Les Muses, E. Le Sueur, ca. 1655, Louvre
Jean Mathieu, Métamorphoses d'Ovide, Gallica
Flaminio de Birague - Complainte
Quoy ? Verray-je tousjours ma franchise asservie
Sous le joug douloureux d'une ingrate beauté ?
Faut-il que mon esprit soit tousjours tourmenté ?
Faut-il qu'avant mes jours je finisse ma vie ?
O Destin rigoureux ! ô marastre Fortune,
Verserez-vous tousjours sur moy mille malheurs ?
Ferez-vous jamais tréve à mes griéves douleurs ?
Finirez-vous jamais ma langueur importune ?
Vous de moy tant aimez, ô Desers solitaires,
Où j'ay souvent sans fruit semé mes tristes voix,
Soyez, je vous en supplie, encore cette fois
De mes derniers sanglots les loyaux secrétaires.
Et toy fille de l'Air, ô Echo forestiere,
Ne respons plus au son de mes tristes regrets,
Et vous aussi courriers de mes ennuis secrets,
Zephirs, n'eventez point cette plaine derniere.
Esprits qui habitez dans la fumee espoisse
Du manoir tenebreux des horribles Enfers,
Si vous sçaviez les maux qu'en aimant j'ai souffers,
Vous plaindriez mes tourments plustot que votre angoisse.
Tout ce qu'on peut souffrir en ce monde de rage,
De fureur, de poison, d'angoisse, de tourment,
De soin, de jalousie, et de forcenement,
Je l'ay souffert aimant une beauté volage.
Et or' que je pensois avoir la recompense
Des maux que j'ay souffers pour loyaument aimer,
Ayant fait de mes pleurs une ondoyante mer,
Du merité loyer on m'oste l'esperance.
O triste desespoir qui augmente ma flame,
Qui ne peut s'amortir par les eaux de mes yeux,
Sors de mon triste esprit dolent et soucieux,
Fuy t'en bien loin de moy, n'afflige plus mon ame.
Helas ! je suis semblable aux rivieres bruyantes,
Qui tant plus on arreste et empesche leurs cours,
Bruyent plus vivement, et quittant leurs destours,
Noyent, se debordant, les campagnes riantes.
Ainsi plus la rigueur des yeux de ma Maistresse
Noye mon esperance en la mer de mes pleurs,
Plus je veux adorer les amoureuses fleurs
De son teint blanchissant, et sa luisante tresse.
Les premières Oeuvres poétiques de Flaminio de Birague, Paris, T. Périer, 1585 (Troisième édition).