Avertissement : le texte qui suit n'est pas la retranscription brute de la conférence de Françoise Combes, mais l'exposé des réflexions qu'elle m'a inspirées. Cathy

Sans aucun préambule, Françoise Combes se jette à corps perdu dans la description du bestiaire galactique, de son comportement et de ses interactions. Petite femme brune très vive et volubile, souriante, à l'aise devant un public parfois surpris de la technicité de l'exposé (qu'elle a pourtant, paraît-il, simplifié à l'extrême par rapport à celui qu'elle a dispensé à Paris peu de temps auparavant), elle délivre sa conférence dans la Salle de la Lune du château d'Abbadia à Hendaye. Elle est l'invitée de l'association Astronomie Côte Basque qui a organisé sa venue dans le cadre de l'Année Mondiale de l'Astronomie (AMA09), en partenariat avec la Fondation de l'Académie des Sciences, propriétaire du monument. Cette astronome au dynamisme communicatif a mené un parcours exceptionnel, depuis ses études de physique à l'école normale supérieure de Paris, jusqu'à sa consécration par son intégration à l'Académie des Sciences en 2004, sa nomination en tant que Chevalier de la Légion d'Honneur en 2006 et la réception, en 2009, du Prix Tycho Brahe de l'EAS, European Astronomical Society. Elle est en outre vice-présidente de l'association organisatrice de l'AMA09. Voici trente ans qu'elle réfléchit à ses objets célestes de prédilection, les galaxies, depuis sa thèse d'Etat intitulée "Dynamics and structure of galaxies" soutenue en 1980. - En liens, film de sa conférence à l'université de tous les savoirs, Les galaxies, quasars et amas de galaxies, 2000, film de sa conférence à l'école normale supérieure, Matière noire, trous noirs et formation des galaxies, 2005, et film de sa conférence à l'école normale supérieure, Un peu de lumière sur la matière noire, 2007. - Photo : Françoise Combes -

L’étude des toutes premières générations d’étoiles et de galaxies constitue un des enjeux majeurs de la recherche astronomique du début du XXIe siècle. Ce sont en effet des objets célestes singuliers, que les progrès de l'instrumentation astronomique ne permettent réellement d'appréhender que depuis le début du XXème siècle et d'étudier depuis moins de cinquante ans. Chaque jour qui passe offre une vision plus précise de galaxies toujours plus lointaines. Ainsi, l'astronome remonte le temps et il examine des stades d'évolution des galaxies révolus depuis longtemps. Comment est-ce possible ?

D'Aristote à la Renaissance, on imaginait les étoiles accrochées à une sphère céleste invisible qui tournait d'un seul bloc autour de la Terre. Copernic, Galilée détrônent la Terre du centre du monde, Christopher Wren évoque l'idée du regroupement des étoiles en galaxies, William Herschel suppose, avant l'heure, que leur forme est discoïdale. Parallèlement, Kepler, Newton et Einstein expliquent les mouvements des astres par des lois qui serviront à analyser l'évolution des galaxies. - Illustration de la quête des astronomes. Au Moyen-Age, un savant plus curieux que de nature perce le firmament et découvre les rouages de l'univers. Gravure sur bois du XVIe siècle colorisée. -

Depuis la conférence de Françoise Combes, je suis déboussolée, je n'arrive plus à me représenter clairement ce que sont les galaxies. J'imaginais qu'il s'agissait d'un ensemble d'étoiles tournant selon les lois de la gravitation autour d'un centre, souvent un trou noir, de la même façon que nos planètes tournent autour du soleil. Ce qui me perturbe, c'est que l'astronome décrit les galaxies comme des entités autonomes qui s'attirent, s'assemblent, naissent, vivent et meurent, avalées vives ou dépérissant dans une lente agonie. Il semble qu'elles soient dotées d'un comportement propre, indépendant de celui de leurs constituants, à l'instar d'une fourmilière, d'un banc de poissons, d'un vol d'oiseaux, d'un récif de coraux, ou d'une foule d'humains...

Les étoiles ne sont qu'un sous-produit de leur activité, qui manifeste leur plus ou moins grande capacité à se régénérer. Les galaxies semblent être les véritables briques de l'univers. De la diversité de leurs structures, l'astronome essaie de déduire une évolution, de la plus simple à la plus complexe, et découvre au fur et à mesure de ses recherches de nouveaux phénomènes qui la plongent au coeur du fonctionnement de notre univers. Durant sa conférence, elle manifeste un enthousiasme et un émerveillement qui ne s'émoussent pas depuis 30 ans. - F.C. Deux galaxies spirales en interaction : NGC 2207 et IC 2163– image du télescope Hubble -

Je suis gênée par le vocabulaire qu'elle emploie pour décrire ses observations. Bien qu'elle n'ait probablement recours, mathématiquement parlant, qu'à la Relativité générale d'Einstein, les phénomènes sont, selon ses propres termes, képlériens, newtoniens, les galaxies "entrent en interaction, elles s'attirent mutuellement par des forces de gravitation qui exercent des effets de marée, provoquent des ondes de densité et leur font subir des chocs lors de leurs rencontres titanesques". Il s'agit d'un vocabulaire qui remonte au XVIIIe siècle. C'est comme si la communauté scientifique n'avait pas assimilé la Relativité générale d'Einstein et que le pouvoir évocateur des images de Newton, très terriennes, lui parlait bien davantage que l'univers géométrique sans forces gravitationnelles du savant du XXe siècle. - F.C. Spirale avec petit compagnon : NGC 1232 (image VLT) -

Pourtant, l'étrangeté s'installe dès la naissance des galaxies. Selon la théorie du Big Bang, l'univers, au début, était si dense et si chaud que ses éléments étaient trop comprimés pour pouvoir interagir. Comme le tonnerre au milieu des nuages, la déflagration du Big Bang qui a initié l'expansion de l'univers a provoqué une "oscillation acoustique" qui se propage dans le plasma sans créer d'instabilité gravitationnelle et que l'on peut encore détecter à diverses époques de l'univers. Mais au bout de 300 000 ans, l'inflation de l'univers est suffisante pour que le plasma, devenu moins dense, refroidisse, et que les éléments primordiaux s'unissent pour former la matière. Celle-ci a des caractéristiques étonnantes, mises en évidence tout au cours du XXe siècle dans ce qu'on a appelé "la mécanique quantique" : cette matière, qui émerge du plasma primordial et dont nous sommes constitués, est à la fois une particule et une onde, possédant une certaine étendue spatiale. Elle est organisée en atomes selon une architecture qui rappelle celle du système solaire. La différence de taille est telle entre le noyau (protons et neutrons) et ses satellites (les électrons), ainsi qu'entre le système global que forme l'atome et ses constituants, que cette matière qui nous semble si solide est presque uniquement constituée de vide. - Big Bang : Galerie de photos TrinhXuanThuan.com -

Des fluctuations de densité s'instaurent, l'univers n'est plus homogène, pour une raison que l'on ignore. Autour de ces "grumeaux", des myriades de petites galaxies primordiales se forment, c'est à dire que les éléments de cet univers, sous l'effet de la gravitation qui commence à se manifester, s'organisent et se scindent en groupes. Le gaz (essentiellement de l'hydrogène et de l'hélium), issu de l'union toute nouvelle des protons et électrons en atomes, y est partiellement piégé, puis il commence par endroits à s'effondrer gravitationnellement pour former des étoiles géantes. Le télescope spatial Hubble confirme que, dans les premiers temps de l'univers, se trouvait effectivement un très grand nombre de petites galaxies. Quelque 8 milliards d'années plus tard, l'univers a encore grandi, il s'est structuré, le gaz s'agence en filaments entrecroisés le long de "lignes de force", en murs, draperies, filets, bulles, aux intersections desquelles, telles des araignées sur leur toile, sont tapies des galaxies plus massives, issues de la fusion des premières générations. Ces galaxies sont liées entre elles par la gravitation et forment des amas et super-amas dont le comportement similaire aux galaxies dont ils sont composés font penser à une structure partiellement fractale de l'univers. - F.C. Spirale barrée : NGC 1365 (VLT) -

Autre incongruité, difficile à se représenter, car elle défie le sens commun. Toujours selon la théorie du Big Bang, la taille de notre univers est en expansion. Les premiers gaz de matière, excités, émettent de la lumière, s'effondrent gravitationnellement au sein des galaxies pour donner naissance aux premières étoiles qui enclenchent leurs réactions nucléaires en émettant de l'énergie. Pendant que leur lumière se propage, à la vitesse finie de 299 792,458 Km/s (à peu près 300 000 Km/s), l'univers grandit jusqu'à nos jours, soit pendant environ 13,7 milliards d'années. L'exemple le plus parlant pour comprendre ce qui se passe est celui du cake aux raisins. Pendant la cuisson du cake, la levure fait gonfler la pâte où sont répartis les raisins dont la taille reste inchangée et qui s'éloignent les uns des autres. Pareillement, les galaxies voient seulement leurs distances respectives s'accroître (la gravité maintient leur cohésion interne). Ce ne sont pas les galaxies qui bougent, c'est l'espace qui s'étend, qui s'étire de plus en plus, dans toutes les directions. - On peut étendre le raisonnement aux amas et super-amas de galaxies, qui conservent également leur cohésion gravitationnelle -. Il y a donc une sorte de course virtuelle entre cette lumière émise du fond des âges et de l'univers primordial, toujours en chemin, et les Terriens qui cherchent à la capter, campés avec leurs observatoires dans leur galaxie de la Voie lactée. C'est comme si cette lumière s'éloignait de nous, alors qu'elle progresse toujours de l'avant, dans l'espace et dans le temps. - F.C. Interactions entre galaxies -

Troisième difficulté de compréhension, à propos de la nature de cet univers. D'après Einstein, "les objets physiques ne sont pas dans l'espace, mais ces objets ont une étendue spatiale. De la sorte, le concept d' "espace vide" perd son sens". J'en déduis que l'éther des Anciens, qui était matière, s'est mué en un vide, c'est-à-dire un espace dépourvu de matière, ou en contenant très peu, qui est considéré comme une extension de la matière, douée de propriétés (Perméabilité magnétique, Conductance, Permittivité, Impédance) qui correspondent au fait qu'elle est parcourue en permanence par des ondes électro-magnétiques (dont fait partie la lumière). Au sein de ce vide se matérialisent en permanence des particules élémentaires et leurs antiparticules associées, qui s'annihilent presque instantanément, phénomène désigné sous le terme "fluctuation quantique du vide".

Ce vide a une forme géométrique, qu'Einstein analyse comme une courbure de l'espace-temps générée par toute forme d'énergie. Paradoxalement, dans le cadre de la relativité générale, la gravitation n'est pas une force ou une interaction ! Les corps se déplacent dans cet espace-temps sans subir de force en suivant des géodésiques, équivalent de la ligne droite dans un espace non courbe. Le mouvement de ces corps semble donc courbe alors qu'en fait c'est l'espace-temps qui l'est ! Il n'y a donc aucune interaction entre les corps eux-mêmes (par exemple entre la Terre et la Lune), il n'y a qu'une action des corps sur la structure de l'espace-temps (la Terre et la Lune déforment l'espace-temps)... - Illustration : Représentation artistique des déformations de l'espace-temps causées par un objet très massif, tel un trou noir. © INFN Photo 2004. www.interactions.org (photo IN0027M) -

Il est assez facile de se représenter la courbure de l'espace-temps comme la déformation d'un drap tendu sur lequel on a posé une bille lourde. Si on fait passer une bille plus légère à proximité de la première, elle sera déviée à cause du creux dans le drap, bien qu'il n'y ait aucune interaction entre les deux billes. Sauf que le drap n'a que deux dimensions, alors que l'espace-temps en a quatre ! - explications extraites de Cerimes-éducation -. - Galaxies en interactions : Arp 272 -

Inutile de dire que ce n'est pas du tout, mais alors pas du tout ce que Françoise Combes décrit, et cela me plonge dans un abîme de perplexité. Elle commence son exposé en projetant une photo de deux galaxies et commente. "Elles sont en interaction, elles fusionnent en effectuant un échange de matières, gaz et poussières qui n'ont pas été incorporés dans des étoiles et résident dans l'espace interstellaire. La photo est en vraies couleurs, et l'on distingue des étoiles bleues, jeunes, grosses et massives." La seconde photo montre deux galaxies spirales en interaction. Elle nous fait remarquer leur transparence, en raison du vide immense qui sépare leurs étoiles respectives. Malgré la distance à laquelle elles se trouvent de la Terre, il est possible de distinguer que le bras de l'une est situé loin devant l'autre galaxie, et ne passe pas à travers elle.

Entre 1905 et 1910, Hubble définit une séquence des galaxies (fig. ci-contre) qui va des galaxies elliptiques (un bulbe pur), en passant par les lenticulaires pour aboutir aux galaxies spirales avec des bulbes de plus en plus petits, normales ou barrées, avec une concentration de la masse d'étoiles décroissante. Elle nous précise qu'en réalité, l'évolution des galaxies se fait de la droite vers la gauche, des galaxies spirales, les plus jeunes, jusqu'aux galaxies elliptiques, les plus vieilles. Au début de la formation d'une galaxie, il n'y a pas de bulbe, seulement un disque composé pour moitié de gaz non incorporé dans des étoiles. Les deux-tiers des galaxies sont des galaxies spirales barrées (celles qui figurent sur le schéma en Sba, Sbb et Sbc). En réalité, la forme n'est pas fixée, elle évolue en fonction des interactions et des fusions de galaxies, avec des formes intermédiaires hybrides. - Séquence de Hubble -

Elle affiche une troisième photo qui montre une galaxie spirale flanquée d'un petit compagnon (une autre galaxie). Les étoiles jeunes (bleutées) sont dans les bras, alors que n'entrent dans la composition des bulbes que des étoiles jaunes, plus vieilles, et du gaz entre la formation des barres. "Rassurez-vous, s'exclame-t-elle, les étoiles n'entrent jamais en collision lorsque deux galaxies se rencontrent, les astres sont trop éloignés les uns des autres." C'est d'ailleurs un des paramètres (la non-collision) qu'elle entre dans son logiciel de simulation sur ordinateur où il n'est possible de faire figurer "que" un million d'étoiles. Il en va différemment avec les gaz réunis en nébuleuses qui entrent en collision en dissipant de l'énergie. Leur déstabilisation favorise la création d'étoiles, par "écroulement" gravitationnel, dont le rayonnement ressemble à celui du gaz. - Radio Galaxie 3C219 : superposition d'une photo optique et en rayonnement radio - Montage (c) NRAO 1994 - F.C. Photo de droite : Arp 188 -

"La fusion de deux galaxies est "rapide", dit-elle, 0,2 milliard d'années ! Au début du processus, les bras spiraux ne tournent pas au même rythme, d'autres bras se forment. Quand le gaz se concentre vers le centre, il détruit la barre." Françoise Combes assure que ce qu'on voit est très peu par rapport à ce qu'on ne voit pas. Elle nous montre la différence entre une galaxie prise en photo normale, dans le rayonnement visible, comparée avec un cliché en rayonnement radio, où la galaxie apparaît bien plus grande.

Dans les galaxies récentes, le gaz ne représente plus que 5 à 10 % de la masse de la galaxie et il tourne très vite, comme si la galaxie était plus massive qu'il n'y paraît. - C'est ce qui a motivé l'introduction, vers les années 1940, du concept de matière noire, invisible, pour conserver la loi de la Relativité générale d'Einstein. Mais en 2000, on a constaté une accélération de l'expansion de l'univers, il a donc fallu introduire en plus le concept de l'énergie noire, répulsive. La communauté scientifique mondiale cherche une nouvelle loi qui rende compte des nouvelles observations et mesures. Depuis 1983, la théorie MOND (Modified Newton Dynamics) vient concurrencer celle de la matière noire, en proposant une modification de la théorie de la Gravitation universelle de Newton, mais pour le moment, la question est toujours en débat. - Anneau de matière noire : Anneau de matière noire dans l’amas de galaxies Cl 0024+17 -

La vitesse se calcule en fonction du rayon : celle que l'on observe n'est possible que si elle met en jeu des masses beaucoup plus importantes. Françoise Combes suppose que les galaxies "se touchent" par l'intermédiaire de cette matière noire hypothétique. Il se produit entre elles des effets de marée qui perturbent les galaxies. Elle montre l'exemple d'une galaxie perturbée, Arp, où le gaz se répand autour des galaxies. Ces interactions peuvent prendre la forme de champignons. Elles ne se produisent pas seulement entre deux galaxies, mais peuvent mettre en jeu tout un groupe, comme celui du Quintette de Stephan (qui en comporte en réalité six). Un petit groupe de galaxies qui a fait l'objet de nombreuses études et dont la première simulation informatique a été faite en 1970 est centré autour de la galaxie spirale Messier 51 dont on voit (fig. ci-dessous) l'interaction avec sa proche voisine de taille plus réduite, NGC 5195.

Dans le système solaire, l'effet de marée se manifeste par la présence de deux bourrelets qui se forment de part et d'autre de la Terre sous l'effet conjugué de la Lune et du Soleil. Dans les galaxies, étant donné qu'il ne s'agit pas de corps solides, mais d'un regroupement d'étoiles, de gaz et de poussières, l'effet de marée provoque un "déchirement", une déstructuration. Une simulation prédictive a prévu cette déformation par effet de marée, qui se manifeste parfois très joliment par la constitution d'antennes émettant dans le bleu en raison de l'importante présence du gaz moléculaire hydrogène H2. La fusion entre deux galaxies peut être très rapide, en un seul tour de l'ensemble, soit en 200 millions d'années. - F.C. Messier 51 et son petit compagnon, NGC 5195. -

Françoise Combes motive l'introduction du concept de la matière noire pour pouvoir appliquer la loi de conservation du moment angulaire. Si les choses se passaient comme dans notre système solaire, on devrait observer des vitesses de révolution élevées autour du centre de la galaxie spirale pour les étoiles proches (à l'instar de Mercure ou Vénus) et plus lentes pour les étoiles qui sont à l'extrémité des bras (comme Jupiter ou Saturne). Or, aucune différence significative n'est enregistrée. On suppose donc la présence d'un anneau invisible de matière noire, situé à une distance très éloignée de la partie visible de la galaxie, peut-être formé de gaz ou d'éléments inconnus, et de masse suffisante pour rendre compte des observations. Ainsi, la totalité de la partie visible est considérée comme étant le coeur d'un système beaucoup plus étendu, et il n'est alors pas étonnant que toutes les étoiles visibles, situées au centre, se déplacent comme un seul homme en un mouvement de rotation homogène. - F.C. : Les Antennes HST formation d’amas denses d’étoiles - Les Antennes, Hydrogène atomique et couleurs BVR -

Lorsque les deux galaxies fusionnent pour ne plus former qu'un seul disque, le bulbe central gonfle. Il peut s'en échapper un filament, on surnomme cette résultante "la souris", ou bien deux, "les antennes", composées d'hydrogène atomique. Il faut bien garder à l'esprit que c'est la gravité qui domine, il y a peu de champ magnétique. Dans l'interaction, beaucoup d'amas d'étoiles bleues (jeunes) deviendront des amas globulaires. Dans notre galaxie spirale, la Voie Lactée, il n'y a pas eu d'interaction récente, et l'on constate que les amas globulaires sont vieux, à la différence de notre voisine, la galaxie d'Andromède. Pendant une interaction, il se forme 1000 étoiles par an. - F.C. : Splash de gaz interstellaire - Messier 81, Messier 82, NGC 3077 - Hydrogène atomique HI -

Avant l'interaction, on constate un "splash de gaz interstellaire", c'est à dire la constitution d'un pont d'hydrogène entre les galaxies qui s'attirent gravitationnellement. Le courant magellanique est le nom donné au pont de matière (essentiellement de l'hydrogène atomique non ionisé) situé dans le sillage des Nuages de Magellan, qui sont deux galaxies irrégulières très proches de notre Voie lactée. Cette structure doit son explication aux interactions gravitationnelles (forces de marée) entre ces deux petites galaxies et la Voie lactée. Elle s'étend sur environ 100 degrés sur la sphère céleste. Françoise Combes commente que nous avons ainsi beaucoup de nuages d'hydrogène qui nous "tombent" dessus (aucun ne s'en va), mais on ignore à quelle distance est situé ce gaz. - F.C. : Galaxie d'Andromède -

Il peut y avoir trois explications à ce phénomène. Soit il s'agit d'une partie du gaz qui appartient au Groupe Local et qui a donné naissance à la Voie lactée, soit c'est une chute des Nuages de Magellan, soit on assiste à un "effet fontaine" (lorsque le gaz ionisé émis par une supernovae retombe, à l'état neutre). La galaxie d'Andromède, la plus massive du Groupe Local, comparable à la Voie Lactée, n’est qu’à 2 millions d'années-lumière. Elle se dirige vers nous à la vitesse de 300 Km/s. Le satellite Gaia de l'ESA (l'agence spaciale européenne) qui sera lancé en 2011 permettra d'observer et mesurer ses mouvements. On pourra prévoir la date à laquelle la galaxie Andromède entrera en collision avec la Voie lactée, dans environ 2 milliards d'années, c'est à dire avant que notre Soleil ne devienne une géante rouge (dans 4 milliards d'années). - F.C. : La Voie lactée en infrarouge -

Les queues de marée sont des traceurs de la quantité de matière noire qui réside dans une galaxie (elles sont d'autant plus longues qu'il y a moins de matière noire). Lorsqu'une interaction intervient de plein fouet entre deux galaxies, il en résulte une galaxie en anneau. Le choc provoque des ondes de densité concentriques que l'on observe par exemple dans la galaxie Roue de Charrette (fig. ci-contre). Si une galaxie passe à travers l'autre, comme un caillou lancé dans une mare, il se forme beaucoup d'étoiles à la périphérie, surtout des étoiles binaires X (fig. ci-dessous). - Un système binaire X est un système formé d'une étoile « traditionnelle » qui gravite autour d'une étoile à neutrons. Grâce à son champ gravitationnel intense, cette dernière cannibalise la matière de son étoile compagnon et forme autour d'elle un disque d'accrétion.

La galaxie M31 (galaxie d'Andromède) est peut-être en anneau, car elle possède un très vieux bulbe (détectable à l'infra-rouge). Françoise Combes signale que le fait de regarder dans des longueurs d'ondes différentes permet de mieux voir la structure des galaxies (par exemple les anneaux doubles). La question qui se pose, c'est le processus qui aboutit à la formation des anneaux polaires (dans deux plans) : par accrétion ou collision ? Après un passage, les étoiles se répartissent en périphérie et le gaz se concentre selon un axe perpendiculaire au plan des étoiles. Par accrétion, le gaz seul est piégé. On peut tester la forme de la matière noire en 3D (3 dimensions) quand il y a deux plans.

Les galaxies elliptiques sont le résultat ultime d'une fusion entre galaxies. Elles ne tournent pas, les vitesses de leurs constituants sont désordonnées, c'est la "pression" qui les aplatit. On trouve aussi des galaxies naines de marée, comme La Guitare, Arp105. Elles sont sans doute dépourvues de matière noire. Il se forme beaucoup plus d'éléments au centre qu'au bord. - Image dans le visible de la collision entre la galaxie spirale Arp 105 et une galaxie elliptique. Les forces de marée produisent un gigantesque arc de matière au bout duquel se trouvent une galaxie bleue compacte et un système semblable aux nuages de Magellan. Ces deux objets seraient nés du recyclage de la matière arrachée à la galaxie spirale. (Cliché CFHT/CEA) -

Dans l'évolution d'une galaxie, un trou noir de taille très massive de l'ordre du million ou du milliard de masses solaires joue un grand rôle et explique le phénomène de noyaux de galaxies très actifs. Dans notre Voie lactée, le trou noir est petit, environ 3 millions de masses solaires. Lorsqu'on fait une photo infrarouge du centre de la Voie lactée, rectifiée par optique adaptative, sur le VLT (Very Large Telescope), on peut mesurer le mouvement propre de chaque étoile du centre. Elles effectuent une trajectoire très keplerienne, où l'on constate une très forte accélération lorsqu'elles passent à proximité du trou noir dont le rayon d'action assez petit explique qu'elles ne soient pas avalées. Le trou noir envoie un flash tous les quarts d'heure, cela signifie qu'une boule de gaz tourne autour en un quart d'heure, on constate ainsi un sursaut dans l'infrarouge du trou noir de la galaxie.

La matière noire stabilise la barre d'une galaxie et elle a des effets sur la formation et la destruction de cette barre. Dans notre Voie lactée, les amas globulaires (amas stellaires très denses) sont en bordure - il s'en forme partout, mais ils sont détruits avec le temps -. Lors d'une accrétion, par exemple en étoile binaire, l'une "avale" le gaz de l'autre, ou bien il y a échange de gaz. Dans le cas des interactions de galaxies, elles restent entières, il y a seulement échange de matière. Tout l'univers est en expansion. Les éléments les plus lointains paraissent aller le plus vite, on peut en déduire ainsi les distances entre galaxies. - Fig. GAIA en train de cartographier les étoiles de la Voie Lactée - Le programme a été approuvé par l'ESA en 2000, et le lancement est prévu pour 2011 - (Crédits : ESA) -. - F.C. "Souris" -

Les photos que l'on fait des interactions galactiques évoquent des images météo. Ce qui est comparable, c'est la rotation. Mais la physique du gaz est différente car, dans l'espace, il n'y a pas de pression, les atomes ou les molécules qui le composent sont trop peu denses (quelques dizaines de milliards d'atomes par centimètre cube - à comparer avec notre atmosphère, qui en compte des milliards de milliards par centimètre cube), seul le phénomène de la gravité domine. Après la collision entre la Voie lactée et la galaxie d'Andromède, aucun changement ne sera constaté sur Terre, sauf si le système solaire est pris dans une queue de marée, ce qui permettrait de voir la Voie lactée par le dessus (dans 2 milliards d'années, n'oublions pas !). Lors d'une collision de nuages de gaz interstellaire, on constate une augmentation de la température que le gaz dissipe très rapidement (en 10 000 ans) par rayonnement pour refroidir aussitôt.

Au début de l'univers, que l'on peut observer grâce au télescope spatial Hubble, les galaxies étaient très petites et très nombreuses. Puis, elles ont fusionné progressivement tout en continuant à poursuivre la création d'étoiles et de galaxies. Au fur et à mesure que l'univers s'accroissait en volume, le nombre des interactions entre galaxies a diminué, l'univers a commencé à vieillir : sa capacité à produire de nouvelles étoiles s'est réduite. Si l'expansion s'accélère comme cela semble le cas, les galaxies se dilueront d'autant plus vite dans un vide toujours plus immense, et, faute d'interactions, elles mourront. - Fig. : Images du Hubble Space Telescope des 3 galaxies étudiées par l'équipe à une époque d'environ la moitié de l'âge de l'Univers (en haut). Les mêmes galaxies ont ensuite été observées avec FLAMES/GIRAFFE sur le Very Large Telescope (VLT) de l'ESO (en bas), pour obtenir leur cinématique. -

Françoise Combes termine ainsi son exposé sur cette note mélancolique. Avons-nous fait pour autant le tour de la question ? J'en doute. Comme pour tous les scientifiques actuels, sa réflexion se fonde sur des équations mathématiques qui modélisent (en le simplifiant infiniment) le fonctionnement de l'univers, tel que nous le percevons, et elle s'appuie sur l'utilisation d'instruments toujours plus perfectionnés qui hypertrophient notre vue dans toutes les longueurs d'ondes électro-magnétiques. Elle a foi en un monde intelligible, fonctionnant de façon rationnelle. Bien que l'humanité fasse partie intégrante de cet univers dont elle se considère comme une sorte d'aboutissement, la communauté scientifique pose comme une évidence qu'elle soit capable de porter un regard "objectif", comme extérieur, sur le monde auquel elle appartient, à l'instar d'un exercice d'introspection, qui pourrait s'analyser comme une sorte de dédoublement en pensée, afin de pouvoir réfléchir sur soi-même.

Cependant, l'univers est-il réductible à cela ? Premier "miracle", les simulations informatiques montrent que, si un seul des paramètres des lois qui semblent le régir était modifié, ne serait-ce que d'un iota, notre monde ne pourrait exister - lois relatives aux principes d'interaction, interactions nucléaires fortes et faibles, forces électromagnétiques et gravitationnelles -. Deuxième "miracle", les scientifiques pensent désormais que les composants organiques se forment dans les froidures extrêmes des espaces intersidéraux par le bombardement des gaz interstellaires sous le rayonnement hautement énergétique émis par les étoiles, et que les planètes doivent présenter des conditions tout à fait extraordinaires pour pouvoir les accueillir et les assembler pour constituer des organismes vivants, selon une "recette" encore à découvrir.

Tout se passe comme si l'univers, dans sa "conception" même, avait en projet l'avènement de la vie. La logique que nous décelons dans l'échelonnement des événements désarçonne. Les premières étoiles apparues après le Big Bang sont "mortes" et leurs "décombres" ont fourni les matériaux pour la constitution de nouvelles étoiles plus massives qui ont produit en leur coeur, de fil en aiguille, ces éléments lourds, carbone, oxygène, qui constituent les briques du vivant. Troisième "miracle", notre pensée même pose question, la présence de l'esprit. Dans un univers aussi logique et orienté, l'esprit est-il présent dès le départ et en est-il un composant, ou bien émerge-t-il progressivement dans les organismes vivants, gagnant en complexité au même rythme que leur évolution ?

SOMMAIRE

POUR ALLER PLUS LOIN, bibliographie et liens Internet donnés par Jean-Claude Gavet, membre d'Astronomie Côte Basque :

Quelques livres:
Françoise Combes: "Mystères de la formation des galaxies, vers une nouvelle physique?" Dunod avril 2008
Marc Lachièze-Rey: "Au-delà de l'Espace et du temps, La nouvelle physique", Le Pommier octobre 2008
Trinh Xuan Thuan: "Les voies de la lumière, physique et métaphysique du clair-obscur", Fayard 2007
Les livres de Jean-Pierre Luminet "Les trous noirs" 1987, "L'invention du big bang" 2004, "L'univers chiffonné" 2001
Dossier Pour la Science n°62 janvier-mars 2009: De quoi est fait l'Univers?

Quelques comptes-rendus de conférences par JP Martin (PlanetAstronomy) :
CONFÉRENCE "MATIÈRE NOIRE ET DYNAMIQUE DES GALAXIES" par Françoise COMBES. Lundi 15 Juin 2009
Voir aussi tous les liens "Pour aller plus loin" en fin de compte-rendu.
CONFÉRENCE de Françoise COMBES De l'Observatoire de Paris (LERMA) "LA MATIÈRE NOIRE DANS L'UNIVERS et peut-on s'en passer?" organisée par la SAF, le Samedi 26 janvier 2008 à l'occasion de la réunion de la Commission de Cosmologie

La matière noire et la formation des structures dans l'Univers : compte-rendu de la conférence de Romain Teyssier du 6 Juillet 2009 à l'Unesco
L'EXPOSITION : COSMOS, UN CHEMINEMENT JUSQU'AUX CONFINS DE L'UNIVERS

A propos du "tenseur de matière-rayonnement local" évoqué dans l'échange de mails ci-dessous, lire le livre de Roger Penrose : " A la découverte des lois de l'univers, la prodigieuse histoire des mathématiques et de la physique", Ed. Odile Jacob juin 2007

ECHANGE DE MAILS AVEC FRANCOISE COMBES (24 et 25 août 2009) :

1) Remarque de F.C. à la lecture du texte qui lui a été soumis à appréciation :

F.C. La relativité générale se réduit la plupart du temps à la loi de Newton, heureusement ! Lorsque l'on calcule la chute des corps sur Terre par exemple, on n'utilise pas la déformation de l'espace, et les exercices de mécanique pour les lycéens en sont très simplifiés. De même pour les galaxies. On utilise la Loi de la Relativité Générale d'Einstein uniquement autour des trous noirs, ou pour l'expansion de l'univers, et les lentilles gravitationnelles.
On peut négliger les effets quantiques dans ces périodes (300 000 ans après le Big Bang). Il y a juste un gaz ionisé qui se recombine pour former de l'hydrogène, purement classique.

2) Questions de C.C-E et réponses de F.C. :

C.C-E. Je crois avoir compris pourquoi vous n'utilisez que la loi de Newton, mais ce que vous ne me dites pas, c'est quel univers vous imaginez, vous qui le fréquentez intimement. Pensez-vous réellement qu'il s'applique une force de gravité, est-elle selon vous "instantanée", sans support physique, ou bien générée par une particule, quelle qu'elle soit ? Vous dites que les systèmes stellaires, les galaxies, les amas et les super-amas gardent leur cohésion grâce à la gravité et réussissent à lutter contre les effets de l'expansion de l'univers. Pouvez-vous me dire comment vous imaginez que c'est possible, sans me répondre uniquement, c'est l'application de la loi untel ? Vous avez vu dans mon texte que ce qui me gêne, c'est la notion de vide. Même si vous n'avez pas à vous le représenter pour expliquer les galaxies, pourriez-vous me dire ce que vous en pensez, si ce qu'en disait Einstein a un sens pour vous, ou bien si vous rejetez totalement cette représentation géométrique (en calculs, d'accord, mais pour vous représenter l'univers en "réalité") ? Je n'ai pas compris non plus ce qui était fractal : les gaz interstellaires, les amas et super-amas ? ou bien est-ce que les amas et super-amas prennent la forme de galaxies et ont les mêmes comportements ?

C.C-E. Mais ce que vous ne me dites pas, c'est quel univers vous imaginez, vous qui le fréquentez intimement. Pensez-vous réellement qu'il s'applique une force de gravité, est-elle selon vous "instantanée", sans support physique, ou bien générée par une particule, quelle qu'elle soit ?
F.C. Il y a plusieurs façons de voir, et la force de gravité qui s'applique quasi instantanément est vraiment la meilleure représentation à l'échelle des galaxies, comme à l'échelle des phénomènes terrestres. Bien entendu, on sait très bien en changer dès que le contexte le demande, et l'on applique alors la métrique appliquée à l'espace.
C'est un peu comme pour la mécanique quantique, je suppose que vous ne calculez pas la probabilité de présence de votre boule de pétanque en décomposant son paquet d'ondes, mais faites de la mécanique simple de son centre de gravité pour calculer sa trajectoire. Au lieu de 6 pages d'équations, vous n'avez qu'une seule ligne, et le calcul sera plus exact!

C.C-E. Vous dites que les systèmes stellaires, les galaxies, les amas et les super-amas gardent leur cohésion grâce à la gravité et réussissent à lutter contre les effets de l'expansion de l'univers. Pouvez-vous me dire comment vous imaginez que c'est possible ?
F.C. Mais tout le monde le fait tous les jours, on isole un problème particulier, en négligeant les effets de bord ou à grande échelle, ce qui est toujours justifié. Lorsque l'Univers atteint la densité critique, l'expansion s'arrête et s'inverse en effondrement, c'est ce qui se passe dans la galaxie, ou l'amas de galaxies, où l'univers a atteint la densité critique.

C.C-E. Vous avez vu dans mon texte que ce qui me gêne, c'est la notion de vide. Même si vous n'avez pas à vous le représenter pour expliquer les galaxies, pourriez-vous me dire ce que vous en pensez, si ce qu'en disait Einstein a un sens pour vous, ou bien si vous rejetez totalement cette représentation géométrique (en calculs, d'accord, mais pour vous représenter l'univers en "réalité") ?
F.C. Mais l'univers n'est pas vide, justement, il y a de la matière, du rayonnement, etc... partout jusqu'à l'infini... Et les équations d'Einstein relient la géométrie de l'Univers au tenseur de matière-rayonnement local. Le fond de rayonnement cosmique est homogène et uniforme, donc même si on a peu de matière, on aura toujours des photons! Il y en a aujourd'hui en moyenne 400 par cm3, à 3°Kelvin.

C.C-E. Je n'ai pas compris non plus ce qui était fractal : les gaz interstellaires, les amas et super-amas ? ou bien est-ce que les amas et super-amas prennent la forme de galaxies et ont les mêmes comportements ?
F.C. Il y a plusieurs fractals dans la nature, et le fractal du milieu interstellaire est celui qui s'étale sur le plus d'ordres de grandeur d'échelle : de 10 AU (1 Unité Astronomique = 150 millions de km) à 100 pc (1 parsec = 200 000 AU). Bien sûr tous les fractals se développent entre une échelle minimale et une échelle maximale. Le fractal des galaxies se développe entre 100 kpc (100 000 parsec) et 100 Mpc (100 millions de parsec).

 

L'association Astronomie Côte Basque invite au Château d'Abbadia, en partenariat avec la fondation de l'académie des sciences, Françoise Combes, astrophysicienne, astronome à l'observatoire de Paris.
Naissance et vie des galaxies
25 juillet 2009