Pour une  réforme de l'enseignement supérieur


Paul Caspi


Février 2012

Ce petit opuscule vise à refléter quelques opinions personnelles à propos de l'enseignement supérieur. Il commence par quelques éléments de diagnostic que je crois importants et finit par une synthèse et quelques propositions d'application.

Eléments de diagnostic

Shanghai

Le classement de Shanghai est le moteur de la réforme actuelle. Pour remédier au pauvre classement de nos institutions, le gouvernement se propose d'opérer de vastes regroupements, en espérant que l'effet de taille va compenser nos déficiences. Il en résulte de vastes ensembles, plus ou moins anonymes, qui ressemblent, en quelque sorte à des « Sarcelles » de l'esprit. Mais beaucoup font part de leur scepticisme : ils font remarquer que les institutions qui raflent les meilleurs places du classement sont des ensembles à taille humaine, marqués d'un nom prestigieux, pluridisciplinaires, fortement ancrés à la fois dans la modernité et la tradition. Vouloir les concurrencer par des effets de taille, pour biaiser le classement paraît bien illusoire. Imaginons d'ailleurs que nos concurrents jouent eux-mêmes à ce petit jeu, par exemple que les gens de la région de la Baie décident de fusionner Stanford et Berkeley, en créant ainsi un Berkford ou un Staneley. Ou bien que les londoniens ne pensent à faire Oxbridge ou Camford. Comment pourrions-nous lutter ?

Mais rassurons nous, ils ne sont pas fous, eux, ils connaissent la valeur inestimable en terme de visibilité et d'attraction des noms prestigieux de leurs institutions, si ancrées dans l'Histoire (la chaire de physique de Cambridge date d'Isaac  Newton !). Les industriels et commerçants avisés connaissent bien, eux aussi, la valeur des noms de marques bien établis, il n'y a que des dirigeants incultes et prétentieux pour débaptiser et rebaptiser leurs entreprises : Véolia, Vivendi, Areva, Astrium, Thalès..., créant confusion et perte de mémoire. « Astrium ? Astrium ? mais comment ça s'appelait avant ? »

Un autre point important est la pluridisciplinarité. Un gros inconvénient de la réforme Faure, passé inaperçu à l'époque, a été de rendre indépendantes les facultés riches (sciences, médecine, avec leurs contrats industriels et leurs brevets) et les faculté moins dotées, cassant ainsi la solidarité financière qui existait auparavant entre elles. La plupart des institutions qui comptent n'ont pas cet inconvénient.

On voit ainsi un premier objectif se dessiner, créer des regroupements de taille humaine, pluridisciplinaires, centrés autour d'un  nom prestigieux, bien ancrés à la fois dans la tradition et la modernité.

Grandes écoles et compétitivité

C'est un sujet très actuel, la comparaison de nos piètres performances industrielles et commerciales avec celles de l'Allemagne attire commentateurs et commentaires, chacun y allant de son diagnostic. Pourtant, il y a une différence qui paraît très peu commentée : l'Allemagne n'a pas de grandes écoles ! Aborder ce sujet est assez complexe, les grandes écoles sont, selon les avis, comme la langue d'Esope, la meilleur et la pire des choses. Elles sont encensées ou brocardées c'est selon, surtout Polytechnique et l'Ena. Pourtant les critiques remontent à longtemps : après la victoire de 1918, on demandait à Georges Clemenceau ce qu'il faudrait faire pour empêcher l'Allemagne de se relever de sa défaite et il répondait : « il suffirait d'y créer une Ecole polytechnique ! » Evidemment, on reconnait là l'esprit acéré du vieux Tigre mais il faut dire qu'il avait ses raisons, l'entêtement de nos généralissimes polytechniciens, Joffre et son offensive à outrance, Nivelle et son funeste Chemin des Dames, et celui des polytechniciens du bureau d'artillerie de l'Etat-Major, pour le canon Schneider de 75 et contre l'artillerie lourde, qui, au début de la guerre, laissèrent nos troupes se faire massacrer sous le feu de l'artillerie allemande, évidemment hors de portée de nos braves 75.

Mais au delà des brocards, comment peut-on analyser le phénomène ? Assez simplement je crois ; prenez des jeunes gens entre 20 et 30 ans et dites-leur : « vous êtes l'élite de la Nation ». Ils vous croient naturellement et se sentent, ipso facto, oints du saint chrême de la science infuse et de l'infaillibilité. Vous avez ainsi créé une aristocratie, certes républicaine, mais aristocratie quand même, aristocratie du concours et du diplôme, sûre d'elle, arrogante et prétentieuse. D'autant que cela se conjugue avec le phénomène du pantouflage : les administrations et entreprises d'état recrutent dans ce vivier, puis, au bout d'un certain temps, les gens passent au privé. Quel est donc leur savoir professionnel, hormis celui, livresque, qui leur a permis de réussir les concours ? Ils connaissent l'administration, ses recoins, ses arcanes, et ils y ont des amis ; ils excellent donc à obtenir des subventions et des contrats d'état, et c'est pour cela que les entreprises les recrutent. Ainsi se tissent des liens incestueux entre administration d'état et privé qui expliquent bien de nos difficultés. D'ailleurs le pantouflage tient lieu souvent de politique industrielle : « Voyons, vais-je choisir Camus ou Forgeard ? De toutes façons, je débarque Lauvergeon, je mets Pérol ici et Junac là... » Et, au sommet, on voit des cohortes de dirigeants suivre nos présidents dans leurs déplacements à l'étranger, bien cachés derrière le chef de l'Etat, bien à l'abri derrière le parapluie protecteur de l'Etat tutélaire. Mais qu'ont-ils besoin de se protéger ainsi, ne peuvent-ils pas sortir tous seuls, partir bravement à la conquête des marchés ? Et je ne parle pas ici de nos écoles de commerce, qui, d'après certains classements et nos meilleurs périodiques, l'Express, le Point (non je ne ris pas, c'est nerveux...) sont parmi les meilleures du monde. Car comment expliquer qu'avec les meilleurs ingénieurs et les meilleurs commerciaux, notre industrie et notre commerce soient si mal en point ?

Evidemment, ce n'est pas le cas de tout le monde, nombreux sont ceux qui poursuivent des carrières littéraires ou scientifiques, dans la lignée des concours qu'ils ont réussis. Et souvent ils y excellent. Mais en quoi l'aura de ces concours a-t-elle accru leurs qualités naturelles et n'auraient-ils pas fait aussi bien en suivant des parcours universitaires ? De plus ils y auraient peut-être acquis une certaine humilité qui aurait pu leur servir dans la suite de leur carrière.

J'espère qu'on voit mieux maintenant ce qui fait la différence avec l'Allemagne : l'Allemagne n'a pas de grandes écoles. Elle place donc à la tête de ses entreprises des professionnels, issus du rang, connaissant leur métier et ayant fait preuve de leurs qualités. Contrairement aux nôtres, ils n'ont pas fait preuve de ces qualités une fois pour toute, dans leur jeunesse, au moment des concours, mais quotidiennement, en se battant pour sortir du rang et accumuler les succès. C'est toute la différence. Et cela se voit dans les résultats du commerce extérieur !

Certes un certain élitisme est sans doute nécessaire mais le nôtre est bien trop exagéré. Au nom même de la reconquête de notre compétitivité, il est important que l'on corrige cet état de fait.

Prépas et ascenseur social

Il s'agit là aussi d'un sujet brûlant et cela se comprend. C'est au fond de notre contrat social dont il est question et donc de l'unité de notre pays. C'est aussi un sujet complexe qui ne peut trouver facilement de solution. Mais il est cependant possible d'apporter quelques corrections en faisant des réformes appropriées. Un point sur lequel on peut agir concerne les prépas : les prépas recrutent à partir du secondaire sur dossier mais, lorsque ces prépas sont intégrées au secondaire, à qualité égale, un dossier interne sera plus souvent choisi qu'un dossier externe : on connait le postulant et les enseignants qui ont fourni les appréciations. Ainsi, en poussant jusqu'à la caricature, on a pu parler de ces maternelles où des parents avisés inscriraient leur progéniture de façon à pouvoir accéder aux bonnes prépas préparant  aux meilleurs écoles. Ce phénomène s'est beaucoup accentué ces temps-ci mais il n'est pas nouveau : ma mère avait le certificat d'étude et mon père le brevet ; lorsque je suis arrivé à l'X, j'ai pu côtoyer des fils, petits-fils, voire arrière petits-fils d'X. J'en ai longtemps gardé, je l'avoue, un certain ressentiment à l'égard de ces « héritiers ».

Une solution simple pour tenter de corriger au moins cet aspect du problème serait de couper tout lien entre secondaire et supérieur. Ainsi les dossiers de recrutement seraient tous externes et il y aurait moins d'interférences.

Synthèse et exemples

Synthèse

En bon polytechnicien,  j'aurais tendance à dire que maintenant l'équation est assez bien posée  : il s'agit donc de créer des établissements autour de noms prestigieux, de taille humaine, pluridisciplinaires, et recrutant sur dossiers à partir du secondaire sur des bases nationales et internationales. Est-ce si difficile ? Sans doute, il n'est pas facile de changer les choses. Mais essayons d'imaginer quelques exemples.

L'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm

Il s'agit certainement du nom le plus prestigieux de l'université française avec la cohorte de célébrités qui ont fait son histoire. D'autre part, elle est déjà pluridisciplinaire avec ses filières littéraires et scientifiques. Mais son recrutement est terriblement étroit et même elle a peu d'enseignements propres, ses élèves devant suivre par ailleurs des cours dans d'autres universités. Pour corriger ces aspects, on pourrait imaginer qu'elle absorbe quelques bonnes prépas parisiennes (comme il y a beaucoup de normaliens parmi leurs enseignants, cela reviendrait pour eux à un retour dans le giron maternel). On aurait ainsi un recrutement sur dossier à partir du secondaire, national bien sûr mais aussi international et il n'est pas douteux que, le prestige de l'Ecole aidant, les postulants ne soient très nombreux. Elle devrait aussi absorber quelques bons départements universitaires de façon à compléter ses enseignements et il y a peu de doute que les gens ainsi solicités aient des réticences. On peut aussi imaginer l'absorption d'autres établissements pour enrichir encore l'éventail des disciplines, l'enseignement technique ou l'Ecole des Chartes. On aurait ainsi un établissement à la fois prestigieux et de taille humaine, ayant toutes les qualités requises et certainement apte à faire jeu égal avec les meilleurs établissements étrangers.

Polytechnique

C'est aussi un nom historique et prestigieux. De plus, par lui-même, il n'exclut aucune pluridisciplinarité. Comme pour Normale, on peut imaginer que l'X absorbe des prépas et recrute sur dossier à partir du secondaire. Elle pourrait absorber aussi quelques prestigieuses écoles voisines, ses écoles dites d'application, Centrale, Mines, Ponts, Supelec par exemple. Ainsi les Mines fourniraient une ouverture vers l'administration des entreprises, Centrale vers des aspects plus appliqués, les Ponts vers l'architecture, l'urbanisme, la sociologie et à terme d'autres sciences humaines. Notons que l'on retrouverait ainsi des notions connues : un étudiant sortant du département des Mines de Polytechnique serait un peu l'équivalent de nos X-Mines actuels et ainsi de suite. Cet ensemble rénové garderait son histoire, son prestige et augmenterait grandement sa capacité d'attraction. On pourrait lui trouver une certaine ressemblance aussi avec ces universités techniques d'Europe centrale et du nord qui font la force de leurs industries.

Un cas provincial

On pourrait multiplier les exemples mais ce serait sans doute un exercice un peu vain et prématuré. Mais j'ai quand même envie de traiter un cas provincial, celui de notre bonne ville de Grenoble. Il y a, je crois à Grenoble deux ensembles historiques de valeur, l'université de Grenoble et l'Institut polytechnique et c'est sur eux que la rénovation pourrait se concentrer. L'Inp a déjà des prépas intégrées et pourrait en absorber d'autres, grenobloises, de façon à avoir un recrutement sur dossier à partir du secondaire. Il regroupe déjà nombre d'écoles techniques mais, pour renforcer la pluridisciplinarité, on pourrait imaginer qu'il absorbe des établissements ayant le même type de recrutement, l'Ecole de commerce par exemple ou même, pourquoi pas, Sciences-Po. Cela ferait quelque chose de tout à fait cohérent et assez imposant. Mais l'université de Grenoble, forte de sa vieille histoire, de ses labos de science, de son école de médecine (telle la prestigieuse « Medical School » de l'université Harvard) ne serait pas en reste même si son recrutement demeurerait plus classique et la compétition entre elles pour attirer les meilleurs enseignants et étudiants pourrait se dérouler de façon loyale.

Conclusion

Voilà donc quelques propositions, propositions en chambre direz-vous, bien peu réalistes eu égard aux résistances qu'il faudrait vaincre pour parvenir à les mettre en œuvre. Mais on peut toujours espérer. Je suis pour ma part persuadé qu'il y a en elles quelques raisons et que, tôt ou tard, elles feront leur chemin.