Notre séjour à Tenerife aurait pu se dérouler de manière banale, à l'instar des quelque 5 millions de touristes (dont Anglais : 1,8 et Espagnols : 1,5) qui déferlent chaque année sur l'île par ses deux aéroports Nord et Sud, les bateaux-croisière immenses et les ferries qui font escale dans ses ports, pour jouir essentiellement du soleil et des plages de sable noir. Ce n'est pas l'hébergement qui manque, et les complexes immobiliers font concurrence aux bananeraies "industrielles" pour stériliser le peu de terre plane sur son pourtour. Si l'on y ajoute les 900 000 habitants permanents, dont le quart est concentré au Nord à Santa Cruz et presque la moitié dans l'agglomération que cette capitale canarienne forme avec La Laguna, l'île atteint une densité humaine très importante sur ses plaines et plateaux. Fort heureusement pour les amoureux de la nature sauvage, près de 45% de sa surface est protégé de cette invasion pacifique mais très néfaste, un espace qui comprend notamment le Parc national du Teide, créé en 1954, et juste à côté, le Parc naturel de la couronne forestière, ainsi que les Parcs ruraux d'Anaga et de Teno. Comme les gens ne marchent pas, nous sommes quasiment seuls à explorer l'île, depuis sa côte rocheuse au nord, en passant par ses "barrancos" ou canyons pour monter au-delà de la ceinture de pins canariens et découvrir la caldeira spectaculaire du volcan. - Schéma : Google Earth, les îles Canaries. - Photo ci-dessous : Tenerife vue d'avion, avec le volcan du Teide enneigé. -
En quelque endroit de l'île que
nous nous trouvions, il est impossible d'oublier qu'il s'agit d'une
formation
volcanique : la roche friable et légère qui affleure
un peu partout, les "bouches" béantes qui rappellent
les exhalaisons mortelles qui ont
dû en jaillir,
les
torrents
de laves
multicolores superposées en rubans torsadés qui surplombent
la mer en falaises vertigineuses, des espaces qui commencent à peine à être
colonisés par une végétation très particulière
et nous imposent l'évidence
d'un monde en constante évolution... Les îles
Canaries ont commencé à émerger
du fond de l’océan à partir du
Miocène,
il y a 23 millions d’années. Les plus anciennes
sont La Gomera, Gran Canaria, Fuerteventura et Lanzarote, alors que El Hierro,
La Palma et Tenerife se sont formées plus récemment. Elles
se trouvent au-dessus d'un "point
chaud" qui naît de la présence
inhabituelle de matériel
mantellique profond et chaud à la base de la lithosphère (la
croûte terrestre). La vitesse et le sens de déplacement des
plaques lithosphériques,
la géométrie et la puissance du panache mantellique, et le
contexte tectonique local (fracturation de la croûte) influencent
la répartition spatiale, la nature et la durée de l'activité volcanique
liée au point chaud. Le Teide, que nous voyons tout enneigé à notre
arrivée en avion,
est le point culminant d'Espagne (3718 m), et c'est aussi le troisième
plus grand volcan du monde (après le Mauna Loa et le
Mauna Kea à Hawaï),
si on le mesure depuis
sa base à 3500 m de profondeur sous la surface de la mer. -
Schéma : Le phénomène du "point chaud" en volcanologie. -
Il
a eu un rôle
non négligeable
dans l'histoire de la volcanologie, car les savants du 19e siècle,
en particulier allemands, lors de leur traversée de l'Atlantique
vers l'Amérique,
faisaient escale aux Canaries.
Von
Humboldt en a fait l'ascension en 1799 : "Depuis des siècles,
le Pic de Ténériffe,
dont la hauteur perpendiculaire est de plus de dix-neuf cents toises,
n'agit que par des éruptions latérales. La dernière
de ces éruptions
est celle de Chahorra qui a eu lieu en 1798. " Il
faut attendre 1867, pour que Karl von Fritsch, George Hartung et W.
Reiss énoncent
l'idée que la caldeira
s'est effondrée lors des grandes explosions
avec émission de pierres ponces, qui ont provoqué l'expulsion
violente d'un volume colossal de matériaux
fragmentés. Ce sont effectivement
les proportions inhabituelles de ce "chaudron" qui nous frappent
au premier abord, d'autant que son éventration permet d'y accéder
directement par la route qui la parcourt sur toute sa longueur, contrairement à la
caldeira du Piton de la Fournaise sur l'île de La Réunion
que nous avions découverte
en 2000.
Par
ailleurs, Telesforo Bravo suggère
en 1962 que des dépressions ont été formées
par d´énormes glissements gravitationnels
d´une partie de l´île, de plus de 100 km cube, engendrant
la vallée de Güimar il y a 800 000 ans,
celle de la Orotava, 500 000, et le bassin de Las
Cañadas,
170 000. Cette théorie est confirmée en 1995 et 1997 par
la découverte
des dépôts sous-marins correspondants. -
Photos : Portion de la caldeira du Teide "Las Cañadas, avec une coulée
de lave récente
- Une plante commence à coloniser la lave - Des roches bleu-vert dans
le secteur "Los Azulejos" contiennent du fer altéré par la circulation
de gaz volcaniques et d'eaux thermales : fer hydraté. -
La structure de l'île est complexe, car elle n'a pas émergé d'un seul coup, mais s'est constituée au contraire par la succession de plusieurs volcans dont les éruptions ont parfois eu lieu en plusieurs endroits simultanément. Tenerife a commencé à apparaître il y a 7,5 millions d’années en trois endroits correspondant à l’Anaga au nord-est, au massif du Teno à l’ouest et au Roque del Conde auquel s'est superposé l’édifice de Las Cañadas il y a 1 million d’années qui s’est effondré à plusieurs reprises pour former l'actuelle caldeira. Celle-ci a été en partie comblée par deux nouveaux édifices : le Pico del Teide et son voisin le Pico Viejo. Bien que le Teide n’ait pas connu d’éruption historique majeure, de nombreux cônes de scories et coulées de lave ont recouvert ses flancs. Ce fut le cas de 1704 à 1706 avec la formation des volcans de Siete Fuentes, Fasnia, Güimar et Garachico mais aussi en 1798 avec Las Narices del Teide et en 1909, cette dernière éruption formant le Chinyero. Ces édifices se localisent tous en dehors de la caldeira à l’exception des évents du Pico Viejo (1798).
Voici
la chronologie des éruptions
historiques : 1150 (?), 1341, 1396, 1400, 1430, 1444 (?), 1492 (observée
par Christophe Colomb, lors de son escale avant sa route pour l'Amérique),
Siete Fuentes, Fasnia, Guimar : 1704-1705 (87 jours) ; Montaña
Negra : 1706 (39 jours), détruisant
le village de Tanque et le port de Garachico ; Chahorra : 1798 (97 jours)
au pied
Sud-Est
du
Teide, à l'intérieur de la caldeira de Las Cañadas
; Chinyero : 1909 (9 jours). Depuis c'est le repos du volcan. Mais on voit
que la
fréquence
des éruptions est globalement du domaine du siècle. Donc,
la probabilité d'une
prochaine éruption augmente au fil des années... Non
loin de là, des éruptions
récentes se sont aussi produites à
La Palma (1971, Teneguia, 25 jours et 1949 Duraznero-Hoyo Negro,
38 jours) et à
Lanzarote (1824, Tao-Nuevo del Fuego–Tinguaton, 77 jours).
Les
anciens Guanches le disaient bien :
ce
volcan, dont le nom évoque
l'enfer (echeide) selon certaines sources, est habité par le diable
Guayota, représenté dans les mythes par un féroce
chien noir
! Quand le volcan entrait en éruption, les Guanches, paraît-il,
allumaient des feux pour faire croire à Guayota que toute l’île était
aussi un enfer et obtenir le détournement du flux de lave.
A
ce propos, j'ai cherché à savoir qui avaient été ces
Guanches, d'où
ils venaient et quelle avait été leur
culture. Je me suis trouvée face à deux discours, non
exempts de profondes implications politiques. Le premier tend à faire
accroire que les Guanches ont été totalement exterminés
par les Espagnols. La conquête
des Canaries a débuté dès le XIVe siècle
par des expéditions portugaises, puis, après
une forte
résistance
des
autochtones pendant plus d'un siècle
malgré leur armement considérablement moins performant,
les Espagnols s'y sont
installés, introduisant par leur simple présence des
maladies (influenza et petite vérole) fatales à beaucoup
d'insulaires qui n'avaient pas acquis de défenses immunitaires,
et réduisant
ces peuples à l'esclavage. Des survivants ont été incorporés
aux équipages des voiliers en
route vers
l'Amérique
et des familles entières déplacées
aux fins de coloniser les terres nouvellement
conquises (Vénézuéla, Cuba, Jamaïque). Le
deuxième discours s'appuie sur des études
ethnologiques qui démontrent que plus de la moitié de
la population actuelle serait d'origine
guanche par filiation maternelle (les hommes ayant été effectivement
décimés). Sachant que, dans ce cas, les Canaries seraient
une des rares terres colonisées à être
demeurée
sous
la coupe
directe de ses
envahisseurs européens, le fait que des "aborigènes" subsistent
en grand nombre, même s'ils ont été fortement métissés,
et qu'ils maintiennent dans
une certaine mesure des traditions de la culture Guanche,
éclaire d'un jour différent la gestion de l'île par l'Espagne.
- Photo : Une méduse Caravelle Portugaise échouée
sur le sable saharien de Las Teresitas, la plage de Santa Cruz. -
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Jean-Louis et Cathy guidés par Cédric et Loreto | Tenerife |
Séjour du 18 au 28 mars 2011 |