello. Oh oui, je les ai remarqués. Je les ai vus, je les ai entendus, et j’ai évité de les croiser.

Mrs Costello était une veuve qui avait de la fortune ; une personne fort distinguée, qui donnait souvent à entendre que si elle n’avait pas été si affreusement sujette aux migraines, elle aurait probablement laissé une emprunte plus profonde sur son époque. Elle avait une longue figure pâle, un grand nez, et une abondante chevelure d’un blanc impressionnant qu’elle portait en houppes et en rouleaux sur le sommet de sa tête. Elle avait deux fils mariés à New York, et un autre qui était pour l’instant en Europe. Ce jeune homme s’amusait à Hambourg, et quoiqu’il fût toujours en voyage, on le voyait rarement visiter les mêmes villes qu’au même moment sa mère avait choisies pour ses propres apparitions. Son neveu, qui était venu à Vevey exprès pour la voir, était donc plus attentionné que ceux qui, comme elle disait, lui étaient les plus proches. Il s’était imprégné à Genève de l’idée qu’on devait toujours être attentionné envers sa tante. Mrs Costello ne l’avait pas vu depuis plusieurs années ; elle était très contente de lui, et manifestait son approbation en l’initiant aux nombreux secrets de l’influence qu’elle se flattait d’exercer, comme elle le lui fit comprendre, sur la capitale américaine. Elle reconnaissait qu’elle était très exigeante ; mais s’il connaissait New York, il comprendrait qu’on doit l’être. Et sa peinture de la minutieuse hiérarchie de la société de cette ville, qu’elle lui présenta sous différents jours, frappa l’imagination de Winterbourne d’une manière presque oppressante.

Il s’aperçut aussitôt, au ton qu’elle employait, que la place de Daisy Miller dans l’échelle sociale était basse.

- Je crains qu’ils n’aient pas votre approbation, dit-il.

- Ils sont très communs, déclara Mrs Costello. C’est le genre d’américains qu’on a le devoir de ne pas... de ne pas recevoir.

- Ah, vous ne les recevez pas ? dit le jeune homme.

- Je ne peux pas, mon cher Frederick. Je le ferais si je le pouvais, mais je ne peux pas.

- La jeune fille est très jolie, dit Winterbourne, au bout d’un moment.

- Sans doute, elle est jolie, mais elle est très commune.

- Je vois ce que vous voulez dire, dit Winterbourne, après une nouvelle pause.

- Elle a cet air charmant qu’elles ont toutes, reprit sa tante. Je ne sais pas d’où elles le sortent ; et elle s’habille à la perfection – non, tu ne peux savoir à quel point elle s’habille bien. Je me demande bien d’où leur vient leur goût.

- Mais enfin, ma chère tante, ce n’est tout de même pas une sauvage Comanche !

- C’est une jeune personne, dit Mrs Costello, qui est intime avec le majordome de sa maman.

- Intime avec le majordome ? demanda le jeune homme.

- Oh, la mère ne vaut pas mieux ! Elles traitent leur majordome comme un ami de la famille, comme un gentleman. Je ne serais pas surprise d’apprendre qu’il dîne avec elles. Elles n’ont probablement jamais vu un homme avec d’aussi bonnes manières, d’aussi beaux vêtements, qui ressemblât autant à un gentleman. Il correspond probablement à l’idée que la jeune fille se fait d’un comte. Il s’assoit avec elles dans le jardin, le soir. Je crois qu’il fume.

Winterbourne écoutait avec intérêt ces révélations ; elles l’aidaient à se faire une opinion au sujet de Miss Daisy. Elle était à l’évidence plutôt mal élevée.

- Eh bien, dit-il, je ne suis pas majordome, et pourtant elle s’est montrée fort charmante avec moi.

- Tu aurais mieux fait de me dire tout de suite, répliqua Mrs Costello avec dignité, que tu avais fait sa connaissance.

- Nous nous sommes simplement rencontrés dans le jardin, et nous avons bavardé un peu.

- Tout bonnement * ! Et que lui as-tu dis, je te prie ?

- Que je prendrais la liberté de la présenter à mon admirable tante.

- Je te suis très obligée.

- C’était garantir ma respectabilité, dit Winterbourne.

- Et qui me garantira de la sienne, je te prie ?

- Ah ! vous êtes cruelle ! dit le jeune homme. C’est une jeune fille très bien.

- Tu ne dis pas cela d’un ton très convaincu, remarqua Mrs Costello.

- Elle est complètement inculte, poursuivit Winterbourne, mais elle est merveilleusement jolie et, en un mot, elle est très bien. Pour vous prouver que j’en suis convaincu, je vais l’emmener au château de Chillon.

- Vous allez y aller seuls tous les deux ? Je dirais que cela prouve exactement le contraire. Puis-je demander depuis combien de temps tu la connaissais, quand vous avez formé cet intéressant projet ? Il n’y a pas vingt-quatre heures que tu es ici.

- Je la connaissais depuis une demi-heure, dit Winterbourne en souriant.

- Mon Dieu ! s’écria Mrs Costello. Quelle fille épouvantable !

Son neveu demeura un instant silencieux.

- Vous pensez donc vraiment, commença-t-il d’un ton sérieux, avec le désir d’obtenir une information digne de foi, vous pensez donc vraiment que...

Mais il s’arrêta de nouveau.

- Je pense quoi, Mon Cher ? lui demanda sa tante.

- Que c’est le genre de jeune fille qui attend que, tôt ou tard, un homme l’enlève ?

- Je n’ai pas la moindre idée de ce que de telles jeunes filles attendent d’un homme. Mais je pense que tu ferais mieux de ne pas t’occuper de ces petites américaines incultes, comme tu l’as dit toi-même. Tu as vécu trop longtemps à l’étranger. Tu peux être sûr que tu vas faire une grosse bêtise. Tu es trop innocent.

- Ma chère tante, je ne suis pas si innocent que vous le dites, dit Winterbourne, en souriant et en tortillant sa moustache.

- Tu es trop coupable, alors ?

Winterbourne continua de tortiller sa moustache d’un air méditatif.

- Donc vous ne permettrez pas à cette pauvre fille de faire votre connaissance ? demanda-t-il enfin.

- Est-il bien vrai qu’elle va aller au château de Chillon avec toi ?

- Je crois que c’est bien son intention.

- Alors, mon cher Frederick, dit Mrs Costello, je dois décliner l’honneur de faire sa connaissance. Je suis une vieille femme, mais je ne suis pas trop vieille, Dieu merci, pour ne pas être choquée.

- Mais est-ce que les jeunes filles d’Amérique ne font pas toutes ce genre de choses ? demanda Winterbourne.

Mrs Costello ouvrit de grands yeux.

- Je voudrais bien voir mes petites filles en faire de pareilles ! déclara-t-elle d’un air menaçant.

Cela parut jeter quelque lumière sur le sujet, car Winterbourne se souvenait d’avoir entendu dire de ses jolies cousines de New York qu’elles étaient d’“ incroyables flirteuses. ” Si donc Miss Daisy Miller dépassait les limites libérales permises à ces jeunes filles, il était probable qu’on pût s’attendre à tout de sa part. Winterbourne était impatient de la revoir, et il se sentait contrarié de ne pas être capable d’instinct de la juger à sa juste valeur.

Quoiqu’il fût impatient de la voir, il ne savait guère ce qu’il lui dirait du refus de sa tante de faire sa connaissance ; mais il découvrit assez vite qu’avec Daisy Miller il n’était pas nécessaire de s’avancer sur la pointe des pieds. Il la trouva le soir-même dans le jardin, se promenant dans la tiédeur de la nuit étoilée, comme une indolente sylphide, et agitant le plus grand éventail qu’il eût jamais vu. Il était dix heures. Il avait dîné avec sa tante, était resté avec elle après le dîner, et venait juste de prendre congé d’elle pour la nuit. Miss Daisy Miller sembla très heureuse de le voir ; elle déclara que c’était la plus longue soirée qu’elle eût jamais passée.

- Vous l’avez passée toute seule ? demanda-t-il.

- J’ai été faire un tour avec ma mère. Mais maman se fatigue vite, répondit-elle.

- Elle est allée se coucher ?

- Non, ma mère n’aime pas aller se coucher, dit la jeune fille. Elle ne dort pas – pas même trois heures. Elle dit qu’elle ne sait pas comment elle peut vivre sans dormir. Elle est affreusement nerveuse. Je pense qu’elle dort plus qu’elle ne le croit. Elle est partie à la recherche de Randolph... elle veut le convaincre d’aller se coucher. Il n’aime pas aller se coucher.

- Espérons qu’elle réussira à le persuader, remarqua Winterbourne.

- Elle va lui parler tant qu’elle pourra, mais il n’aime pas qu’elle lui parle, dit Miss Daisy en ouvrant son éventail. Alors elle va essayer de convaincre Eugenio d’aller lui parler. Mais Eugenio ne lui fait guère peur. Eugenio est un merveilleux majordome, mais il ne fait pas grande impression sur Randolph ! Je ne pense pas qu’il sera couché avant onze heures.

Il parut en effet que Randolph réussit à prolonger triomphalement sa veille, car Winterbourne se promena un bon moment avec la jeune fille sans rencontrer sa mère.

-  Je me suis mise à la recherche de cette dame que vous voulez me présenter, reprit sa compagne. C’est votre tante.

Puis, comme Winterbourne reconnaissait le fait, et se montrait curieux de savoir comment elle l’avait appris, elle lui dit qu’elle savait tout de Mrs Costello grâce à la femme de chambre. C’était une dame très discrète, et très comme il faut ; elle avait des houppes blanches ; elle ne parlait à personne, et ne dînait jamais à la table d’hôte. Un jour sur deux elle avait la migraine.

- Je trouve que c’est une jolie description, la migraine et tout le reste ! dit Miss Miller, qui continuait à jacasser de sa voix légère et gaie. Je désire tellement la connaître. Je sais exactement comment doit être quelqu’un comme votre tante ; je suis sûre qu’elle va me plaire. Elle doit être très exigeante. J’aime qu’une dame soit exigeante ; je meurs d’envie d’être moi-même exigeante. Mais au fond, nous sommes très exigeantes, ma mère et moi. Nous ne parlons pas à tout le monde... ou plutôt, tout le monde ne nous parle pas. Je suppose que cela revient à peu près au même. Quoiqu’il en soit, je serai très heureuse de connaître votre tante.

Winterbourne était embarrassé.

- Elle en serait elle-même très heureuse, dit-il, mais je crains que ses migraines ne soient un obstacle.

La jeune fille le fixa dans l’obscurité.

- Mais j’espère qu’elle n’a pas la migraine tous les jours, dit-elle avec sympathie.

Winterbourne resta un moment silencieux.

- Elle m’affirme que oui, répondit-il enfin, ne sachant que dire.

Miss Daisy Miller s’arrêta et le regarda. Elle restait jolie même dans l’obscurité ; elle ouvrait et fermait son énorme éventail.

- Elle ne veut pas me connaître ! dit-elle soudain. Pourquoi ne le dites-vous pas ? Vous n’avez pas besoin d’avoir peur. Je n’ai pas peur, moi !

Et elle poussa un petit rire.

Winterbourne crut déceler un léger tremblement dans sa voix ; il en fut ému, choqué et mortifié.

- Chère Mademoiselle, protesta-t-il, elle ne voit personne. C’est la faute de sa déplorable santé.

La jeune fille fit quelques pas, toujours en riant.

- Vous n’avez pas besoin d’avoir peur, répéta-t-elle. Pourquoi voudrait-elle me connaître ?

Puis, elle fit une nouvelle pause ; elle était près du parapet du jardin, et devant elle s’étendait le lac qui reflétait la lumière des étoiles. Sa surface scintillait légèrement, et au loin on devinait vaguement la silhouette des montagnes. Daisy Miller contempla ce mystérieux paysage, et poussa de nouveau un petit rire.

- Mon Dieu ! dit-elle, elle est vraiment exigeante !

Winterbourne se demanda si elle était sérieusement blessée, et un instant il souhaita presque que son impression d’avoir été offensée fut telle qu’elle puisse rendre convenable qu’il tentât de la rassurer et de la consoler. Il avait l’agréable sentiment qu’elle serait très sensible à son intention de la consoler. Il se sentit donc, à cet instant, tout à fait prêt à sacrifier oralement sa tante ; à admettre que c’était une femme fière et impolie, et à déclarer qu’ils n’avaient pas besoin de s’occuper d’elle. Mais avant qu’il ait eu le temps de se livrer à ce périlleux mélange de galanterie et d’impiété, la jeune fille, qui avait repris sa promenade, lança une exclamation sur un ton tout à fait différent.

- Tiens, voilà ma mère ! Je suppose qu’elle n’a pas pu mettre Randolph au lit !

La silhouette d’une dame apparut à une certaine distance, fort peu distincte dans l’obscurité, et s’avançant avec un mouvement lent et chancelant. Soudain elle sembla s’arrêter.

- Etes-vous sûre que ce soit votre mère ? Vous pouvez la reconnaître dans une telle obscurité ? demanda Winterbourne.

- Ah ! s’écria Miss Daisy Miller en riant, je pense que je connais ma mère, quand même ! Surtout quand elle a mis un de mes châles. Elle met toujours mes affaires.

La dame en question, qui ne s’approchait pas, tournait vaguement en rond à l’endroit où elle avait arrêté ses pas.

- Je crains que votre mère ne nous voie pas, dit Winterbourne. Ou peut-être, ajouta-t-il en pensant qu’avec Miss Miller la plaisanterie était possible, se sent-elle coupable d’avoir pris votre châle.

- Oh, c’est une affreuse vieille chose, répondit calmement la jeune fille. Je lui ai dis qu’elle pouvait le prendre. Elle ne s’approche pas parce qu’elle vous a vu.

- Dans ce cas, dit Winterbourne, il vaut mieux que je vous laisse.

- Oh, non, venez ! protesta Miss Daisy Miller.

- Je crains que votre mère n’approuve pas que je me promène avec vous.

Miss Miller lui adressa un regard sérieux.

- Ce n’est pas à cause de moi, c’est à cause de vous... c’est-à-dire, c’est à cause d’elle. En fait, je ne sais pas à cause de qui ! Mais ma mère n’aime aucun de mes amis. Elle est terriblement timide. Elle fait toujours des histoires quand je lui présente un monsieur. Mais je lui présente toujours mes amis... presque toujours. Si je ne présentais pas mes amis à ma mère, ajouta la jeune fille de sa petite voix terne et monotone, j’aurais l’impression de ne pas être naturelle.

- Pour me présenter, dit Winterbourne, il faut que vous sachiez mon nom.

Et il se nomma.

- Oh, mon Dieu, je ne pourrai jamais dire tout cela ! s’écria sa compagne en riant.

Mais entre-temps ils avaient rejoint Mrs Miller qui, les voyant s’approcher, marcha jusqu’au parapet du jardin et s’y appuya, regardant attentivement le lac et leur tournant le dos.

- Maman ! s’écria la jeune fille d’un ton décidé.

La dame se retourna.

- Monsieur Winterbourne, fit Miss Daisy Miller en présentant le jeune homme avec beaucoup de grâce et de franchise.

Elle était, certes, “  commune ”, ainsi que l’avait décrété Mrs Costello ; cependant Winterbourne était étonné qu’à cette vulgarité s’unit une grâce d’une si singulière délicatesse.

Sa mère était une petite personne maigre et fragile, au regard mobile, avec un nez étroit et un large front, orné d’abondants cheveux fins et très frisés. Comme sa fille, Mrs Miller était vêtue avec une extrême élégance ; elle portait d’énormes diamants aux oreilles. Autant que Winterbourne pût le constater, elle ne lui accorda pas le moindre salut. Daisy était près d’elle, et lui rajustait son châle.

- Que fais-tu à fouiner par ici ? demanda la jeune fille, sans toutefois la dureté de ton que le choix de ses mots laissait supposer.

- Je ne sais pas... répondit sa mère en se tournant de nouveau vers le lac.

- Je ne pensais pas que tu aurais voulu ce châle ! s’écria Daisy.

- Eh bien, si ! répondit sa mère avec un petit rire.

- As-tu réussi à mettre Randolph au lit ? demanda la jeune fille.

- Non, je n’ai pas pu le décider, dit Mrs Miller très doucement. Il veut parler avec le serveur. Il aime parler avec ce serveur.

- C’est ce que je disais à Mr Winterbourne, poursuivit la jeune fille, et aux oreilles du jeune homme, le ton de sa voix sembla laisser entendre qu’elle avait prononcé son nom toute sa vie.

- Oh, oui ! dit Winterbourne, j’ai le plaisir de connaître votre fils.

La maman de Randolph resta silencieuse ; elle n’avait d’attention que pour le lac. Mais elle finit par parler.

- Vraiment, je ne vois pas comment il peut vivre sans dormir !

- En tout cas, c’est moins pénible qu’à Douvres, dit Daisy Miller.

- Et qu’est-il arrivé à Douvres ? demanda Winterbourne.

- Il ne voulait pas se coucher du tout. Je crois qu’il a passé une nuit blanche... assis dans le hall d’entrée de l’hôtel. Il n’était pas couché à minuit, ça j’en suis sûre.

- Il était minuit et demi, renchérit doucement Mrs Miller.

- Est-ce qu’il dort beaucoup pendant la journée, demanda Winterbourne.

- Je ne crois pas qu’il dorme beaucoup, répliqua Daisy.

- J’aimerais bien qu’il dorme ! dit sa mère. On dirait qu’il ne le peut pas.

- Je trouve qu’il est vraiment assommant, poursuivit Daisy.

Il y eut un moment de silence.

- Eh bien, Daisy Miller, reprit alors Mrs Miller, j’espère que tu n’as pas l’intention de dire du mal de ton propre frère !

- Mais, Maman, il est tout de même assommant, dit Daisy, sans donner à sa réponse l’âpreté d’une réplique.

- Il n’a que neuf ans, objecta Mrs Miller.

- En tout cas, il a refusé d’aller visiter ce château, dit la jeune fille. Je vais y aller avec Mr Winterbourne.

A l’annonce de cette décision, fort tranquillement faite, la maman de Daisy ne fit aucune réponse. Winterbourne en conclut que Mrs Miller désapprouvait profondément ce projet d’excursion ; mais il se dit que c’était une personne simple et facile à diriger, et que quelques protestations faites avec courtoisie devraient émousser son déplaisir.

- En effet, commença-t-il, votre fille a la gentillesse de m’accorder l’honneur de lui servir de guide.

Le regard mobile de Mrs Miller se fixa avec un air suppliant sur Daisy qui cependant s’éloigna de quelques pas en fredonnant doucement.

- Je suppose que vous irez en voiture, dit sa mère.

- Oui, ou en bateau, dit Winterbourne.

- Oui, bien sûr, je ne sais comment on y va, reprit Mrs Miller. Je n’y suis jamais allée.

- Quel dommage que vous ne veniez pas, dit Winterbourne, qui commençait à être rassuré quant à l’opposition de Mrs Miller. Et en même temps, il était tout disposé à trouver naturel qu’elle eût l’intention d’accompagner sa fille.

- Nous avons bien des fois songé à y aller, poursuivit-elle, mais il paraît que nous ne pourrons pas le faire. Naturellement, Daisy... elle veut voir les environs. Mais nous avons ici une dame – j’ignore son nom – qui dit qu’elle ne pense pas que nous devrions visiter de châteaux ici ; elle pense que nous devrions attendre d’être en Italie. Il paraît qu’il y en a tellement, là-bas, ajouta Mrs Miller, avec un air de confiance croissante. Bien sûr, nous ne voulons voir que les principaux. Nous en avons visité plusieurs en Angleterre, ajouta-t-elle enfin.

- Ah ! oui, en Angleterre il y a des châteaux magnifiques, dit Winterbourne. Mais, ici, Chillon vaut vraiment la peine d’être vu.

- Eh bien, si Daisy en a le courage... dit Mrs Miller, d’un ton empreint du sentiment qu’elle se faisait de la grandeur de l’entreprise. Il paraît qu’il n’y a rien qu’elle ne soit tentée d’entreprendre.

- Oh, je pense qu’elle y prendra un grand plaisir, déclara Winterbourne.

Mais il désirait de plus en plus s’assurer qu’il aurait le privilège d’un tête-à-tête avec la jeune fille, qui continuait à flâner devant eux, en fredonnant doucement.

- Et vous-même, Madame, demanda-t-il, vous ne souhaitez pas entreprendre ce petit voyage ?

La mère de Daisy le regarda un instant de côté, puis elle fit quelques pas, en silence.

- Je crois qu’il vaut mieux qu’elle y aille seule, finit-elle par dire, simplement.

Winterbourne se fit la réflexion qu’il avait affaire à une mère d’un genre bien différent de celui des vigilantes matrones qui occupaient le premier rang de la vie mondaine dans la vieille et sombre cité de l’autre côté du lac. Mais il fut interrompu dans ses pensées en entendant son nom prononcé très distinctement par la fille si peu surveillée de Mrs Miller.

- Mr Winterbourne, murmura Daisy.

- Mademoiselle ? dit le jeune homme.

- Ne voudriez-vous pas m’emmener faire un tour en barque ?

- Maintenant ? demanda-t-il.

- Bien sûr ! fit Daisy.

- Oh, Annie Miller ! protesta sa mère.

- Je vous en prie, Madame, donnez-lui votre permission, s’écria Winterbourne avec ardeur, car il n’avait jamais connu le plaisir de diriger, sous le ciel étoilé d’une nuit d’été, une barque avec à son bord une fraîche et jolie jeune fille.

- Je ne pense pas qu’elle en ait envie. Je pense qu’elle ferait mieux de rentrer.

- Je suis sûre que Mr Winterbourne serait d’accord pour m’emmener, déclara Daisy. Il est si serviable !

- Je suis prêt à ramer sous les étoiles jusqu'à Chillon.

- Je ne vous crois pas ! dit Daisy.

- Oh ! lança à nouveau Mrs Miller.

- Il y a une demi-heure que vous ne m’avez rien dit, poursuivit sa fille.

- J’étais au milieu d’une très agréable conversation avec votre mère, objecta Winterbourne.

- En bien, je veux que vous m’emmeniez en barque ! insista Daisy.

Ils s’étaient tous arrêtés et Daisy, qui s’était retournée, fixait Winterbourne. Son visage offrait un charmant sourire ; ses jolis yeux brillaient ; elle agitait son grand éventail. Non, il était impossible d’être plus jolie, pensa Winterbourne.

- Il y a une demi-douzaine de canots amarrés à cet embarcadère, dit-il en désignant les quelques marches qui descendaient du jardin jusqu’au lac. Si vous voulez bien me faire l’honneur d’accepter mon bras, nous allons y aller et en choisir un.

Daisy resta immobile et souriante ; elle rejeta la tête en arrière et poussa un rire.

- J’aime qu’un monsieur soit honnête ! déclara-t-elle.

- Je vous assure que ma proposition est la plus honnête qui soit.

- Je m’étais promis de vous faire dire quelque chose, poursuivit Daisy.

- Vous voyez que ce n’est pas très difficile, dit Winterbourne. Mais je crains que vous ne vous moquiez de moi.

- Je ne pense pas, Monsieur, répondit Daisy avec une grande douceur.

- Alors permettez-moi de vous emmener faire une promenade en barque, dit-il à la jeune fille.

- La façon dont vous dites cela, c’est tout à fait délicieux ! s’écria la jeune fille.

- Ce sera plus délicieux encore de le faire.

- Oui, ce serait délicieux, dit Daisy.

Mais elle ne fit aucun mouvement pour l’accompagner ; elle restait sur place à rire.

- Je pense que tu ferais mieux de te demander l’heure qu’il est, intervint sa mère.

- Il est onze heures, Madame, dit une voix à l’accent étranger, jaillissant de l’obscurité.

Winterbourne, se retournant, aperçut le splendide personnage qui était au service des deux dames. Apparemment, il venait de s’approcher.

- Ah, Eugenio ! dit Daisy. Je vais faire un tour en barque !

Eugenio s’inclina.

- A onze heures, Mademoiselle ?

- J’y vais avec Mr Winterbourne. A l’instant même.

- Dites-lui que c’est impossible, demanda Mrs Miller au majordome.

- Je pense qu’il vaut mieux que vous ne fassiez pas un tour en barque, déclara Eugenio.

Winterbourne aurait prié le ciel pour que cette jolie jeune fille ne fût pas aussi familière avec son majordome ; mais il ne dit rien.

- Je suppose que vous pensez que ce n’est pas convenable, s’écria Daisy. Selon Eugenio, rien n’est jamais convenable.

- Je suis à votre disposition, dit Winterbourne.

- Est-ce que Mademoiselle a l’intention d’y aller seule ? demanda Eugenio à Mrs Miller.

- Oh, non ! Avec ce monsieur, répondit la maman de Daisy.

Le Majordome fixa un instant Winterbourne – lequel crut distinguer qu’il souriait ; puis, en s’inclinant solennellement :

- Comme il plaira à Mademoiselle ! dit-il.

- Oh, j’espérais que vous alliez faire toute une histoire ! dit Daisy. Je n’ai plus envie d’y aller, maintenant.

- C’est moi qui ferai toute une histoire si vous ne venez pas ! dit alors Winterbourne.

- C’est tout ce que je désire, qu’on me fasse un peu des histoires !

Et la jeune fille se remit à rire.

- Mr Randolph est allé se coucher, annonça le majordome d’un ton glacial.

- Eh bien, Daisy, nous pouvons rentrer, maintenant, dit Mrs Miller.

Daisy s’écarta de Winterbourne, le regardant avec un sourire, tout en agitant son éventail.

- Bonne nuit, dit-elle. J’espère que vous êtes déçu, ou indigné, ou quelque chose dans le genre !

Winterbourne la regarda, et prit la main qu’elle lui offrait.

- Je suis déconcerté, déclara-t-il.

- Eh bien, j’espère que ça ne vous empêchera pas de dormir, répliqua-t-elle avec esprit ; et sous l’escorte du bienheureux Eugenio, les deux dames s’en revinrent à l’hôtel.

Winterbourne les regarda s’éloigner ; il était certes déconcerté. Il s’attarda au bord du lac pendant un quart d’heure, à ruminer le mystère des caprices et des soudaines familiarités de la jeune fille. Mais la seule conclusion définitive à laquelle il parvint, fut qu’il aimerait diablement “ sortir ” quelque part avec elle.

Deux jours plus tard, il partait avec elle pour le château de Chillon. Il l’attendit dans le grand hall de l’hôtel, où les majordomes, les domestiques et les touristes étrangers flânaient avec curiosité. Ce n’était pas l’endroit qu’il aurait choisi, mais c’était là qu’elle avait fixé le rendez-vous. Elle arriva, descendant l’escalier d’un pas léger, boutonnant ses longs gants, serrant contre sa jolie personne son ombrelle repliée, vêtue à la perfection d’un costume de voyage d’une sobre élégance. Winterbourne était un homme d’imagination et, comme disaient nos ancêtres, un homme sensible ; aussi, à la vue de son élégante toilette, de son petit pas rapide et confiant dans le grand escalier, il eut l’impression que quelque chose de romantique s’annonçait. Il aurait pu croire qu’il allait s’enfuir avec elle. Ils traversèrent ensemble la foule des badauds assemblés là ; tous la regardaient d’un œil malveillant ; elle s’était mise à babiller dès qu’elle l’avait rejoint. Winterbourne eût préféré qu’ils se rendissent à Chillon en voiture, mais elle exprima le vif désir de prendre le petit vapeur ; elle déclara avoir une passion pour les bateaux à vapeur. Il y avait toujours sur l’eau une brise délicieuse, et on y voyait tellement de gens. La traversée ne fut pas longue, mais la compagne de Winterbourne trouva le temps de lui dire beaucoup de choses. Pour le jeune homme lui-même, leur petite excursion avait tellement l’air d’une escapade – d’une aventure – qu’il s’attendait à ce qu’elle aussi, malgré son habitude de la liberté, éprouvât le même sentiment. Mais il faut reconnaître que, sur ce point, il fut déçu. Daisy Miller avait beaucoup d’entrain ; elle était d’une humeur charmante, mais elle n’éprouvait apparemment aucune trouble, ne trahissait aucun émoi ; elle n’évitait ni de croiser son regard, ni celui de quiconque, et ne rougissait ni quand elle le regardait, ni quand elle s’apercevait que les gens la regardaient. Les gens continuaient à beaucoup la regarder, et Winterbourne était très fier de l’allure distinguée de sa jolie compagne. Il avait un peu craint qu’elle parlât trop fort, qu’elle rît trop, et même, peut-être, qu’elle ne tint pas en place dans le bateau. Mais il avait vite oublié ses craintes ; il souriait, ne la quittant pas des yeux, tandis que, sans bouger de sa place, elle lui faisait part d’un grand nombre de réflexions toutes personnelles. C’était le plus charmant bavardage qu’il eût jamais entendu. Il avait accepté l’idée qu’elle était “  commune ” ; mais l’était-elle vraiment, après tout, ou bien était-il simplement en train de s’accoutumer à son genre ? Sa conversation était principalement de l’ordre de ce que les métaphysiciens appellent les données objectives ; mais elle prenait de temps à autre un tour subjectif.

- Pourquoi diable êtes-vous si grave ? demanda-t-elle soudain en fixant ses jolis yeux sur ceux de Winterbourne.

- Je suis grave ? s’étonna-t-il. Je croyais pourtant sourire d’une oreille à l’autre.

- On dirait que vous m’emmenez à un enterrement. Si c’est un sourire d’une oreille à l’autre, vos oreilles sont vraiment proches l’une de l’autre.

- Vous aimeriez que je danse une gigue sur le pont ?

- Oh, faites ça, je vous en prie, et je ferai circuler votre chapeau. Ça couvrira les frais du voyage.

- Je n’ai jamais été aussi content de ma vie ! murmura Winterbourne.

Elle le regarda un instant, puis éclata d’un petit rire.

- J’aime vous faire dire des choses pareilles ! Vous êtes un curieux mélange.

Une fois à terre, dans le château, l’élément subjectif finit par s’imposer. Daisy parcourut d’un pas léger les salles voûtées, fit bruire sa robe dans les escaliers en colimaçon, bondit en arrière avec un joli petit cri et un frisson au bord des oubliettes, et prêta une oreille singulièrement bien ourlée à tout ce que Winterbourne lui dit sur l’endroit. Mais il vit qu’elle s’intéressait très peu aux antiquités féodales et que les sombres secrets de Chillon ne lui faisaient que peu d’impression. Ils eurent la bonne fortune de pouvoir se promener sans autre compagnie que celle du gardien ; et Winterbourne obtint de lui qu’il ne les pressât pas, qu’ils pussent s’attarder et s’arrêter où bon leur semblerait. Le gardien avait accepté l’arrangement avec générosité – Winterbourne aussi, de son côté, s’était montré généreux – et il finit par les laisser tout à fait seuls. Les observations de Miss Miller ne se distinguaient pas par leur cohérence, mais chaque fois qu’elle voulait dire quelque chose, elle s’arrangeait pour trouver un prétexte. Les profondes embrasures de Chillon lui fournirent mille prétextes pour poser à Winterbourne de soudaines questions sur lui-même, sur sa famille, sur sa vie passée, sur ses goûts, ses habitudes, ses projets, et pour lui fournir des informations sur les points correspondants avec sa propre personnalité. De ses goûts, de ses habitudes et de ses projets, Miss Miller était prête à faire le compte rendu le plus précis et bien entendu le plus favorable.

- Eh bien, je pense que vous en savez long ! dit-elle à son compagnon, quand il lui eut raconté l’histoire du malheureux Bonivard. Je n’ai jamais rencontré un homme si savant !

L’histoire de Bonivard lui était manifestement, comme on dit, entrée par une oreille et sortie par l’autre. Mais Daisy poursuivit en disant qu’elle aimerait que Winterbourne voyageât avec eux, et les accompagnât partout ; ainsi, ils apprendraient quelque chose.

- Ne voudriez-vous pas venir et donner des leçons à Randolph ? demanda-t-elle.

Winterbourne répondit que rien ne lui ferait davantage plaisir, mais qu’il avait, hélas, d’autres obligations.

- D’autres obligations ? Je ne vous crois pas ! dit Miss Daisy. Qu’entendez-vous par là ? Vous n’êtes pas dans les affaires !

Le jeune homme reconnut qu’il n’était pas dans les affaires, mais il avait des engagements qui le forceraient même, dans un jour ou deux, à regagner Genève.

- Oh ! Allons donc ! dit-elle. Je ne vous crois pas !

Et elle se mit à parler d’autre chose. Mais quelques instants plus tard, alors qu’il lui faisait remarquer la jolie forme d’une vieille cheminée, elle s’écria hors de propos :

- Vous ne voulez pas dire que vous allez rentrer à Genève ?

- C’est triste à dire, mais il faut que je retourne à Genève demain.

- Eh bien, Mr Winterbourne, dit Daisy, je vous trouve épouvantable !

- Oh, ne dites pas des choses pareilles ! dit Winterbourne, juste à la fin...

- La fin ? s’écria la jeune fille. Mais pour moi c’est un début. J’ai presque envie de vous laisser là et de rentrer directement à l’hôtel toute seule.

Et pendant les dix minutes qui suivirent, elle ne fit rien d’autre que de le traiter d’épouvantable personnage. Le pauvre Winterbourne était vraiment abasourdi ; aucune jeune fille ne lui avait encore fait l’honneur d’être à ce point agitée à l’annonce de ses déplacements. Dès lors, sa compagne n’accorda plus la moindre attention aux curiosités de Chillon ou aux beautés du lac ; elle ouvrit le feu contre la mystérieuse envoûteuse de Genève, et apparemment elle en avait tout de suite déduit qu’il se hâtait d’aller la rejoindre. D’où Miss Daisy Miller tenait-elle qu’il y avait une envoûteuse à Genève ? Winterbourne, qui nia l’existence d’une telle personne, fut bien en peine de le deviner, et il était partagé entre l’étonnement devant la rapidité de sa déduction et l’amusement devant la franchise de son persiflage *. En tout cela, elle lui apparut comme un singulier mélange d’innocence et d’impudeur.

- Est-ce qu’elle ne vous accorde jamais plus de trois jours d’affilé ? demanda ironiquement Daisy. Ne vous donne-t-elle pas de vacances en été ? Il n’y a personne qui soit surchargé de travail au point de ne pouvoir obtenir un congé en cette saison. Je suppose que si vous restez un jour de plus, elle viendra vous chercher en bateau. Attendez encore jusqu'à vendredi, et j’irai au débarcadère pour la voir arriver !

Winterbourne commençait à penser qu’il s’était trompé en désespérant de d’esprit dans lequel la jeune fille avait entrepris cette excursion. Si un ton personnel avait manqué jusqu’ici, voilà qu’il faisait son apparition. Enfin, il devint parfaitement clair quand elle lui dit qu’elle cesserait de le “ taquiner ”, s’il lui promettait solennellement de venir à Rome cet hiver.

- Ce n’est pas une promesse difficile à faire, répondit Winterbourne. Ma tante a loué un appartement à Rome pour l’hiver, et elle m’a déjà demandé de venir la voir.

- Je ne veux pas que vous y alliez pour votre tante, dit Daisy. Je veux que vous y alliez pour moi.

Et ce fut la seule allusion à sa désagréable parente que le jeune homme l’entendit faire. Il déclara que, de toute façon, il ne manquerait pas de se rendre à Rome. Après quoi Daisy cessa de le taquiner. Winterbourne loua une voiture et ils rentrèrent à Vevey à la tombée de la nuit ; la jeune fille resta fort silencieuse.

Dans la soirée, Winterbourne apprit à Mrs Costello qu’il avait passé l’après-midi à Chillon en compagnie de Miss Daisy Miller.

- Ces américaines... avec un majordome ? demanda-t-elle.

- Oh, heureusement le majordome est resté à l’hôtel, dit Winterbourne.

- Elle y est allée seule avec toi ?

- Toute seule.

Mrs Costello renifla un peu son flacon de sels.

            - Et c’est cela, s’écria-t-elle, la jeune personne que tu voulais me faire connaître !

 

 

  Chapitre 3

 

 * : mots en italique : en français dans le texte. 

 

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