Juchés sur une toupie-bolide, nous nous livrons à une course-poursuite effrénée. La Terre tourne sur elle-même à la vitesse de 1 674 km/h (à l'équateur), elle orbite autour du Soleil à 107 000 km/h. Celui-ci, au bout d'un bras de la Voie Lactée, gravite à 965 000 km/h autour du trou noir situé au centre de notre galaxie-spirale qui, dans le même temps, se propulse encore plus vite au sein de son amas galactique ! Le génial Démocrite d'Abdère décrivait déjà au Ve siècle avant notre ère cet univers étrange aux atomes tourbillonnant dans un vide qui n'est pas le néant, mais une partie du tout. Nous ne sommes pas sur une planète inerte, comme le sont aujourd'hui la Lune ou Mars. Le mouvement initial d'accrétion en tourbillon qui a présidé à la formation de la Terre se poursuit dans son coeur de fer dont la température de fusion est entretenue par la désintégration d'éléments radioactifs comme le potassium, l'uranium et le thorium. Elle n'a de cesse d'évacuer la chaleur infernale qui règne en son sein, la propageant à travers ses différentes couches. L'avant-dernière est ainsi constamment maintenue sous l'aspect d'un tapis roulant visqueux sur lequel glissent les plaques tectoniques qui supportent nos continents. En outre, la giration du noyau de fer liquide autour de la graine de fer déjà solidifiée par le refroidissement du centre de la Terre se traduit par un effet dynamo : elle engendre autour de la planète un champ magnétique, principalement bipolaire, qui constitue un bouclier protecteur contre le flux permanent d'énergie envoyé dans toutes les directions par notre astre bien-aimé, le Soleil. - Photo : Fossile de l'Archaeopteryx. -

En quoi ces phénomènes astronomiques influent-ils sur la vie terrestre ? Ont-ils une répercussion sur nos comportements ? C'est ce que nous allons voir en examinant les facteurs qui régissent la migration des oiseaux. La fin du Permien, il y a 251 millions d'années (MA), avait été marquée par la plus grande des cinq extinctions de masse survenues sur la Terre : 75 % des espèces de la terre ferme et 96 % des espèces marines avaient disparu. Elle se serait produite en raison de l'asphyxie de l'océan Panthalassa, d'un volcanisme majeur et de chutes météoritiques. Tous les continents étaient alors réunis en un seul, la Pangée, qui s'étendait d'un pôle à l'autre. Selon l'adage "à quelque chose malheur est bon", cet ordre par le vide permit à la vie de se développer dans de nouvelles directions et bénéficia aux dinosaures, qui se diversifièrent dans tous les milieux, y compris les airs. - Photo : Fossile du Masillaraptor. -

Protoavis, qui remonte à 225 MA, au Trias Supérieur, présentait déjà des caractéristiques d’oiseau moderne, mais il était dépourvu de plumes. L'Archaeopteryx, 150 MA, du Jurassique, appartenait à une branche distincte de celle des oiseaux actuels, dont il n'existe plus de descendants. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les plumes semblent être apparues indépendamment et n'étaient pas un indice caractéristique des seuls dinosaures volants : elles pouvaient aussi bien faciliter la régulation thermique que charmer lors des parades nuptiales. Pendant tout le Mésozoïque, de 251 à 65 MA, la Pangée commença à se disloquer en divers endroits. En effet, cet énorme continent était semblable à un couvercle de cocotte-minute sans soupape, et la chaleur interne de notre planète avait toutes les difficultés du monde à se dissiper. Le magma brûlant s'amassa au-dessous, soulevant la croûte terrestre qui se fendilla, et la lave finit par s'infiltrer dans les interstices, jaillissant en un volcanisme dévastateur. Par ailleurs, un malheur n'arrivant jamais seul, une ou plusieurs météorites percutèrent la Terre en cette fin de Crétacé calamiteuse. Ces événements eurent raison de la suprématie des dinosaures, mais les oiseaux survécurent. - Illustration : Peinture rupestre des Aborigènes d'Australie : Genyornis, oiseaux de la taille d'une autruche, dont la disparition concorde avec l'arrivée des humains sur ce continent il y a 40 ou 50 000 ans. -

Ils se mirent à occuper les niches laissées vacantes, certains abandonnant le vol et tendant au gigantisme, mais ces sortes de grosses autruches se firent bientôt supplanter par les mammifères un peu partout sur la Terre et beaucoup de ces espèces d'oiseaux disparurent. Le Cénozoïque (de -65 MA à aujourd'hui) est une période de refroidissement global. Après la création du passage de Drake (entre la Terre de Feu à l'extrémité de l'Amérique du Sud et l'Antarctique) et le détachement de l'Australie de l'Antarctique durant l'Oligocène, le climat se refroidit sensiblement, le courant circumpolaire antarctique se met en place, remontant les eaux froides profondes de l'Antarctique en surface. Des conditions plus chaudes prévalent durant le Miocène. Quand l'Amérique du Sud est rattachée à l'Amérique du Nord par l'Isthme de Panamá, l'Arctique est refroidi par le renforcement du courant de Humboldt dans le Pacifique et du Gulf Stream dans l'Atlantique Nord.

Une des plus anciennes représentations d'oiseaux migrateurs a été peinte il y a 4500 ans sur le mur du Mastaba de la tombe de Nefermaat en Egypte, au Sud du Caire. La fresque, appelée «Les oies de Meidum», montre trois espèces d'oies migratrices, dont deux ne se trouvent plus en Égypte, mais fréquentaient les champs de la vallée du Nil en ces temps reculés. Ces voyages au long cours ont nécessité l'acquisition de facultés particulières, de compas (boussoles) biologiques internes : "il s’agit de mécanismes plus ou moins souples permettant aux animaux de s'orienter et se déplacer le long de parcours prédéterminés en utilisant des référentiels externes dont l’information est traitée au niveau neurophysiologique". Jean Dorst estime qu'ils sont ainsi aptes à synthétiser des informations données par trois catégories de repères, astronomiques, atmosphériques et géomagnétiques. - Illustration : Reproduction sur papyrus de la fresque "Les oies de Meidum". -

Les premiers récits de concentrations d'oiseaux dans certains lieux indiquent que les oiseaux migrateurs ont tendance à utiliser les mêmes routes chaque année, avec une répartition géographique qui peut être relativement étroite. Bien que certaines de ces voies migratoires puissent être assez larges du point de vue d’une espèce, grâce au baguage et à d'autres recherches, on a appris qu’individuellement les oiseaux utilisent les mêmes itinéraires et lieux de repos, année après année. Comment font-ils pour s'orienter et naviguer avec autant de précision ? Plusieurs expériences ont été menées pour démêler l'écheveau de leurs dons multiples.

La première constatation, c'est que de nombreux oiseaux peuvent retrouver leur gîte après avoir été déplacés loin de tout repère connu. C'est l'exemple typique des pigeons voyageurs. Les plus grandes performances ont été notées sur des oiseaux marins : un Albatros de Laysan ne mit ainsi que 32 jours pour retrouver son nid de l'île de Midway dans le Pacifique, alors qu'il avait été lâché dans les Philippines ! Un oiseau espagnol a été déplacé dans le Nord de l'Europe puis relâché. Il s'est aussitôt envolé vers le Sud jusqu'à ce que le mouvement et la hauteur du soleil correspondent à ce qu'il avait mémorisé sur son territoire : il a effectué une correction de sa latitude. Inversement, des Puffins des Anglais déplacés à l'Est de l'Amérique du Nord sont revenus dans leur colonie de nidification au Pays de Galles en ayant parcouru près de 5000 km en 12 jours : ils ont effectué une correction en longitude. Thorsten Ritz a exposé douze rouges-gorges à des champs magnétiques artificiels changeants et observé l’orientation choisie par ces oiseaux. Il a déduit de leur comportement que leurs yeux devaient être le siège de réactions photochimiques magnétiquement sensitives. La magnétite des becs pourrait pour sa part jouer un rôle dans la détection de la puissance mais non de la direction du champ magnétique. Pour avoir une idée de leur sensibilité, il faut savoir que le champ magnétique terrestre est évalué à 47 micro teslas (µT) au centre de la France, alors que l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) utilise des appareils émettant des champs magnétiques entre 1,5 T et 3 T dans le domaine du diagnostic médical. - Photo : Migration d'étourneaux sansonnet (Algérie). -

Le département d'éthologie de l'université de Genève a mis en ligne un cours remarquable expliquant les liens entre les facultés d'orientation des oiseaux et les phénomènes astronomiques. Au cours de mes recherches documentaires, j'ai cependant remarqué que l'on ignore encore beaucoup de choses sur le comportement migratoire, et même si les oiseaux sont davantage observés que des poissons, batraciens ou autres papillons, les études qui ont été faites se sont concentrées sur quelques espèces faciles à manipuler, et les résultats de ces expériences ont été généralisés à l'ensemble des oiseaux migrateurs. Sans entrer dans tous les détails, je vais simplement tracer ici les grandes lignes relatives à ce vaste sujet.

Tout d'abord, si les oiseaux migrent, c'est parce que, sur Terre, le climat en un lieu donné n'est pas identique toute l'année, exception faite de la zone équatoriale où le temps est constamment chaud et humide. Cette variation climatique a pour corollaire la variation et la raréfaction périodique des ressources alimentaires. Quelle en est la cause ? Comme je le rappelais plus haut, notre planète tourne sur elle-même autour d'un axe de rotation en un jour, et ce faisant, effectue une révolution autour du Soleil en un an. Si l'axe était perpendiculaire à la direction Terre-Soleil (c'est à dire au plan de l'écliptique), comme c'est le cas pour Jupiter, le climat varierait simplement en fonction de la latitude (la distance entre l'équateur et un des pôles), mais il resterait identique en un point donné toute l'année. Le facteur responsable des saisons, c'est l'inclinaison de cet axe, d'un angle de 23°27' par rapport à la perpendiculaire à l'écliptique, et le maintien de l'orientation de l'axe vers un point du ciel actuellement proche de l'étoile polaire. Par conséquent, les parties de la Terre qui ont le plus d'ensoleillement à un moment de l'année deviennent celles qui en ont le moins six mois plus tard. - Illustration : Plan de l'écliptique. -

Les dernières grandes perturbations climatiques qu'ont dû affronter les oiseaux durant ces deux derniers millions d'années se sont manifestées par des alternances de glaciations et de redoux. La principale cause en est la variation de l'obliquité de l'axe des pôles qui oscille entre 22 et 25° tous les 41 000 ans environ. Lorsque l'inclinaison de l'axe de la Terre est maximale, les rayons du soleil peinent à atteindre les hautes latitudes en hiver et inversement en été : les étés sont chauds et les hivers rigoureux, ce qui correspond aux climats interglaciaires avec peu de glaces aux hautes latitudes sur les continents. Inversement, une diminution d'inclinaison correspond à des étés moins chauds et à des hivers moins froids, configuration qui cependant permet le développement des calottes glaciaires continentales. Ainsi, les populations d'oiseaux qui vivent actuellement en Europe tout ou partie de l'année ont dû se réfugier plus au Sud à chaque glaciation du Quaternaire (Cénozoïque) et elles recolonisent actuellement les terres septentrionales depuis une douzaine de milliers d'années. Certaines espèces ont réussi à s'adapter pour y demeurer de façon permanente, d'autres migrent deux fois par an, nichant au Nord et retournant au Sud une moitié de l'année. - Schéma : Variations de l'obliquité de la Terre. -

Il faut bien prendre conscience que quasiment tous les êtres vivants (unicellulaires, champignons, algues, plantes, animaux -y compris les humains-) enregistrent les variations d'ensoleillement diurnes et saisonnières au moyen de molécules photoréceptrices qui rythment leurs activités : c'est ce que l'on appelle le photopériodisme. La lumière est donc captée, puis elle est traitée, exploitée. C'est là qu'entre en scène (pour nombre d'animaux) la glande pinéale, qui eut son heure de gloire au XVIIe siècle, car le philosophe, mathématicien et physicien René Descartes y situait le point de contact entre l'âme et le corps. Au cours du XXe s., les biologistes ont remarqué, en procédant à son anatomie et à l'embryologie comparée, que certains de ses neurones ont la même origine que les photorécepteurs de la rétine des yeux. Ils en ont déduit qu'au tout début de l'évolution, cet organe captait directement la lumière extérieure (un troisième oeil ?), une faculté que les oiseaux, les reptiles et les poissons ont conservée, grâce à son emplacement dans leur cerveau juste sous la surface du crâne. - Schéma : Rôle de la glande pinéale selon Descartes. - Photo : Vautour fauve en train de couver son oeuf. -

La glande pinéale ne capte pas d'image (celle-ci est relayée essentiellement par les cônes et les bâtonnets des yeux), mais elle mesure l’intensité lumineuse qui est transmise notamment par une protéine photosensible, la mélanopsine. Elle induit la sécrétion nocturne de la mélatonine, une hormone qui véhicule un double message. D'une part, elle contribue à la synchronisation des rythmes biologiques par une interaction avec l'horloge interne des individus. D'autre part, elle régule le déclenchement des fonctions saisonnières en informant l'organisme des variations de la longueur du jour : c'est l'hormone « donneuse de temps ». Elle joue ainsi un rôle important par l'orchestration d'une cascade de processus hormonaux chez les espèces dont la reproduction, saisonnière, est influencée par la lumière.

L'oiseau se prépare donc à la migration, mais comment sait-il dans quelle direction partir, comment s'orienter en cours de route et reconnaître sa destination ? La direction à prendre peut être inscrite dans les gènes de certaines espèces d'oiseaux, puisque des juvéniles, n'ayant jamais migré, la connaissent. Leur temps de vol peut également être prédéterminé. Mais une direction se prend à partir de repères : les deux tiers des migrations s'effectuant de nuit, quels sont-ils ? Comme la Terre effectue un mouvement de toupie en tournant sur elle-même, l'axe des pôles décrit un cône autour de la perpendiculaire au plan de l'écliptique selon un cycle principal de 23 000 ans et un cycle mineur de 19 000 ans : c'est la précession des équinoxes. L'oiseau n'a pu mémoriser l'emplacement d'une étoile spécifique occupant le pôle céleste à un moment donné du passé, car cette information serait devenue obsolète en quelques générations : par contre, des expériences ont montré qu'un juvénile sait repérer avant de partir en migration le point autour duquel tournent les étoiles, en mémorisant la disposition relative de quelques unes d'entre elles. Mais ce système a des limites. Les étoiles doivent être visibles (migration nocturne, ciel clair) et il faut aussi que les configurations apprises restent perceptibles sur tout le trajet ! Or, un migrateur qui descend loin en latitude, éventuellement au-delà de l’équateur, verra peu à peu disparaître sous l’horizon les constellations apprises. Il paraît donc clair que d’autres repères viennent épauler celui-ci. - Photo : Rotation circumpolaire visualisée grâce à un long temps de pose de l'appareil photo. - Schéma : Champ magnétique terrestre. -

Tout se passe comme si les oiseaux possédaient une boussole interne, plus perfectionnée que la nôtre, pour s'orienter grâce au champ magnétique terrestre. Les lignes de champ sont inclinées (et leur inclinaison varie assez régulièrement) partout sur Terre, sauf près de l'équateur où elles sont horizontales, et aux pôles magnétiques, où elles sont verticales. Le champ augmente en intensité à mesure que l'on approche des pôles et sa déclinaison (l'angle que fait la ligne de champ avec le Nord géographique) varie d'une manière plus difficile à décrire. Qui plus est, ces paramètres subissent des variations diurnes et sur de plus grandes durées. L'oiseau ne perçoit pas la polarité du champ (il ne peut pas distinguer le Nord du Sud), mais il distingue la direction "vers le pôle" de la direction "vers l'équateur", grâce à l'inclinaison des lignes de champ. - Schéma : Inclinaison du champ magnétique terrestre. -

Des particules de magnétite ont été trouvées dans la tête des oiseaux, en particulier dans la zone ethmoïde (la partie avant du crâne, près des orbites et du nez) et dans le bec. Elles constituent un détecteur de magnétisme extrêmement sensible. Par ailleurs, des expériences ont fait ressortir que la perception du champ magnétique terrestre repose sur le système visuel. La réponse à la lumière au niveau des cônes de la rétine serait modulée par la manière dont ils sont traversés par les lignes de champ magnétique et notamment de l'inclinaison de celles-ci. Les photorécepteurs exposés à une lumière blanche fourniraient une "signature" magnétique "le long" de la rétine (puisque ils sont situés sur sa courbe), et cette signature dépendrait de l'orientation de l'oiseau dans le champ magnétique. Au fond de l'oeil, sur l'image visuelle viendrait se superposer une autre image, qui permettrait de décoder la direction.

Les oiseaux utilisent en majorité le soleil dans leurs déplacements, mais pas directement, puisque l'orientation a lieu dans le plan horizontal. Pour aller au sud à midi (solaire), un oiseau ne va pas vers le soleil (dans le ciel), mais vers la projection verticale du soleil sur l'horizon. Ainsi, bien que la course apparente du soleil autour de la terre soit de 360° par 24 heures, soit 15°/h, sa projection se déplace avec une vitesse qui varie selon la latitude, la saison et l'heure du jour. Pour pouvoir utiliser le soleil comme une boussole, l'oiseau devra effectuer une correction en fonction de l'heure qu'il est (évaluation de l'azimut solaire - noté 'a' sur le schéma ci-contre). Comment l'oiseau fait-il pour comparer les directions du soleil à différents moments? En fait, les données empiriques montrent que l'oiseau "lit" la position azimutale du soleil dans un cadre de référence qui lui est fourni par la boussole magnétique. En raison de la variabilité du mouvement azimutal (saison, latitude, heure...), il est probable que le lien heure/azimut (calibrage de la boussole solaire) est appris avant la première migration, soit moins de 3 mois après l'éclosion.

Les oiseaux élaboreraient donc une sorte de carte mentale qui intègre certains éléments du paysage et leurs relations spatiales (c'est à dire leur emplacement les uns par rapport aux autres) lors des premières explorations aux environs du nid. Elle comprend éventuellement des repères visuels lointains (montagnes), des odeurs, ainsi que la variation locale de l'inclinaison du champ magnétique en fonction du lieu qui pourra être extrapolée à des distances plus grandes. Toutefois, la question de la nature exacte des coordonnées (inclinaison magnétique? déclinaison magnétique? intensité magnétique? autre chose?) reste ouverte. Chez des zostérops (passereaux) soumis à une pulsation démagnétisante agissant sur la magnétite, les adultes sont déviés, mais pas les juvéniles. - Photo : Vautour fauve couvant. -

Qu'est-ce qui les différencie ? Les migrateurs juvéniles qui se rendent vers des quartiers d'hiver qui leur sont encore inconnus se basent uniquement sur un programme migratoire inné qui leur donne le cap à prendre (direction uniquement). Par contre, les adultes ont déjà passé un certain temps dans les quartiers d'hiver et incorporé dans leur système d'orientation des informations apprises durant les migrations. Donc la déflection des zostérops adultes (mais pas des juvéniles) ne peut s'expliquer que par un effet de la pulsation magnétique non sur le compas, mais sur la composante magnétique de la carte navigationnelle. Ce n'est pas une erreur en direction, c'est une erreur en position estimée! On peut donc supposer que si la boussole magnétique repose sur des mécanismes chimiques liés à la lumière, la magnétite de la zone ethmoïde, elle, est responsable de la partie magnétique du sens cartographique. Les propriétés théoriques de réponse de la magnétite (réponse plus fine que celle de la boussole chimique) sont compatibles avec ce qu'on sait de la précision cartographique des oiseaux. - Photo : Magnétite, Bolivie. -

Magnétite de l'oiseau : "Chaque cristal, de 40 à 100nm de longueur, possède un domaine magnétique unique, soit un domaine de Weiss unique avec des moments alignés suivant une même direction, donc une véritable boussole. La polarité d’un cristal à monodomaine déterminerait la direction de croissance du cristal et la polarité des nouveaux cristaux adjacents."

Le pic d'activité migratrice de nombreuses espèces est observé juste après le coucher du soleil, jusque 0h-1h du matin, suivi d'une diminution au cours de la nuit puis d'une reprise au lever du soleil (pour les migrateurs diurnes). La pollution lumineuse des villes peut donc perturber des oiseaux qui se heurtent aux grands immeubles et superstructures lors de leurs déplacements. Inversement, l'étourneau sansonnet a su s'adapter, bénéficiant de la bulle de chaleur urbaine. Il se sédentarise et devient invasif. Toutefois, réuni en colonies de très nombreux individus dans des dortoirs, la nuit, son sommeil est fortement perturbé, il est plus actif, plus nerveux, changeant de perchoir lorsqu'il est dérangé, il fiente, chante et crie davantage. C'est peut-être un de ces dortoirs que j'ai remarqué dernièrement, près de la gare de Florence en Italie : un bruit lancinant et suraigu dominait celui de la circulation automobile pourtant très dense. Levant les yeux, j'ai vu un grand nombre d'oiseaux qui ne cessaient de s'agiter et de se déplacer d'un rameau à l'autre sur trois grands conifères bordant l'église de Santa Maria Novella. J'avais observé un phénomène identique il y a une vingtaine d'années sur la place principale du centre historique de la ville de Tolède dont les arbres étaient emplis d'oiseaux excessivement bruyants et agités le soir.

J'ai cherché des informations sur la migration des vautours fauves car nous leur rendons justement visite aux Peñas d'Itsusi pour notre première sortie de groupe naturaliste nouvellement reconstitué. Malgré les froidures hivernales, ils sont en pleine période de préparation des nids, d'accouplement et de couvaison. Je n'ai cependant pas trouvé de données précises à leur sujet, bien qu'un certain nombre d'individus soient suivis de près pour contrôler la réussite de leur réimplantation dans des sites où l'espèce avait disparu, suite aux persécutions dont ils ont fait l'objet. Les adultes sont sédentaires. Seuls les juvéniles et les immatures migrent, à partir de l'automne, car la maturité sexuelle des vautours est assez tardive (vers 4-5 ans chez le Vautour fauve), d'où une longue période d'errance. On les retrouve notamment dans les pays d’Afrique du Nord comme le Sénégal, le Maroc, le Mali, le Tchad et probablement le Niger. En Afrique de l'Ouest, ces Vautours fauves rentrent en contact avec des espèces locales comme le Vautour de Rüppell, voire le Vautour africain : certains de ces oiseaux les accompagnent lors de leur retour en Espagne à la fin de l'hiver, ce qui explique certainement les observations croissantes de Vautour de Rüppell dans ce pays voisin. - Photo : Vautour fauve : Epuisés durant la migration dans le désert (photo d’Yves Thonnerieux) -

Étant d'excellents voiliers, il leur est facile de parcourir de longues distances. Un vautour non nicheur peut facilement parcourir 100 à 400 kms par jour, et un individu en bonne santé ne commence à souffrir qu’après deux ou trois semaines de jeûne. Ainsi, même sans avoir trouvé de quoi manger, un oiseau peut faire un voyage de plusieurs milliers de kilomètres et revenir à sa colonie d’origine. A leur retour d'Afrique, ces jeunes oiseaux se dispersent sans doute dans toutes les directions, mais leur présence n'attire l'attention que dans les régions où elle est insolite comme le nord de l'Europe. Au XVIIIe siècle, le Vautour fauve nichait encore au sud de l'Allemagne, et plus haut encore aux XIIIe et XIVe siècles (à la latitude du Luxembourg). Au printemps, la présence de groupes de vautours est ainsi de plus en plus souvent remarquée au Nord et à l'Est de la France, en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas.

Inversement, un vautour né dans les Grands Causses a fait un aller-retour jusqu'aux confins de la Grèce et de la Bulgarie, et un autre né en Croatie y est retourné après plus d’un an d’absence pendant lequel il a visité Israël, les Alpes françaises et le Massif central. Chez les vautours espagnols et français, on observe ainsi des déplacements printaniers et estivaux, d'avril à septembre (et en particulier en mai et juin), orientés vers le nord et le nord-est, des mouvements orientés vers le sud-ouest pouvant être assimilés à une migration d'automne. Ces déplacements permettent aux vautours de profiter de toutes les ressources alimentaires disponibles et de préserver celles des territoires de nidification. Des échanges entre colonies ont été mis en évidence par le baguage des individus, notamment des jeunes au nid. Des mouvements permanents sont ainsi constatés entre la France, l’Espagne, l’Italie, la Croatie, la Grèce et jusqu’en Israël. - Diagramme : Distances de migration depuis la mer de Wadden (source Engelmoer 2008). -

Lors de nos balades pyrénéennes, nous nous sommes toujours demandés comment les vautours fauves faisaient pour trouver les ascendances et courants thermiques nécessaires à leur déplacement en vol à voile. Le soleil est, là encore, mis à contribution de deux manières. Le matin, il chauffe le sol qui emmagasine la chaleur et la restitue dans l'air de façon différenciée en fonction de sa nature : un pierrier, des rochers, un village seront des endroits privilégiés au-dessus desquels l'air s'échauffe plus vite et s'élève. Les vautours les repèrent, prennent ainsi de l’altitude (plusieurs centaines de mètres) en spirale sans battre des ailes et donc sans se fatiguer. Ensuite, ils se laissent glisser, toujours en planant, perdent petit à petit de la hauteur jusqu’à la prochaine ascendance où ils remontent à nouveau. Si le mauvais temps les surprend, ils sont obligés de faire une halte. Les rapaces peuvent ainsi parcourir 300 à 400 km par jour sans grands efforts. Cette technique a un inconvénient : la migration doit se faire surtout au-dessus des terres, car il n’y a pas d’ascendances thermiques au-dessus des mers et océans. Les migrateurs sélectionnent l’altitude de vol pour laquelle le vent est le plus favorable. Une trentaine de cygnes chanteurs suivis au radar à partir de l'Ecosse ont pu gagner l'Islande à une vitesse moyenne de 180 km/h : ils volaient au coeur d'un jet stream à plus de 8000 m d'altitude ! Les plus hautes altitudes atteintes par un oiseau furent enregistrées à la suite d'une collision entre un avion et un vautour de Rüppel dans le ciel africain. L'accident eut lieu à 11 300 mètres. L'avion perdit un moteur ; le vautour perdit la vie.

Le deuxième facteur relatif au soleil est la polarisation de la lumière. Des expériences menées avec des Bruants des prés en Alaska ont montré qu'ils utilisent la lumière polarisée du lever et du coucher du soleil pour recalibrer périodiquement leur compas magnétique. Plaçant des filtres de lumière polarisée au-dessus de leurs cages pendant une heure au lever ou au coucher du soleil, les chercheurs leur ont fait croire que la lumière venait d'une direction différente. Quand ils ont été relâchés, ils sont partis dans la direction de la lumière polarisée filtrée. En effet, les nuages peuvent cacher le soleil ou les étoiles et des changements de latitude peuvent altérer le champ magnétique, nécessitant un recalibrage. Les rayons de lumière naturelle vibrent dans différentes directions lorsqu'ils se déplacent dans le vide, mais au lever et au coucher du soleil, la lumière traverse une épaisse couche d'aérosols qui la polarisent circulairement. La composante droite est en excès le matin et la composante gauche en excès le soir. - Une carte de la distribution de la polarisation de la lumière dans l'espace interstellaire montre également des structures à grande échelle dans notre galaxie. -

Sur le site du département éthologie de l'université de Genève, je trouve les explications complémentaires suivantes sur la nature de la polarisation de la lumière. "En 1949, Karl von Frisch apprend de deux physiciens que, en raison des propriétés de réfraction de l'air, la lumière du ciel bleu est polarisée. La lumière est une onde électromagnétique. Contrairement à l'eau, où les ondes ne se produisent que dans le plan vertical (i.e., un bateau, lorsque passe la vague, se déplace dans le plan vertical), les ondes électromagnétiques se produisent dans tous les plans à la fois. Cependant, lorsque la lumière est polarisée, certains plans sont supprimés (la lumière est ainsi, en quelque sorte, peignée par un filtre polarisant!). La polarisation du ciel est maximale à 90° du soleil. De plus, l'orientation du vecteur de polarisation (le sens de "peignage" du filtre) dépend des positions respectives de l'observateur, du soleil et du point observé. Il s'ensuit que la polarisation du ciel permet de savoir où est le soleil (à 180° près, en raison de la symétrie du patron de polarisation), même s'il n'est pas visible."

Pour terminer ce texte inspiré par notre balade aux Peñas d'Itsusi, je précise que nous nous étions partagé les tâches pour cette première balade inaugurale du groupe reconstitué à partir des anciens participants aux sorties naturalistes organisées par Dimitri Marguerat. Alain, fort d'un diplôme d'accompagnateur de montagne, a déterminé le trajet. Mag et Jean-Jacques se sont chargés des explications géologiques, et j'ai donc choisi de parler de la composante astronomie dans les migrations des oiseaux. Chemin faisant, Alain nous a fait part de ses connaissances naturalistes et de la façon dont il s'informe sur ce qu'il est possible de voir le jour de ses sorties, en consultant le site Faune Aquitaine. Y sont signalées, en cette fin février, les premières remontées de grues et d'oies. Nous voyons à plusieurs reprises des vols de pinsons (des passereaux, mais pas déterminés avec exactitude), impossibles à photographier tant ces oiseaux se déplacent rapidement d'un vallon à l'autre. Il nous fait faire une pause devant une mare en nous disant qu'elle contient des oeufs. Heureusement que l'une d'entre nous ose poser la question de savoir où ils se trouvent, car je ne les vois pas non plus. En réalité, comme les masses gélatineuses de dizaines ou centaines d'oeufs ont déjà été pondues depuis un certain temps, elles ont été salies par la vase et envahies par des mousses, ce qui les rend méconnaissables.

Il formule son enquête en posant des devinettes. En quelle période sommes-nous ? En hiver. En quel lieu ? En montagne. Ce sont des grappes immergées : elles ont été pondues par des amphibiens anoures (sans queue) plutôt que par des urodèles (salamandres, souvent vivipares). Les crapauds pondent en chapelets : ce sont donc de futures grenouilles. Agiles ou rousses ? Les premières vivent en plaine, nous sommes donc en présence d'oeufs de grenouilles rousses qui ont pondu en janvier chacune de 50 à 25 000 oeufs qui éclosent peu à peu, en fonction de la température ambiante, après deux ou trois semaines d'incubation, et donnent naissance à des têtards de teinte foncée. Il nous dit qu'après l'accouplement, le mâle reste enfoncé dans la vase au fond de la mare, pour protéger son territoire. Sur ce, deux grands chiens excités arrivent en galopant, se baignent dans une mare voisine, puis passent entre nos jambes pour piétiner joyeusement notre site d'observation en nous éclaboussant copieusement ! Nous sommes horrifiés, mais pas tant que les pauvres têtards qui s'agitent en tous sens. D'ici deux ou trois mois, là aussi, cela dépend de la température, ils se métamorphoseront en grenouilles adultes. En principe, nous indique-t-il, plus les animaux sont petits, moins ils vivent vieux. La grenouille rousse (7 à 8 cm) vit tout de même entre 5 et 10 ans. Elle pond ici depuis plusieurs années. Il est difficile de distinguer entre le mâle et la femelle, celle-ci étant un peu plus grosse et le premier comportant des callosités nuptiales aux pouces. Elle ne pond que dans les eaux stagnantes. Si elles viennent à s'évaporer, la ponte est perdue et les têtards meurent.

Alain nous signale une espèce endémique qui vit dans un espace circonscrit à l'ouest pyrénéen, entre le nord de la province de Huesca et nos Pyrénées atlantiques, de 800 à 2 100 m d'altitude. C'est la rana pyrenaica, qui ne mesure pas plus de 5 cm et affectionne au contraire les eaux vives, bien oxygénées. Comme il fait partie de l'association Cistude, il nous signale qu'à chacune des conférences, données notamment au muséum d'histoire naturelle de Bayonne qui est implanté sur la réserve naturelle de la Plaine d'Ansot par le jeune et très compétent Mathieu Berroneau, celui-ci distribue le livre auquel il a fortement contribué, qui est également diffusé sur Internet : Guide des amphibiens et reptiles d'Aquitaine. Arrivés sur le site spectaculaire des falaises où nichent les vautours, il dresse sa lunette qui nous donne l'impression de pouvoir les caresser et nous raconte quelques scènes auxquelles il a assisté, car il vient régulièrement les observer. Par exemple, il s'est amusé de voir que les vautours les plus paresseux vont chiper les herbes et brindilles déjà entassées pour la confection d'un nid par les plus diligents.

Certains nids sont très élaborés, d'autres franchement négligés. Il a aussi assisté à des accouplements, et quelques uns d'entre nous voient aux jumelles une femelle se soulever et retourner son oeuf pour bien le chauffer régulièrement, avant de se remettre en position de couvaison. Des chèvres, arrivées de Dieu sait où, s'installent commodément sur un piton isolé, tout près de ces rapaces auxquels on fait une réputation d'agresseurs qui ne correspond vraiment pas à leur tempérament ni à leur anatomie. Il nous fait remarquer des fientes qui deviennent verdâtres, signe de leur ancienneté : c'est un site fréquenté depuis un très grand nombre d'années. Il recommande la lecture des deux numéros de la revue La Hulotte consacrés au Vautour fauve : le n° 91 et le n° 93. Après le pique-nique près du joli ruisseau en cascades, loin des vautours nicheurs pour ne pas les déranger plus longtemps que nécessaire, nous faisons une dernière pause devant un conglomérat ou poudingue, où Jean-Jacques et Mag nous expliquent la géologie du massif en s'aidant d'une carte réalisée à partir du site du BRGM. Quelle chance de pouvoir ainsi partager notre passion de la découverte de la nature en échangeant les bribes de connaissance que chacun possède !

SOMMAIRE

Retour d'Alain sur le site le 25 avril 2012
...J'ai décidé hier matin de narguer l'instabilité du climat pour faire un tour sur la "falaise aux vautours". En arrivant, peu après le lever du jour, au col de Méhatché, j'ai bien vu que je ne serais pas dérangé par d'autres randonneurs. Le vent, bien que soufflant du Sud, était fort et glacial. Mon camescope, monté sur trépied, porté sur l'épaule, pour pouvoir réagir à toute observation, je suis parti sur le GR10. Les pottocks qui m'ont vu passer ont dû trouver bizarre cette démarche chaotique et heurtée, tant j'ai dû subir les nombreuses et violentes rafales de vent. La "mare aux grenouilles", non loin de la borne 83, était bien remplie d'eau mais vide d'occupants. Les quelques jours chauds et doux de mars, en asséchant brièvement la flaque, ont été fatals à ces petits êtres en devenir qu'étaient les têtards. Une grande étendue, tout à côté, était tachée de nombreux narcisses bulbocodium. Une fois installé confortablement contre un pan de rocher, face à la petite falaise, j'ai pu promener ma longue-vue sur les nombreuses vires marquées de longues traînées blanchâtres. Et j'ai eu un grand choc! Les cinq ou six nids que j'avais repérés il y a quelques semaines étaient vides! Aucun adulte, mais aussi aucun petit! Que s'est-il passé durant ces dernières semaines de froid, vent et pluie pour que toutes ces pontes échouent? Même la seule ponte de remplacement, aperçue près d'un mois après les autres, n'avait rien donné. J'ai finalement trouvé un seul nid, beaucoup plus bas et assez bien protégé, occupé par une mère et son petit. Celui-ci avait toutes ses plumes commencées mais toutes petites et rondes. La boule de plumes brun-marron foncé se serrait contre sa mère en sursautant de temps en temps. Au bout d'une heure, vaincu par le froid, je suis reparti en sens inverse, et j'ai encore eu l'impression de marcher contre le vent. Un couple de bergeronnettes printannières voletait au ras du sol pour progresser, suivi par un couple de pinsons du nord et un mâle de bouvreuil pivoine. En repartant par le col de Légarré, je me suis arrêté pour admirer un quatuor de milans noirs, montant dans une ascendance thermique en compagnie de deux vautours...

 

 

Cathy, contribution à la balade naturaliste du groupe Dimitri aux Peñas d'Itsusi
Migration et astronomie
Vendredi 24 février 2012