Dimitri Marguerat accompagne en randonnée naturaliste Jean-François Gr., Viviane, Jacqueline, Françoise I., Margaitta, Jean-Louis et Cathy
Les Causses
Dimanche 13 au samedi 19 avril 2014
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Ceux du groupe qui marchent en éclaireurs lient conversation avec un homme qui retape une maison à Hauterives. En fait, ils rêvent de boire un café après le pique-nique et lui demandent s'il pourrait leur en préparer. L'homme est ravi de faire une pause et, après avoir installé le groupe sur sa terrasse, il nous raconte son histoire. Nous avons de la chance, Jean Bancillon est le président de l'association Altaripa, ancien nom de Hauterives, créée en 2006 pour faire revivre le village. Celui-ci compte 14 propriétaires, mais aucun habitant, bien que beaucoup de travaux aient été accomplis depuis dix ans pour réhabiliter le bâti, grâce à la benne qui a permis de passer le matériel de la rive droite, longée par la route, à la rive gauche où se trouve le village. L'été, surtout de la mi-juillet à la mi-août, il peut y avoir jusqu'à cent personnes qui s'activent ici. Le compteur a enregistré quelque 6000 passages de randonneurs sur l'année, sans compter les canoës. Le café est rénové depuis 8-9 ans chez Jean Bancillon qui occupe l'ancienne maison du meunier. Fort aimablement, il m'expédiera quelques jours plus tard le livret qui retrace ses dires et dont j'extrais de nombreux passages. - Photo ci-dessous : Hauterives, vu depuis la rive opposée -

"Des jardins, en gradins, accrochés au versant illustrent la conquête des habitants sur la pente au profit de leurs "champs". Tout le paysage autour de Hauterives porte la marque du travail de l’homme au cours des siècles. Ces terrasses ou "bancelles" permettent de modestes cultures : des arbres fruitiers, cerisiers, figuiers, amandiers, noyers, cognassiers, ou encore de la vigne. On en comptait 328 ha en 1924, entre Ispagnac et Le Rozier. Y poussent également quelques céréales : orge, avoine, épeautre et seigle, fauchés à la faux ou à la faucille, ainsi que des plantes nourricières telles que des vesces, fèves, pois chiches, et autres lentilles et topinambours ou pommes de terre. Les pentes abruptes sont parcourues par de petits troupeaux de brebis et de chèvres, fournissant la laine pour l’habillement, et le lait pour les habitants. Pour atteindre les pâtures situées en rive droite, les troupeaux traversent le Tarn dans des barques de bois à fond plat, longues de 5 à 6 mètres, où les animaux se rangent "cul à cul", le chien assurant la garde à l’avant du bateau. Chaque famille élève un (ou plusieurs) cochon, sacrifié pendant l’hiver. Tout dans le cochon est utilisé. La viande est entreposée dans le charnier, situé à l’étage, de préférence au nord, exposée aux courants d’air. On accroche le lard salé à des "lattes" accrochées au plafond, on suspend saucisses, saucissons, jambons. A la cave, semi-enterrée, une niche est utilisée comme "garde-manger", et remplace le frigo d’aujourd’hui. La température moyenne y est de 10 à 15°." - Photo : Le Tarn à Hauterives -

"Dans la pièce principale, une grande cheminée assure le chauffage, et permet de cuire les aliments. Les autres pièces sont rarement chauffées. Les lits sont réchauffés à l’aide de bouillottes ou de chauffe-pieds emplis de braises, installés dans "le moine". Le potager (fourneau) est un foyer où l'on fait mijoter les potages sur des braises. Il sert aussi tout simplement à maintenir au chaud des plats avant de les servir à table. Le type ancien ou rural du potager est constitué par une épaisse pierre plate (haute de 20 à 25 cm) qui garde bien la chaleur des cendres disposées en-dessous et qui est percée de un ou deux trous carrés ou circulaires qui vont en se rétrécissant de haut en bas. Parce qu’il est construit au bord du Tarn, l’eau n’est pas un problème pour le village. Seules trois maisons (sur les treize) sont équipées d’une citerne recueillant l’eau de pluie. Si nécessaire, l’eau fraîche est fournie, à l’aide de brocs et de seaux, par une source en rive droite, un peu en amont du village : "La Fontaine". A ce jour, Hauterives n’a toujours pas d’adduction d’eau potable. Le Tarn n’est pas qu’un moyen d’accès, ou la ressource en eau. Il constitue également une réserve alimentaire (il est réputé pour être très poissonneux et ses eaux de bonne qualité). La ressource économique qu’il représente est d’une importance capitale. Le gibier, abondant, constitue un complément non négligeable de la nourriture habituelle. Le vin est une boisson "de base". On boit sa bonne part, et on vend le superflu, ou on le troque. La vigne est cultivée de part et d’autre des bancelles, dans les pierriers au nord et au sud du village. Sa culture est exigeante : régulièrement, il faut remonter la terre descendue au bas de la pente jusqu’en haut de la parcelle. Cela se fait à dos d’homme, dans des "comportes" de bois. Le jour de fabrication du vin, après avoir écrasé le raisin, on prélève quelques litres du moût sucré. On le mélange à de l’eau de vie, à un peu de sucre, et on obtient "la cartagène", un semblant de Pineau servi en apéritif. - Photo : Réfection de l'abri du moulin dit "La Grotte" -

Ceux qui n’ont pas de four particulier utilisent pour leur usage le four banal ou "de communo". Après l’avoir longuement chauffé, on enfourne de grandes "tourtes" de seigle. Quand le four est chaud, tout le village cuit son pain à tour de rôle. Restauré en 2003 par l'association Altaripa et de nombreux sympathisants, amoureux du village de Hauterives, il reprend chaque année du service à l’occasion de la "fête du pain". Le facteur fait le va et vient, à pied, de Saint Chely du Tarn (7 km). Quelques années plus tard, il descend le courrier d’Anilhac (Causse Méjean) par le sentier, et y remonte, toujours à pied. Par la suite, une boîte à lettres sur câble a permis au courrier de traverser le Tarn, et aujourd’hui, une boîte à lettres commune à tous les habitants du village est accrochée à "la benne". Chaque famille produit son miel et a une ou plusieurs ruches (ruchers troncs).  La ruche-tronc, comme son nom l'indique, est creusée dans une portion de tronc d'arbre. Le couvercle de la ruche tronc est fourni par une « lauze », une dalle de calcaire, façonnée dans de la pierre trouvée aux alentours. Pour subvenir aux besoins de la famille, il arrive que les parents partent faire les vendanges dans le midi, ou les moissons sur les causses. Les enfants "se louent" pendant les vacances pour garder des troupeaux, ou aider aux foins dans des fermes plus cossues. Les cheminées sont construites selon le style Caussenard. Les souches sont relativement massives, appuyées sur des murs pignons de section carrée ou rectangulaire. Le couronnement de la cheminée est composé de grosses dalles de couverture, reposant sur quatre (ou plus) pierres verticales, et chapeautées par une pierre pyramidale, officiellement pour éviter que le vent ne l’emporte. Mais, selon une légende locale, cette pierre, nommée en patois "le Coucut", devait, au temps de l’inquisition, empêcher les sorcières de se poser sur la cheminée et d’entrer dans l’habitation, amenant le mal avec elles... - Photo : Une des cheminées d'Hauterives -

Le long du Tarn, nombreux étaient les moulins. Chaque village en avait au moins un. En Lozère, on comptait, vers 1800, 1268 moulins (un moulin pour cent habitants environ). Peu de moulins à vent ont été bâtis sur les Causses. En effet, des problèmes techniques liés à la violence du vent ne l’ont pas permis. Les gens du Causse avaient donc besoin des moulins de la vallée pour monder. Au-dessous des maisons accrochées sur la pente, l’ancien moulin malmené par les crues a les pieds dans l’eau du Tarn depuis une éternité. Ce moulin est muni d’un système à roue horizontale, particulièrement bien adapté au faible débit du Tarn en été. Il est également prévu pour affronter les caprices du Tarn. Peu propice aux grandes meuneries, il répond en revanche parfaitement aux besoins de petites communautés. Il est un lieu social important. Autour de lui se nouent des échanges entre "Caussenards et Ribeyrols" qui, en plus des habituelles relations humaines, troquent des graines du plateau contre poissons, fruits et vin de la vallée. Les céréales produites sur le Causse seront transformées en farines. La chaussée, en étiage, permet le passage d’une rive à l’autre sans trop se mouiller les pieds ! En amont de celle-ci, s’étend une plaine d’eau appelée "le planiol". Pour les voyageurs en barque, Hauterives est une halte forcée ! Il faut changer de barque pour poursuivre la descente de la rivière. Le moulin compte une paire de meules à monder (ôter les coques de noix ou d'amandes) (meules utilisées aussi pour la production d’huile de noix ou d’amandes). La chauffe des cerneaux est effectuée dans le bâtiment de stockage, appelé « La Grotte », qui comporte une cheminée. Cet abri, qui a tant compté pour les femmes et les hommes du village, était condamné à disparaître. Grâce à l'aide financière de l'Etat, du département de la Lozère, de la fondation du patrimoine, du service départemental de l'architecture et du patrimoine et au soutien technique du Sivom Grand Site des Gorges du Tarn, de la Jonte et des Causses, les propriétaires on pu le sauvegarder. Les travaux de maçonnerie ont été entrepris par l'entreprise Ghislain Monziols de Les Vignes, et la toiture réalisée en lauzes calcaires par Jean Vernhet, artisan couvreur. Il semble que ce bâtiment, pourvu d'une cheminée, ait été utilisé pour le stockage temporaire du grain ou de la farine afin d'éviter l'encombrement du moulin, pour la "chauffe" et le pressage des noix et amandes préalablement broyées dans le moulin. A titre d’exemple : pour obtenir un litre d’huile de noix, il faut 2 kilos de cerneaux, représentant 6 kilos de noix non décortiquées ! La lauze calcaire est simplement posée, scellée à la chaux en bordure des murs et au faîtage. La particularité des constructions caussenardes réside dans l'unité du matériau qui sert à bâtir les murs, les voûtes et la toiture : le calcaire. Le moulin est ruiné par la grande crue de 1900, qui entame également la chaussée. La construction de la route actuelle ouvre la voie vers des moulins plus accessibles, et pour faciliter le passage des barques, la chaussée restante est en partie détruite à l’explosif… Au fur et à mesure de sa déchéance, il a été utilisé comme carrière par le voisinage ! Afin d’éviter un effondrement imminent, en 2005, Jean Rogier et Jacques Chavanon (La Planète des Moulins) ont réalisé un plan des lieux, et reconstruit la partie de voûte effondrée dans le canal d’entrée. - Photos : Réfection de l'abri du moulin dit "La Grotte" - Hauterives : Aperçu des ruines du château du XIe s. dont les ruines imposantes dominent le village -

Le village est moyennageux. Les premières traces d’habitations remontent au 7ème siècle, et les premiers bâtiments en pierre sont construits au 10ème siècle. En 1790, il compte 75 habitants. En 1892, il est composé de 15 habitations. En 1901, 42 personnes y vivent, elles ne sont plus que 25 en 1946. En 1933, l’école située au centre du village accueille 26 élèves. En 1946, elle n'en accueille plus que 9. Le village de Hauterives a connu l’exode rural. Au fur et à mesure du départ des plus jeunes, le village s’est doucement endormi, les broussailles ont gagné du terrain… Il n’y est plus resté qu’une seule personne. Mais l’arrivée de nouveaux propriétaires, la création d’une association, aboutissent à une prise de conscience collective de la nécessité de protéger ce patrimoine. A partir de 1996, sous l’impulsion de Jean-Jacques Delmas, président du SIVOM Grand Site des Gorges du Tarn, de la Jonte et des Causses, une opération globale de réhabilitation du village est lancée. Son but est d’assurer la pérennité et la sauvegarde du hameau. Grâce aux aides financières des collectivités locales, territoriales et européennes, des projets sont réalisés. En 1997, une benne - téléphérique est mise en place au-dessus de la rivière pour le transport des matériaux, courrier et bagages. Les propriétaires peuvent plus facilement entreprendre des travaux, et, ainsi encouragés, redonner une deuxième vie au village ! Le calcaire, gélif, nécessite un entretien régulier, sinon le bâti se détériore. Peu d'artisans demeurent capables de faire la réfection des toitures en lauze calcaire et c'est très onéreux. Il n'y a qu'une seule carrière, qui change de propriétaire. Il faut se rendre sur place pour choisie les lauzes, les charger et les transborder sur la benne dont le câble peut supporter 600 kg, ou sur une barque qui fait la navette. Jean Vernhet de La Viale à Saint-Pierre-des-Tripiers, artisan couvreur, recevra le grand prix national des métiers d’art en 1998 pour son travail accompli à Hauterives. Le caladage pour partie d’un chemin, la reprise des murets a évité à l’érosion de poursuivre son travail de destruction. Des maisons sont rénovées et aménagées, des places de parking créées. Une opération de débroussaillage est entreprise, et fait réapparaître les « bancels ». Des murets en pierre sèche sont restaurés au cours de stages. Le four à pain du village, restauré, reprend « du service ». Une petite exposition permet aux randonneurs, canoëtistes,… de découvrir le village autrement. - Photo : Réfection de l'abri du moulin dit "La Grotte" -

Présente dès la protohistoire, la construction en pierre sèche s’impose comme moyen d’aménager certains terrains à travers le monde. Elle est toujours d’actualité pour optimiser l’exploitation des terres. Il n’existe aucun liant entre les pierres (pas de mortier, pas de terre, etc.). De ce fait, la multitude de vides offre plusieurs avantages : ils permettent le drainage, la filtration et assurent ainsi la régulation et l’écoulement des eaux. Ils ont un rôle écologique : c’est l’habitat typique d’espèces végétales et ils servent de refuge à différents animaux. D’autre part, le matériau est recyclable et réutilisable à l’infini ! Sans aucun liant, le mur en pierre sèche garde une certaine souplesse, et peut être plus solide qu’un mur en béton. En effet, lors de fortes précipitations, il se transforme en passoire, et laisse transiter l’eau, alors que le béton, véritable barrage, finira par céder sous sa pression ! De nombreux cas ont été constatés lors d’inondations. Des organismes en charge de la préservation du patrimoine et des savoirs ancestraux organisent des stages en direction de tout public. Le premier en Lozère a eu lieu à Hauterives en 2003, sous l’égide de quelques propriétaires et à l’initiative des Services Départementaux de l’Architecture et du Patrimoine et du SIVOM Grand Site des Gorges du Tarn et de la Jonte. Ils se sont perpétués jusqu’en 2008. - Photos : Hauterives et son moulin désaffecté au premier plan - Réfection de l'abri du moulin dit "La Grotte" -

Un entrefilet est paru dans le Midi Libre. "Hauterives se bat pour avoir l'eau - Hauterives : classé Grand Site National - Situé en zone périphérique du Parc National des Cévennes - Intégré dans le périmètre caussenard classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco. Mais toujours pas d'eau potable et d'assainissement au village ! Unis au sein d'Altaripa, association pour la sauvegarde du pays de Hauterives, les habitants désespèrent d'obtenir l'eau et l'assainissement qu'ils réclament depuis... 1994. Excédés, ils veulent que leur demande soit enfin entendue. Pays de Lozère, 8 septembre 2013." En 1994, des projets avaient été présentés et un retenu ; des études financières avaient été réalisées... Et des travaux ont même commencé. Une étude avait été réalisée à la source de La Fontaine à 400 mètres en amont du village de Hauterives en rive droite du Tarn à la demande du syndicat intercommunal du causse du Massegros. Elle avait conclu sous certaines conditions à la faisabilité d'un captage de la source, forage en nappe alluviale, alimentation depuis le réseau du causse Méjean. Et puis, tout s'est arrêté. Pour se ravitailler en eau, la trentaine de personnes qui vit là est obligée d'aller à La Malène, au robinet public, quand il n'est pas fermé. Sinon, il faut acheter des bouteilles d'eau minérale. "La plupart des gens qui viennent sont des résidents secondaires et ne votent pas sur Sainte-Enimie. On n'a aucun poids électoral", dit Michèle Bancillon. "De toute façon, il n'y a aucune politique globale de l'eau et la protection de la ressource eau n'est pas mise en place." Cet été, ce sont plus de 6000 randonneurs - des compteurs ont été mis en place par le Sivom - qui ont fait halte au village, sans compter les canoës. "Les touristes s'arrêtent chez nous pour demander de l'eau. Ce sont souvent des familles avec des enfants ; on ne peut pas les laisser comme ça !", proteste-t-elle. Autre problème par rapport aux touristes, l'assainissement. "L'ancienne municipalité était d'accord pour implanter des toilettes sèches. Dans un lieu classé et pôle d'excellence rurale, on pouvait y adapter quelque chose de très moderne", argumente encore Jean Bancillon. En mai 1976, projet d'aménagement d'une voie d'accès jusqu'au Tarn. Sera ensuite étudiée l'idée, soit d'un pont submersible, soit d'une télécabine. C'est en 1997 que la benne mise en place pour joindre ce village accessible seulement par l'eau ou à pied a sauvé Hauterives, qui veut continuer à vivre. En octobre 2003, les habitants soutenus par Altaripa se réunissent en mairie et la décision est prise de réactualiser l'étude de 1994 et de se retrouver 8 à 10 mois plus tard pour faire le point. En mai 2004, la solution préconisée serait celle d'un pompage en nappe phréatique avec construction d'un réservoir. L'assainissement pourrait être collectif par filtres plantés de roseaux. En avril 2012, la communauté de communes, qui a la compétence eau et assainissement, informe qu'il lui est impossible de financer l'eau à Hauterives. Par ailleurs, l'association s'est trouvée confrontée au refus de la création d’un abri randonneurs et de continuer à subventionner des stages de restauration de murs en pierre sèche. - Photos : Saint-Chély du Tarn, cuisine de jardin - Arbre fruitier en fleurs à Hauterives -

Je trouve intéressant de mettre en perspective la démarche de Jean Bancillon et de son association Altaripa. A l'occasion d'une exposition sur les associations, le département de la Lozère rappelle que "des groupements de lettrés, d'érudits et d'élites locales s'intéressant aux progrès des sciences, des lettres et des arts ont existé en France dès le milieu du XVIIe siècle (Académies provinciales, sociétés littéraires, sociétés savantes...). Elles ont surtout connu un développement au XIXe siècle sur l'ensemble du territoire national, avec une tendance progressive à la spécialisation, comme pour les sociétés d'histoire et d'archéologie ou les sociétés d'antiquaires. Pour certains de ces groupements et en réaction au vandalisme qui avait marqué la période révolutionnaire, est apparue la nécessité de sauvegarder le patrimoine historique et d'éviter sa dénaturation. Cette période correspond au niveau national à la mise en place des premières instances en faveur de la protection et d'interventions sur immeubles historiques (1834) et, bien entendu, aux travaux et recherches de Prosper Mérimée, un des premiers inspecteurs des Monuments Historiques. Avec la création de nouveaux groupements, la notion de protection du monument a évolué progressivement vers des entités plus vastes, comme celles des "sites pittoresques" (avec la naissance du Touring Club de France, association de tourisme fondée en 1890) ou des "quartiers anciens" (avec la commission du vieux Paris en 1897...). - Photo : Voûte en ogive à Hauterives - Un "moine" (pour chauffer le lit) -

La loi de 1901 sur les associations a permis d'offrir un cadre juridique aux nombreux groupements qui oeuvraient pour une réelle prise en compte de la notion de patrimoine historique et bâti et du patrimoine naturel. La Société pour la Protection du Patrimoine et de l'Esthétique de la France (SPPEF) en a été la première émanation, en novembre 1901, militant, avec le soutien du Touring Club de France, pour la mise en place de la première loi de protection des sites et monuments naturels, promulguée en 1906. Puis les destructions liées aux deux guerres mondiales, les avatars urbains des Trente Glorieuses (1945-1975) et leurs lots de démolition, l'exode rural et les mutations industrielles et agricoles ont vu se multiplier, à l'occasion d'affaires de retentissement national, comme la bataille du Marais à Paris ou celle du vieux Troyes, les créations de nouvelles associations locales et nationales, comme l'Association pour la protection des Villes d'Art (1963), Civitas Nostra (1964), FANSSEM (1967) ou Maisons Paysannes de France (1965). Mais c'est surtout au tournant des années 1980 que l'essor "patrimonial" et la reconnaissance du rôle de ces associations se sont caractérisés par des orientations et politiques nationales en faveur du patrimoine. Ainsi, en 1984, la journée "portes ouvertes dans les monuments historiques" a marqué l'inauguration des "Journées du Patrimoine" qui sont devenues par la suite "Journées Européennes du Patrimoine". Les associations jouent donc un rôle fondamental, souvent en étroite collaboration avec les services de l'Etat, dont le Service départemental de l'architecture ou du patrimoine, dans la mission d'éveil et de sensibilisation de la population au patrimoine, que ce soit auprès des particuliers ou auprès des élus. - Photos : Gendarmes (pyrrhocores) accouplés - Hauterives, toit de lauzes -

Sur le chemin du retour, nous entendons la fauvette à tête noire. Dans le ciel sillonne toujours le martinet à ventre blanc, à l'envergure d'un épervier mâle (58 cm). Nous croisons une voie de sanglier qui effectue une trace directe vers la ravine, car c'est un animal lourd. Nous retrouvons les arbres écorcés par le castor. Celui-ci effiloche l'écorce pour en faire de la laine qui tapissera le terrier où il accède par la rivière, sous l'eau. Les anémones sylvie recouvrent le sol humide. Nous pointons les jumelles en direction de cavités dans la falaise où niche le faucon crécerelle. A l'approche de Saint-Chély du Tarn, nous sommes accueillis par le concert des grenouilles rieuses (a-a-a-a-a-a). Dimitri nous remontre le bois de Sainte-Lucie. Sur une porte est accrochée une patte de sanglier. Nous observons encore la molène, le bouillon blanc, le muflier sauvage et la chélidoine... - Photo : Anémone sylvie -

En fin de journée, nous faisons un crochet en voiture par Sainte-Enimie qui est en pleine effervescence, c'est la fête au village, toutes les familles sont dans la rue et une équipe de télévision filme l'événement. Cette vieille cité médiévale est construite sur le flanc du Causse de Sauveterre, à l'un des passages les plus resserrés des gorges, point de franchissement privilégié du Tarn dont le village conserve le souvenir de crues mémorables. A partir de La Malène, en aval de Hauterives, il était toutefois navigable sur des barques à fond plat. Il fut ainsi la principale voie pour le transport des marchandises jusqu'à la construction en 1905 de l'actuelle route de Sainte-Enimie au Rozier, au niveau duquel ses eaux fusionnent avec celles de la Jonte. Les maisons très bien restaurées sont organisées autour de placettes, chacune dédiée à une activité déterminée décrite sur un panneau. Il y avait par exemple la place au beurre qui, les jours de marché, était exclusivement réservée aux paysannes. Elles y négociaient leur production, notamment le beurre de brebis fabriqué de nos jours à Roquefort. D'une grande finesse, il ne se cuit pas et accompagne à merveille les fromages de brebis. - Photo : Sainte-Enimie, demeure médiévale à double encorbellement -

La demeure médiévale, à double encorbellement en fin de Moyen Age, permettait de gagner de l'espace à chaque étage et de diminuer les impôts au sol. Afin d'assurer la solidité de l'ensemble, les vides de charpente en bois étaient comblés avec des roches poreuses légères issues des dépôts calcaires des résurgences, appelées tuf. En dehors de quelques rares maisons, le bois d’œuvre était rare et l'on craignait les incendies, le seul point d'eau étant le Tarn. La ruelle latérale de droite descend jusqu'à la place aux Oules, mot occitan désignant marmites ou poteries, où les potiers de Banassac venaient exposer et proposer leurs ustensiles alimentaires. Par la suite, le boucher l'utilisa comme place de tuaison du cochon, comme en témoignent les crochets et la meule à affûter les couteaux. En 1960, la loi imposa le passage obligé des bestiaux par l'abattoir. - Photo : Sainte-Enimie, demeure médiévale en tuf -

Il y avait aussi la halle au blé, exclusivement réservée aux hommes, qui était le lieu d'échange et plus tard de vente de nombreux produits agricoles. On y troquait les céréales poussant sur les causses contre vin, fruits et huile de noix produits dans les gorges. La mesure à grains, en pierre, était située autrefois au centre de la place. Sa contenance est de cinq litres. On distingue encore les gonds de l'ancien clapet de fermeture et les crochets servant à retenir le sac de récupération. Le prieur de l'abbaye prenait sur chaque cartal de blé, seigle et froment vendu à la place, une mesure rase : la leude. Sur chaque cartal d'orge et d'avoine, il prélevait une "leudière coumoule" (mesure généreuse). Sur l'arche centrale sont inscrites les armoiries de Diane de Poitiers, car au XVIe s. les Poitiers Valentinois possédaient la baronnie de Florac dont le fief s'étendait jusqu'à Sainte Enimie. Depuis, ces armoiries font partie du blason de la commune. Dans l'angle se trouve une très belle demeure en tuf, rénovée. - Photo : Sainte-Enimie, comme sur les Causses, la pierre est le matériau de base -

Sur un autre panneau, on peut lire que les moines bénédictins tirèrent profit des versants accidentés des gorges en exploitant des terrasses appelées "faïsses" (faisceaux de pierre). Le plan incliné des parcelles ou "plonquettes" en occitan permet de capter un maximum de soleil. Soutenues par des murets en pierres sèches (sans liant), elles étaient plantées, selon leur exposition, de légumes, de vignes et d'arbres fruitiers (pêchers, noyers, amandiers, chênes truffiers). Les pierres des murets étaient prélevées sur place, dégageant ainsi le sol du surplus de cailloux. La terre glissant vers le bas de la pente, il fallait régulièrement la remonter à dos d'homme. L'autre versant (causse Méjean) cache en dessous des boisements les mêmes aménagements en terrasses. L'amandier constituait jusqu'au début du XXe s. la grande ressource permettant de tirer parti des terres très pauvres. La vigne, jusqu'en 1851, occupait 54 ha pour 850 habitants. La pénibilité du travail, l'exode dû aux deux guerres, le phylloxéra et le mildiou, ainsi que l'impossibilité de mécanisation sur ces jardins en terrasse ont eu raison de ces cultures au sein des gorges. Non loin de là subsiste une échoppe de la fin du Moyen Age. Ce lieu de fabrique, d'exposition et de vente de marchandises possédait également un logis à l'étage. Elle a une ouverture en plein cintre, comportant une porte à un vantail et une baie de petite dimension, afin de préserver du froid en l'absence de vitrail. Le volet s'ouvrait vers le haut, en guise d'auvent ou vers le bas pour servir de comptoir. L'étal en pierre conservé servait à exposer les marchandises, débordant sur la chaussée. Une enseigne perpendiculaire à la rue mentionne la corporation à laquelle appartient l'artisan. Le dernier artisan connu était un cordonnier. Il existait une quantité de métiers, fixes ou ambulants. La rue s'animait dès le matin par le passage des colporteurs, du cri des bonimenteurs et de l'activité des boutiquiers dans leur "ouvroir". Face à l'échoppe, on remarque les vestiges d'une porte encastrée dans le mur côté sud. Ce serait celle de la première église paroissiale, bâtie à cet emplacement. - Photo : Sainte-Enimie -

L'origine du nom de la rue de la Privadenche est partagée. Certains la désignent comme la rue de chez Privat, famille qui y aurait vécu au XVIIIe s. D'autres affirment qu'elle a longtemps eu une fonction sanitaire : le latin médiéval "privata" pouvait désigner les lieux d'aisance. Les surfaces noircies des poutres et boiseries de la remarquable maison à colombages sont les marques d'un incendie ou bien d'enfumages ayant pour but d'éviter les propagations d'épidémies (choléra, peste). Sainte Enimie, par miracle, fut épargnée par la peste noire qui fit des ravages dans la province de 1721 à 1723. Sur les portes de cette maison, on remarque trois chardons à feuilles d'acanthes, appelés aussi carlines ou cardabelles. On attribue à cette fleur, désormais protégée, la fonction de baromètre mais aussi de protection contre les mauvais esprits. Et voici pour terminer l'histoire de l'abbaye bénédictine. En 951, l'abbé Dalmace, du monastère bénédictin de Saint-Chaffre (Monastier-sur-Gazeille, Haute-Loire), fut sollicité par l'évêque de Mende, Etienne Ier, afin de réactiver l'ancienne fondation mérovingienne, du VIIe s., d'origine royale. L'abbé accepta la donation à condition qu'elle soit totale et effective. La décision fut confirmée le 5 mai 951 à Rome par le pape Agapet II. Du XIe au XIIIe s., le monastère prospéra grâce aux nombreuses donations de terres et de biens. Après la redécouverte des reliques d'Enimie, le monastère devint puissant et rassembla sous sa dépendance plusieurs églises proches. Outre sa vocation purement religieuse, il était aussi un précieux refuge en cas d'assaut. En juillet 1788, les six derniers religieux, après décision du pape, furent sécularisés ou renvoyés vers Saint-Chaffre. - Photo : Sainte-Enimie, rue de La Privadenche -

Vers 1793, les révolutionnaires ruinèrent les bâtiments conventuels, incendièrent la bibliothèque dont la combustion des archives aurait duré huit jours. La bourgade fut rebaptisée Puits-Roc (1793-1800). L'abbaye servit alors de carrière dont beaucoup d'éléments furent dispersés dans le bourg. Vers 1885, les Frères des Ecoles Chrétiennes décidèrent d'y créer un collège. Les vestiges abbatiaux sont accessibles en période de vacances. Le réfectoire "lou réfectou" : baptisée "Salle capitulaire", cette vaste pièce était le réfectoire des moines. Voûtée en berceau, de 24 m de long sur 6 de large et 14 de haut, elle est composée de quatre travées délimitées par des arcs-doubleaux retombant sur des chapiteaux sur lesquels on distingue encore des décors d'acanthes et des visages humains. Cette pièce est éclairée par quatre baies percées sur le mur est et au sud par une plus grand baie en plein cintre. A gauche de celle-ci, dans le renfoncement de mur, prenait place le lecteur (ambon). C'est depuis cet endroit que la voix porte le mieux dans la salle. Outre les moines, le réfectoire accueillait également les pèlerins et voyageurs de passage. Dans le mur ouest, un passe-plat en forme de croix reliait la salle aux anciennes cuisines. Au cours du XIXe s., sur la plate-forme du toit, les anciens ont rapporté de la terre et cultivé des amandiers. Les vestiges de l'abbaye ont été classés au titre des Monuments historiques le 12 août 1932. La cave des moines : Située sous le réfectoire, cette pièce appelée "crypte" sans avoir eu de fonction funéraire servait à stocker vivres, denrées et vin. Elle est composée de quatre travées voûtées en berceau, délimitées par des arcs doubleaux. De fines meurtrières percées dans le mur septentrional lui donnaient au besoin une fonction défensive. La chapelle Sainte Madeleine : Située à l'extrême nord du monastère dans l'enceinte du collège actuel, elle était entourée du cimetière conventuel. Inséré dans les fortifications, son chevet constituait la base d'une tour semi-circulaire dont subsiste encore une partie de l'élévation. Datant de 1235 et offerte à l'abbaye par le baron Guillaume de Cénaret, elle a été construite dans un style roman très dépouillé, quasi militaire. Elle présente une nef étroite, voûtée en plein cintre et une abside semi circulaire couverte en cul-de-four. Cinq fenêtres romanes l'éclairent. Transformée en bergerie après la Révolution, elle a été rachetée par la mairie et restaurée en 1956. Dans le prolongement de la chapelle subsistent encore quelques pans de ce qui fut autrefois le rempart septentrional de l'abbaye. A l'entrée du collège, on observe les restes d'une tour de la fortification du monastère. - Photos : L'ermitage semi-troglodytique de Sainte Enimie - Gueule-de-Loup - Ci-dessous : Gorges du Tarn -

 

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