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Les moines à Gruyères-Le Pâquier (suite)
gravure extraite du livre écrit par Marius Pasquier sur l'histoire et les coutumes du Pâquier
(Source : Paul Pasquier "Le Pâquier")

Bonnefontaine et les chartreux

Dès sa fondation en 1507, le monastère de la Part-Dieu voit affluer des cohortes de pauvres gens à la recherche de pain et d'un bol de soupe. La misère est grande dans le pays, et les portes du couvent sont toujours ouvertes.
Les chartreux, il est vrai, ont leur moulin et un modeste troupeau de bovins. La traite du matin est réservée pour les pauvres. Chaque jour, ils viennent nombreux y prendre le seul repas qu'ils ont pour vivre.
Mais d'autres pèlerins poursuivent leur chemin vers Planex et le Moléson. La croyance populaire attribue des vertues magiques à l'eau d'une source, celle de Bonnefontaine, près du sommet.
En reconnaissance des vœux exaucés ou souhaités, des oboles sont déposées à cet endroit par cette multitude de pèlerins. Ces offrandes restent la propriété des chartreux. Mais la tentation est grande pour certains d'y aller se servir. L'autorité ecclésiastique doit intervenir, et menacer d'excommunication ceux qui se rendraient coupables de vols.

Nos ancêtres vivent en relations étroites avec les chartreux de la Part-Dieu. Ils sont souvent occupés à la construction et aux réparations des bâtiments du couvent. Diverses légendes sont transmises de génération en génération, souvent brodées et déformées.
Celle de Dom Hermann, le moine mécanicien, est connue de tout un chacun.
Mais celle du moine fromager s'est un peu oubliée. La voici en quelques lignes.
La traite des vaches, le soir, sert aux besoins des moines et de l'élevage. Elle sert aussi à la fabrication de petites tommes, dont la durée de conservation est réduite. Cette traite est coulée dans des baquets en bois et laissée en repos au frais durant la nuit. Le matin, le moine prélève une partie de la crème pour en faire du beurre.
Durant une chaude nuit d'été, un violent orage s'abat sur la contrée et, au matin, le moine beurrier trouve le lait complètement coagulé. Que faire ? Le moine réfléchit et s'ingénie à trouver une solution pour récupérer cette masse caillée. Il imagine de confectionner une grande tomme, et de tenter de la conserver aussi longtemps que possible.
Il déploie de grands linges dans une grande cuve en bois et y verse le lait caillé. Puis, à l'aide d'une planche qui couvre le tout, il retourne le récipient sur la table pour laisser échapper le liquide non figé.
Deux jours après, il dégage la masse formant une meule, et la débarrasse de ses linges pour l'entourer d'une forme tirée de l'écorce d'un sapin.
La masse s'est affermie, Il peut la retourner, la saler. Peu à peu fa croûte se forme, se dore et prend une appétissante allure. Un parfum bien agréable s'en dégage. De semaine en semaine, le moine la soigne, la retourne, heureux d'un résultat inespéré.
Les confrères curieux viennent voir le développement de la meule et demandent à y goûter. Le prieur, informé, décide que le fruit inconnu sera mis sur fa table jour de Tous-les-Saints, 1er novembre. Ce qui est fait, pour le régal de tous.
Qu'y a-t-if de vraisemblable dans ce vieux récit ? Chalamala, (saleur de fromage) qui passe son temps à distraire les comtes, doit sûrement l'avoir conté à son tour.
La chartreuse de la Part-Dieu a pour armoiries: une grue d'argent, avec une croix au-dessus du champ de gueules.
En assemblée communale du 20 avril 1856, on apprend que la Part-Dieu est à vendre. Des citoyens proposent que la commune du Pâquier s'intéresse à cet achat. Au vote, sept citoyens y sont favorables, mais neuf s'y opposent.

La vente des immeubles

L'Etat de Fribourg, au nom de la Caisse des couvents supprimés, est représenté par M" Julien Schaller, conseiller d'Etat, lequel agit en vertu des pouvoirs accordés vend selon acte du 27 juin 1856 à Rodolphe Edouard Pavarici-Maillard, de Bale, demeurant à Delémont, les immeubles suivants, autrefois propriété de la Part-Dieu.
Suit la description des articles du cadastre de Gruyères avec les immeubles sis à la Part-Dieu, Pré Notre-Dame, D'Amont des murs, Es Pâturages, au Pré de la Scie, aux Pâquier aux Chevaux, au Beauregard, à Grange Neuve, à la Toffeyres, la Queue vers le Chalet Neuf, le Long de la Trême, au Chalet Neuf, aux Vernes, Les Quarante Poses, Joux de Plané, Plané et Bonnes Fontaines, Plané, Es Villus.
Sur le territoire de la Tour-de-Trême, article 555 et suivants, sis en Perrousaz. Sur le territoire de Semsales, article 1060, Au Cheval Brûlé.
La vente a été faite pour le prix de 310.000 frs. Un prix dérisoire, faut-il le préciser.
On ne refait pas l'histoire, même avec un grand H. Mais on peut regretter aujourd'hui cette forme de liquidation totale à des étrangers de biens qui représentent des siècles de labeurs autant de la part des moines que de nos ancêtres qui y ont travaillé.

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