En
2002, j'avais éprouvé un plaisir extraordinaire à construire
de mes propres mains une sphère
armillaire, sous la direction de membres de la Société d'astronomie
populaire
de la Côte
basque (SAPCB). Ce fut une expérience précieuse,
de constater que j'étais capable de réaliser un instrument
aussi beau - et opérationnel
-, alors que je n'avais aucune habitude du bricolage ni d'activités
manuelles quelles qu'elles soient (en
dehors de mes tâches de mère de famille, qui demandent
tout de même
des facultés très diverses).
En
conséquence, je n'ai pas hésité longtemps lorsqu'il
s'est agi de libérer
trois jours pour construire un nouvel
instrument astronomique ancien, le nocturlabe. S'il nous restait un
peu de temps, nous devions en outre confectionner un petit cadran solaire
équatorial portatif en fin de stage. -
Photo : Jacques Auriau au premier plan, avec, derrière, Céline
Davadan, Gérard
et Hervé
-
Nous nous sommes donc rendus au château d'Abbadia où Céline Davadan, la conservatrice, mettait à notre disposition les cuisines et locaux annexes, dans le cadre de la coopération de la Fondation de l'Académie des sciences avec notre association. Précisons-le tout de suite : la réputation de la vie de château est très surfaite, au quotidien elle est parfaitement inconfortable. Les murs épais de la cuisine située au sous-sol, où nous avons installé notre atelier, maintiennent une fraîcheur qui frise en plein hiver la température d'une glaciaire ! Dès le premier jour, j'ai attrapé froid et lutté avec force cachets contre des velléités de poussées de fièvre ! Heureusement que l'ambiance excellente et la bonne humeur du groupe apportaient en compensation une solide chaleur humaine. Nous nous sommes donc équipés comme pour le ski, ce qui ne facilitait pas vraiment les manipulations...
La
technique, éprouvée depuis de longues années,
consiste à faire les découpes circulaires du
bois (du contreplaqué de 5 et 8 mm pour le nocturlabe et du
balsa pour le cadran) à l'aide d'un cutter ! Pour les autres
découpes, nous avons
eu le choix
entre
le
cutter,
une petite scie manuelle et la scie sauteuse (ô combien) apportée
gentiment par Gérard pour faciliter (ou bousiller) la tâche.
Nous avons ainsi appris le B A BA : avant toute chose, poncer les planches
avec énergie,
ce dont nous nous sommes acquittés consciencieusement, sans
avoir la moindre idée du moment où cela devait cesser.
Certains ont donc arrêté
très tôt, et d'autres ont persisté très
tard, ce qui a induit dès le
départ un décalage dans l'exécution des maquettes.
Pourtant, Jacques s'évertuait à rappeler à l'ordre
ceux qui cherchaient à avancer trop
vite, au risque de faire des erreurs, faute d'avoir écouté les
instructions
à venir !
Dans la pratique, j'ai constaté que le contreplaqué, même s'il bénéficie de qualités indéniables de solidité et d'un bon rapport qualité-prix, ne me semble pas égaler du bois plein (que je n'ai jamais travaillé). Les couches fines se superposent, coupées sans trop se préoccuper du fil du bois ni de la présence de défauts qui se manifestent dès la phase du ponçage : des échardes s'arrachent tout d'un coup, creusant la surface, et une forte granulosité due probablement à l'agression des scies électriques du menuisier persiste à hérisser le bois que nous ne pouvons trop creuser, au risque de nous retrouver sur la couche inférieure qui doit présenter les mêmes irrégularités. D'autre part, pour le contreplaqué de 8 mm d'épaisseur (très épais pour une technique de coupe au cutter), je soupçonne la couche du milieu, plus sombre, d'avoir été prise dans un bois nettement plus coriace qui nous a posé de gros problèmes de creusement.
Nous
avons tracé au compas et à la règle les limites
des instruments et les graduations à l'aide de schémas
préparés par Jacques à l'ordinateur
et imprimés sur papier : cela nous évitait l'étape
de calculs fastidieux qui auraient peut-être dépassé nos
capacités mathématiques et le temps imparti. Ensuite,
nous avons percé le centre de chacune des deux planches à l'aide
d'une vrille
maintenue
bien verticale
à
travers
un
petit pavé
de bois
que
nous avions
préalablement
utilisé pour le ponçage, car il permettait ainsi une
meilleure préhension
du papier de verre (astucieux !). Nous prenions soin de nous positionner
légèrement
en dehors de la table (monument historique !) pour ne pas l'érafler à travers
la nappe de protection. Nous avons
également troué le "martyre" (la grande planche qui protégeait
la table) et une baguette plate de bois tendre qui allait nous servir
de réglette
et d'outil à découper
en cercle.
Passant
dans les trous un crochet métallique en
L à l'intérieur
en guise de pivot, nous avons fait dépasser la lame
du cutter d'un à deux millimètres sous la baguette
que nous avons fait tourner autour de son axe sans trop appuyer,
juste
pour inscrire une
rainure qui nous servirait de guide. Il
a fallu passer ensuite aux choses sérieuses : tourner et retourner,
en avançant à chaque fois
d'un quart de cercle, puis, quand la planche a été suffisamment
fendue, la renverser sur l'autre face pour procéder de même
et faire la jointure (il fallait attendre le "craaac" caractéristique
qui nous indiquait qu'il ne nous restait plus qu'à sortir le disque
de son cadre : qu'est-ce que nous l'avons espéré, ce bruit !).
Heureusement
que les hommes étaient là ! Cette méthode est
parfaite quand on a beaucoup de temps devant soi : on a le bois à l'usure, à force
de passer et
de repasser avec le cutter par les mêmes endroits. Mais en
l'occurence, il fallait avancer, et les hommes, qui avaient rapidement
terminé leur
tâche
en appuyant très fort à chaque
quart de tour, ont mis tout leur poids - et leur bonne volonté -
pour finir de creuser les planches des dames. Ah ! Le travail était
parfait, il n'y avait
pas
plus circulaires
que
ces disques-là ! Aucune scie n'aurait pu faire un travail
aussi régulier.
Le lendemain, nous avions toutes, malgré cette aide efficace,
des courbatures dans le dos, les épaules et les bras... Ce
que c'est que de faire un travail inhabituel : on se découvre
des muscles là où on n'en soupçonnait
pas !
L'un
des disques servant d'horloge comporte des dents que nous avons dessinées
puis découpées. La
plupart a préféré la
scie sauteuse, qui faisait un boucan du diable et faisait trembler à l'unisson
la table sur tréteaux qui la supportait. Parfois, la lame entraînait
le disque dans une direction imprévue,
s'emballant un peu en suivant le fil du bois, et quelques dents ont
pris des formes plutôt originales. Tout instrument nécessite
un apprentissage, et ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'effort à
faire, puisque le moteur remplace notre musculature, que le maniement
est aisé. J'ai préféré la
scie manuelle, que je maniais totalement à mon rythme, en
maîtrisant à peu près la direction.
Jacques
m'a conseillé de commencer en marquant d'une petite fente le
point de départ, choisi parallèlement au trait de crayon
plutôt que dessus,
car
la morsure de la lame est large, elle empiète rapidement
sur le crayon si l'on n'y prend pas garde, et tend même à obliquer
vers l'intérieur
de la dent (comme cela s'est passé parfois avec la scie sauteuse).
La différence,
c'est qu'au rythme où j'allais, je pouvais rectifier le tir.
Jacques qui passait dans la pièce pour inspecter le cours
des travaux est venu coincer mon disque avec un serrre-joint bienvenu.
Comme cela, je n'avais
plus à me préoccuper de maintenir la planche, mais
simplement à diriger la scie qui semblait prise parfois d'une capacité de
mouvement autonome et d'initiative : elle préférait
suivre le fil du bois, plutôt que d'aller dans le sens que je souhaitais.
J'ai
fini par ruser : comme pour le vélo, il ne fallait
pas regarder le point où travaillait la scie mais plutôt
le lieu où
je voulais qu'elle aboutisse. Cela a fonctionné ! Par contre,
j'ai effectué comme les autres la découpe du manche et de l'alidade
à la scie sauteuse, en passant bien au large du trait pour ne pas
risquer de dégâts.
Les
irrégularités ont été effacées avec les limes, d'abord une grosse,
lorsque la découpe était franchement trop éloignée
du trait, puis une fine pour la finition. Puis nous avons agrandi le
trou au centre à la
perceuse électrique
avec des forets de plus en plus gros (pour obtenir des bords plus propres
et ne pas risquer de faire éclater le bois), jusqu'à obtenir
le diamètre
de la vis creuse que nous devions insérer tout à la fin du processus à travers
toutes les pièces superposées, fixées avec un écrou
de part et d'autre. En ce qui me concerne, malgré toutes ces précautions,
le bois a tout de même éclaté en échardes et le résultat n'était pas
bien beau dessous. Heureusement que la rondelle et l'écrou allaient
cacher ces défauts...
Après
avoir de nouveau poncé les disques, nous avons abandonné le métier
de menuisier (menuisière ?) pour nous armer de pinceaux. Nous
avions repassé toutes les graduations au bic noir par-dessus le crayon
pour qu'elles soient bien visibles sous les deux couches de
vernis que nous avons étalées, d'abord de l'incolore, puis un de
couleur miel, chêne moyen ou chêne foncé. Chacun avait sa technique,
Jacques disait de peindre en suivant les rayons à partir du centre,
Rose, qui est très manuelle, assurait qu'il valait mieux suivre les
fils du bois. Après coup, je me suis aperçue de plusieurs défauts dus
à mon inexpérience.
J'aurais
dû prendre moins de vernis sur le pinceau, en le frottant davantage
sur le bord du pot, car les coulures sur le
bord des parties d'instrument et même sur l'autre face induisaient
un épaississement peu esthétique, très visible car il était plus foncé.
Elles s'étaient
aussi
écoulées
dans l'orifice central, et il a fallu les gratter au couteau, la vis
ne pouvait pas pénétrer à l'intérieur ni mordre les rainures.
Deuxième difficulté
: attendre suffisamment que la première couche soit sèche, sinon
un vernis de couleur différente se mêle au précédent et s'y dissout
quasiment,
empêchant d'obtenir le contraste souhaité. Troisième difficulté :
pour le séchage, nous n'avions pas beaucoup de place où étaler nos
oeuvres
et chacun se débrouillait comme il pouvait, en dressant les disques,
manche et alidade sur la tranche, ou bien en posant sur un récipient.
J'ai
choisi de les laisser sur le papier journal qui servait de protection
aux établis du château, sans prévoir que le phénomène des coulures,
que je n'avais pas encore remarqué, collerait irrémédiablement le
journal au bois verni. Résultat, malgré un ponçage intensif, le papier
encré
est resté incrusté sans pouvoir y remédier, causant des tâches noirâtres
du plus mauvais effet ! Pour l'autre face, on m'a conseillé d'insérer
entre papier et bois vernis les petits tasseaux de bois issus de
nos découpes, pour surélever le tout. C'était mieux, mais pas la panacée,
car ils se collaient aussi...
Entre
chaque couche, il fallait patienter pendant le séchage, une occasion
précieuse d'échanger les uns avec les autres. Jacques en a profité
pour préparer à l'ordinateur des roses des vents dont chacun pouvait
sélectionner les couleurs de son choix avant l'impression sur transparent
autocollant. J'ai
préféré en utiliser une seulement pour graver sa forme à l'arrière
de mon instrument, que
j'ai peinte ensuite de couleurs bois contrastées : une décoration
à la carte ! Rose a peint ses dents de couleur miel, tandis que je
faisais un effet "marqueterie" en alternant la couleur du vernis
dans les petits carrés du calendrier sur le disque inférieur.
Les
heures et les mois ont été préparés par Jacques sur son ordinateur
et tirés sur transparent autocollant de façon à ce que lettres et
chiffres soient alignés correctement : cela donnait un petit air
professionnel à l'instrument terminé.
Une
fois les instruments vissés, nous sommes passés à la confection du
petit cadran solaire équatorial. Même technique, avec un matériau nettement
plus tendre et plus fin : le travail a avancé plus rondement, heureusement,
car nous n'avions plus guère le coeur à tourner et retourner notre
plaque pour la découper. Il fallait tout de même faire attention, car
ce n'était plus des cercles complets, mais
des demi-cercles qu'il fallait creuser, et surtout ne pas sortir le
disque intérieur tant que le tour
n'avait pas été convenablement creusé, sinon nous ne pouvions plus
tenir l'instrument, devenu trop fragile sans son armature intérieure
! Enfin, nous en sommes venus à bout dans les temps, économisant l'étape
du vernissage pour simplement coller le socle maintenant l'instrument
en position verticale.
N'oublions pas les recommandations finales pour l'utilisation
des instruments. Le nocturlabe est un instrument qui permet de déterminer
l'heure pendant la nuit et qui a été utilisé du XVIe au XIXe s. Tout
d'abord, nous plaçons l'unique grande dent qui marque minuit devant
la date
en faisant
tourner
le
petit cercle
des heures sur le grand cercle du calendrier. Maintenant
serrés dans cette position le manche et les deux disques tenus à la
verticale,
nous repérons l'étoile polaire dans le ciel à l'extrémité de la queue
de la Petite Ourse et, rapprochant le nocturlabe, nous la visons par
l'orifice central puis
éloignons progressivement l'instrument toujours vertical en gardant
au centre l'étoile polaire.
Repérant ensuite la constellation de la Grande Ourse dans le ciel,
nous faisons pivoter l'alidade, jusqu'à aligner l'étoile polaire avec
les deux "gardes", Dubhé et Mérak. La position de l'alidade indique
l'heure, lue directement sur le cercle supérieur, ou bien à tâtons
en comptant les pointes des dents à partir de la plus grande qui indique
minuit. Si le capitaine possédait en plus un "garde-temps", c'est à
dire qu'il avait gardé l'heure de son port d'embarquement, la différence
entre les deux horloges indiquait le chemin parcouru en terme de longitude,
sur l'axe Est-Ouest.
En effet, la Terre effectuant un tour complet,
soit 360°, en 24 heures, une heure correspond à 15°, les positions
s'exprimant en mer plus facilement en angles qu'en milles marins, à
ces époques lointaines.
Le petit cadran solaire pliable possède une graduation
à sa base qui lui permet d'être réglé à la latitude du lieu, soit 43°21
pour Hendaye, 43°29 pour Anglet (on arrondit à 43°, l'instrument n'étant
pas assez finement gradué pour faire la différence). Si nous savons
très exactement où se trouve la direction du Sud, nous positionnons
l'instrument correctement, et
l'ombre portée par le fil tendu sur l'arc horizontal perpendiculaire
au premier donne l'heure solaire (si on
est en hiver, il faut ajouter une heure, et en été, deux heures pour
avoir l'heure de la montre). Inversement, si on connaît l'heure donnée
par la montre, on en déduit l'heure solaire en retranchant une ou deux
heures suivant la saison et on positionne l'instrument de façon à ce
qu'il l'indique avec l'ombre projetée du
fil sur le cadran.
Ainsi, le cadran solaire nous indique précisément l'axe Nord-Sud et
peut servir
de boussole. - Christian adresse un petit
discours en forme de compliment à chacun des participants avant de
lui attribuer un diplôme de fin
de stage. -
Petit
apparté sur la fabrication du contreplaqué : "L’okoumé est
une essence de bois tropicale qui est récoltée au Gabon,
en Guinée Equatoriale et au Congo. C’est
un bois léger (densité 0,4 à 0,5) de couleur rose-rouge
qui se prête très bien au déroulage. Il est très
apprécié pour la fabrication de contreplaqué car
sa qualité est homogène et il fournit une régularité d’état
de surface permettant d’excellentes finitions (vernis, peinture).
Les contreplaqués à base d’okoumé sont faciles à usiner
et, avec un collage adapté, peuvent être utilisés
dans des applications extérieures." Une
archive d'un document de
la FAO sur le plan de développement forestier dans les territoires
tropicaux de l'Union française, remontant à 1946, met en
valeur l'ancrage colonial de l'exploitation de l'okoumé dans ces
pays africains. Voici un commentaire extrait d'un autre document de
la FAO qui lui fait suite : "Le seul point que
les forêts africaines de la zone intertropicale aient de commun
entre elles, est qu'elles sont habitées par des populations encore
assez primitives et dont le mode de vie est, en général,
néfaste à la forêt."
Dans
un document rédigé en
1961, après la décolonisation, et diffusé par le
CIRAD (centre de recherche français qui -dixit- "répond,
avec les pays du Sud, aux enjeux internationaux de l’agriculture
et du développement"), l'état des lieux de l'exploitation
de l'okoumé met en relief la situation suivante : "Depuis
40 ans que l'exploitation de l'okoumé a débuté (dans
les années 20), les régions de sortie et d'exploitation
facile sont actuellement pratiquement épuisées, et d'ailleurs
dorénavant réservées à l'exploitation par
les autochtones. C'est donc souvent à 200 et parfois 300 km à l'intérieur
que doivent travailler les exploitations actuelles, ce qui pose des problèmes
de défrichement, de construction de routes, de transport, qui
ne peuvent être abordés que par des moyens très puissants."
En 2010, la situation a évolué -en pire- (Source : Article de
la Tribune de Genève). Depuis la seconde guerre mondiale, les Asiatiques
sont entrés dans la danse,
avec la même mentalité que les Français de l'ère coloniale : l'exploitation
à outrance des forêts africaines sans se préoccuper de leur renouvellement
ni des conséquences sur l'économie locale. Résultat, des espèces d'arbres
disparaissent, la biodiversité dans les forêts diminue (ce ne sont
pas les mêmes arbres qui repoussent après la coupe), sans parler des
conséquences au plan économique et social pour la population africaine
dont les
dirigeants
corruptibles
laissent se commettre ces exactions. 60% des exportations, principalement
de grumes, s'effectue en direction des pays asiatiques (96% vers la
Chine). "Contrairement à l'idée
reçue, la
part de l'Europe est très faible dans la consommation des bois
tropicaux – entre 4 et 5 % de la consommation mondiale de grumes,
sciages et contreplaqués, en équivalent bois rond -.
L'Asie, elle, consomme près de 70 % des produits tropicaux bruts
ou de première transformation."
Organisation : SAPCB Astronomie Côte Basque ; Animateur : Jacques Auriau ; Stagiaires : adhérents de l'association (Gérard, Hervé, Christian, Rose, Michèle, Marie-Jeanne, Michèle-Mimi, Cathy) + 2 non adhérentes (Sylviane et Cathy) ; Lieu : Château d'Abbadia à Hendaye. | Stage de construction
d'un nocturlabe et d'un cadran solaire équatorial |
Du 24 au 26 février 2010 |