Jean
de Lingendes - Stances du Sieur de Lingendes. A sa Silvie
- Connoissant
vostre humeur, je veux bien ma Silvie,
- Que passant
vostre temps,
- Avec tous
les Amants dont vous estes servie,
- Vous les
rendiez contents,
- La mode
de la Cour m'estant si bien connuë,
- Pourrois-je
avoir douté
- Qu'on pût
vivre en ce temps plus chaste et retenuë
- Avec tant
de beauté ?
- J'appreuve
vos plaisirs, et qu'il vous soit loisible
- D'en jouïr
bien à point,
- Car donnant
tant d'amour il seroit impossible
- Que vous
n'en eussiez point.
- Mais puis
que ce peché point de blasme n'apporte
- Quand on
le cache bien,
- Je voudrois
seulement que vous fissiez en sorte
- Que je
n'en sceusse rien.
- Celle qui
fait du mal se peut dire innocente
- En le tenant
caché,
- Mais quant
on fait du mal et qu'aprés on s'en vente
- On fait
double peché.
- Ne vous
vantez donc plus de ce qu'il faudroit taire
- De peur
d'un mauvais bruit,
- Descouvrant
en plain jour ce que vous n'osez faire
- Sinon qu'en
plaine nuict.
- En le disant
ainsi vous seriez difamee
- Des contes
de la Cour,
- Au lieu
qu'en le taisant vous seriez estimee
- De faire
bien l'amour.
- Faites
qu'en vos façons on puisse reconnoistre
- Un plus
chaste entretien,
- L'apparance
y suffit, il faut feindre de l'estre,
- Et puis
n'en faire rien.
- Recevez
tous les jours ce plaisir ordinaire
- De quelqu'
Amant discret,
- Et cessant
de le dire, et non pas de le faire,
- Tenez-le
plus secret.
- A tous
sales discours que vos levres soient closes:
- Et par
un geste feint,
- S'il en
faut escouter faites changer en roses
- Les lis
de vostre teint.
- Un autre
lieu requiert de ne faire pas conte
- Des rapports
d'un jaloux,
- Et quittant
cet honneur chasser encor la honte
- Bien loin
d'auprés de vous.
- Sous les
rideaux tirez ces parolles lascives,
- Ces ris
delicieux,
- Ces contes
affetez, et ces façons naifves
- Vous sieront
beaucoup mieux.
- Qu'alors
autour de vous la chambre retentisse
- De souspirs
amoureux,
- Goustant
ce que l'Amour en ce doux exercice
- A de plus
savoureux.
- Qu'en serrant
un amant d'une amoureuse estreinte
- Sur vostre
sein colé,
- D'un mignard
tremblement on voye à chaque atteinte
- Vostre
lict esbranlé.
- Pour le
moins ma Silvie en quittant vostre couche
- Gardez
que ce peché
- En vos
libre discours par vostre propre bouche
- Ne vous
soit reproché.
- Pourveu
qu'on ne le sache, et que la renomee
- Ne vous
aille blasmant,
- Soyez si
vous voulez tout le jour enfermee
- Weulle
avec un amant.
- Mais feignez
d'estre chaste, et ne faites pas gloire
- De me scavoir
trahir,
- Me decelant
un mal que je ne veux pas croire
- De peur
de vous hair.
- Car j'enrage
de voir qu'un page vous apporte
- Si souvent
le bon-jour,
- Pendant
qu'un autre encor attend à vostre porte
- De vous
voir à son tour.
- D'un despit
bien ardant il faut que je l'avouë,
- Je me sens
embraser,
- Voyant
tous les matins encor sur vostre jouë
- L'emprainte
d'un baiser.
- Vostre
lict plus foulé qu'il ne devroit paroistre
- Pour n'avoir
que dormi,
- Et vostre
poil meslé I
font bien reconnoistre
- Les marques
d'un ami.
- Lors voyant
loin de vous la honte estre bannie,
- Je deviens
si jaloux,
- Que je
voudrois mourir, mais pour vous voir punie
- Ne mourir
qu'avec vous.
- Couvrez
bien vos amours, sans craindre que j'estime
- Qu'on se
doive fascher,
- Ni que
l'on puisse encor vous reprocher un crime
- Que vous
pourrez cacher.
- Que si
je vous surprens me faisant quelque injure
- Un jour
à l'impourveu,II
- Soustenez
qu'il est faux, jusqu'à tant que je jure
- De n'en
avoir rien veu.
- Car alors
reputant pour des songes frivoles
- Tout ce
qui sera fait,
- Et démentant
mes yeux pour coire à vos parolles
- Je seray
satisfait.
Notes
I.
Vostre poil meslé : vos cheveux emmêllés
II.
A l'impourveu : à l'improviste
La cresme
des bons vers : triez du meslange et cabinet des sieurs de Ronsard, du
Perron, de Malerbe, de Sigongnes, de Lingendes, Motin, Maynard, de Bellon,
St Urfe, Theophile et autres, M. Courant, 1622, pp. 49-53.