SAPCB : Exposé de Cathy Constant-Elissagaray
Aux sources de la sphère armillaire
Vendredi 4 janvier 2013

Sommaire

logo_sapcbLa sphère armillaire : une somme de plus de 3000 ans de réflexion sur le monde

 sphere_armillaireDe l’astronomie à la mesure du temps

Il y a quelques semaines, Christian vous a décrit en détail la sphère armillaire et il vous a montré quelques exemples d’informations qu’il était possible d’extraire de cet instrument remarquable.
Quant à moi, je me suis intéressée à l’histoire. J’ai effectué une petite enquête pour répertorier les éléments de la sphère armillaire qui proviennent des civilisations plus anciennes, afin de comprendre la manière dont les Grecs les ont assimilés pour ensuite les dépasser et créer une synthèse originale. - Photo : Sphère armillaire réalisée par Fernand Layan, ancien membre de la SAPCB. -  

De la représentation sumérienne du monde à la sphère céleste d’Hipparque
sumerIl ne faut pas imaginer les populations de façon statique. Non seulement les peuples se déplacent, le pouvoir change, mais également, les cultures s’influencent mutuellement. C’est vrai aujourd’hui, et c’était aussi vrai autrefois. Donc, lorsque l’on parle des Mésopotamiens, des Egyptiens, des Grecs, c’est une simplification réductrice. Toutefois, avec le recul historique, il est vrai qu’on distingue des différences de mentalité qui éclairent les réalisations de ces peuples pourtant voisins.
Par exemple, les Mésopotamiens considéraient que tous les phénomènes étaient l’œuvre des dieux. Toutefois, à l’inverse de la civilisation grecque qui se développera par la suite, ils ne voyaient pas dans le fonctionnement normal du cosmos la manifestation d'une intelligence suprême organisatrice de l'univers : au contraire, c’étaient les anomalies qui, pour eux, étaient le signe de la présence divine. 
Seuls les devins professionnels savaient les interpréter. Nommés bârû, «les  examinateurs», ils scrutaient les événements ou les objets inattendus ou anormaux – qu’ils considéraient comme des présages - pour y déchiffrer les morceaux d'avenir que les dieux y avaient inscrits. De ces présages, les bârû déduisaient et lisaient les oracles. - Illustration : Sumer, cosmologie mythique. -

atlas_cielCette divination s'appliquait à tout, depuis la position et les mouvements des astres jusqu'aux phénomènes de la nature, aux songes de la nuit, à la disposition des entrailles du mouton ou de l'oiseau sacrifiés.
Inventeurs de l’écriture cunéiforme au IVe millénaire avant notre ère, à une époque voisine de l’invention des hiéroglyphes par les Egyptiens, on peut suivre l’évolution de leur pensée pendant près de 35 siècles. Ces documents écrits témoignent d’une activité intense et organisée d'observations, notamment du ciel, car les Mésopotamiens croyaient que la vie humaine dépendait de la position des astres. Ils imaginaient que le ciel était le miroir de la terre et parfois même du palais (ainsi, le carré de Pégase figurait Babylone, capitale du Sud de la Mésopotamie à partir du IIe millénaire). Les 7 « astres errants » étaient des messagers, leur position par rapport aux astres fixes avait une signification qu'il fallait déchiffrer. - Photo : Collection Farnèse, aujourd'hui exposée au Musée archéologique national de Naples. Ce marbre du IIe siècle - qui figure le titan Atlas, un genou en terre, soutenant le globe céleste où figurent 41 constellations. Leurs positions relatives en tenant compte de la précession de la Terre révèlent une date de réalisation de 125 avant J.-C., avec une incertitude de 55 ans. C'est donc Hipparque qui doit en être l'auteur. -

cuneiformeIl s’agit du Soleil, de la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Ils étaient associés à des divinités remarquables qui étaient vénérées à tour de rôle (afin d'éviter des colères et des jalousies divines inutiles). Leurs noms vont être associés aux jours de la semaine dans la plupart des langues européennes.
Déterminer la course de tous ces astres permettait l'établissement d'un calendrier, mais également la prédiction d’événements importants pour une société rurale. Ils pensaient que s’ils arrivaient à prévoir les phénomènes célestes avec suffisamment d’avance et d’exactitude, ils pourraient prendre leurs dispositions grâce à des moyens surnaturels ou rituels. Dans cette société hiérarchisée, c’était la protection du prince et de la cité qui était la finalité dominante de cette divination.
Ainsi, ils étudièrent attentivement tout ce qui se rapportait au lever et au coucher du soleil. Ils s’inquiétèrent de l’apparition des comètes, toujours considérée comme néfastes. Les présages associés aux éclipses avaient une interprétation qui dépendait d'autres paramètres. Dans certains cas, une éclipse pouvait être favorable :
Ce fut le cas pour Sargon, le 24 octobre 714, au cours de sa 8e campagne contre ses voisins d'Ourartou, l'éclipse devenant présage d'une victoire annoncée.
Le souverain pouvait se protéger du «mal de l'éclipse», censé être mortel : il lui suffisait de disparaître pendant 100 jours, en mettant sur le trône à sa place, avec tous les attributs royaux, un de ses sujets que l'on ferait empoisonner, et le tour était joué ! Certains princes ont utilisé ce subterfuge pour faire disparaître des opposants.
Seuls les résultats de ces observations étaient consignés sur les tablettes, mais les Mésopotamiens n’ont pas mentionnés les moyens pour y arriver, ni quels instruments étaient employés. Les représentations cartographiques paraissent tardives.
La civilisation mésopotamienne a perduré pendant le développement de la civilisation grecque et le début de la civilisation romaine, donc les langues qui se pratiquaient dans le Croissant fertile et l’écriture cunéiforme étaient encore bien vivaces en cette fin de millénaire avant notre ère. Les savants grecs les connaissaient et les pratiquaient, ils ont donc eu accès à ces observations accumulées pendant 35 siècles pour créer leur propre système. Les variations du lieu et de l’heure des lever et coucher du soleil au cours de l’année, les variations de la hauteur du soleil en un lieu donné et en des lieux de latitudes différentes étaient des acquis mésopotamiens qui ont été exploités pour réaliser la sphère armillaire, de même que le repérage de l’écliptique dans le ciel. - Photo : Tablette en écriture cunéiforme, Mul Apin. -

Cosmologie
Par contre, les Mésopotamiens n’ont pas élaboré de cosmologie au sens scientifique du terme. Vivant dans un lieu de brassage culturel intense, ils ont plutôt développé plusieurs explications mythiques du monde.
Le premier document connu, datant du IIème millénaire avant notre ère, décrit un univers à huit cieuxenchâssés les uns dans les autres.
Au 10e siècle avant notre ère, à Babylone, l'univers est constitué d'un océan primordial que les dieux ont séparé en deux, avec les eaux du haut et les eaux du bas.

shamashCette représentation de l’univers sera conservée par les Hébreux au retour de l'exil, après 538 ; elle figure explicitement dans le récit de la création au début du livre de la Genèse. Le monde est conçu comme une bulle immergée dans une mer primordiale. Cette conception influencera la cosmologie égyptienne et présocratique.

Le soleil et le rythme journalier
Très tôt, les Mésopotamiens ont su relier l’espace et le temps, scandant la durée grâce à l’observation des phénomènes astronomiques cycliques. Le premier phénomène astronomique cyclique est bien sûr l’alternance jour - nuit. Dans le domaine social et religieux, les Mésopotamiens n’ont eu de cesse d’affiner au cours des millénaires la connaissance de la durée exacte de ce couple. On leur attribue l’invention de la clepsydre, où l’eau s’écoulait d’un récipient en une période de temps déterminée.
Là aussi, la sphère armillaire se fait l’écho de cette recherche, puisqu’elle possède un anneau sur lequel figure un calendrier qui permet de repérer les variations de position du soleil (et éventuellement des planètes) sur l’écliptique. - Photo : Enûma Anu Enlil Venus Ammisaduqa. - Illustration : Bas-relief de la « Tablette de Shamash », représentant le dieu Shamash, assis sur son trône et faisant face à son symbole de disque solaire, et à gauche le roi babylonien Nabû-apla-idinna  introduit par un prêtre et une divinité protectrice (IXe s. avant notre ère, British Museum) -

La lune et le rythme mensuel
lever_shamashLe deuxième cycle astronomique qui intéresse les Mésopotamiens est celui de la succession des phases lunaires sur un rythme mensuel. Les premiers textes astrologiques qui subsistent datent de l’ère paléo-babylonienne. Les prédictions étaient alors basées sur la position de la Lune dans le ciel, en particulier sur sa position lors de l’apparition du premier croissant au début de chaque mois. Elles ne s’appliquaient pas aux individus, mais plus généralement au futur du pays, à ses récoltes, à ses guerres ou ses épidémies. - Illustration : Sceau-Cylindre représentant une scène de culte rendu au Dieu-Soleil Shamash. -

L’année
Avec le développement des activités agricoles, les Mésopotamiens réalisèrent probablement assez tôt qu’il n’y avait pas une correspondance simple entre le cycle des mois lunaires et celui de l’année solaire. dieu_luneDe 1 800 à 400 avant notre ère, les astronomes-astrologues établirent un calendrier luni-solaire, basé à la fois sur le mouvement apparent de la Lune et celui du Soleil. A la base, l’année était formée de 12 mois lunaires, le mois ayant une longueur variable de 29 ou 30 jours. L’année basée sur le mouvement du Soleil durant un peu plus que 12 mois lunaires, ceux-ci se décalaient progressivement par rapport au cycle des saisons. Les paléo-babyloniens ajustaient donc leur calendrier de base en intercalant un treizième mois lorsqu’ils le jugeaient nécessaire, environ tous les trois ans. Initialement, cet ajout n'était pas fondé sur une règle bien déterminée. Progressivement, la décision d'intercaler un mois fut prise en fonction de données astronomiques.
Au 6ème siècle av. J.C., l'intercalation était fondée sur un cycle très précis, 235 mois lunaires correspondant à 19 années solaires (soit 19 années lunaires et 7 mois). Il s'agissait d'un cycle qui sera connu plus tard sous le nom de cycle de Méton, un astronome grec qui remarqua cette coïncidence aux environs de -432, comme le fit l'astronome chaldéen Kidinnu vers -380. akkadCe cycle était utilisé pour prédire les éclipses.
Durant les 400 années précédant notre ère, les Mésopotamiens concentrèrent leur intérêt sur la prédiction précise du moment d’apparition du croissant lunaire suivant la Nouvelle Lune et ils se servirent de ce phénomène pour déterminer la durée exacte du mois lunaire. Les tablettes cunéiformes montrent que les Babyloniens avaient résolu ce problème avec une justesse de quelques minutes. Ils arrivèrent à ce résultat en compilant des tables précises d'observation qui révélaient de petites variations dans la vitesse apparente du Soleil et de la Lune. Ces variations, ainsi que les changements dans la latitude de la Lune, furent analysés numériquement en notant comment ces variations changeaient de façon régulière et prévisible avec le temps. Les Babyloniens utilisèrent ces mêmes méthodes numériques pour prédire des éclipses solaires et lunaires. - Photos : Le roi Melishipak II de Babylone (1186–1172) présentant sa fille à la déesse Nanaya, détail d'un kudurru retrouvé à Suse. Tablette akkadienne (-2000) Dieu-Lune Sîn, Dieu-Soleil Shamash, Etoile à 8 branches Dishtal, Dieu Anu et Enlil, Poisson-Chèvre, Dieu de l’eau Ea. -

Tablettes astronomiques et éclipses
babyloneLes Babyloniens furent de très grands observateurs. On a ainsi retrouvé dans la bibliothèque d'Assurbanipal à Ninive (vers 650 avant notre ère) un grand nombre de tablettes astronomiques dont les plus anciennes remontent au XXe siècle avant notre ère. On y trouve notamment des tables donnant la liste des éclipses passées et tentant de prédire celles à venir. Ils parvinrent d'ailleurs, à l'époque des Sargonides (VIIIe et VIIe siècles avant notre ère) à prédire de façon empirique ces phénomènes particulièrement redoutés, qui leur semblaient de sinistre augure. On a retrouvé des tablettes d'argile contenant des éphémérides lunaires, à partir desquelles les astronomes de l'époque séleucide (vers 311 avant notre ère) calculaient la durée du mois lunaire. La plus ancienne observation babylonienne relative à une éclipse solaire totale, et que l'on puisse dater avec certitude, remonte au 15 juin de l'an 763 avant notre ère. Néanmoins la périodicité de telles éclipses avait été reconnue plus tôt, probablement dès le IIIe millénaire avant notre ère. La découverte du cycle du Saros (cycle des éclipses de lune et de soleil en 18 années et 10,3 jours) constitue, sur ce point, une des contributions les plus remarquables de l'astronomie babylonienne. L'excellente qualité de ces observations, qui à l'origine étaient consignées surtout dans un but astrologique, permit pourtant le calcul d'importantes données astronomiques et la découverte de phénomènes astronomiques d'envergure (notamment la précession des équinoxes, attribuée à Hipparque).

carte_my_orient

Quelques exemples peuvent rendre compte de l'exactitude de certaines données obtenues : la durée moyenne entre deux phases lunaires semblables (mois synodique ou lunaison) est, selon l'astronome Narubi'annu (fin du IIIe siècle avant notre ère) de 29,530641 jours et selon l'astronome Kidinnu (vers 380 avant notre ère) de 29,350589 jours. Notons que la valeur moderne est de 29,530588 jours.
L'apport de l'astronomie babylonienne est considérable et rendit possible nombre de découvertes attribuées aux Grecs grâce à leurs relevés d'observations. L'astronome Claude Ptolémée affirmait disposer de la quasi-totalité des relevés d'éclipses depuis le règne de Nabonassar (~747-734 avant notre ère).

zigguratJe pense que, de ce point de vue, la sphère armillaire est bien loin de représenter la somme de toutes ces  connaissances. Pour les prendre en compte, il aurait fallu y adjoindre au moins un autre cercle, celui de l’orbite lunaire. Quant aux planètes, nous savons bien le casse-tête que la détermination de leurs orbites a posé aux astronomes jusqu’à Copernic et même au-delà, tant que l’on est resté dans un système géocentrique, avec la Terre immobile au centre du monde.

L’ombre du soleil (gnomon, polos) et les saisons
Illustration : Maquette du Pergamon Museum proposant une reconstitution de la ziggurat de Babylone, Etemenanki (« Maison-fondement du Ciel et de la Terre »), car ce serait là que Marduk aurait créé le monde suivant la mythologie locale ; elle est sans doute la source d'inspiration de la Tour de Babel.

Bien qu’aucun instrument n’ait pu être retrouvé dans les sables d’Irak, les spécialistes croient cependant pouvoir avancer que les Mésopotamiens ont utilisé le gnomon, le polos et l’armille graduée pour effectuer leurs observations astronomiques.

gnomon_soleilLe gnomon

Le mouvement apparent du Soleil était donc probablement étudié en observant les déplacements de l’ombre portée par un gnomon (c’est à dire un piquet planté verticalement) sur une surface horizontale. La direction de l’ombre la plus courte dans la journée indique le plan méridien Nord-Sud. L’ombre la plus courte de l’année à midi indique le solstice d’été et la plus longue le solstice d’hiver, l’équinoxe de printemps et d’automne apparaissant lorsque l’extrémité de l’ombre parcourt une ligne droite du matin au soir. Ces observations permettaient de repérer le début des saisons, de faire le lien avec l’obliquité de l’écliptique (l’angle du plan de l’écliptique avec celui de l’équateur céleste), et de calculer la latitude d’un endroit précis (soit, le jour de l’équinoxe, 90° - l’angle formé par la hauteur du soleil indiquée par l’ombre du gnomon à midi).

gnomonAB : Ombre au Solstice d'été
AC : Ombre aux deux Equinoxes
AD : Ombre au Solstice d'hiver
AT est le GNOMON
T : La Terre qui flotte au centre du Monde
Nous constatons dans ces schémas que la seule analyse de l’ombre du gnomon induisait une représentation du monde qui sera matérialisée par les Grecs dans la sphère armillaire. Dans le ciel se trouvaient projetés l’équateur terrestre et les deux tropiques du Cancer et du Capricorne entre lesquels semblait se mouvoir le soleil au cours de l’année.

Le polos

La tradition attribue au Babylonien Bérose (vers 270 av. J.-C.) la transmission aux Grecs d'un cadran solaire plus perfectionné que le gnomon, à savoir le polos, ou scaphé.
Une autre source indique que le perfectionnement du gnomon pendant les VIe-Ve siècles av. J.-C. a entraîné l’apparition du polos qui représente l’archétype des cadrans solaires construits ultérieurement dans tout le monde gréco-romain. À partir du IVe siècle av. J-C., le polos a été utilisé à grande échelle dans les cités grecques, et perfectionné par les astronomes de l’époque hellénistique.
dame_au_polosLe cadran hémisphérique le plus simple était tourné vers le ciel et orienté selon l'axe nord-sud ; un gnomon horizontal, dont l'extrémité coïncidait avec le centre de la sphère, projetait dans la concavité une ombre, permettant ainsi de représenter les principaux cercles de la sphère céleste (correspondant à la projection des tropiques du Cancer et du Capricorne, et de l’équateur). On lit l'heure sur la partie comprise entre les deux tropiques divisée en douze parties. Les arcs des saisons et les lignes horaires sont des cercles. Tous ces cadrans antiques ont deux points communs : ils indiquent des heures appelées temporaires ou inégales, et seule l'extrémité de l'ombre est à prendre en compte. - Illustration : Statue retrouvée dans le temple d'Ishtar à Mari, dite "Dame-au-polos" - Musée du Louvre -

scaphe_carthage1Par définition, l'heure temporaire est la douzième partie de l'intervalle de temps compris entre le lever et le coucher du Soleil. C'est donc une heure à durée variable ; à la latitude 30° par exemple, une heure temporaire dure 70 minutes en été et 50 minutes en hiver. A la latitude 45°, une heure temporaire dure presque 80 minutes en été, contre 40 minutes en hiver, soit une variation du simple au double. Il n’y a qu'aux équinoxes que l'heure temporaire dure 60 minutes ; on l'appelle alors heure équinoxiale.
scaphe_carthage2Cette division en 12 heures de jour et 12 heures de nuit, qui remonte aux Égyptiens, a perduré au moins jusqu'à la Renaissance. Cette élasticité de la durée de l'heure, qui nous paraît aujourd'hui étrange, ne posait cependant pas trop de problèmes, l'écart avec l'heure équinoxiale ne devenant sensible qu'aux latitudes européennes. L'avantage des heures temporaires, dont la sixième heure correspond à midi, est évident dans la vie courante, car à chaque instant on peut savoir dans combien de temps le Soleil se couchera ou depuis combien de temps il est levé, la durée du jour étant invariablement de 12 heures. Il est presque superflu d'ajouter que la notion de précision et la perception du temps dans l'Antiquité n'avait rien à voir avec nos besoins actuels. - Photos : Scaphé de Carthage, Musée du Louvre. -

scaphe3La construction d’un cadran solaire nécessitait de connaître la latitude de l’endroit où celui-ci allait être utilisé (l’angle formé, en un lieu donné, par la verticale du lieu avec le plan de l’équateur). Les astronomes grecs ont conçu la latitude comme étant le rapport entre la longueur du gnomon et celle de son ombre mesurée à l’heure de midi les jours d’équinoxe. Eudoxe de Cnide (399-355 av. J.-C.) a calculé pour la première fois la latitude de la ville de Cnide ; en mesurant le rapport qui s’établit entre la longueur du gnomon et la longueur de son ombre à l’heure de midi des jours de l’équinoxe, il a obtenu la valeur réelle de 3/4. Au IIe siècle av. J.-C., Hipparque a réalisé les tableaux des latitudes complétés ultérieurement par le célèbre géographe Ptolémée (100-170 ap. J.-C.)
Le traçage de l’analemme d’un cadran solaire supposait aussi la connaissance de la valeur de l’obliquité de l’écliptique – l’angle formé entre le plan de l’écliptique et le plan de l’équateur céleste ; la découverte de l’obliquité de l’écliptique a été attribuée à Pythagore, Anaximandre de Milet et à Œnopides de Chios ; selon Vitruve, cet angle mesure 24º, une valeur très proche de la valeur réelle de 23º26’.

latitude_equinoxes

lionLe lever héliaque des étoiles et l’année

Les Sumériens (vers le IIIe millénaire avant notre ère) groupèrent les étoiles en constellations et apprirent à reconnaître les planètes.
Les constellations les plus anciennes comme le lion, le taureau, le scorpion et le capricorne remontent à cette civilisation.
Les Mésopotamiens – et les Egyptiens - commencèrent à relier deux paramètres particuliers, l’un diurne et l’autre nocturne. Vivant dans la plaine alluviale entre le Tigre et l’Euphrate ou dans celle du Nil, ils bénéficiaient d’un climat méditerranéen plus sec et les conditions d’observation du ciel nocturne étaient bien meilleures que sur notre côte atlantique. - Photo : Lion, animal attribut de la déesse Ishtar, Babylone (Nabuchodonosor II) - Le Louvre -
shamashIls remarquèrent donc qu’avant l’aube, du côté où le soleil allait se lever, la configuration d’étoiles se modifiait insensiblement de jour en jour et de nouvelles étoiles apparaissaient à date fixe avec une périodicité d’un an. C’est ce que nous appelons le lever héliaque des étoiles, hélios signifiant le soleil en grec. Mieux que cela, pour s’orienter plus facilement dans le ciel, ils déterminèrent des groupes d’étoiles, que nous appelons maintenant des constellations, et marquèrent en écriture cunéiforme sur leurs tablettes d’argile leur retour périodique, toujours dans la direction du soleil levant.
Dès 2400 BC, à Ebla en Syrie, la constellation des Pléiades est mentionnée. Cette constellation joue un rôle particulier à cette époque, car son lever héliaque a lieu vers l'équinoxe de printemps (Nippour), date de début d’une année qui ne comporte que deux saisons. Mais certaines cultures conservent un début d'année à l'équinoxe d'automne, (comme le calendrier hébreu par exemple). - Photo : Sceau-cylindre Shamash, musée du Louvre. -

constellationsDes textes ultérieurs évoquent la Lune, le Soleil, les planètes, les fixes, mais aussi les saisons ou les longueurs des ombres. Dès le début du IIe millénaire à Mari se trouve la mention du lever d'Arcturus et d’une théorie des éclipses déjà constituée. On dispose également, à partir du Ier millénaire, d'éphémérides indiquant notamment les conjonctions des planètes avec les étoiles fixes. Les observations astronomiques sont suivies et servent à l'étude des mouvements célestes. On note, dans l'ensemble de ce corpus, une volonté progressive de mathématiser l'astronomie. Le ciel est une grosse horloge. Des constellations sont identifiées pour servir de référence : Toujours au premier millénaire, à Babylone, 66 constellations sont utilisées, dans trois zones circulaires autour du pôle, les voies d'Enlil, d'Anou et d'Ea, du nom des dieux de l'atmosphère, du ciel et du monde souterrain respectivement. A Ninive, on dispose de 700 tablettes d'annales historiques et astrologiques datant également du premier millénaire. Un planisphère circulaire du 7e siècle, en argile cuite, y a été retrouvé, qui porte 8 secteurs et mentionne une vingtaine de constellations. chevreauOn trouve un zodiaque à 36 «champs», avant le zodiaque classique à 12 cases, en zone équatoriale, qui n'apparaît qu'au 5e siècle, sous l’empire néo-babylonien. - Photo : Une tablette d'astronomie retrouvée dans la Bibliothèque d'Assurbanipal de Ninive (VIIe siècle av. J.-C.) : représentation de constellations. British Museum. -

L’établissement de cette correspondance entre les étoiles et le soleil fut primordiale, car la nuit, les astronomes savaient désormais reconnaître dans le ciel ces constellations qui pavaient le chemin du soleil au cours de l’année. Encore empreints de la culture de Sumer qui avait développé un système numérique sexagésimal, basé sur le nombre 60 et dont le calendrier correspondait sans doute d’abord au cycle lunaire, les Babyloniens s’arrangèrent pour que ces constellations soient réparties régulièrement sur l’année, évaluée d’abord grossièrement à 360 jours, selon un rythme correspondant de 10 jours pour 36 constellations, puis (à partir du 6e s. avant notre ère) de 30 jours, pour 12 constellations remarquables, qui furent ultérieurement appelées le Zodiaque, un mot issu du grec zodiakos [kyklos], « cercle de petits animaux », de zodiaion, diminutif de zoon : « animal ». Ce nom vient du fait que toutes les constellations du zodiaque (sauf la Balance, anciennement partie du Scorpion) figurent des créatures vivantes. Le soleil fait ainsi en une année un cercle complet, à raison d’un degré par jour, et de 30° par mois.

ecliptiqueL’armille

Les astronomes mésopotamiens ne s'éloignaient pas de ce qui était directement observable. Ils utilisaient un système de coordonnées angulaires, en prenant l'écliptique comme repère, soit la course annuelle apparente du soleil dans le ciel. Le degré (°) est peut-être à l'origine un hiéroglyphe représentant le soleil. Le degré comme la 1/360 partie du cercle est utilisé par les Babyloniens et les Égyptiens (année de 365 jours en 12 mois de 30 jours + 5 jours épagomènes). Pour exprimer la longitude, ils avaient divisé l'écliptique en arcs ayant pour appellation la principale constellation qu’ils contenaient. La position d'un astre s'exprimait en donnant sa latitude par rapport à l'écliptique (positive ou négative) et sa longitude en degrés d'un signe du zodiaque (12° du bélier).

enumaUne fameuse série de tablettes de l’ère cassite (paléo-babylonienne) (1595–1157 BCE), Enuma Anu Enlil (1950–1595 BCE), montre une évolution vers des prédictions basées sur la position apparente des planètes dans le ciel, en particulier Vénus et Mars. Vénus est alors associée à Ishtar, la déesse de l’amour, et ses pérégrinations sont supposées permettre des prédictions sur l’amour et la fertilité. Par contre, la planète Mars est associée à Nergal, le dieu de la guerre et des enfers, et les prédictions se rapportent à des futurs conflits et guerres.
Une des tablettes de l'Enûma Anu Enlil est particulièrement connue : la tablette 63 ou tablette de Vénus d'Ammisaduqa (la date de la première version est estimée entre 1646 et 1626 avant JC). Cette tablette, qui liste les levers et les couchers de Vénus sur 21 ans, constitue le premier texte établissant un mouvement astral périodique : ils prennent note de la date du premier lever de la planète Vénus comme « étoile » du soir et de son dernier coucher comme « étoile » du matin. Ils réalisent aussi que l’étoile du matin et l’étoile du soir ne sont qu’un seul et même astre. - Photo : Tablette Enuma Anu Enlil. -

mul apinUne approche plus systématique de l’observation du ciel est décrite dans un ensemble de tablettes qui datent de l’époque assyrienne, vers l’an -1000, et ont survécu jusqu’à nos jours : les tablettes Mul Apin. Celles-ci classent les étoiles et constellations en trois groupes bien délimités et associés à trois dieux. Au Nord Enlil, le dieu du vent, le long de l’équateur céleste Anu, dieu du ciel, et au Sud Ea, dieu des eaux douces. La grande majorité des constellations dans ces tablettes correspondent à celles du monde grec et sont donc à l’origine de l’organisation du ciel que nous utilisons aujourd’hui. Le Mul-Apin (dont la première version date probablement de 1200 à 1000 avant JC) est composé de trois tablettes comprenant un catalogue de 71 étoiles et constellations, avec leurs relatifs, la position des planètes, la durée des nuits pendant une année, tout cela accompagné de présages concernant le pays. On y trouve des références à l'Etoile des Etoiles ou les Sept Dieux (les Pléiades), le Jeune Bœuf du Paradis (la constellation du Taureau), le Berger Fidèle du Anu (Orion), le wagon du Paradis (la Petite Ourse) et l'étoile qu'elle contient : l'Héritier du Temple Sublime (l'Etoile Polaire) et bien d'autres encore. Les étoiles étant décrites les unes par rapport aux autres, cette tablette donne la première carte céleste connue (même si elle n'est pas explicitement dessinée). - Photo : Tablette Mul Apin. -

Sous l’empire néo-babylonien va s’établir un enregistrement plus détaillé, systématique et ininterrompu du mouvement de la lune, des éclipses, des conjonctions avec des étoiles brillantes, mais aussi d’évènements non astronomiques comme tremblements de terre, épidémies et niveau des eaux. Les astronomes babyloniens découvrent en particulier que le cycle des éclipses se répète tous les 18 ans (le cycle de Méton). Ces observations précises et continues vont permettre aux astronomes babyloniens de prédire à l’avance de nombreux mouvements et phénomènes, par exemple le déplacement quotidien de la lune par rapport aux étoiles, le moment où des éclipses peuvent se produire, ou bien l’intervalle de temps entre le lever et le coucher du soleil. A Babylone, au 3e siècle BC, des almanachs très précis, établis avec des formules empiriques fournissent des éphémérides remarquables pour la position des planètes. Il faudra attendre le "miracle grec" pour que l’on commence à s’interroger sur la nature de ces étoiles vagabondes et qu’apparaissent les premiers modèles géométriques du monde. Ptolémée, dans son Almageste (150 après J.-C.), affine la mesure des angles en faisant intervenir les chiffres suivants en base 60, alors en usage, « partes minutae primae » (première petites subdivisions) et « partes minutae secondae » (deuxièmes petites subdivisions). Cela conduit à nos minutes et nos secondes.

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L’Egypte

siriussothisSirius et le calendrier solaire
A l’époque de l’Egypte ancienne, la crue du Nil se produisait tous les ans autour du 19 juillet. Pure coïncidence, c’est aussi à cette époque que l’étoile la plus brillante du ciel, Sirius, appelée Sothis en grec et Sopdet en égyptien, avait son lever héliaque et faisait donc sa première apparition de l’année. Comme la crue du Nil allait fertiliser les terres et nourrir le peuple, l’observation du lever héliaque de Sirius, et plus généralement du ciel nocturne, devint un élément essentiel de la civilisation égyptienne. En basant leur mesure du temps sur le mouvement apparent du Soleil, plutôt que sur les cycles de la Lune, les Egyptiens inventèrent le calendrier solaire. Comme le lever héliaque de Sirius se produisait approximativement tous les 365 jours et nuits, ils divisèrent l’année en 365 jours. Comme le cycle de la Lune durait à peu près 30 jours et nuits, ils divisèrent l’année en 12 mois de 30 jours, chaque mois étant encore divisé en trois décades de 10 jours.
isis-sothisEnfin, pour arriver à un total de 365, ils ajoutèrent cinq jours supplémentaires, appelés les jours épagomènes, qui devinrent des jours de célébration des dieux Osiris, Seth, Isis, Nephtys et Horus. Comme l’année astronomique ne dure pas exactement de 365 jours, le calendrier égyptien dérivait doucement par rapport au cycle de la voûte céleste, d’environ une journée tous les quatre ans. La crue du Nil ne coïncidait donc avec le début officiel de l’année que tous les 1460 ans, une longueur de temps qu’on a baptisé la période sothiaque. Il faudra attendre que Jules César instaure le calendrier julien et ses années bissextiles en 45 avant notre ère pour que le calendrier soit mieux aligné sur les astres. - Photos : Sirius (ou Sopdet ou Sothis) - Isis-Sothis (vache surmontée d'une étoile). -

Une journée de 24 heures

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Les Egyptiens inventèrent aussi le découpage du jour en 24 heures. Pour mieux se retrouver dans la voûte céleste et mesurer le passage du temps, ils découpèrent le ciel en petits groupes d’étoiles bien reconnaissables qui se levaient les uns après les autres au cours de la nuit. Pour coïncider avec les décades de 10 jours, chaque groupe d’étoiles avait été choisi de telle façon que son lever héliaque soit séparé du précédent de 10 jours. On comptait donc 36 groupes d’étoiles, qu’on baptisa les décans. Puisque la longueur de la nuit dépend des saisons, le nombre de décans observables pendant une nuit est variable. Mais au début de l’été, à l’époque du lever héliaque de Sirius, la nuit ne dure qu’environ 8 heures et seuls 12 décans sont observables. Ce nombre fut pris – de manière un peu arbitraire - comme base du nouveau système. Le principe fut étendu à la journée, elle-même découpée en 12 heures. C’est ainsi que les Egyptiens établirent la journée de 24 heures que nous utilisons encore. - Photos : Ci-dessus : "Livre du jour" (en bas) et "Livre de la nuit" (en haut) sur le sceau de la tombe de Ramses VI dans la vallée des Rois. Ci-dessous : Portion de l'actuel zodiaque rectangulaire de Dendera, dans le temple d'Hathor. -

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Photo ci-dessous : Bas-relief néo-assyrien de Ninive du VII siècle av. J.-C. représentant un scribe écrivant sur une tablette d'argile et un autre sur un papyrus ou parchemin, British Museum.

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Lien vers ma page sur la sphère armillaire écrite en 2002

Sources documentaires (non exhaustives)
 
Histoire de l'astronomie, Les débuts de l’astronomie
L'astronomie mésopotamienne
L'astronomie mésopotamienne et l'art divinatoire des Babyloniens
Theories of the motions of the sun and the moon
Sumerian : Astronomy and calendars
Histoire de l'astronomie : la Mésopotamie
Notices sur les documents astronomiques mésopotamiens
Histoire de l'astronomie, L’astronomie en Mésopotamie
Histoire de l'astronomie, L’astronomie de l’Egypte ancienne
Histoire de l'astronomie, L’astronomie grecque
L'Atlas Farnèse
L’astronomie en terre d’Islam
Histoire de l'astronomie, Nicolas Copernic
Histoire de l'astronomie, Tycho Brahe
Palais de la découverte, Cadrans solaires arabes, Denis Savoie
L'armille : Babylone, mesure des angles
Nouvelles contributions à l’étude des cadrans solaires découverts dans les cités grecques de Dobroudja

SOMMAIRE

Réactions : Je me suis moi-même penchée sur cette sphère armillaire à Lisbonne. La sphère armillaire est un élément récurrent de l'iconographie portugaise. Aussi bien sculptée dans la pierre que peinte sur des azulejos dans la décoration de tous les monuments manuéliens. J'ai dû moi-même en peindre quelques unes dans ma formation de céramiste. Au Portugal, l'initiateur est le roi Henri le Navigateur qui avait réuni au Cap Saint Vincent des géographes et des savants astronomes pour partir à la conquête du monde. On la retrouve actuellement comme déco en haut des lampadaires à Lisbonne, spécialement dans mon quartier de Belem....de trés jolies lampes de table aussi. MNO