Il n’est pas très facile
aujourd’hui de bien nous
représenter le saut de géant accompli par les deux personnages
dont nous allons vous parler ce soir, Tycho Brahe et Kepler. Il est nécessaire
pour cela de faire un retour en arrière pour comprendre l’ambiance
qui résidait à leur époque.
Lorsque l’empire romain d’Occident disparaît sous les assauts
répétés des invasions barbares, l’empire romain
d’Orient résiste encore quelque temps, puis il est emporté à son
tour. De ces décombres jaillissent deux cultures, le monde chrétien,
replié sur lui-même, et le monde musulman, très dynamique,
et qui occupe la majeure partie du pourtour méditerranéen.
Il s’approprie les connaissances du monde antique qu’il fait
progresser dans certains domaines.
Les Croisades et la Reconquista
Au XIe siècle, l’Europe moyenâgeuse part en Croisades vers le Moyen-Orient où elle fonde des royaumes latins d’Orient et elle commence à envahir (reconquérir selon son point de vue) la péninsule ibérique. Ces contacts en divers fronts ne sont pas que militaires. Des échanges culturels ont lieu, et des œuvres sont traduites de l’arabe en latin. Parmi celles-ci, celles des Grecs Platon, Aristote et Ptolémée contribueront beaucoup à l’évolution des idées en Europe. - Illustration : Arrivée des Croisés à Constantinople. -
La première Renaissance
John of Holywood, latinisé en Sacrobosco, étudie ces textes antiques et compose vers 1230 « De sphaera mundi », le traité d'astronomie le plus diffusé du Moyen Âge. Il a le grand mérite d’introduire un nouvel outil pour pratiquer les sciences : il explique en effet dans ses traités les principes de la numération de position indienne, qui est utilisée par les commerçants levantins et les savants arabes (c’est à dire les chiffres que nous utilisons encore aujourd’hui), alors que jusqu’à la Renaissance, les calculs en Europe seront encore couramment effectués avec des bouliers et des jetons et les résultats inscrits en chiffres romains. - Illustration : Joannes de Sacrobosco, Professeur de la Sorbonne, mathématicien et astronome, Tractatus de Sphaera. -
Cette nouvelle écriture des nombres facilite l'introduction des tables numériques, particulièrement des tables de trigonométrie. Le roi Alphonse X de Castille ordonne aux plus grands astronomes de son royaume la construction de nouvelles tables astronomiques à partir du système de Ptolémée, « les tables alphonsines » : un travail gigantesque achevé en 1252 qui contient nombre d'informations sur le mouvement des astres mais sont encore influencées en grande partie par des idées religieuses. - Illustration : Les Tables alphonsines (1252). -
La Renaissance : La chute de Constantinople, la découverte des Amériques, l’imprimerie
Au XVe siècle, une accélération de la remise en question de la culture moyenâgeuse européenne s’effectuera pour deux raisons. Avec l’avancée ottomane, Constantinople est menacée, et les Byzantins se réfugient à Venise et en Italie, emportant dans leurs bagages leurs livres, dont font partie des textes de l’Antiquité, encore plus nombreux qu’avant. Une nouvelle vague de traductions, cette fois du grec en latin, permet aux Européens d’avoir encore une meilleure connaissance de la culture antique. Une nouveauté technique permettra une diffusion encore plus large : c’est l’imprimerie, perfectionnée par Gutenberg. Enfin, n’oublions pas que nous sommes à l’époque de la navigation hauturière : les marins s’élancent loin des côtes, traversent les océans. Christophe Colomb découvre les Amériques en 1492, et le premier tour du monde initié par Magellan sera achevé en 1522. Les limites du monde antique explosent. Tous les fondements du savoir, la philosophie, les sciences, la religion même sont remis en cause. Le monde vacille sur sa base et vous verrez très vite que ce n’est pas une image, mais la réalité. - Illustration : Siège de Constantinople, 1453. -
La conception antique du Monde
En effet, Tycho Brahe et Kepler vont s’attaquer à la conception du monde antique. Largement inspirée de Platon, et surtout d’Aristote, elle a été récapitulée dans un livre écrit par Ptolémée qui s’intitule « La grande syntaxe mathématique » et qui est plus connu sous son nom arabe de « L’Almageste ». En quoi consiste-t-elle ?
La sphère céleste
Selon cette conception, la Terre est au centre du monde, et elle est immobile, tandis qu’autour d’elle, tout bouge. Depuis la plus haute Antiquité, le cercle et la sphère sont considérés comme les formes les plus parfaites. Il paraît donc évident que les étoiles, surnommées les fixes, sont pour ainsi dire clouées sur une sphère invisible qui tourne autour de la Terre en 24 heures autour d’un axe Nord Sud. Il en est de même pour le Soleil mais celui-ci semble se déplacer jour après jour sur cette sphère au cours de l’année le long d’un cercle que l’on nommera l’écliptique, qui coupe l’équateur céleste en deux points correspondant aux équinoxes de printemps et d’automne. Quant aux planètes, surnommées les astres errants, elles ont des parcours compliqués qui poseront bien des problèmes aux astronomes, mais elles sont aussi associées chacune à une sphère qui les soutient et les transporte. - Illustration : Les sphères du Monde antique. -
La position de tout point sur la surface de la sphère céleste peut être donnée par référence à l’équateur céleste ou à l’écliptique.
Un mouvement circulaire uniforme
Dans un premier temps, les Grecs ont représenté le mouvement
du Soleil par un mouvement circulaire uniforme, ce qui aurait dû entraîner
des durées de saisons égales. Or ils s'aperçoivent dès
l'époque de Méton (au Ve siècle av. J.-C.) que ce n'est
pas le cas. Donc, la vitesse angulaire du Soleil vu depuis la Terre n'est
pas constante. - Illustration : Ptolémée (IIe s. après
J.-C.). -
Sauver les apparences
Mais comme les Grecs veulent garder à tout prix
des mouvements circulaires uniformes, ils imaginent deux solutions équivalentes
pour " sauver
les apparences " : le cercle excentrique et le système des épicycles.
- Dans le système excentrique, tout astre se meut toujours d'une vitesse
uniforme sur un cercle, mais la Terre n'est plus au centre, elle est excentrée.
- Dans le système des épicycles, tout astre décrit à vitesse
constante un petit cercle (l'épicycle), dont le centre décrit à la
même vitesse, mais en sens inverse, un plus grand cercle (le déférent)
centré sur la Terre. La seconde solution a l'avantage de laisser
la Terre au centre du monde. - Illustration : Almageste.
-
Ces
deux solutions impliquent que la distance Terre-Soleil n'est plus constante.
Elle varie entre deux valeurs extrêmes, le périgée pour
la plus proche et l’apogée pour la plus lointaine.
Ces systèmes sont utilisés pour modéliser le mouvement
des planètes.
L'élaboration de ce système constitue un progrès capital dans l'astronomie antique. En décomposant les mouvements complexes des astres en cercles parcourus par ceux-ci à vitesse constante, on rend possible la confection de tables astronomiques très précises et très fiables qui permettront, par exemple, les premiers calculs d'éclipse solaire.
L’Almageste, largement commenté par les astronomes arabes, restera la seule source des calculs des positions des planètes jusqu'à l'époque de Kepler. - Illustration : Le principe de l'épicycle. -
C’est ainsi que l’astronome Johannes Müller von Königsberg, latinisé en Regiomontanus, utilise les données de l’Almageste pour prévoir dans ses éphémérides pour la période de 1475 à 1506, les longitudes et latitudes planétaires journalières et les prévisions de toutes les éclipses. Elles seront pour l'époque une espèce de best-seller. Mais, déjà, il considère que la comparaison de ses propres observations avec les données des Anciens doivent, selon lui, régénérer et aider l’astronomie à trouver « la Vérité ». - Illustration : Johannes Müller von Königsberg (Regiomontanus). -
Quant à Nicolas Copernic, il doute du système géocentrique de Ptolémée qui, à ses yeux, ne possède aucune unité et semble contradictoire avec le principe fondamental du mouvement uniforme. Influencé par la métaphysique de la lumière de Ficin et de son Académie florentine de Careggi qui irrigue les universités italiennes où il étudie de 1496 à 1506, il place le Soleil au centre de l’univers, faisant tourner les planètes autour, la Lune tournant autour de la Terre et la Terre tournant sur son axe pour rendre compte du mouvement des étoiles. Il montre qu’il existe un rapport fondamental entre la distance des planètes au Soleil et la durée de leur révolution qui reflète la grandeur de leur orbe. La sphère des fixes est renvoyée très loin. La Terre détrônée perd sa fonction de centre immobile du monde pour devenir une planète parmi les autres. Il est mourant lorsqu'en mai 1543 son livre De revolutionibus orbium coelestium paraît à Nuremberg, trois ans avant la naissance de Tycho Brahe.
Tycho Brahe (Tyge Ottesen Brahe),
dit Le noble Danois ou L’homme au nez d’or
(14 décembre 1546 — 24 octobre 1601)
Tyge Ottesen Brahe naît le 14 décembre 1546 au château de Knudstrup, en Scanie, qui est alors une province danoise. Son père, Otto Brahe, d’origine suédoise, est un noble et une figure importante de la cour du roi du Danemark. Sa mère, Beatte Bille, est issue d’une importante famille qui a fourni des hommes politiques et des hommes d’église. Alors qu’il est encore très jeune, il est enlevé par son oncle, Jürgen Brahe, qui n’a pas d’héritier. Il lui fait apprendre le latin par un précepteur dès l’âge de sept ans. Le 19 avril 1559, Tycho Brahe a douze ans quand il est envoyé à l’université de Copenhague. - Illustrations : Tycho Brahe. Carte : La Scanie. -
Cela fait moins d’un siècle qu’elle existe. En effet, le Danemark se développe tardivement par rapport aux autres pays européens. La christianisation des peuples vikings est encore relativement récente, et elle s’est faite pour des raisons politiques, sous impulsions royales. Parallèlement, l’islandais est tombé en désuétude et l’influence allemande n’a cessé de croître, sous l’égide de rois allemands. L’université ne prendra son essor qu’à la conversion au protestantisme du roi Christian III qui en fera la profession de foi du Danemark dès 1539. Les biens du clergé catholique seront confisqués et l’université reprise en main par les Luthériens, mais son niveau est encore faible lorsque le jeune Tycho y entre pour y étudier le droit, la philosophie et la rhétorique, car son oncle qui l’élève le destine à suivre ses traces et à devenir un homme d’Etat. - Photo : Château de Knudstrup.
Je fais ici une petite parenthèse pour signaler l’importance de la conversion au protestantisme des deux-tiers de l’Allemagne en 1555. En effet, son fer de lance sera l’éducation, et les Luthériens auront à cœur la création d’écoles et de bibliothèques où ils inciteront filles et garçons de toutes classes sociales à se rendre, sachant mettre immédiatement à profit ce nouveau média que représentait le livre imprimé pour diffuser largement leurs idées. Cette nouvelle réalité politico-religieuse influera profondément sur la vie de Tycho Brahe, et surtout sur celle de Johannes Kepler. Celui-ci bénéficiera d’une bourse d’études accordée aux enfants des pauvres et des fidèles de dispositions diligentes, pieuses et chrétiennes par l’église luthérienne du duché de Würtemberg qui avait instauré un système moderne d’enseignement. Son génie précoce suffira à lui assurer automatiquement son passage de l’école au séminaire (tout en latin), et à l’université de Tübingen. - Illustration : Martin Luther encourage la lecture de la Bible, et donc l'alphabétisation des filles et des garçons, la promotion des bibliothèques de communauté et le renouvellement du fonds de livres grâce à l'imprimerie. -
Le 21 août 1560 (Tycho Brahe a 13 ans), une éclipse de soleil attire l’attention de Tycho sur les phénomènes astronomiques. Quand il voit qu’elle se produit à l’heure prédite, il ressent, je le cite, « comme quelque chose de divin que les hommes pussent connaître les mouvements des étoiles si précisément qu’ils pouvaient prédire longtemps à l’avance leur place et positions relative ». Dès lors, il se met à étudier les ouvrages scientifiques en circulation à travers l’Europe. Il acquiert l’Almageste de Ptolémée dans son édition latine récemment imprimée à Bâle. Il lit John of Holywood, latinisé en Sacrobosco. - Photo : Eclipse solaire de 1999. -
Après ses trois années passées à l’université de
Copenhague, Tycho Brahe passera une grande partie de son temps durant la
période de 1562 à 1576 à voyager en Allemagne, étudiant
dans les universités de Leipzig, Wittenberg et Rostock, et travaillant à Bâle,
Augsbourg et Kassel. L’argent qu’il reçoit de sa famille
pour satisfaire ses plaisirs sert à financer l’achat de livres
et d’instruments astronomiques (bâton de Jacob, quadrants, astrolabes…).
Il se mettra également à fabriquer ses propres instruments. À l’université de
Leipzig, où il reçoit une instruction élémentaire,
il se livre, à l’insu de son gouverneur, à des études
de mathématiques et d’astronomie, ainsi qu’à l’alchimie
et l’astrologie. En effet, si, jusqu'au milieu de la Renaissance, astrologie
et astronomie ne s'opposent pas encore, elles ne se confondent déjà plus
: l’astronomie classique ne se consacre qu'aux positions des étoiles
et des planètes et à leur calcul, alors que l'astrologie s'intéresse à l'interprétation
des positions relatives des astres pour les événements terrestres.
En ce sens, en dehors du comput pascal, les connaissances astronomiques ne
constituent qu'une technique auxiliaire de l'astrologie. Jusqu'au XVIIe siècle,
plusieurs astronomes, dont Kepler, continueront à tirer des horoscopes
pour leurs protecteurs princiers, mais n'y voient plus leur activité principale.
Une conjonction Jupiter-Saturne se produit le 24 août 1563, un événement
prédit avec une erreur d’un mois par les tables alphonsines,
basées sur le système de Ptolémée, et avec une
erreur de plusieurs jours par les tables pruténiques, fondées
sur le système de Copernic. Cette incertitude choque Tycho, et il
décide de relever le défi pour améliorer ces performances.
Il a alors 16 ans. - Photo : Conjonction Jupiter-Saturne. -
Anecdote assez cocasse, lors d’un duel à Wittenberg en 1566 avec un cousin étudiant, certainement à la suite d’un désaccord mathématique ou astronomique, il perd le bout de son nez. Dès lors, il portera un nez postiche fait d’argent et d’or, ce qui lui vaudra son surnom de L’homme au nez d’or. Mais la mésaventure n’empêchera pas ce poète, homme de lettres et charmeur, de devenir l’un des savants les plus en vue de son temps, avec la bénédiction du roi Frédéric II du Danemark. - Illustrations : Tycho Brahe avec son nez postiche. Le grand quadrant astronomique d'Augsburg dessiné et construit par Tycho Brahe. -
À la mort de son père, survenue en 1571, il retourne en Scanie et hérite d’un domaine, Herrevadsskloster, où il installe un laboratoire. Il se remet à l’étude et découvre le 11 novembre 1572, à l’âge de 25 ans, une nouvelle étoile dans la constellation de Cassiopée, aussi brillante que Vénus (l’étoile du berger). Il s’écrie alors :« Nova ! Nova !… ». Elle est visible pendant un mois en plein jour, et il en suit la trajectoire apparente à l’aide d’un sextant. Cette révélation l’aide à s’éloigner de l’alchimie pour se consacrer particulièrement à l’astronomie. Il tente d'estimer sa distance par un calcul de parallaxe (mais la première mesure exacte de la parallaxe d’une étoile sera publiée en 1838 par l’allemand Friedrich Wilhelm Bessel). - Illustration : La nouvelle étoile de 1572 dessinée par Tycho Brahe. -
Il faut savoir que, depuis l’antiquité avec Aristote, le monde au-delà de l’orbite lunaire était considéré comme éternellement immuable, au contraire du monde sublunaire, constamment changeant et instable. C’est la raison pour laquelle des contemporains de Tycho Brahe disaient que l’objet devait se trouver entre la Lune et la Terre. Dans un premier temps, Tycho Brahe fait observer que l'objet n'a pas de parallaxe diurne dans le contexte des étoiles fixes d’arrière-plan. Ce qui implique qu'il est au moins plus loin que la Lune et les planètes, qui, elles, montrent de telles parallaxes. En outre, il constate également que l'objet n'a même pas modifié sa position par rapport aux étoiles fixes sur plusieurs mois, comme le font les planètes. Cela lui donne à penser que l’objet céleste n'est pas une planète, mais une étoile fixe dans le domaine stellaire au-delà de toutes les planètes. Il fait publier l’année suivante De Nova Stella, une nouvelle où il consigne ses conclusions et écrit entre autres que les novas sont des étoiles qui deviennent visibles ou plus remarquables pour les observateurs de la Terre, suite à une augmentation de leur brillance. À partir de mars 1574, sa luminosité tombe en dessous du seuil de visibilité à l'œil nu. Aujourd’hui, on appellerait celle-ci une supernova de type I : cataloguée SN 1572, nous savons maintenant qu’elle se trouve à 7 500 années-lumière de la Terre. - Schémas : Le Monde selon Aristote. Ci-dessous : Principe de la parallaxe diurne. -
Cette découverte de Tycho Brahe qui remet en question l’immuabilité des cieux le rend célèbre en Europe. Ce qui frappe, c’est le terme « nouvelle étoile » qu’il emploie. Son apparition est l’un des deux ou trois événements les plus importants dans l'histoire de l'astronomie. La « nouvelle étoile » a contribué à briser les anciens modèles des cieux et inaugurer une formidable révolution en astronomie. Cette découverte a permis de réaliser de meilleurs catalogues de classification astrométrique et a nécessité le développement d'instruments d'observation astronomique plus précis. - Illustration : Sextant construit et dessiné par Tycho Brahe sur l'un de ses livres qu'il a imprimé sur sa propre presse (Hven, 1588). -
En 1574, Tycho Brahe donne plusieurs cours et conférences à l’université de Copenhague. Dès cette époque, il est convaincu que les progrès de l’astronomie dépendent de méticuleuses observations. En 1576, alors qu’il retourne régulièrement à Bâle, qu’il considère comme l’endroit le plus approprié pour ses études astronomiques, il reçoit en cadeau du roi Frédérick II un fief sur l’île de Hven dans le Sound danois, face à Copenhague. Grâce à de généreuses provendes royales, il y élit domicile et construit un palais et un observatoire qu’il appellera Uraniborg (Uranie étant la muse de l’astronomie) et qui sera achevé en 1580. Grâce à cette dotation, il pourra entreprendre des projets d’observation sur le long terme : cartographier les étoiles fixes avec précision, observer et enregistrer le changement de position des planètes par rapport aux étoiles fixes. Il y fabriquera toute une gamme d’instruments de taille remarquable offrant une précision inégalée qu’il utilise, avec l’aide de nombreux assistants et étudiants, pour observer les comètes, étoiles et planètes. Il y fera l’adjonction d’une imprimerie pour publier ses travaux, d’un laboratoire d’alchimie, et même d’un moulin pour produire du papier, car le manque de cette matière première retardera l’édition de certains de ses travaux. - Illustrations : Sextant construit et dessiné par Tycho Brahe sur l'un de ses livres qu'il a imprimé sur sa propre presse (Hven, 1588). Château d'Uraniborg. -
Les doutes sur l’immuabilité des cieux sont confirmés cinq ans après l’apparition de la supernova. En 1577, il commence ses observations à Uraniborg et le 13 novembre de la même année, il fait la découverte de la comète qui est à la base de son second ouvrage sur les mouvements De Mundi atherei recentioribus Phoenomenus Progymnasmatum publié en 1587. Tycho Brahe, qui a alors 30 ans, observe le passage d’une comète brillante et analyse son mouvement. Ses observations et mesures de parallaxe montrent que la comète se déplace par rapport au fond constitué par les étoiles (devant la constellation du Sagittaire), mais beaucoup plus lentement que la Lune. Elle devrait donc elle aussi se trouver au-delà de l’orbite de notre satellite, alors que les comètes avaient toujours été considérées comme des phénomènes atmosphériques (on pensait qu’il s’agissait de gaz brûlant dans l’atmosphère). - Illustration : Tableau turc de la comète de 1577. Ci-dessous : Gravure sur bois de la comète de 1577 faite à Prague. -
Ces observations confirment donc les
résultats de 1572, en mettant
en évidence un deuxième objet céleste soumis à des
changements. Une illustration de son livre la représente comme un
objet planétaire en révolution circulaire autour du Soleil
au-delà de l’orbite de Vénus.
Il fait construire en 1584 un observatoire astronomique enterré qu’il
appelle Stjerneborg (Palais des étoiles). Celui-ci comporte des chambres
souterraines dans lesquelles sont installés des instruments et dont
les toits, ou coupoles, dépassent du sol. Tycho a besoin de garde-temps
précis et fiables pour cartographier le ciel avec précision.
Il paraît que ses horloges avaient un mètre de diamètre
et comportaient un millier de dents. Les progrès constants dans ce
domaine lui permettent de mesurer à la seconde près dès
1577. Pourtant, il se plaint de ne pas arriver à synchroniser ses
horloges. Les horloges mécaniques sont si peu fiables qu’il
utilise une clepsydre (une horloge à eau, peut-être emplie de
mercure) pour mesurer les intervalles de temps extrêmement réduits.
- Schéma : Mercure et Vénus (et une comète)
orbitent autour du soleil « C » dont l'orbite "SOL" figure
autour de la Terre,
de même que celle de la lune
(dessiné par Tycho Brahe). -
Tycho Brahe a lui-même décrit ses instruments un peu partout dans ses publications et sa correspondance, mais les comptes-rendus les plus détaillés se trouvent dans Astronomiae instauratae mechanica (1598) qui révèle qu’il utilisait quatre types de sphères armillaires destinées à l’observation. Il utilisa d’abord une sphère armillaire zodiacale qui permettait d’obtenir les coordonnées écliptiques des objets célestes (longitude et latitude célestes) directement, sans aucun calcul. Ses autres instruments donnaient des positions par rapport à l’horizon (altitude et azimut). Il décrit ses instruments comme des améliorations des sphères armillaires d’Hipparque et de Ptolémée, car elles ne comportent que quatre anneaux, au lieu de cinq ou six. Mais il s’aperçoit que leur précision est amoindrie par la distorsion des anneaux. Il remonte donc une armillaire zodiacale en équatoriale (ascension droite et déclinaison) en 1581, mais il utilise les deux systèmes en parallèle jusqu’en 1591. Les sphères armillaires équatoriales sont construites de façon à résoudre ce problème de flexion ou torsion sous l’effet de leur propre poids, et il peut obtenir les positions des étoiles en coordonnées équatoriales. Il a au moins deux jeux, constitué de trois ou quatre anneaux. Ensuite, il construit « La grande sphère armillaire équatoriale » qui comprend un cercle et demi. Le premier fait environ 2,60 m de diamètre et il est monté sur un axe autocentré. Le quatrième instrument est aussi composé d’un cercle et demi, et il l’a brièvement décrit comme un appareil portatif qui peut faire des observations dans tout système de coordonnées. Chaque instrument est très finement gradué et équipé de viseur pour éliminer toute erreur de parallaxe. - Illustrations : Tracés des trajectoires des comètes et calcul de leur distance à la Terre (Carnet de note de Tycho Brahe). -
Ce travail d'observation, effectué aussi par Tycho Brahe à l'aide
du quadrant mural qu'il a fait construire dans son château d’Uraniborg,
est une condition essentielle des découvertes ultérieures de
son assistant, Johannes Kepler. Ce quadrant fait de l'antique sphère
armillaire un instrument de mesure universel.
Les contributions de Tycho Brahe aux progrès de l’astronomie
sont énormes. Non seulement il conçoit et fabrique des instruments,
mais encore il les calibre et vérifie périodiquement leur exactitude.
C’est une révolution dans l’instrumentation astronomique.
Il change aussi profondément les pratiques d’observation. Alors
que les astronomes antérieurs se contentaient d’observer les
positions des planètes et de la Lune à certains points importants
de leur orbite (opposition, quadrature, station…), Tycho et son équipe
d’assistants observent les corps tout le long de leur orbite. En conséquence,
un nombre d’anomalies orbitales qui n’avaient jamais été notées
sont mises en évidence par Tycho Brahe. Sans ces séries complètes
d’observations d’une précision sans précédent,
Kepler n’aurait jamais pu découvrir que les planètes
se déplacent sur des orbites elliptiques. Tycho est aussi le premier
astronome à effectuer des corrections de la réfraction atmosphérique.
En général, la précision obtenue par ses prédécesseurs
ne dépassait pas 15 mn d’arc, alors que Tycho put faire des
observations à 2 mn d’arc, ses meilleures ayant une précision
d’une demi-minute d’arc. - Illustration :
Vue des parties supérieures
du Stjerneborg, dessinée par Willem Blaeu vers 1595. -
Ainsi, effectuant avec ses instruments les meilleures mesures jamais faites pour la recherche de la parallaxe stellaire, il conclut, puisqu’il n’arrivait pas à la mettre en évidence, que, soit la Terre était immobile au centre de l’univers, soit les étoiles étaient si éloignées que leur parallaxe était trop petite pour pouvoir être mesurée. Ce grand penseur formula correctement cette question pivot, mais il fit le mauvais choix de réponse. Il ne pensait pas qu’il soit possible qu’elles soient si loin et conclut que Copernic avait tort en affirmant que la Terre n’était pas au centre du monde. Il proposa un modèle de système solaire intermédiaire entre celui de Ptolémée et celui de Copernic, qui fut adopté pendant un temps. L'observation du ciel au travers de lunettes au début du XVIIe rendra caduque cette objection en révélant les limites d'une observation à l'œil nu du ciel. - Illustration : Description des instruments astronomiques par Tycho Brahe dans « Astronomiae instauratae mechanica » (1598)
Vers 1592, Tycho a produit un catalogue de 777 étoiles, le premier nouveau catalogue connu depuis l’époque de Ptolémée. Il sera imprimé en inclusion dans ses Astronomiae instauratae progymnasmata, bien que le livre ne soit pas achevé et ne paraisse qu’en 1602, après la mort de Tycho. Son œuvre contient aussi sa théorie solaire, y compris des tables, achevées vers 1589, et une section sur les mouvements lunaires que Tycho mettra le reste de sa vie à compléter. Dans l’intervalle, d’autres observations d’étoiles fixes seront faites, qui porteront à 1000 le nombre d’étoiles dans le catalogue, bien que nombre de ces positions stellaires additionnelles aient été moins précises que les précédentes. Tycho envoie des copies de son manuscrit du catalogue d’étoiles à des mécènes potentiels en 1598 et 1599, en même temps que l’impression des Astronomiae instauratae mechanica. L’empereur Rodolphe II recevra aussi un manuscrit d’éphémérides des positions quotidiennes du soleil et de la lune pour l’année 1599. Des tables astronomiques pour les planètes seront imprimées en se basant sur les données de Tycho, comme le catalogue des 1000 étoiles, mais pas avant 1627. Les Tables Rodolphines seront achevées par Johannes Kepler, en accord avec sa théorie planétaire. Bien que ce ne soit pas immédiatement reconnu, les positions prédites dans son travail étaient généralement environ trente fois meilleures que celles des tables précédentes. - Illustration : Quadrant mural orienté sur un méridien et gradué de 0 à 90°. -
En 1588, Tycho Brahe, à la mort du roi Frédéric II, perd ses mécènes. Comme il est un piètre administrateur, plein de dureté (profitant du système de corvée) pour les habitants de l’île dont il monopolise les ressources, il perd en 1596 le soutien du roi Christian IV ainsi que la pension que Frédérick II lui avait octroyée. En 1597, à la suite de la destruction de son domaine par ses détracteurs, il prend tous ses biens et fait équiper un bateau pour lui, sa femme, ses enfants et ses quelques disciples fidèles, puis quitte l’île de Hven. Il voyage quelque temps, puis, en 1599, s’installe dans le château de Beneteck près de Prague où il travaille en tant que mathématicien Impérial de la cour de l’empereur Rodolphe II. En 1600, il invite Johannes Kepler à venir travailler à ses côtés. Il meurt dans la ville de Prague en 1601, avant d’avoir 55 ans. Sur son lit de mort, il délire mais dans ses moments de répit dit à Kepler : « Ne frustra vixisse videar ! » (débrouille toi pour que je ne paraisse pas avoir vécu en vain !), car il s'est rendu compte qu'il n'avait réalisé que des Progymnasmata (travaux préliminaires). Johannes Kepler répondra à ce dernier vœu en publiant Astronomiae instauratae progymnasmata dès 1602. Les instruments de Tycho Brahe seront conservés un long moment, mais ils seront finalement perdus. - Illustration : Sphère armillaire pour mesurer l'ascension droite et la déclinaison des objets célestes. -
Société d'astronomie
populaire de la Côte basque SAPCB :
Première partie d'une conférence aux Ecuries de Baroja à Anglet,
l'autre partie étant assurée par Marie-Jeanne O. sur
le thème de Johannes Kepler. Cathy C-E |
Tycho Brahe |
Mardi 17 avril 2012 |