Les moyens et les techniques utilisés dans la construction reflétaient les ressources dont disposaient les propriétaires. La chaumière, construite directement à partir des matériaux disponibles dans ses proches alentours, la pierre, le bois, la terre, le chaume, était la moins onéreuse et la plus répandue autrefois. Sur des fondations et un soubassement de pierres (souvent du silex), pour la stabilité, la protection du bois et l'isolation par rapport à l'eau, sont dressées des poutres (le colombage) auxquelles nous trouvons souvent beaucoup de charme car elles suivent les circonvolutions des troncs minces de chêne à partir desquels elles ont été grossièrement équarries et qui font douter de leur réelle capacité à soutenir la charpente...

Les vides sont comblés par du torchis, grossier mélange de terre, de paille et d'eau, technique connue dès le Néolithique et utilisée couramment par les Celtes. Ma soeur Sophie, architecte, me précise que le torchis offre la propriété d'une excellente isolation thermique. Le chaume est l’un des plus vieux matériaux de couverture. Il est constitué de tiges de Poacées (graminées) récoltées à la fin de l'été ou en automne lorsqu'elles sont sèches, et qui peuvent être remplacées par la paille de blé, de seigle ou de roseau. Débordant largement des murs, il les protége des intempéries, protection doublée parfois d'un enduit apposé sur les parois, composé d’un mélange de chaux, de terre, de sable et de paillettes de lin. Pour être étanche, le toit de chaume doit avoir une forte pente. Ainsi, pour que sa hauteur reste raisonnable, la maison doit être étroite, quitte à être très longue : c'est ce qui explique la forme caractéristique de la chaumière normande traditionnelle ; celle-ci se compose souvent d'une succession de pièces communiquant entre elles et possédant chacune une fenêtre et une porte vers l'extérieur. Dans la construction traditionnelle, le toit de chaume est surmonté d'un lit de terre argileuse dans lequel sont plantés des iris. La prolifération des rhizomes de la plante assure la fixation de l'extrémité des tiges de roseau.

En ville, les chaumières ont disparu. Les maisons à pans de bois sont couvertes d'ardoises ou de tuiles plates, l'enduit à la chaux protège les façades dont la disposition des poutres offre mille variantes, pour le plus grand plaisir du visiteur. Les avant-toits des maisons plus hautes qu'à la campagne n'offrent plus de protection suffisante contre la pluie et le soleil, et les murs se couvrent de plaques d'ardoise, de tuile ou de bois, suspendues verticalement. Une maison offre une solution originale, avec des plaques superposées à l'horizontale entre les interstices, qui ont dû nécessiter un temps fou pour la mise en place.

Le nom de certaines rues rappelle des métiers d'autrefois. La rue de la seille évoque celui de la lingère qui portait à la rivière sa lourde charge de textiles dans un récipient à grande contenance (la seille), muni de deux "oreilles", qui servait aussi à baigner les enfants. En y glissant une corde en guise d'anse, cette bassine permettait également de transporter les liquides, et en particulier le moût tiré du pressoir.

Il ne faut pas oublier que la Normandie est grande productrice de cidre. Nous visitons le musée du village de Rosay, dont la collection a été constituée par un passionné qui amasse des objets depuis l'âge de trois ans ! Sa femme (charmante au demeurant) n'en pouvait plus, elle a craqué et lui a interdit de continuer à envahir la maison... Il a donc créé dans les bâtiments annexes de la propriété des pièces à thème, la pomme et le cidre (qui a donné son nom au musée), la forge, la classe (une salle de classe a été entièrement reconstituée avec ses accessoires, tableaux, livres, cahiers, bureaux, etc.), la boulangerie avec la construction à l'ancienne de deux fours à pain aux formes bombées dépassant à l'extérieur du bâtiment, le coiffeur-barbier, et j'en passe. Voici les indications qu'il fournit pour élaborer un cidre artisanal, dont il montre l'ensemble du matériel, assorti d'affiches et de revues Rustica.

Les grandes étapes pour la fabrication traditionnelle du cidre. 1/ Broyage des pommes. En déchirant la pulpe, cela permet au jus de s'échapper plus facilement lors du pressurage. Les tours à piler. Auge circulaire en pierre où une meule verticale roulait sur les pommes, entraînée par un cheval. Difficiles à tenir propres, encombrants, ils ont peu à peu été remplacés par des broyeurs ou grugeoirs, à noix ou à cylindre. Les pommes sont placées dans une trémie. Pressurage. Il faut sortir le jus de la pulpe broyée. Lorsqu'il est fabriqué du cidre en petite quantité, les pressoirs discontinus à vis fixe et écrou mobile sont utilisés. On serre progressivement par l'intermédiaire de mécanismes variés, par le mouvement oscillatoire d'un levier manoeuvré à la main. Le jus recueilli est ensuite mis dans des fûts.

Pour 100 Kgs de pommes, on obtient 61 litres de pur jus après la première pression avec une densité moyenne de 1055 et qui donne un cidre de 6 à 9°. A la deuxième pression, on soutire 26 litres de densité 1029 donnant un cidre de 3 à 3,5°. A la troisième pression on extrait enfin 25 litres de densité 1012 donnant un cidre de 1 à 1,5°. En mélangeant le pur jus avec les cidres de deuxième pression, on obtient les "cidres marchands" de 4 à 5°.

Le retrempage. Après avoir démonté le marc et et versé à nouveau de l'eau dessus, l'opération décrite ci-dessus est reconduite. Cette retrempe était utilisée pour la boisson quotidienne qui était ainsi moins alcoolisée.

La fermentation. Elle est due au développement des ferments ou levures qui transforment le sucre en alcool et acide carbonique. Celui-ci se dégage sous forme de bulles qui donnent l'impression que le liquide est en train de bouillir. Les levures, pour se développer, ont besoin de beaucoup d'oxygène, qu'elles peuvent extraire de l'air ou des sucres contenus dans le jus de pommes. Les levures décomposent d'autant plus de sucre qu'elles se trouvent enfermées à l'abri de l'air, mais la fermentation s'effectue lentement. Elle accélère si on aère le jus.

La défécation du moût est entraînée par la fermentation qui commence après la sortie du moût du pressoir. Les levures se multiplient et la fermentation se manifeste par de petites bulles. A la surface du jus apparaît une sorte d'écume brune, le chapeau brun, tandis que la lie tombe au fond. Le liquide du milieu est "déféqué", c'est à dire qu'il a subi ainsi une épuration physique, chimique et microbienne. La densité est alors de 1028 à 1035 et le cidre peut être soutiré. Il faut éviter que le cidre ne reste en contact avec les lies, même si le cidre a bouilli au dehors (fût rempli complètement, le chapeau ayant été projeté au dehors). Le soutirage doit s'effectuer par beau temps froid et sec (vent du Nord) et à l'abri de l'air, en deux ou trois fois. Le cidre est transvasé dans des fûts bien nettoyés grâce le plus souvent à un tuyau de caoutchouc plongeant jusqu'au fond du récipient à remplir. La seule partie du liquide en contact avec l'air est la couche supérieure. On arrête dès que le cidre soutiré devient trouble.

La mise en bouteilles (de préférence en verre foncé, avec des bouchons de bonne qualité, souples, non poreux) est un excellent procédé de conservation du cidre. C'est la densité qui détermine le bon moment pour y procéder : elle doit être de 1012 à 1013. Plus la fermentation avance, plus la richelle en sucre et en gaz carbonique diminue. C'est le gaz carbonique qui permet de conserver le cidre complètement à l'abri de l'air.

Le poème qui suit est exposé aussi dans le musée de la pomme et du cidre de Rosay.

La Pomme

Il s’appelait Adam
Elle se prénommait Eve
Et ils étaient tout nus
A l’ombre d’un pommier.

Eve cueillit la pomme
Et y croqua dedans
La tendit à son homme
Qui s’empomma bêtement.

Eve pressa le fruit
Adam but tout le jus
Trouva que c’était bon
Et puis se reposa.

Eve en fit une réserve
Et le jus fermenta
Ils en burent un peu trop
Alors Dieu les chassa.

Fuyant le Paradis
Ils marchèrent longtemps
Jusqu’à la Normandie
Où il pleuvait souvent.

Mais pour mieux digérer
Le châtiment divin
Ils distillèrent le jus
Calvados il devint.

Et cherchant le bonheur
Par un précieux mélange
Ils trouvèrent le pommeau
Qui nous envoie aux anges.

L’arbre de la sagesse
C’est bien sûr le pommier
Puisqu’il donne l’allégresse
A ceux qui ont trinqué.

Texte de Jacques Viquesnel

 

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Cathy et Jean-Louis avec Sophie, Charles et Agnès
Normandie
Lundi 27 juillet au dimanche 2 août 2009