Les Muses, E. Le Sueur, ca. 1655, Louvre
Jean Mathieu, Métamorphoses d'Ovide, Gallica

 

 

 


Jean de Lingendes - Stances du Sieur de Lingendes. A sa Silvie

  • Connoissant vostre humeur, je veux bien ma Silvie,
  • Que passant vostre temps,
  • Avec tous les Amants dont vous estes servie,
  • Vous les rendiez contents,
  • La mode de la Cour m'estant si bien connuë,
  • Pourrois-je avoir douté
  • Qu'on pût vivre en ce temps plus chaste et retenuë
  • Avec tant de beauté ?
  • J'appreuve vos plaisirs, et qu'il vous soit loisible
  • D'en jouïr bien à point,
  • Car donnant tant d'amour il seroit impossible
  • Que vous n'en eussiez point.
  • Mais puis que ce peché point de blasme n'apporte
  • Quand on le cache bien,
  • Je voudrois seulement que vous fissiez en sorte
  • Que je n'en sceusse rien.
  • Celle qui fait du mal se peut dire innocente
  • En le tenant caché,
  • Mais quant on fait du mal et qu'aprés on s'en vente
  • On fait double peché.
  • Ne vous vantez donc plus de ce qu'il faudroit taire
  • De peur d'un mauvais bruit,
  • Descouvrant en plain jour ce que vous n'osez faire
  • Sinon qu'en plaine nuict.
  • En le disant ainsi vous seriez difamee
  • Des contes de la Cour,
  • Au lieu qu'en le taisant vous seriez estimee
  • De faire bien l'amour.
  • Faites qu'en vos façons on puisse reconnoistre
  • Un plus chaste entretien,
  • L'apparance y suffit, il faut feindre de l'estre,
  • Et puis n'en faire rien.
  • Recevez tous les jours ce plaisir ordinaire
  • De quelqu' Amant discret,
  • Et cessant de le dire, et non pas de le faire,
  • Tenez-le plus secret.
  • A tous sales discours que vos levres soient closes:
  • Et par un geste feint,
  • S'il en faut escouter faites changer en roses
  • Les lis de vostre teint.
  • Un autre lieu requiert de ne faire pas conte
  • Des rapports d'un jaloux,
  • Et quittant cet honneur chasser encor la honte
  • Bien loin d'auprés de vous.
  • Sous les rideaux tirez ces parolles lascives,
  • Ces ris delicieux,
  • Ces contes affetez, et ces façons naifves
  • Vous sieront beaucoup mieux.
  • Qu'alors autour de vous la chambre retentisse
  • De souspirs amoureux,
  • Goustant ce que l'Amour en ce doux exercice
  • A de plus savoureux.
  • Qu'en serrant un amant d'une amoureuse estreinte
  • Sur vostre sein colé,
  • D'un mignard tremblement on voye à chaque atteinte
  • Vostre lict esbranlé.
  • Pour le moins ma Silvie en quittant vostre couche
  • Gardez que ce peché
  • En vos libre discours par vostre propre bouche
  • Ne vous soit reproché.
  • Pourveu qu'on ne le sache, et que la renomee
  • Ne vous aille blasmant,
  • Soyez si vous voulez tout le jour enfermee
  • Weulle avec un amant.
  • Mais feignez d'estre chaste, et ne faites pas gloire
  • De me scavoir trahir,
  • Me decelant un mal que je ne veux pas croire
  • De peur de vous hair.
  • Car j'enrage de voir qu'un page vous apporte
  • Si souvent le bon-jour,
  • Pendant qu'un autre encor attend à vostre porte
  • De vous voir à son tour.
  • D'un despit bien ardant il faut que je l'avouë,
  • Je me sens embraser,
  • Voyant tous les matins encor sur vostre jouë
  • L'emprainte d'un baiser.
  • Vostre lict plus foulé qu'il ne devroit paroistre
  • Pour n'avoir que dormi,
  • Et vostre poil meslé I font bien reconnoistre
  • Les marques d'un ami.
  • Lors voyant loin de vous la honte estre bannie,
  • Je deviens si jaloux,
  • Que je voudrois mourir, mais pour vous voir punie
  • Ne mourir qu'avec vous.
  • Couvrez bien vos amours, sans craindre que j'estime
  • Qu'on se doive fascher,
  • Ni que l'on puisse encor vous reprocher un crime
  • Que vous pourrez cacher.
  • Que si je vous surprens me faisant quelque injure
  • Un jour à l'impourveu,II
  • Soustenez qu'il est faux, jusqu'à tant que je jure
  • De n'en avoir rien veu.
  • Car alors reputant pour des songes frivoles
  • Tout ce qui sera fait,
  • Et démentant mes yeux pour coire à vos parolles
  • Je seray satisfait.

Notes

I. Vostre poil meslé : vos cheveux emmêllés

II. A l'impourveu : à l'improviste

La cresme des bons vers : triez du meslange et cabinet des sieurs de Ronsard, du Perron, de Malerbe, de Sigongnes, de Lingendes, Motin, Maynard, de Bellon, St Urfe, Theophile et autres, M. Courant, 1622, pp. 49-53.