Conférence aux Ecuries de Baroja (Anglet) : Société d'Astronomie Populaire de la Côte Basque (Cathy Constant-Elissagaray)

Les théories dans lesquelles s’enracine l'exobiologie

Mardi 11 décembre 2012

sapcb_logologo_barojaIntroduction

La SAPCB dont je suis membre fait venir régulièrement depuis 2002 des scientifiques spécialistes de l'exobiologie, une discipline qui se rapporte aux origines de la vie sur Terre et à la quête de la vie ailleurs que sur Terre.  Cette science pluridisciplinaire a émergé à la suite d’une réflexion longue de plusieurs millénaires sur le monde, ou plus exactement de représentations très diverses du monde qui se sont opposées les unes aux autres tout autant qu’elles se sont enrichies mutuellement.

amibeCe soir, je vais retracer schématiquement l’évolution des pensées qui a permis l’avènement de cette nouvelle science, en privilégiant quatre axes : les réflexions sur la matière qui nous compose, qui sont indissociables des réflexions sur l’univers dans lequel nous vivons, les réflexions sur la lumière qui nous éclaire et celles sur les êtres vivants. - Photo : Amibe vue au microscope électronique. -

democrite1/ La matière

Remontons au Ve siècle avant notre ère pour évoquer tout d’abord la figure d’un homme remarquable, à la culture encyclopédique, Démocrite d’Abdère.

Il vécut de 460 à 370 avant notre ère dans la cité grecque d'Abdère qui avait été conquise, 20 ans avant sa naissance, par le roi des Perses, Xerxes Ier. Résidant au confluent de plusieurs cultures, il fut d'abord éduqué par des mages perses qui lui apprirent la théologie et l’astronomie. Puis il fut sans doute le disciple de Leucippe, promoteur de la théorie atomiste, avant de faire un long voyage lorsqu'il eut hérité de son père. L'empire perse s'étalait alors sur une grande partie du pourtour méditerranéen. Il apprit la géométrie auprès des prêtres d’Égypte où il demeura 5 ans. Il aurait également voyagé en Babylonie et en Inde, où il aurait rencontré des gymnosophistes (des sages qui étaient tellement indifférents aux contingences matérielles qu’ils allaient nus). Il serait même allé en Éthiopie, ainsi qu’à Athènes, où il aurait rencontré le philosophe Socrate, mais sans s'en faire connaître. - Illustration : Démocrite, Antoine Coypel, huile sur toile, Musée du Louvre. -

platon-caverneDe retour à Abdère, il réfléchit à tout ce qu'il avait appris et il en fit une synthèse originale. Suivant un raisonnement logique, il en déduisit que l'immense diversité de  la Nature devait se réduire à l'expression d'une simple dualité, le plein et le vide. Il pensait qu’en décomposant le plein, c’est à dire la matière, on arrivait à des particules ultimes, insécables, les atomes, qui se déplaçaient de manière tourbillonnaire dans le vide. Leur réunion ou leur séparation constituaient les modifications des choses sensibles, du soleil jusqu’à l’âme, en passant par tous les éléments (feu, eau, air et terre). Démocrite pensait que la Voie lactée était un amas immense d’étoiles, et qu’il devait y avoir une infinité de mondes gouvernés par des forces créatrices aveugles dans un monde infini. Il ne croyait pas à la providence. - Illustration : Platon, Allégorie de la caverne. -

aristote-luminetIl diffusa ses idées en écrivant près de 400 textes, tous disparus aujourd’hui, mais dont les termes et les idées furent largement repris et commentés, non seulement par des philosophes comme Epicure et Lucrèce qui poursuivirent sa réflexion, mais aussi par ceux qui s’y opposaient. Parmi ces derniers, on rapporte que Platon (424-348 : de 36 ans plus jeune) détestait tellement Démocrite qu'il souhaitait que tous ses livres soient brûlés, une attitude indigne d’un philosophe, vous en conviendrez. En effet, à l’opposé de cette philosophie matérialiste, il prônait l’existence d’un monde invisible, mais intelligible, celui des Idées éternelles et immuables, qui existait en parallèle avec le monde des apparences sensibles, changeant, insaisissable et en perpétuel devenir. Quant à son disciple Aristote (384-322 : de 56 ans plus jeune), il rejetait catégoriquement la notion de vide. En outre, il considérait que la matière, par essence, était sujette au changement, et qu’il ne pouvait donc pas y avoir d’atomes immuables. Il conserva l’idée ancienne que toute matière était une combinaison de 4 éléments : l'eau, l'air, la terre et le feu.  Platon et Aristote firent école, et ils influencèrent durablement les modes de pensée du monde méditerranéen et européen durant près de 1500 ans, tandis que l’atomisme de Démocrite resta en marge et servit de ferment permanent pendant vingt cinq siècles. - Illustration : Aristote, le monde. -

euclide_elementsToutefois, une même disposition d’esprit reliait tous ces penseurs de l’Antiquité grecque. L’observation de la régularité des cycles astronomiques avait induit l’idée qu’un ordre caché régissait cette nature perçue comme un chaos. Puisqu’il était possible de prédire ces événements et de les répertorier dans un calendrier, la connaissance du monde devait être à la portée de l’intelligence humaine. C’était cette conviction qui incitait à la recherche de lois universelles et immuables, exprimées en langage mathématique ou sous la forme de raisonnements logiques, que nous poursuivons encore aujourd’hui au sein de la démarche scientifique.

Par la suite, ces modèles du monde proposés par les Grecs furent affinés par les Romains, puis par le monde musulman. Quant à l’Europe, désorganisée par l’afflux de populations issues de ses marges nordiques et orientales qui provoquèrent la chute de l’empire romain, elle construisit son unité en diffusant la foi chrétienne sur toute son aire pendant environ 700 ans. Ce n’est qu’à partir du XIIe siècle qu’elle s’ouvrit aux autres modes de pensée du monde musulman et de l’Antiquité gréco-romaine. Cette confrontation induisit une perturbation culturelle d’une telle ampleur que ses ondes de choc se propagèrent sur plusieurs siècles. Elle eut pour conséquence un travail de remise en cause des idées qui s’exerça autant à l’encontre de sa propre culture que de celles que l’Europe découvrait. - Illustration : Euclide, Les éléments. -

aristarque de samos2/ Le cosmos

2.1. Du géocentrisme à l’héliocentrisme
Le tournant majeur, fondamental pour le sujet qui nous intéresse ce soir, fut l’abandon du géocentrisme décrit mathématiquement par l’astronome Claude Ptolémée, un gréco-romain qui vivait à Alexandrie en Egypte entre 90 et 168 de notre ère. Il attribuait à la Terre une position centrale dans le monde, pivot immobile autour duquel tournaient le soleil, les planètes et les étoiles. Lorsque le Soleil la remplaça au centre, et plus encore lorsque toute idée de centre disparut, la Terre perdit sa prééminence, elle devint une simple planète du système solaire, puis le système solaire devint un grain infime sur la plage du firmament où un cortège de planètes accompagnait chaque étoile.

aristarqueLa première mention connue de l’héliocentrisme, c’est à dire d’un monde centré sur le soleil, se trouve en Inde dans des textes védiques remontant aux IXe et VIIIe siècles avant notre ère. Au IIIe siècle avant notre ère, Aristarque, un Grec de Samos en Ionie, sur la côte de l’actuelle Turquie, évalue le diamètre du soleil. Comme il l’estime bien supérieur à celui de la Terre, il émet l'hypothèse que c'est elle qui tourne autour du Soleil, et non l’inverse, et il place à une très grande distance du Soleil la sphère des étoiles fixes. Je rappelle qu’à cette époque, les Grecs imaginaient les étoiles épinglées sur une sphère invisible comme des spots dans un plafond. Au Ve siècle en Inde, Âryabhata propose un modèle où la Terre tourne autour de son axe. Il pense que la Lune et les planètes réfléchissent la lumière du Soleil, que l’orbite des planètes autour du Soleil est elliptique, et il prévoit avec précision les éclipses de Soleil et de Lune. Au XIIe siècle, Bhāskara II approfondit les travaux de Âryabhata et mentionne l’idée de la gravitation. Il découvre également que la vitesse de révolution des planètes n'est pas uniforme. Les travaux de Âryabhata sont traduits en arabe au VIIIe siècle et en latin au XIIIe. Le monde musulman, après avoir assimilé les doctrines astronomiques hellénistiques, perses et indiennes, développe sa propre école de pensée entre le 11e et le 15e s. Il est à l’origine d’une critique radicale de l’astronomie ptolémaïque qui s’amorce également en Europe à la fin du Moyen-Age et à la Renaissance. 

copernicAinsi, le chanoine prusso-polonais Copernic (1473-1543), dans son livre, De revolutionibus orbium coelestium, utilise toutes ces sources, directement ou indirectement, pour construire un système héliocentrique justifié sur le plan mathématique. Il postule que ce n’est pas la Terre, mais le Soleil qui est le centre de l'Univers, que la Terre tourne sur elle-même suivant un axe Nord/Sud et que la distance Terre/Soleil est infime comparée à la distance Soleil/autres étoiles. A sa suite, Giordano Bruno (1548-1600) montre, de manière philosophique, la pertinence d'un univers infini, qui n'a pas de centre, peuplé d'une quantité innombrable de soleils et de mondes identiques au nôtre. Il accompagne ce discours de commentaires hérétiques dans d’autres domaines qui lui vaudront d’être brûlé sur le bûcher à Rome. - Illustration : Le système de Copernic. -

francis-bacon2.2. La méthode expérimentale

De ces bouleversements conceptuels émergent progressivement de nouvelles méthodes de réflexion. Prenant le contre-pied des philosophes antiques, Roger Bacon (1214-1294) défend au XIIIe s. la thèse selon laquelle aucun discours ne peut donner la certitude, tout repose sur l’expérience. Francis Bacon (1561-1626), au XVIe-XVIIe s., va plus loin et il énonce cette élégante maxime :

 « L'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, telle l'araignée, ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L'abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs, puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. (...) Notre plus grande ressource, celle dont nous devons tout espérer, c'est l'étroite alliance de ces deux facultés : l'expérimentale et la rationnelle, union qui n'a point encore été formée.

boyle2.3/ Retour à la matière
Mise en cause des 4 éléments
Utilisant cette nouvelle méthode, l’Irlandais Robert Boyle (1627-1691), dans son livre « The sceptical Chymist » publié en 1661, remet en cause le modèle aristotélicien des 4 éléments, feu, air, eau, terre. Il démontre par l’expérience qu’il est impossible de former une quelconque substance à l’aide de ces 4 éléments, et qu’il est également impossible d’extraire ces 4 éléments d’une substance. Il propose donc une nouvelle définition d’un élément, qui devient une substance impossible à décomposer en de plus simples éléments. Ses assertions seront confirmées en 1789 par Antoine Lavoisier qui clarifie le concept d'un élément comme une substance simple qui ne peut être décomposée par aucune méthode connue d'analyse chimique. Il conçoit une théorie de la formation des composés chimiques des éléments. - Illustration : Robert Boyle. -

dalton-johnQuestion de proportions
En 1803, la théorie atomiste de Démocrite ressort des tiroirs, et les premières preuves apparaissent, selon la nouvelle méthode expérimentale qui caractérise la démarche scientifique moderne. Un chimiste anglais, John Dalton, montre que des gaz réagissent selon des rapports de poids simples, et il fait l’hypothèse que les atomes dont ils sont constitués se mélangent selon des proportions simples et entières comme des billes.
Un an plus tard, un chimiste français, Louis Joseph Gay Lussac, renforce l'interprétation de Dalton en découvrant que les gaz se combinent aussi selon des volumes simples.
En 1832, un physicien britannique, Michael Faraday fait passer un courant électrique dans une cuve remplie d'eau, et constate que de l’hydrogène se dégage à l'électrode négative, et de l’oxygène à l'électrode positive. En mesurant la quantité de gaz produits, il se rend compte qu'elle dépend directement de la quantité d'électricité qui a circulé dans la cuve; le courant électrique coupe apparemment l'eau en ses 2 éléments chimiques de base (c’est une électrolyse). Faraday ne voit qu'une explication au phénomène: l'électricité doit être, d'une manière ou d'une autre, la force qui lie les atomes entre eux. - Illustration : John Dalton. -

atomic-bombDes atomes (in)-sécables !
Toutefois, la conception atomiste ne tarde pas à être battue en brèche. En 1897, Joseph Thomson identifie des particules négatives à la masse infime (9,1 x 10-31 kg) qu’il baptise "électrons" puisqu’ils sont des vecteurs d'électricité et il propose un premier modèle de l'atome (plum pudding, pudding aux raisins, « pâte » positive avec des inclusions négatives)  : la matière n'est donc pas composée de petites billes homogènes, puisqu'on décèle des particules -les électrons- 1 800 fois plus légères qu'un atome d'hydrogène ! Un an auparavant, un physicien français, Henri Becquerel, s’est rendu compte par hasard que les sels d'uranium impressionnent une plaque photographique. En 1898, Pierre et Marie Curie découvrent que deux autres éléments chimiques, le radium et le polonium, produisent un rayonnement encore plus intense que l'uranium. Mais ce n'est qu'en 1903 qu'un physicien et un chimiste britanniques, Ernest Rutherford et Frederick Soddy, comprennent que la "radioactivité", comme l'avait appelée Marie Curie, provient de la transformation d'un atome en un autre. Les atomes peuvent donc se casser et c’est la philosophie atomiste elle-même qui vole en éclat ! La découverte fait sensation et modifie définitivement la conception des scientifiques sur la matière. - Photo : Bombe atomique. -

atomeUn système solaire miniature
L'uranium crache, semble-t-il, non seulement des électrons, mais aussi des particules positives beaucoup plus massives, qui se révéleront plus tard être des protons. Dès lors, on peut supposer que l'atome, électriquement neutre, est un assemblage de ces deux types de particules. Reste à comprendre leur agencement exact. De 1906 à 1908, deux élèves de  Rutherford soumettent sous vide de fines feuilles d'or aux émissions de particules α (noyaux d'hélium, He2+) d’une matière radioactive. Sur l’écran enrichi d'une substance chimique (sulfure de zinc: ZnS) placé derrière, il visualise, par un scintillement lumineux, la collision par les particules α. La quasi-totalité des projectiles traverse l'obstacle en ligne droite, prouvant que la matière est bien faite surtout de vide. Quelques particules, cependant, sont déviées dans leur course, comme repoussées par un objet de même charge. La majeure partie de la masse de l'atome, estime Rutherford, doit être concentrée dans un petit noyau positif. Ces résultats le conduisent à proposer, en 1910, un modèle atomique comparable au système solaire: autour d'un noyau-soleil constitué de protons gravitent des " électrons-planètes" chargés négativement. Ce modèle est perfectionné par Niels Bohr, un physicien danois, qui démontre en 1913 que les électrons ne peuvent occuper que des orbites bien précises. - Illustration : Atome. -

n90L’atome

Au siècle précédent, le chimiste russe Dimitri Mendeleïev (1834-1907) a conçu en 1869 le tableau périodique des éléments (métaux, oxygène, carbone...) en fonction de leurs propriétés physico-chimiques. Il s'avère correspondre à leur classement par numéro atomique croissant (protons + neutrons) et en fonction de leur configuration électronique. En 2010 ce tableau comporte 118 éléments, allant de 1H à 118Uuo (de l'hydrogène à l'ununoctium). Mais d'où proviennent-ils ? Ont-ils été formés lors du Big Bang (une théorie de la formation de l'univers émise en 1922 et 1927) ? La réponse est apportée par les chercheurs Geoffrey et Margaret Burbidge, William Fowler et Fred Hoyle (B2FH) qui présentent en 1957 une théorie complète de la nucléosynthèse stellaire et brossent un panorama de l'origine des éléments, depuis la fusion de l'hydrogène jusqu'à la production des éléments les plus lourds dans les supernovae. Seuls les éléments les plus légers se sont formés au Big Bang, à raison de 3/4 d'hydrogène et 1/4 d'hélium, tous les autres en dérivent en permanence grâce au phénomène de la fusion nucléaire qui se produit au cœur des étoiles. La physique quantique décompose à son tour les protons et neutrons en quarks. Einstein va encore plus loin en démontrant l'équivalence entre la matière et l'énergie : e=mc2. L’intuition d’Aristote semble se confirmer : les atomes ne sont pas immuables. Démocrite avait tort !… mais la vérification de son hypothèse a permis d’avancer dans la réflexion. - Photo : N90-SMC-HST. -

prisme3/ La lumière

Parallèlement à cette réflexion sur la matière se développe une réflexion sur la lumière. En 1666, Isaac Newton (1643-1727), fait passer un fin pinceau de rayons solaires à travers un prisme et il obtient ce qu'il appelle un spectre : la décomposition de la lumière blanche dans les couleurs de l’arc-en-ciel. Contrairement à la croyance en vogue, il ne pense pas que ces couleurs proviennent du verre, mais qu’elles sont contenues dans la lumière, car s’il cherche à diffracter ensuite chaque couleur isolément en la passant à travers un deuxième prisme, celle-ci reste identique. Il en conclut que les couleurs proviennent de l’interaction de la lumière avec les objets. Dans son traité Opticks, il postule que la lumière est formée de corpuscules très subtils, ce qui la range dans la catégorie de la matière, mais il explique toutefois le phénomène de la diffraction en associant la lumière à une onde. - Schéma : Newton : Prismes. -

interferencesEn 1678, Christian Huygens (1629-1695) constate que, contrairement au son, la lumière se propage dans un espace dont on a retiré l’air. Il l’interprète comme une perturbation d’un milieu matériel beaucoup plus diffus, l’éther qui baigne selon lui tout l’univers. Elle s’effectue sans transport de matière, comme l’onde d’une vague dans l’océan. Au lieu d’exploser sur le sable comme le ressac, elle illumine les objets qui sont sur son chemin. - Photo : Interférences dans l'eau. -

youngEn 1801, Thomas Young montre que la lumière envoyée sur un réseau de diffraction (deux fentes parallèles) engendre un motif d'interférence caractéristique, très semblable aux motifs résultant de l'interférence d'ondulations sur l'eau. En 1821, Augustin Fresnel confirme ce caractère ondulatoire avec le phénomène de polarisation de la lumière et il forge la notion de longueur d'onde de la lumière. James Maxwell, à la fin du XIXe siècle, met en équations la propagation de la lumière qualifiée plus généralement d'ondes électromagnétiques. - Schéma : Fentes de Young. -

young2Parallèlement, le domaine de la lumière visible, alors seul connu, s'étend grâce à William Herschel, qui découvre en 1800 les effets thermiques du rayonnement infrarouge, tandis que, l'année suivante, Johann Wilhelm Ritter et William Hyde Wollaston mettent en évidence les effets chimiques du rayonnement ultraviolet. Joseph von Fraunhofer observe, décrit et dessine en 1814 le spectre du Soleil qui comporte une série de rayures noires déjà remarquées par Wollaston. Il est le premier à étudier en 1823 le spectre des planètes et des étoiles les plus brillantes. Il constate qu'une raie double dans le spectre du Soleil correspond exactement à celle observée dans le spectre d'une flamme (celui du Sodium). - Schéma : Fentes de Young - Interprétation. -

En 1849, Léon Foucault s’aperçoit que la raie D de Fraunhofer correspond à la couleur de sa lampe d’un brillant jaune-orangé. Il la superpose à la lumière du jour, et, à sa grande surprise, la raie noire du spectre s’intensifie. En 1850, il détermine la vitesse de propagation de la lumière qui varie en fonction des milieux traversés, une preuve de plus de son caractère ondulatoire. En 1859, Gustav Robert Kirchhoff et Robert Wilhelm Bunsen, avec son célèbre brûleur, répètent cette expérience et établissent la relation entre les raies d'émission des gaz portés à l'incandescence et les raies d'absorption du spectre solaire. Comme dans le Soleil, les gaz se décomposent dans la flamme en éléments chimiques dont les atomes évacuent l'énergie apportée par la combustion sous forme de radiations caractéristiques. Le lien entre la physique atomique et les observations astronomiques est établi. Ils obtiennent ainsi de fortes présomptions de la présence de fer, de magnésium, de sodium, de nickel et de chrome dans l’atmosphère du Soleil.

Fraunhofer

gravitationEn 1905, Albert Einstein réintroduit l'idée que la lumière puisse avoir une nature corpusculaire. Il analyse l'effet photoélectrique, déjà observé en 1839 par Antoine Becquerel et son fils, et il postule l'existence de particules de lumière dotées de quantum d’énergie, qui sont absorbées par la matière avec pour conséquence l'émission d'électrons. Une application actuelle de cet effet est la cellule photovoltaïque des panneaux solaires. En 1915, dans sa théorie de la Relativité Générale, il postule qu'un objet massif comme le Soleil doit courber l'espace-temps dans son voisinage et que toute particule, massive ou non (comme les photons lumineux) doit alors se mouvoir le long d'une «géodésique » de cet espace-temps courbé. Son assertion est confirmée le 25 mai 1919 par Sir Arthur Eddington lors d’une éclipse du soleil qu’il va observer sur l’île du Prince dans le Golfe de Guinée. - Schéma : Einstein, déformation de l'espace-temps. -

fullereneEn 1924, Louis de Broglie affirme dans sa thèse que toute matière (et pas seulement la lumière) a une nature ondulatoire. La confirmation la plus spectaculaire est celle qui est faite en 1999 par des chercheurs de l'Université de Vienne, qui font diffracter du fullerène (molécule C60) d’un diamètre 400 fois supérieur à la longueur d'onde de Louis de Broglie. Du point de vue philosophique, cette théorie des ondes de matière est ce qui a le plus contribué à ruiner la théorie de l’atomisme. - Schéma : Fullerène C60. -

dualiteNous voilà rendus à la moitié de l’exposé. Faisons le point sur ce que nous avons vu. Comme le dit Hubert Reeves, nous sommes de la poussière d’étoiles. C’est en fusionnant dans leur cœur ou en étant excités (chauffés, percutés) que les éléments qui composent la matière émettent de la lumière. Il s’agit plutôt d’un rayonnement électromagnétique qui caractérise chacun des 118 éléments de la table périodique et permet de les percevoir et de les reconnaître où qu’ils soient dans l’univers. Cette lumière – et tout élément de matière à l’échelle microscopique – se comporte soit comme une particule, soit comme une onde. - Schéma : Dualité onde-corpuscule. -

gravure4. La vie
Voici maintenant la dernière partie de mon exposé qui sera divisée en deux. Nous allons d’abord nous centrer sur la vie sur Terre, puis nous examinerons comment nous en sommes arrivés à envisager qu’elle puisse exister ailleurs.

3.1. La vie sur Terre
3.1.1. Evolution du vivant
Revenons brièvement à l’Antiquité. Thalès de Milet considérait que tout l’univers était vivant. Anaximandre pensait que l’océan primitif était le berceau de la vie.
Anaxagore estimait que notre monde était dualiste, qu’il était composé d’Esprit et de Matière.
Quant à Démocrite et ses successeurs, Epicure et Lucrèce, outre leur conception matérialiste du monde, ils pensaient que les êtres vivants évoluaient physiquement au cours du temps. - Illustration : Gravure, pluie de poissons. -

al-jahiz Cette idée fut reprise et développée pendant l’âge d’or de la science arabe, la période abbasside (750-1258). L'écrivain Al-Jahiz, résidant à Basra (aujourd’hui en Irak) au IXe siècle, reprit l’Histoire des Animaux d’Aristote. Il donna ses propres observations sur l’influence du climat ou de l’habitat sur les hommes et les animaux. Selon lui, l'évolution s'articulait selon trois mécanismes principaux : la lutte pour l’existence, la transformation d’espèces vivantes et l’influence de l’environnement naturel. Ce thème fut approfondi par le médecin perse Ali ibn Abbas al-Majusi au Xe s., puis le philosophe Nasir ad-Din at-Tusi, également perse, au XIIIe siècle. Ce dernier précisa que l'évolution serait due à la sélection des meilleurs et l'adaptation des espèces à leur environnement. - Illustration : Kitâb Al-Hayawân d’al-Jahiz. -

at-tusiPendant une grande période en Europe, les idées fixistes prédominèrent : selon celles-ci, les êtres vivants avaient été créés par Dieu tels qu'ils apparaissent aujourd'hui. Puis le développement de la paléontologie et la découverte de fossiles de squelettes ne ressemblant à aucun squelette actuel firent évoluer les esprits au début du XVIIIe siècle. Pour concilier ces découvertes avec les textes bibliques, Georges Cuvier exposa sa théorie catastrophiste selon laquelle il y aurait eu une succession de créations divines entrecoupées d'extinctions brutales au cours des temps géologiques. Il admettait ainsi que les espèces terrestres n'avaient pas toujours été celles observées aujourd'hui, sans pour autant accepter l'évolution des espèces, ni admettre que les 6 000 ans estimés jusque là pour l'âge de la Terre étaient trop courts pour y intégrer ces extinctions successives. - Illustration : Nasir Ad-Din at-Tusi dans son observatoire. -

lamarckL'idée d'évolution réapparut à la même époque avec Maupertuis et Buffon, mais la première théorie véritablement scientifique sur le sujet fut élaborée par le naturaliste Jean-Baptiste (Pierre Antoine de Monet, chevalier) de Lamarck qui la publia en 1809 sous le titre 'Philosophie zoologique'. Elle était matérialiste, mécaniste et transformiste selon deux principes, la complexification sous la dynamique du métabolisme, et la diversification ou spécialisation sous l'effet des contraintes environnementales. - Illustration : Lamarck. -

darwinS'appuyant sur ces idées qu'il modifia après en avoir fait une lecture critique pour tenir compte de l'expérience acquise lors de ses voyages et de ses études, le naturaliste Charles Darwin publia en 1859 'L'origine des espèces' qui comportait une foule de preuves en faveur d'une transformation graduelle. Mais une transformation à partir de quoi et dans quelles conditions, cela, il ne s'en ouvrit qu'en privé, dans une lettre écrite en 1871 à son ami le botaniste Joseph Hooker :
“On dit souvent que toutes les conditions de la première production d'un organisme vivant sont actuellement réunies. Mais si (et Oh! Quel grand si!) nous pouvions concevoir dans quelque petite mare chaude, avec toutes sortes de sels d'ammoniac et de phosphore, et en présence de lumière, de chaleur, d'électricité, etc., qu'un composé protéiné soit chimiquement formé pour entreprendre des changements encore plus complexes, au jour d'aujourd'hui une telle matière serait instantanément dévorée ou absorbée, ce qui n'aurait pas été le cas avant que des créatures vivantes soient formées." - Illustration : Darwin, pinsons. -

darwin-galapagos3.1.2. Continuité de la nature
Aristote, dans son Histoire des animaux, avait écrit que « le passage des végétaux aux animaux est continu [...]. En effet, pour certains êtres qui vivent dans la mer, on pourrait se demander s'ils appartiennent au règne animal ou au règne végétal ». Cette conception d'une nature continue également prônée par Démocrite et Platon est reprise et théorisée bien plus tard par le philosophe et mathématicien Leibniz (1646-1716) qui écrit que « la nature ne fait jamais de sauts ». Pour lui, les êtres naturels forment une chaîne et l'on passe d'un maillon à un autre de manière insensible, d’où l’expression « le chaînon manquant ».
L’idée que la vie puisse émerger du monde inerte est donc vieille comme le monde. Ainsi, dans la Chine ancienne, on croyait que les bambous généraient des pucerons ; en Inde c'était la naissance de mouches à partir d’ordures et de sueur ; les inscriptions babyloniennes mentionnaient des vers engendrés par la boue des canaux ; dans l’Égypte antique, grenouilles et crapauds naissaient du limon déposé par le Nil. Pour les philosophes de l’Antiquité, la vie est une propriété même de la matière ; elle est éternelle et apparaît spontanément chaque fois que les conditions sont propices. Ces idées se retrouvent dans les écrits de Thalès, de Démocrite, de Platon, d’Épicure et de Lucrèce. Aristote réalise la synthèse des idées développées avant lui et érige la génération spontanée en véritable théorie. Celle-ci traverse le Moyen-Age et la Renaissance. Véhiculée par la tradition populaire, elle est encore tenace dans les esprits du XIXe siècle, particulièrement à l'égard des microbes et des levures. - Illustration : Darwin, Galapagos. -

pasteur3.1.3.La fin du vitalisme et de la théorie de la génération spontanée

En 1828, Friedrich Wöhler met fin au vitalisme qui prônait la nécessité d'un fluide vital pour animer les êtres vivants, ce qui les distinguait de la matière inerte. Cette croyance avait été exprimée par les philosophes Platon et Aristote, puis elle avait disparu à l’avènement du christianisme pour reparaître à partir de la fin de la Renaissance.  De façon fortuite, Friedrich Wöhler réalise la synthèse de l'urée à partir du cyanate d'ammonium, un composé inorganique, alors que l’urée était un composé connu pour être seulement produit par des organismes biologiques.
En 1861, les expériences de Louis Pasteur mettent un point final à la théorie de la génération spontanée lorsqu'il établit que dans un milieu isolé et convenablement stérilisé, la vie n’apparaît pas. - Photo : Pasteur, stérilisation. -

uree3.1.4.Retour à l’idée de panspermie, puis abandon

Dans la Grèce antique, Anaxagore, de Clazomène en Turquie, (– 500-428 avant notre ère) postulait que les animaux étaient nés de semences tombées du ciel sur la Terre. Après l'annihilation de la théorie de la génération spontanée, celle de la panspermie revient à l'ordre du jour. Hermann Richter, Hermann von Helmholtz et Lord Kelvin proposent que des cellules vivantes voyagent à l'intérieur de météorites. Dans l'impossibilité d'expliquer comment des germes peuvent y être logés, le concept est modifié par le chimiste Svante Arrhenius : poussées par la pression du rayonnement, les bactéries sont échangées entre systèmes planétaires. Au cours du XXe siècle, Paul Becquerel montre que, bien qu'elles puissent effectivement survivre deux années dans un froid extrême et le vide, le rayonnement solaire ultraviolet les tuerait rapidement, et il relègue la panspermie dans l'oubli. - Photo : Friedrich Wöhler, synthèse de l'urée. -

soupe-primitive3.1.5. L’œuf et de la poule

Toutefois, pour sortir du paradoxe de l’œuf et de la poule, il faut bien supposer, si l'on exclut l'intervention divine, que la vie a émergé de l'inerte. La faire venir d'ailleurs repousse le problème, mais ne le résout pas. S'appuyant sur les études de Marcelin Berthelot sur la chimie organique basée sur la synthèse (1860), Alexander I. Oparin et John Haldane posent indépendamment en 1924 les bases de la réflexion pluridisciplinaire sur les origines. Dans les premiers temps de la formation de la Terre, les trois composantes d'une 'abiogénèse' étaient en place: le réacteur (l'atmosphère terrestre), la source d'énergie (le soleil), les réactifs (tous ces gaz et composés chimiques). L'atmosphère primitive, selon Oparin et Haldane, différait considérablement de l'atmosphère actuelle qui contient 78% d'azote et 20% d'oxygène. Elle aurait été composée essentiellement de méthane, d'eau, de gaz carbonique, d'ammoniac et d'hydrogène sulfuré. Les océans auraient contenu des molécules organiques 'CHON' (carbone, hydrogène, oxygène, azote), c'est ce qu'on a appelé ensuite 'la soupe primitive'. Stanley Miller mène une expérience en 1953 au cours de laquelle il parvient à former des molécules organiques en reconstituant les conditions initiales qui étaient sensées avoir prévalu sur Terre à ses débuts. Il envoie des décharges électriques dans un ballon contenant de la vapeur d'eau, du méthane, de l'ammoniac et de l'hydrogène et obtient des acides aminés simples, du formaldéhyde (H2CO) et du cyanure d'hydrogène (HCN). Cette expérience est répétée par bien des équipes de chercheurs dans le monde, mais jamais on n'arrive à créer des molécules aussi complexes que l'ADN et encore moins une cellule vivante. En outre, les chercheurs divergent sur la composition de l'atmosphère primitive et sur la stabilité des produits obtenus. Cependant, aussi imparfaite soit-elle, l'expérience fait date et marque profondément les esprits.

crevette3.1.6.Les extrêmophiles

En 1977, une découverte offre un renouvellement à ces réflexions. Le long des dorsales océaniques se trouvent des fumeurs noirs, sources hydrothermales à très hautes températures, découverts par hasard par le géologue John Corliss. Situés à une profondeur variant entre 500 et 4000 m, leurs environs immédiats abritent une faune et une flore adaptées à ces niches écologiques très particulières : absence de lumière du jour, relativement faible durée de vie de la source géothermique, fort gradient de température, très forte concentration chimique en produits soufrés, etc. Cet écosystème fonctionne grâce à la chimiosynthèse. Le flux de lave apporte des minéraux variés et susceptibles de réactions chimiques, mis à profit par des bactéries autotrophes spécifiques à cet environnement (par un métabolisme à partir du soufre notamment). - Photo : Crustacé extrémophile. -

poisson-abyssesEn 1984, Charles Paull découvre également des 'cold seep' (suintements froids) dans le Golfe du Mexique à 3200 mètres de profondeur. On en trouve ensuite un peu partout, le plus profond se situant en mer du Japon à 7300 mètres. Il s’agit de lacs très salés au fond de l'océan qui ne se mélangent pas (ou très peu) avec l'eau environnante bien qu'ils aient la même température. Ils contiennent des éléments chimiques comme du méthane et du sulfure d'hydrogène. On trouve auprès de ces formations des animaux marins étranges comme des moules géantes, des palourdes, des crabes blancs, des vers tubulaires d'une longévité exceptionnelle (entre 170 et 250 ans). Toute cette faune vit en symbiose avec des Archaea et Eubacteria procaryotes développant une chimiosynthèse (qui remplaçait la photosynthèse) à base de sulfides et de méthane. - Photo : Poisson-dragon des abysses. -

3.1.7. Panspermie ?

iramAvec les progrès de l’instrumentation, les scientifiques arrivent à analyser non seulement la composition des étoiles, mais aussi à partir de 1965, grâce à la radioastronomie, la composition des molécules qui se forment dans les espaces intersidéraux glacés. En 1969, on décèle dans toute la galaxie du formaldéhyde H2CO, avec une abondance comparable à celle du radical hydroxyle OH. En quarante ans, plus de 140 molécules sont identifiées, dont une grande partie est "organique", c'est à dire basée sur le carbone. Ces découvertes remettent à l’ordre du jour l’hypothèse de la panspermie de Hermann Richter (formulée en 1865). Reprise par Fred Hoyle (décédé en 2001) et Chandra Wickramasinghe, cette thèse scientifique propose que la Terre a été fécondée par des sources extraterrestres, des corps rocheux comme les comètes, porteurs de vie. Les comètes, contrairement à l'objection formulée par Becquerel, peuvent en effet protéger les organismes des rayonnements ultraviolets, ainsi que de la chaleur au moment de l'entrée dans l'atmosphère terrestre. - Photo : IRAM du plateau de Bure. -

nebuleuseLa découverte de ces molécules dans le milieu interstellaire est troublante, car ces molécules sont très fragiles. Elles évoluent dans des nappes gazeuses où l'on ne dénombre que 100 à 100 000 molécules par centimètre cube (10 puissance 19 dans l'air), à une température oscillant entre 10 et 100 K (-160°C) et où l’énergie thermique ambiante est incapable de créer seule la moindre réaction chimique. En 1990, Ian Smith et Bertrand Rowe de l’Université de Rennes (CNRS) découvrent en laboratoire qu’en présence d’un radical (des poussières carbonées telles que la suie, les silicates, la glace ou les benzènes), des molécules neutres se constituent et ce, d’autant plus rapidement que la température est basse, entre 10 et 40 K. Ils trouvent dans leurs ballons des molécules organiques. En effet, les poussières carbonées sont tellement froides qu’elles présentent une disparité dans la distribution de leur charge électrique. Lors d’une collision entre deux molécules, le froid leur donne le temps de trouver la bonne configuration spatiale leur permettant de réaliser une réaction chimique.

stardust3.1.8.La vie, conséquence du L.H.B. ?

Les scientifiques commencent à s'accorder sur l'idée que la vie pourrait exister dans de nombreux endroits de l'univers. Ces "bio-molécules" du milieu interstellaire font l'objet d'une recherche intensive, dans l'espoir de déceler des acides aminés, ces "briques" élémentaires qui constituent les protéines et qui sont par conséquent des éléments-clés pour l'apparition de la vie et qui ont été découverts dans des météorites. En décembre 2003, la sonde de la NASA Stardust collecte des échantillons de la coma de la comète Wild 2. Les scientifiques y décèlent de la glycine, l’acide aminé dont la composition est la plus simple. - Illustration : Stardust. -

archeaePar ailleurs, si l'on ignore encore la date à laquelle la vie a émergé sur Terre, la communauté scientifique s'accorde à dire qu'elle est présente au moins depuis la fin du Grand Bombardement Tardif (LHB, Late Heavy Bombardment) au cours duquel de nombreux petits corps glacés furent précipités dans le système solaire interne. Cette seconde période de la Terre tient d'ailleurs son nom, Archéen (3,8 - 2,5 Ga), de Archaea, des organismes unicellulaires dont l'origine remonte à la nuit des temps (au moins 3,5 Ga), mais qui sont toujours bien vivants. S'agit-il d'une coïncidence, ou bien est-ce que les chutes de poussières cométaires riches en molécules organiques complexes qui se sont produites en grande quantité lors du LHB ont joué un rôle décisif dans cet avènement ? - Photo : Archeae, KOSmethanococcus. -

deepimpactLe 4 juillet 2005, la comète Tempel 1 est percutée par l'impacteur de la sonde américaine Deep Impact de façon à en analyser la surface d'après ses éjectats. Tempel 1 est de nouveau survolée le 14 février 2011 par la sonde Stardust. Ces missions confirment que les poussières cométaires ne sont pas seulement constituées de silicates, mais aussi de composés organiques 'CHON' (carbone, hydrogène, oxygène, azote). La très faible densité des échantillons de Stardust sur le gel de la "raquette" spatiale est confirmée par les traces typiques d'impacts de particules en agrégats (plutôt que compactes). La structure fragile et poreuse des poussières avait par ailleurs déjà été perçue par les observations antérieures en spectroscopie à distance.

Il y a 4 milliards d'années, lors du grand bombardement primordial (LHB), le nuage interplanétaire était 10 000 fois plus dense, et essentiellement constitué de petits corps glacés (i.e. noyaux cométaires) chassés de la région Uranus-Neptune. La réduction drastique de la quantité de poussières cométaires depuis cet événement fournit des arguments en faveur de l'hypothèse de l'apport de composés carbonés aux planètes telluriques.

cristauxUne confirmation de cette hypothèse est apportée en mai 2010 par l'équipe de Jean Duprat et Cécile Engrand du CSNSM. Des micro-météorites collectées en Antarctique révèlent un état de préservation remarquable. Parmi celles-ci sont trouvées des micrométéorites ultra carbonées (des particules de taille inférieure à 1 millimètre et contenant de 50 à 80 % de matière carbonée). Ces particules d'environ 0,1 millimètre sont sans équivalent dans les collections de matière extraterrestre disponibles en laboratoire à ce jour. Les analyses par microscopie électronique en transmission montrent que ces micrométéorites sont constituées d'une matière organique très peu altérée contenant de petits assemblages de minéraux. L'analyse par microsonde ionique révèle que la composition isotopique de l'hydrogène présente des rapports deutérium/hydrogène (D/H) exceptionnellement élevés (environ 10 fois supérieurs à la valeur des océans terrestres). L'ensemble de ces résultats indique que ces particules proviennent très probablement des corps les plus lointains du système solaire, les comètes.

cellule3.1.10. Avant L.U.C.A.
Par ailleurs, sur la centaine d'atomes que l'on trouve dans l'univers, 24 sont nécessaires aux êtres vivants pour former des molécules de très grande taille constituées de l'enchaînement de molécules plus petites, les monomères, et agencées en une structure de base unique, la cellule. Les trois branches du vivant, archaea, bactéries et eucaryotes, ont des éléments en commun, il est donc impossible de déterminer une chronologie d'apparition en arborescence comme on l'imaginait autrefois. L'évolution a dû procéder en 'buisson' dont les trois branches maîtresses émaneraient d'un tronc commun qui prendrait son origine en un ancêtre hypothétique, LUCA, "Last Universal Common Ancestor" (le dernier ancêtre commun universel).
evolutionToutefois, quel que soit ce LUCA, il est peu à peu devenu évident qu'il ne pouvait pas avoir été le premier être vivant sur Terre, car la réunion de ces caractéristiques communes forment un organisme déjà très complexe. Il doit donc très certainement avoir été lui-même aussi le résultat d'une évolution préalable, le problème étant de savoir selon quel processus. Pour l'analyser, les scientifiques œuvrent de deux manières différentes. D'une part, ils poursuivent l'étude de toutes les sortes de cellules existantes, et s'intéressent tout particulièrement à leurs composants, qui ont pu être des organismes primitifs intégrés plus tard dans ces organismes plus complexes. D'autre part, ils mettent en présence en laboratoire des matériaux qu'ils supposent avoir été disponibles dans les premiers temps de la Terre, en essayant de reconstituer l'environnement qui prévalait alors (température, composition de l'atmosphère et des océans, etc.).

francis bacon4.2. La vie hors de la Terre

4.2.1. De la pluralité des mondes

Voici maintenant le dernier volet de cette étude. Au XVIIe siècle, la théorie héliocentrique est encore considérée comme une simple « hypothèse ». Certes, le télescope apporte des images en faveur de l’héliocentrisme, mais les observations astronomiques rencontrent bien souvent le scepticisme des contemporains. Car dans le domaine de l’astronomie, le recours à l’expérience immédiate des sens est trompeuse – tout le monde peut « voir » que le Soleil tourne autour de la Terre – et le recours à l’expérimentation est impossible. Le problème spécifique posé au discours scientifique de ce siècle – l’accès aux lointains – explique en partie le recours à des outils littéraires, fictions et récits. - Illustration : Francis Bacon. -
 
huygens A la suite des voyageurs de la Renaissance, les textes astronomiques du XVIIe siècle recèlent des descriptions ciselées comme des miniatures et détaillées comme des tableaux hollandais, ayant pour objets l’anneau de Saturne, des machines volantes de factures diverses, des voyageurs cosmiques au long cours, des instruments optiques aux propriétés surprenantes. Tout comme de « nouveaux mondes » avaient été découverts au delà des mers, de « nouveaux mondes » devaient être découverts dans le ciel. Les savants se rêvent en explorateurs, baptisant les astres nouvellement repérés du nom des souverains (à l’instar de Galilée avec les étoiles « médicéennes », c’est à dire les satellites de Jupiter), comme s’il s’agissait d’offrir des terres nouvellement conquises aux mécènes, les Médicis, ayant financé l’expédition. La découverte d’une géographie lunaire crédibilisait l’idée avancée par Plutarque selon laquelle la Lune pourrait être habitée. Johannes Kepler écrit à ce sujet une fiction intitulée ‘Le songe, ou Astronomie lunaire’, de publication posthume en 1634, où il décrit précisément les conditions de voyage et les conditions climatiques qui, selon lui, règnent sur notre satellite. - Illustration : Huygens. -

vinciBernard Le Bouyer de Fontenelle publie en 1686 ses « Entretiens sur la pluralité des mondes ». Il va au-devant des critiques qui pourraient être formulées sur le plan religieux en précisant bien que les fils d’Adam (les hommes) n’existent que sur Terre, et que l’infinie diversité de la Nature a dû engendrer une diversité également infinie d’autres êtres vivants sur les planètes du système solaire (y compris la lune) et dans l’univers. On peut lire dans son chapitre intitulé Cinquième soir : « Les étoiles fixes sont autant de Soleils, dont chacun éclaire un monde ».
Le physicien et astronome hollandais Christiaan Huygens, qui découvre en 1665, à l’aide de la lunette, le premier satellite de Saturne et comprend la nature des anneaux qui entourent la planète, écrit un essai plus mûri, le Kosmotheoros, qui paraît en 1698. Il associe étroitement la défense du système copernicien et la conjecture selon laquelle les soleils, qui sont autant de mondes, n’ont pas été créés en vain et sans occupants.
Le philosophe Emmanuel Kant déclare qu’"il n’est pas nécessaire d’affirmer que toutes les planètes doivent être habitées, quoique ce soit une absurdité de nier ceci pour toutes ou même seulement pour la plupart".
L’idée que les astres puissent être habités est de mieux en mieux admise par l’opinion publique. L’imaginaire devient plausible et l’on peut lire dans les Œuvres diverses de Savinien de Cyrano de Bergerac en 1710 :
"Comme Dieu a pu faire l’Âme immortelle, il a pu faire le Monde infiny." - Illustration : Léonard de Vinci. -

flammarion3.2.2. Naissance de la planétologie
Au XIXe siècle, cette littérature utopique s’enrichit d’une dimension temporelle : l’ailleurs peut devenir le futur. Une partie importante de la science-fiction prend la forme de l’anticipation.
La science prend un essor nouveau. La connaissance des planètes du système solaire, en particulier, s’accroît rapidement grâce à l’introduction de grands télescopes qui en dévoilent des détails de plus en plus précis, et à l’utilisation de la photographie et de la spectroscopie en astronomie. Bientôt, sous l’influence de l’astronome Percival Lowell, naît une nouvelle discipline, la "planétologie". À ceci il faut joindre les progrès de la biologie, et surtout l’énorme changement conceptuel introduit par L’Origine des espèces de Darwin, en 1859. La frontière entre matière et vie est relativisée. Le débat à propos de la vie prend du recul, et un tour de plus en plus scientifique. La tendance est parfaitement illustrée par Camille Flammarion qui publie à l’âge de 20 ans, en 1862, La pluralité des mondes habités ; études où l’on expose les conditions d’habitabilité des terres célestes, discutées au point de vue de l’astronomie et de la physiologie. Il se déclare convaincu que la plupart des planètes ont été, sont, ou seront habitées. L’ouvrage fait scandale et son auteur est congédié de l’observatoire impérial de Paris par le directeur Urbain Le Verrier (découvreur de la planète Neptune).

apollo3.2.3. L’exobiologie
C’est pendant le développement du programme Apollo de la NASA que le mot « exobiologie » est inventé par le microbiologiste Joshua Lederberg. La NASA se prépare à envoyer des astronautes sur la Lune. Ils vont y collecter des échantillons et les rapporter sur Terre. N’y a-t-il pas là un risque qu’ils contiennent des micro-organismes lunaires, susceptibles d’interagir avec la vie terrestre et de la mettre en péril ? Six ans seulement après le premier pas de l’Homme sur la Lune, la NASA lance la mission Viking vers Mars. Chacune des deux sondes Viking qui se posent à la surface de la planète rouge l’été 1976 inclut les premières expériences exobiologiques de l’exploration spatiale : trois instruments spécifiquement destinés à mettre en évidence une activité biologique dans le sol martien. - Photo : Programme Apollo. -

apollo11Ensuite, le domaine de l’exobiologie évolue largement, sous l’impulsion de microbiologistes mais aussi de chimistes et d’astrophysiciens, comme Carl Sagan. Ce scientifique qui a travaillé avec Joshua Lederberg, sait marier de façon efficace et fructueuse les sciences physiques et sciences de l’Univers avec les sciences de la vie. Premier exobiologiste ayant une réelle approche pluri- et interdisciplinaire, il sait aussi promouvoir ce nouveau domaine par une activité de vulgarisation exceptionnelle. - Photo : Programme Apollo. -

michel-mayor Le 6 octobre 1995, Michel Mayor et Didier Queloz (de l'observatoire de Genève) annoncent la découverte par la méthode des vitesses radiales de la première exoplanète en orbite autour d'une étoile de type solaire : 51 Pegasi, dans la constellation de Pégase, à environ 40 années-lumière de la Terre, d'après des observations qu'ils ont réalisées à l'observatoire de Haute-Provence. A ce jour, la découverte d’environ 850 exoplanètes a été confirmée, presque toutes de masse supérieure à celle de la Terre, dans 666 systèmes planétaires dont 126 multiples, et 180 exoplanètes supplémentaires sont en attente de confirmation. Le 1er février 2011, la NASA annonce la détection de 1 235 exoplanètes candidates par la sonde Kepler, puis de 1 091 candidates supplémentaires de cette même sonde en mars 2012, pour un total aujourd'hui de 2 321 candidats. La plupart des exoplanètes découvertes à ce jour orbitent autour d'étoiles situées à moins de 400 années-lumière du Système solaire, mais on estime que la Voie lactée en comporterait 200 milliards. - Photo : Michel Mayor. -

flutisteConclusion
Je ne voudrais pas vous décourager, mais de la découverte de ces planètes à la découverte d’une forme de vie, il y a un pas immense qui n’est pas près d’être franchi. Personne ne s’accorde sur une définition de la vie, nous sommes encore très loin de comprendre comment s’est créée la première cellule, nous n’avons aucune idée si la vie basée sur la chimie du carbone et conditionnée par la présence de l’eau telle qu’elle existe sur Terre est le seul modèle possible, nous ne savons pas non plus comment repérer simplement par l’analyse de la composition de l’atmosphère d’une planète si elle héberge une forme de vie, même semblable à la nôtre.
Enfin, les dernières avancées sur la cosmologie semblent mettre en évidence que la matière dont nous sommes constitués et que seule nous sommes capables d’observer grâce à la lumière qu’elle émet, ne constituerait que 4 petits pour cent de l’univers. Un quart serait de la matière noire, autant dire que nous n’avons aucune idée de ce qu’elle est, bien que nous en percevions les effets, et deux tiers seraient de l’énergie noire, dont nous ignorons encore plus la nature, si ce n’est qu’elle semble accélérer l’expansion de notre univers.
Au cours de cet exposé, j’ai essayé de vous montrer à quel point les résultats de la science, que nous pensons si objectifs, sont la conséquence d’une réflexion sur le monde. Bien que les expériences sur la matière nous aient montré que sa nature réelle nous échappe, puisqu’elle se comporte tantôt comme une particule, tantôt comme une onde, nous continuons à raisonner à la manière de Démocrite. Il faudra bien arriver un jour à intégrer le fait que nous sommes, nous, êtres vivants, faits de quelque chose qui peut être soit tangible soit intangible, soit matériel soit immatériel, tout comme l’univers entier.
Pour conclure, je voudrais soumettre à votre réflexion un texte de l’Inde antique des Brahmanes appelé le Vishnu-Purâna : "C'est par un mouvement de l'air, en soi-même non différencié, que les différentes notes de musique sont modulées en occultant des trous de la flûte. De même, c'est à partir d'un Soi suprême et non différencié que les divers états d'être semblent exister." - Illustration : La Fée flûtiste. -

SOURCES DOCUMENTAIRES :

Société française d'exobiologie
La revue pour l'histoire du CNRS
Cours de philosophie de Christophe Lamoure
Michel Onfray : Le rire de Démocrite (conférence YouTube)
Encyclopedia Britannica : Indian philosophy
Encyclopedia Britannica : Atomism
Internet : The History of Science in the non-European world
Epistémocritique : L'accès aux lointains – Fiction et savoir au XVIIe s.
Expositions BNF : Le monde imaginé – Les mondes du ciel
ADAPT SNES : La naissance de la biologie dans les civilisations de l'Antiquité
Génoscope CNS : La naissance de la biologie moléculaire
NASA : Meteorites Reveal Another Way to Make Life's Components
Etc.

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