SAPCB Société d'Astronomie Populaire de la Côte Basque - Exposé de Cathy Constant-Elissagaray
« Verte Arabie »
Les changements climatiques du passé
Vendredi 17 avril 2015

La représentation que nous nous faisons de l’Arabie est souvent réductrice : un désert avec du pétrole. Il est difficile d’imaginer qu’il ait pu en être autrement, et que de véritables réseaux fluviaux se sont frayé un passage dans les roches, que des lacs profonds et des marais pérennes ont permis à une flore et une faune diversifiée de subsister dans leurs eaux et sur les berges. Outre les oryx et les gazelles, des aurochs, des bubales et même les aquatiques hippopotames ont pu vivre un temps sur la Péninsule. - Photo ci-dessus : Makaïnun, Yemen

Sur l’écran, le site Ayn al-Dila révèle la présence de tumuli de l’âge du Bronze (IIIe millénaire avant notre ère). Ils se trouvent au cœur de l’Arabie saoudite dans l’une des principales oasis du Najd,  Al-Kharj, qui se trouve à 80 km au sud de Riyad, dans l’un des plus grands bassins de drainage d’Arabie à la confluence de plusieurs oueds. C’est une des rares régions fertiles d’Arabie centrale, des sources d’eau douce jaillissaient jusqu’à une date récente dans ses environs et quelques avens étaient autrefois emplis d’eau, avant qu’un pompage mécanique ne provoque l’abaissement de la nappe phréatique. C’était aussi un carrefour majeur sur les routes commerciales qui reliaient le Yémen et Hijaz au Golfe et la Mésopotamie. - Photo : Ayn al-Dila, tumuli de l'âge du Bronze -

Dans la même optique, on a longtemps cru que la Péninsule Arabique était restée vide de toute occupation humaine pendant les premiers temps de l'Holocène (entre 10 000 et 5 000 ans avant notre ère), mais les découvertes archéologiques des deux dernières décennies apportent un nouvel éclairage sur cette période. En bordure et au milieu du Rub al Khali, le plus grand désert de dunes du monde, on a découvert des pointes de flèches, des lames, des racloirs de pierre. A l’est d’Amman en Jordanie, près de la source d’Al Azraq, des gravures rupestres illustrent la présence de girafes. Au Yémen, sur la piste de Riyad, subsistent les ruines de la ville sabéenne d’Ukhdud. La période précédente du Pléistocène est illustrée par la présence, dans des sites du Yémen et du Sultanat d'Oman, de pierres taillées selon des modes proches de ceux qui étaient pratiqués dans de nombreuses régions du monde au Paléolithique, comme le façonnage bifacial acheuléen, le débitage Levallois, le débitage laminaire. Leur ancienneté a été confirmée par datation radiométrique.
Quel était le contexte climatique de ces époques reculées ? Est-il possible que le sud de l’Arabie ait pu également être un lieu de passage entre l’Afrique, le Levant et le reste de l’Asie pour les premiers hominidés ?

Cette gravure rupestre vieille de 8000 ans a récemment été découverte par un targui au sommet d’une colline granitique de Dabous, au Niger. Elle est considérée comme l'un des plus fins pétroglyphes (dessin sur pierre) du monde. Le détail remarquable est ce trait relié au museau qui laisse à penser que la girafe était un animal apprivoisé. La première carte montre la diffusion de l’Homo sapiens depuis l’Afrique et la seconde l'emplacement du désert du Rub' Al Khali dans la péninsule arabique. - Photo ci-dessus : Girafe, gravure rupestre, Niger - Schémas : Homo sapiens, sortie d'Afrique - Rub' Al Khali, désert de la Péninsule arabique -

Ces vestiges archéologiques, de même que les analyses géologiques qui ont été effectuées parallèlement sur la péninsule, sont autant d’indices d’époques du passé beaucoup plus arrosées qu’aujourd’hui. Quels phénomènes sont susceptibles de faire passer l’Arabie d’une contrée fertile au désert le plus aride ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre. Examinons tout d’abord le contexte climatologique à l’échelle de la Terre entière. Durant les derniers 570 millions d’années (Ma), la température terrestre a dépassé la plupart du temps la température moyenne actuelle, représentée sur le premier schéma par une ligne horizontale. Toutefois, on constate trois exceptions notables, un premier épisode froid autour de 450 Ma, un second, très long et très froid, autour de 300 Ma et le dernier qui sévit depuis 50 Ma. Le deuxième schéma, qui se lit de droite à gauche, fait un zoom sur la température terrestre durant les derniers 70 Ma. On remarque un dernier pic de température vers 50 Ma suivi d’une chute régulière jusqu’à notre époque. Les barres discontinues bleues indiquent la présence de calottes glaciaires éphémères ou permanentes sur l’Antarctique et sur l’Arctique. Les glaciations du Quaternaire se succèdent au cours des derniers 2,58 Ma, une période dont le début coïncide avec une nette inversion du champ magnétique terrestre enregistrée dans la structure de certaines roches. - Schémas ci-dessus : Evolution de la température terrestre -

Si ce dernier phénomène n’a pas d’incidence connue sur le climat, il est toutefois le signe que notre planète est doublement vivante : la vie foisonnante et toujours renouvelée malgré les différents cataclysmes qui l’affectent périodiquement est protégée de la trop grande virulence des rayons solaires et cosmiques par le bouclier de son champ magnétique. La chaleur et les mouvements internes qui le génèrent au centre de la Terre induit un deuxième phénomène, celui de la tectonique des plaques, dont les premiers concepts furent énoncés par un climatologue allemand en 1912, Alfred Wegener. Au cours du Cénozoïque (c’est-à-dire la période qui suit l’extinction des dinosaures il y a 65 Ma), le glissement des plaques de la croûte terrestre induit la formation de gigantesques chaînes de montagnes. Avec la remontée vers le nord de l’Afrique, de l’Arabie et du sous-continent indien, l’océan Thétys amorce sa fermeture. La collision des masses continentales se traduit par l’orogenèse alpine, une ceinture s’étirant du Maroc à la péninsule indochinoise, en passant par l’Afrique du Nord, l’Europe et traversant toute la bordure méridionale de l’Asie. D’ouest en est, on trouve ainsi l’Atlas, les cordillères Bétiques, les Pyrénées, les Alpes, les Apennins, les Balkans, les Carpates, les monts Taurus et la chaîne pontique, le Caucase, le Zagros et l’Elbourz, l’Hindou Kouch, le Pamir, l’Himalaya et pour finir les chaînes de montagnes du sud-ouest de la Chine et de l’Indochine. - Schéma ci-dessus : Chaîne alpine - Ci-contre : Vallée du Grand Rift, carte et vue satellite Nasa -   

Depuis 30 Ma, il semble que l’Afrique demeure immobile par rapport au manteau terrestre dont elle gêne l’évacuation de chaleur. Par conséquent, comme un liquide qui s’apprête à bouillir, la convection du manteau s’intensifie sous le continent, engendrant la formation de grands bassins et de dômes d’altitude croissante vers l’est, ce qui modifie le cours de grands fleuves comme le Congo et le Nil et crée une mosaïque de paysages et de climats qui marquent encore l'Afrique d'aujourd'hui. Il en résulte à l’est une activité volcanique intense. Les prémices de cette grande fracture que constitue la Vallée du Rift semblent s’être manifestés dans le golfe d’Aden, il y a environ 30 Ma, pour se propager ensuite vers le sud en traversant les dômes. Marquant la séparation de la plaque somalienne de la plaque nubienne (africaine) et leur écartement vis-à-vis de la plaque arabique, une série de failles s’est ouverte depuis 20 Ma. Celles-ci s'étendent de la Jordanie à l'embouchure du Zambèze, en passant par la mer Morte, la mer Rouge et le long de l'Afrique de l'Est. Les trois plaques se rencontrent sous le triangle Afar en Ethiopie, là où la mer Rouge rejoint le golfe d’Aden. Par ailleurs, vers 4,6 Ma, le continent sud-américain a établi sa jonction avec le continent nord-américain et l’Isthme de Panama s’est fermé. Tous ces facteurs tectoniques ont engendré des changements considérables dans les courants atmosphériques et océaniques.

Durant cette même période du Cénozoïque, la vie terrestre s’est beaucoup renouvelée. Les dinosaures s’étant éteints il y a 65 Ma, ce sont les mammifères qui se sont développés dans les niches écologiques laissées vacantes. Parmi ceux-ci, les Primates sont apparus vers 70 Ma sous la forme d'un petit quadrupède proche des Insectivores (Purgatorius) sur le continent Laurasie qui regroupait l’Amérique du Nord et l’Europe. L’embranchement des Simiens se répand à partir de 50 Ma sur tous les continents sauf l’Amérique du Sud, l’Antarctique et l’Australie. Les Simiens se subdivisent à leur tour en Platyrhiniens qui peuplent exclusivement le continent américain et, vers 33 Ma, en Catarhiniens qui apparaissent d’abord dans une Afrique du Nord-Est qui comprenait encore l’Arabie. Ils se répandent dans toute l’Afrique et l’Eurasie. Ces derniers regroupent d’une part les Cynomorphes avec les Babouins, Mandrills, Macaques, Gibbons, Cercopithèques et d’autre part les Pongidés avec les Gorilles, Chimpanzés, Orang-Outans, Hommes. Bien qu'à l'échelle de l'ordre des Primates, l'Homme ne se distingue que très peu dans l'arbre phylogénique, il appartient cependant à une lignée totalement distincte de ses plus proches cousins - les grands singes - depuis plus de 6 millions d'années et le genre Homo est individualisé depuis plus de 3 millions d'années. Nous voyons sur ces cartes que les primates ont manifesté dès leur apparition une grande propension à coloniser la Terre en s’adaptant à des conditions de vie variées, dans un contexte de refroidissement climatique. Il n’est donc pas étonnant que les humains aient conservé cette aptitude jusqu’à l’espèce contemporaine, l’Homo sapiens, apparue depuis 200 000 ans en Afrique orientale. - Schémas ci-dessus : Les primates, aire de distribution à 70 Ma, 50 Ma, premiers Catarhiniens, 33 Ma - Dessin : Purgatorius, plus ancien primate connu (vue d'artiste) -

Après cette grande rétrospective, je reprends donc mon questionnement du début. Comment la région désertique qui nous intéresse aujourd’hui a-t-elle pu être arrosée à diverses périodes du passé ? Nous voyons sur la carte les vents qui sévissent actuellement en période estivale, allant en hiver d’est en ouest juste au-dessus de l’Equateur, tournant au niveau de l’Afar et du sud de la péninsule arabique pour repartir en sens inverse en été entre 10 et 25° de latitude nord. Ils soufflent avec le plus de puissance au-dessus des océans, semblent bloqués par les chaînes alpines et principalement l’Himalaya et les montagnes tibétaines, pour se déployer ensuite bien plus largement en mer de Chine jusqu’à 35°N. Il s’agit du phénomène de la mousson. Ce terme, issu de l’arabe mawsim, signifie saison, et il désignait notamment le moment favorable à la navigation dans l'océan Indien pour les marchands arabes. Pour eux, la mousson était un renversement saisonnier de circulation atmosphérique et donc de sens des vents, mais pour les fermiers indiens ou du Sahel, la mousson marque le retour de la saison humide. Actuellement, ces pluies de mousson permettent de nourrir environ la moitié de la population mondiale, c’est dire l’importance qui est attachée à la compréhension de ce phénomène pour affiner les prévisions météorologiques et climatiques, dans un contexte général de raréfaction de la ressource en eau potable. - Schémas : Cycle annuel de la mousson en Océan indien - Ci-dessous : Force des vents de mousson de juillet à septembre -

Les vents de la mousson trouvent leur origine dans la configuration particulière de l’Océan indien. C’est le moins étendu des trois grands océans mondiaux (49 millions de km² en prenant comme limite australe la séparation induite par les caractéristiques hydrologiques de l’océan Antarctique). Il apparaît comme un « demi-océan », sa partie boréale étant bordée au nord par l’imposante masse continentale asiatique. C’est d’ailleurs cette configuration qui donne lieu à la deuxième particularité de cet océan, le régime de moussons induit par la différence saisonnière de température existant entre la mer et la terre. Ces vents sont analogues aux brises de terre et de mer, mais leur période s'étend sur un an au lieu d'une journée et ils soufflent sur de grandes régions. Près de l'équateur, les changements saisonniers de la température sont en général trop faibles pour provoquer la formation de mousson. Aux hautes latitudes et dans les régions polaires, la composante du vent due aux contrastes entre les températures de la mer et de la terre est tout juste suffisante pour modifier très légèrement la circulation générale. Les régions les plus favorables au développement de la mousson sont les latitudes moyennes près des Tropiques.

La quantité de précipitations associées à la mousson soufflant de la mer vers la terre dépend de deux paramètres. Premièrement, la quantité de vapeur d'eau entraînée par le vent soufflant vers la terre est déterminée par la longueur de la trajectoire antérieure sur mer.  Deuxièmement, les chutes de pluie dépendent de la topographie des régions sur lesquelles cette vapeur d'eau est entraînée. En été il se crée sur l'Asie Centrale une zone dépressionnaire très accentuée (c’est-à-dire que le continent communique sa chaleur à l’air qui s’élève et devient moins dense. Il se produit alors un appel d'air dont l'action se fait sentir sur le Pacifique occidental et sur tout l'Océan Indien. C'est la mousson d'été ou mousson de Sud-Ouest qui amène sur le sud du continent des masses d'air chaud et humide qui donnent sur le relief des précipitations très abondantes (le record mondial de pluie se trouve en Birmanie dans la haute vallée de l'Irraouadi avec près de 11m; ce chiffre est d'autant plus remarquable que les pluies ne durent que quelques mois et sont suivies d'une longue sécheresse).
En hiver, au contraire, une puissante zone anticyclonique s'organise au cœur de l'Asie et les masses d'air froid et sec descendent vers les régions équatoriales où elles se transforment rapidement et où elles se confondent avec les alizés de l'hémisphère Nord. C'est la mousson d'hiver ou mousson du Nord-Est.

Le rayonnement solaire est donc la clé de ce phénomène des moussons. L’activité solaire varie selon différentes échelles de temps. Un témoin de ces fluctuations est la variation du nombre de taches solaires selon des cycles de onze ans. Grâce aux mesures réalisées par les sondes spatiales, il a été observé que durant ces cycles l’éclairement total varie d’environ 0,1 %. L’éclairement solaire varie également à long terme, avec des périodes de faible éclairement qui correspondent à des baisses d’activité du soleil.

On a pu reconstituer l’activité magnétique du soleil (reliée à l’éclairement) en étudiant l’abondance sur terre de certains isotopes, les cosmonucléides. Ces derniers se forment par interaction du rayonnement cosmique (surtout des protons) avec les molécules de l’atmosphère, et leur production est modulée par l’intensité du champ magnétique solaire. Les géochimistes mesurent l’abondance des cosmonucléides dans des « archives naturelles » : les glaces polaires (pour le béryllium 10 et le chlore 36), les anneaux d’arbre ou les coraux (pour le carbone 14). Ces études ont montré que les minima d’éclairement sont nombreux et que le soleil a passé une partie importante des derniers millénaires en phase calme, avec probablement un éclairement plus faible que la valeur actuelle de 1 368 watts par mètre carré. - Schémas : Reconstitution de l’activité magnétique du soleil (reliée à l’éclairement) en étudiant l’abondance sur terre de certains isotopes, les cosmonucléides, dans les glaces polaires, béryllium 10 et chlore 36, dans les anneaux d’arbre ou les coraux, carbone 14 -

Depuis les travaux du savant serbe Milutin Milankovitch, on sait que les variations de la position de la Terre sur son orbite provoquent de grandes fluctuations de l’énergie reçue du Soleil. En analysant les causes des glaciations du Quaternaire, il a émis l’hypothèse que le facteur crucial était l’insolation aux hautes latitudes de l’hémisphère nord, un été relativement froid permettant la préservation de la neige d’une année sur l’autre et de ce fait, l’accumulation d’une calotte de glace au pôle. Ce processus s’accélère de lui-même car la neige réfléchit les rayons du soleil et contribue à l’accumulation de glace. - Portrait : Milutin Milankovitch - Schémas : Paramètres de l'orbite terrestre, excentricité, obliquité, précession des équinoxes -

Les systèmes de mousson sont connus pour être sensibles à ces mêmes variations de la position de la Terre sur son orbite, les moussons de l’hémisphère nord étant amplifiées pendant les périodes interglaciaires lorsque l’insolation est à son maximum. Concernant l’hémisphère Sud, les variations de température de surface du courant des Aiguilles exercent un contrôle important sur le climat Sud Africain. Ce courant permet également le transfert plus ou moins important de chaleur et de sel vers l’océan Atlantique Sud par l’intermédiaire de la migration de la convergence subtropicale et des vents d’ouest associés. Ce mécanisme, contrôlé fortement par la dynamique des hautes latitudes Sud, affecte la circulation thermo-haline globale, c’est-à-dire la circulation permanente à grande échelle de l'eau des océans, engendrée par des écarts de température et de salinité des masses d'eau.

Les changements induits dans le climat de l’Hémisphère Nord, et notamment le volume de glace, pourraient ensuite se répercuter sur la dynamique de la mousson. En revanche, les interactions entre la mousson Indo-asiatique, l’ENSO (El Niño et l’Oscillation australe) et les éventuels IOD (dipôles climatiques de l’océan Indien) pourraient affecter la dynamique du courant des Aiguilles. La prédominance de ces forçages internes est propre à la mousson indo-asiatique et la distingue des moussons boréales africaines. Ceci indique que le concept de mousson globale n’est pas valable à l’échelle orbitale. - Schémas ci-dessus et ci-contre : Circulation thermohaline -

Examinons maintenant en détail ces divers paramètres. Dans une première approche, l’énergie dispensée par le Soleil chauffe la Terre différemment selon la latitude considérée, la saison et la nature de la surface, océan ou continents. Ainsi qu’on peut le voir sur le schéma, un rayonnement solaire d’un kiloWatt se concentre sur une superficie bien moindre dans la zone intertropicale qu’aux plus grandes latitudes. Toutefois, cette énergie est restituée à l’atmosphère différemment selon la surface réceptrice dont on peut déterminer l’albédo. Il s’agit d’une grandeur sans dimension. Sa valeur s’exprime soit par un pourcentage entre 0% et 100%, c’est le pourcentage de lumière réfléchie par rapport à la quantité reçue, soit par un chiffre entre 0 et 1, c’est la fraction de la lumière réfléchie. Les océans ont un albédo compris entre 5 et 10%, alors que les continents ont un albédo supérieur, qui varie en fonction de la couverture végétale, des roches et de l’enneigement. Le sable a un albédo entre 25 et 40%, la glace d’environ 60% et la neige épaisse et fraîche jusqu'à 90%. Toutes surfaces confondues, l'albédo moyen terrestre est de 30%. - Schémas : Insolation, puissance du rayonnement lumineux reçu par unité de surface - Ci-dessous : Albédo selon la composition des surfaces terrestres -

Voici la Zone de Convergence Inter-Tropicale (ZCIT), figurée sur les deux schémas par une ligne noire, et qui est une conséquence du déséquilibre énergétique entre les régions intertropicales, excédentaires, et les régions polaires déficitaires. Un tel déséquilibre, généré surtout par le rayonnement solaire, devrait entraîner un réchauffement permanent à l'équateur et un refroidissement tout aussi permanent aux pôles. Ainsi, en l'absence d'autres phénomènes, devrait-on observer un contraste de température bien supérieur à celui constaté entre zones polaires et intertropicales. Mais la réaction des fluides atmosphériques et océaniques tend à limiter cette différence thermique.  - Schémas ci-dessus : Zone de convergence intertropicale, circulation générale en juin-juillet-août, puis en décembre-janvier-février -

La caractéristique de la circulation générale des courants aériens et océaniques est d'assurer un flux méridien d'énergie issu de la zone intertropicale et en direction des régions polaires. Hadley pensait au XVIIIe siècle que ces courants allaient de l'équateur aux pôles en altitude et des pôles à l'équateur en surface. Mais la rotation de la Terre impose une accélération des particules en mouvement vers la droite dans l'hémisphère Nord et vers la gauche dans l'hémisphère Sud. C'est le principe de conservation du moment cinétique cher aux patineurs qui tournent sur eux-mêmes plus vite en ramenant les bras vers le corps. - Schéma : Cellules de Hadley, Ferrel et Polaire, Vents d'ouest et alizés -

Ainsi, en se rapprochant de l'axe de rotation de la Terre, les particules d'air tournent plus rapidement que la Terre d'ouest en est et des vents très forts se forment en altitude : ce sont les jets d'ouest subtropicaux. De plus, le phénomène est accentué par l'effet de la force de Coriolis qui incline de plus en plus le mouvement méridien vers un mouvement zonal orienté d'ouest en est.
Pour autant, les cellules de Hadley ne vont guère au-delà des latitudes de 30° nord et sud car, au-delà, les vents d'ouest seraient trop forts et « s'auto-limitent » par de trop fortes turbulences. Ce sont les perturbations des moyennes latitudes qui prennent le relais, amenant de l'air froid vers le sud et de l'air chaud vers le nord. Comme les vents et la pluie, les courants océaniques changent avec la saison, vers l'est en été, de l'ouest de la mer d'Oman au Golfe du Bengale, et en sens inverse en hiver. La mer d’Arabie et le golfe du Bengale sont occupés par des courants variables durant cette saison.

L’énergie solaire est donc la principale cause de ces mouvements atmosphériques qui amènent les pluies indispensables à la vie. Mais la mousson demeure un système très complexe à prévoir. L’étude de l’évolution des moussons dans le passé permet d’améliorer la compréhension de ces systèmes et les mécanismes de réponse à divers forçages climatiques : orographie (relief), distribution spatiale des continents, concentrations en gaz atmosphériques, paramètres de l’orbite terrestre, étendue des calottes glaciaires, variabilité solaire, usage des sols, émissions anthropiques (dues aux activités humaines), etc.
L’étude des fluctuations de la mousson et d’ENSO (El Niño et l’Oscillation australe) sur les derniers 220 000 ans a mis en évidence une conjonction de ces phénomènes climatiques avec des phénomènes astronomiques qui varient selon diverses échelles de temps : il s’agit de l’excentricité de l’orbite terrestre (100 000 ans), de l’obliquité de l’axe de rotation de la Terre (41 000 ans) et de la précession des équinoxes (25 800 ans), phénomènes que je vais reprendre un à un pour les expliquer.
 
L’excentricité de l’orbite caractérise sa forme plus ou moins elliptique et varie suivant des cycles d’environ 100 000 et 400 000 ans. Comme on peut le voir sur le schéma, l’excentricité actuelle de 1,67% se rapproche du cercle (dont l’excentricité est nulle et qui est matérialisé sur le schéma par la ligne rose horizontale). Il y a 250 000 ans, l’excentricité avoisinait les 5%.

L’inclinaison ou obliquité de l’axe de rotation de la Terre varie entre 24,5044° (ou 24° 30' 16") et 22,0425° (ou 22° 2' 33") par rapport à la normale au plan de l’écliptique (c’est-à-dire la perpendiculaire au plan de l’orbite terrestre), suivant un cycle de 41 000 ans. Cet angle était de 23° 26' 14,427" (ou 23,4373408135°) au 1er janvier 2015, soit 0,468" (une demi-seconde) de moins qu'il y a un an. L’obliquité s’exprime aussi en terme d’inclinaison de l’équateur terrestre par rapport au plan de l’écliptique, définissant ainsi les latitudes des tropiques et des cercles polaires. C'est l'existence et le maintien de cette inclinaison naturelle qui induit, lors du déplacement de la planète sur son orbite, la succession des saisons. Les saisons varient donc suivant les millénaires de forte inclinaison ou d'inclinaison plus faible, une inclinaison plus forte impliquant des saisons plus marquées. C’est la Lune qui stabilise la valeur de l'obliquité autour de 23° et l'empêche de varier de façon chaotique.

La précession des équinoxes est due au fait que la terre n’est pas une sphère parfaite. Ce lent changement de direction de l'axe de rotation de la Terre est provoqué par le couple qu'exercent les forces de marées de la Lune et du Soleil sur le renflement équatorial de la Terre. Ces forces tendent à amener l'excès de masse présent à l'équateur vers le plan de l'écliptique, c’est-à-dire le plan de l’orbite terrestre autour du Soleil. La Terre étant en rotation sur elle-même, ces forces ne peuvent changer l'angle entre l'équateur et l'écliptique mais provoquent un déplacement de l'axe de rotation de la Terre dans une direction perpendiculaire à cet axe et au couple. Mises à part les petites perturbations agissant sur ce déplacement (par exemple la nutation), l'axe de la Terre décrit la surface d'un cône ou « entonnoir » à la manière d'une toupie. Ce mouvement aboutit à déplacer l'orientation des pôles par rapport aux étoiles, de sorte que, au fil des siècles, l'étoile polaire est amenée à changer. Ce mouvement de l'axe des pôles terrestres entraîne avec lui le plan de l'équateur, et de ce fait, le point vernal, ou point équinoxial, précède chaque année sa position antérieure sur l'écliptique, par rapport au sens de l'orbite Terrestre autour du soleil. Pour cette raison ce mouvement est appelé précession des équinoxes, avec une avanced’environ une vingtaine de minutes chaque année. Le point équinoxial effectue de la sorte, dans le sens contra rotatif, un tour complet de l'écliptique en 25 868 années environ, et l'axe de la Terre décrit durant ce même temps un cône complet.

Actuellement l'axe de rotation de la Terre est dirigé vers l'étoile polaire dans la constellation de la Petite Ourse, mais dans 12 934 ans il sera dirigé vers l'étoile Véga dans la constellation de la Lyre. Dans l'hémisphère Nord, la distance au Soleil est actuellement minimale en hiver et maximale en été, et inversement dans l'hémisphère Sud. Nous sommes dans une situation qui adoucit les hivers et refroidit les étés de l'hémisphère Nord, alors qu'elle accroît les contrastes saisonniers de l'hémisphère Sud. Au contraire, il y a environ 10 000 ans, la Terre passait par le point le plus proche du Soleil au moment du solstice d'été boréal. L'hémisphère Nord recevait alors plus d'énergie solaire en été et moins en hiver. Les variations de précession induisent donc, en plus de changements de gradients d’insolation, des changements de saisonnalité et de longueurs de saisons.

La conjonction de ces phénomènes climatiques de mousson avec des phénomènes astronomiques s’appelle le forçage orbital. De nombreux indicateurs climatiques et expériences de modélisation montrent l’influence des paramètres de l’orbite terrestre sur les variations passées des systèmes de mousson en Asie et en Afrique.

Sur ce graphique sont reportées les valeurs de l’excentricité, de l’obliquité et de la précession à trois dates clés de l’Eémien, 126 000, 122 000 et 115 000 ans avant le présent et de l’Holocène, 9 500, 6 000 et le présent (1950). Comme on le voit sur le schéma au-dessous, ces dates ont été choisies en fonction des positions respectives de la Terre sur son orbite à l’équinoxe de printemps et elles permettent de comparer les conditions climatiques de la Terre entre l’Eémien et l’Holocène : 126 000 et 9 500 ans, 122 000 et 6 000 ans, et enfin 115 000 et 0 (date de référence 1950).

A l’Eémien, l’excentricité étant plus forte (l’orbite est plus elliptique), l’effet de la précession est amplifié, ainsi les cycles saisonniers d’insolation sont plus contrastés dans l’hémisphère nord à 122 000 et 126 000 ans. Les résultats confirment le rôle de la précession sur l’amplification relative des systèmes de mousson.

La mousson est affectée différemment selon que le maximum de différence d’insolation est au début ou à la fin de l’été. En 9500, le solstice d’été a lieu quand la Terre est proche du périhélie (le point de l’orbite terrestre le plus proche du soleil), tandis qu’actuellement, elle est proche de l’aphélie (le point de l’orbite terrestre le plus éloigné du soleil) à cette date ce qui nous procure des étés longs et doux. En 6000, l’équinoxe d’automne a lieu quand la Terre est proche du périhélie, le maximum de différence d’insolation par rapport à aujourd’hui est ainsi plus tardif qu’en 9500. En plus de cette différence de saisonnalité, l’amplitude du changement d’insolation est plus forte en 9 500. Le principal résultat est que, entre 9 500 et 6 000, il se produit une réduction plus importante des pluies en Inde qu’en Afrique et en Asie, car la mousson touche d’abord l’Inde et, quelques semaines plus tard, l’Afrique et l’Asie.
Dans l’océan indien, la « couche de mélange » océanique est contrôlée par la salinité qui est fonction du ruissellement en Baie du Bengale. Suivant la « couche de mélange », les variations de la température de surface de l’océan sont en phase ou déphasées d’un mois par le forçage atmosphérique. Ces phénomènes physiques influent sur la biochimie de l’océan, avec une combinaison des transferts de chaleur océaniques et atmosphériques qui font varier la position de la Zone de convergence intertropicale. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises par le passé, cette Zone de convergence intertropicale a été décalée vers le nord, les moussons arrosant le Sahara et la Péninsule arabique pendant des durées plus ou moins longues, jusqu’à plusieurs milliers d’années. L’océan indien est donc le lieu de processus atmosphériques et océaniques majeurs dont les répercussions en terme climatique peuvent être de grande importance.

Pour donner un ordre de grandeur, j’ai représenté sur un graphique les différences entre les distances Terre Soleil à l’aphélie (où la Terre est la plus éloignée du Soleil) et au périhélie (où elle est la plus proche) pour ces six périodes en fonction de l’excentricité. On constate l’homogénéité entre les trois dates de l’Eémien qui ont une excentricité autour de 4% et une différence moyenne entre les deux positions extrêmes sur le grand axe de 12 millions de Km et celle entre les trois dates de l’Holocène avec une excentricité autour de 1,8% et une différence d’éloignement au soleil de 5,4 millions de Km en moyenne.

Ensuite, j’ai examiné les conséquences de ces positions sur la quantité d’énergie dispensée sur Terre, qui varie comme le quadruple de l’excentricité. Ainsi, avec une excentricité supérieure à l’Eémien, la différence d’énergie entre Aphélie et Périhélie est beaucoup plus sensible, de l’ordre de 440 W/m² au lieu de 200 W/m² à l’Holocène.

En fonction des combinaisons de tous ces paramètres, excentricité, obliquité et précession, le mécanisme des glaciations a ainsi pu être enclenché et celui des moussons perturbé.

Voici une étude qui montre, sur les derniers 150 000 ans, la corrélation des phases humides observées dans la péninsule arabique avec d’autres phénomènes, dont l’insolation qui tient compte des paramètres astronomiques de la position de la Terre sur son orbite.
La première ligne comporte des numéros de 1 à 6. Il s’agit de la chronologie isotopique qui est fondée sur les variations des températures terrestres moyennes au cours du temps. Valable à l'échelle planétaire, elle a tendance à se substituer aux chronologies relatives locales basées notamment sur les glaciations. Un enregistrement continu et global des variations de température a été recherché à partir des années 1950. Il a été fourni par des carottages dans les sédiments des fonds océaniques et dans les calottes glaciaires du Groenland ou de l'Antarctique. La proportion entre les isotopes 16 et 18 de l'oxygène contenus dans ces sédiments (en particulier dans les Foraminifères fossiles des sédiments océaniques) est corrélée à celle de l'eau de mer, elle-même liée à la température moyenne de l'atmosphère terrestre. Une courbe de variation de la température moyenne a ainsi pu être établie pour les 200 derniers millénaires. Elle a ensuite été confrontée aux datations obtenues par d'autres méthodes pour aboutir à une chronologie isotopique désormais universellement reconnue.
Les calottes glaciaires accumulent durablement de l'eau préalablement évaporée des océans. Cette évaporation, partie intégrante du cycle de l'eau, se réalise plus aisément pour l'oxygène léger (16O) que pour l'oxygène lourd (18O) dont la proportion croît dans l'eau de mer lors des périodes glaciaires, mais diminue lors des interglaciaires. Les micro-organismes marins fabriquent leur coquille à partir de l'eau de mer et du gaz carbonique dissout, et incorporent la proportion ambiante d'oxygène lourd. On peut extraire ces coquilles tout au long des carottes sédimentaires marines, et y mesurer le rapport isotopique de l'oxygène, ce qui révèle l'histoire du flux et du reflux des glaces au cours du Quaternaire. Cette variation a été datée par diverses méthodes, essentiellement par la mesure de certains isotopes radioactivement instables. A partir des années 1970, on a pu vérifier que cette variation dans le temps reproduisait fidèlement celle de l'insolation, particulièrement en été aux hautes latitudes de l'hémisphère nord.

Cette courbe isotopique de températures représentée en a) a permis de définir une alternance de stades froids et tempérés, numérotés à partir du stade tempéré actuel ou stade 1, en remontant dans le temps. Ces stades sont appelés stades isotopiques de l'oxygène. Les stades froids portent des numéros pairs et les stades tempérés portent des numéros impairs. Ils peuvent correspondre respectivement aux phases glaciaires et aux interglaciaires des anciennes chronologies continentales, mais aussi à des épisodes intermédiaires, les interstades.
Les isotopes dans les carbonates sont mesurés à l'aide d'un spectromètre de masse dans le calcaire des tests des foraminifères. Le standard de référence pour le calcul du d18O des carbonates est un rostre de Bélemnite du Crétacé. Cette proportion de l’isotope 18O dépend non seulement de la composition isotopique de l'eau au sein de laquelle s'est effectuée la précipitation du carbonate mais également de la température de cette eau. Pour les périodes géologiques sans calottes glaciaires (ex.: le Crétacé), les variations du d18O reflètent alors directement les changements de température de l'eau de mer car la composition isotopique de l'eau de mer est alors connue. Pour les périodes géologiques avec calottes glaciaires (ce qui est le cas depuis le Miocène), il faut dans le même forage analyser le d 18O des foraminifères benthiques (vivant au fond) et celui des foraminifères planctoniques (vivant en surface). L'analyse du d 18O des foraminifères benthiques reflète en première approximation uniquement les variations de la composition isotopique de l'eau de mer. La température au fond est alors considérée comme constante. L'accumulation de glaces très pauvres en 18O aux pôles a pour conséquence un enrichissement corrélatif de l'eau de mer en H218O. Les variations du d18O des foraminifères benthiques informe alors des variations du volume des calottes glaciaires et permet de calculer les variations du niveau de la mer. L'analyse du d 18O des foraminifères planctoniques permet de connaître la température (locale) de l'eau de surface après avoir établi grâce aux foraminifères benthiques la part des variations de composition isotopique de l'eau de mer (signal estompé en période glaciaire).

On examine en b) le pourcentage de carbone organique en Méditerranée orientale. Pour mémoire, je reporte dessous les périodes humides sur la Péninsule arabique pendant les derniers 150 000 ans. Les événements climatiques rapides ont eu un impact sur le cycle du carbone marin. Ces changements peuvent être attribués à de grandes fluctuations de la productivité biologique marine dans les couches de surface de l’océan. Leur rapidité pourrait être liée à l’injection de nutriments dans la couche de surface océanique. L’intensité et la direction des vents seraient la cause première de ce mélange des masses d’eaux superficielles. Une deuxième contribution pourrait venir d’un apport direct d’éléments bio-limitants contenus dans les poussières transportées par les vents aux basses latitudes.
Les concentrations et les flux massifs de matière organique marine dans les sédiments ne donnent qu’une idée qualitative de la productivité biologique de surface. En effet, la préservation de composés organiques dépend des conditions ambiantes dans la colonne d’eau, en particulier sa teneur en oxygène. Les zones océaniques à forte productivité biologique sont caractérisées par un déficit prononcé en oxygène dans les eaux de profondeurs intermédiaires (environ 300 à 1 000 m). Ce déficit d’oxygène résulte d’un équilibre entre la dégradation par
oxydation de la matière organique en sédimentation et la recharge par advection de masses d’eaux plus riches en oxygène. Les changements de circulation océanique peuvent donc aussi avoir joué un rôle supplémentaire dans la genèse des enregistrements.
Afin de reconstituer la variabilité de l’activité des moussons et de l’intensité du minimum en oxygène, une étude multi-marqueurs géochimiques et micropaléontologiques a été engagée.

Toujours en Méditerranée orientale, on recherche en c) la présence de Sapropèles, mot issu du grec sapros « pourri, gâté » et pelos « boue, vase ». Les événements paléoclimatiques peuvent être enregistrés de diverses manières dans les archives de la Terre. Dans le fond des océans, les sédiments ont recueilli puis préservé un large éventail d'informations concernant l'environnement local, régional et global au moment de leur dépôt. Un des aspects particuliers de cette fonction archiviste a été rencontré dans la Méditerranée orientale, à l'est du détroit de Sicile. Parce que ce bassin ne communique avec l'Océan global qu'à travers ce seuil peu profond et celui de Gibraltar, la circulation des masses d'eau y est restreinte et particulièrement sensible à de faibles variations dans l'environnement régional. S'il survient des évènements climatiques inhabituels, par exemple si le climat s'adoucit, spécialement en hiver, ou si les fleuves rejettent brutalement une masse d'eau beaucoup plus abondante qu'à l'accoutumé, la circulation verticale propre à ce bassin de la Méditerranée orientale peut en être suffisamment perturbée pour empêcher le renouvellement normal des eaux profondes. L'eau de surface devient alors trop chaude et trop peu salée, en un mot, pas assez dense, pour descendre jusqu'au fond de la Mer Adriatique, d'où elle s'écoule par dessus le seuil d'Otrante vers le fond de la Mer Ionienne puis du Bassin Levantin. L'interruption de cette chute verticale, puis de ce lent cheminement vers l'est, prive le fond de la mer de l'apport d'oxygène. Il en résulte la formation d’un dépôt sédimentaire noir, riche en matière organique, appelé sapropèle, que l’on pense être l’équivalent moderne des roches mères du pétrole. De tels épisodes de dépôts de sapropèles se sont reproduits une dizaine de fois au cours des derniers 250 000 ans en Méditerranée orientale, le plus récent remonte à 9 000 ans.

La conséquence de l’asphyxie des eaux de fond est que les détritus biologiques qui tombent de la zone éclairée de la surface où se concentre le plancton ne sont plus décomposés par des bactéries aérobies, qui ne supportent pas cette asphyxie, mais par des bactéries anaérobies, qui s'en accommodent et seules persistent. Or, ces dernières, aussi actives que les aérobies pour dégrader la matière vivante planctonique fraîche, composée essentiellement de petites molécules organiques, ne le sont plus face à la matière planctonique résiduelle qui a traversé le tube digestif des divers animaux marins broutant tout le plancton dès sa production, et qui seule parvient au fond des océans. Là, ces résidus, qui sont de la matière fécale et d'autres molécules organiques complexes et résistantes, principalement d'origine marine mais aussi accessoirement d'origine terrestre, défient les bactéries anaérobies qui ne parviennent pas à les décomposer avant qu'ils ne soient enfouis par les fines poussières minérales qui composent le sédiment en pleine mer. Du coup, le sédiment incorpore une proportion plus importante de matière organique, et celle-ci signale par une couleur noire les époques sédimentaires où ont eu lieu les événements climatiques inhabituels.
On a pu dater ces sapropèles avec précision par l’intermédiaire de l’analyse du rapport isotopique de l’oxygène et montrer qu’ils se sont formés en relation étroite et constante avec la variation de l'insolation de l'été aux basses latitudes de l'hémisphère nord, contrôlée par la mécanique de l'orbite de la Terre autour du Soleil. L’intensification périodique de l’insolation amplifie la mousson de l'Afrique de l'Ouest qui nourrit, par les pluies sur le nord de l'Ethiopie, la crue estivale du Nil. Ce sont donc les crues périodiquement renforcées du Nil qui déclenchent le mécanisme hydrologique en Méditerranée dont le résultat ultime est le dépôt de ces sapropèles.

En d) est montrée dans le Golfe d’Aden le pourcentage de pollens provenant de plantes qui poussent en période de mousson.

En e) figurent les périodes humides sur la Péninsule arabique pendant les derniers 150 000 ans. Trois de ces phases humides correspondent, comme au Sahara, à une remontée vers le nord des pluies de mousson liées à un forçage d’insolation, et coïncident avec des interglaciaires. La première se place au stade isotopique 5e, la seconde au stade 5a, suivie d’un assèchement progressif qui entraîne l’élaboration de puissants glacis de piémont ; la quatrième est holocène. Il est plus difficile de situer dans le temps et surtout d’interpréter la troisième : sensiblement plus marquée que la dernière, elle pourrait être liée, cette fois, à un glissement vers le sud des pluies tempérées d’hiver, ce qui permettrait d’expliquer la relative fraîcheur. Cette phase humide est clairement attestée dans la péninsule arabique et particulièrement sur le piémont occidental de l’Oman.
Si l’on fait un zoom sur les périodes les plus récentes, on constate sur la péninsule arabique qu’il y a en réalité deux périodes humides entre 30 000 et 20 000 BP (marquées par la présence d’hippopotames, l’emplissage des grands aquifères d’Arabie, en particulier dans les régions de Ryad, Buraydah ou Abqaiq, ou encore Qatif – Al-Hasa : antérieur à 33 000 BP). Il y a également deux périodes humides entre 10 000 et 6 000 BP, et deux autres phases humides plus importantes encore sur le piémont occidental de la montagne d’Oman et en bordure de la mer Rouge. Cette phase humide holocène a été reconnue un peu partout dans la péninsule arabique.
D’après les carottes prélevées au fond du Golfe persique, le premier épisode humide s’est déroulé entre 9 000 et 8 000, le second entre 7 000 et 4 500 BP, ils sont séparés par un intervalle sec. En raison peut-être de sa brièveté, cette phase apparaît en Arabie comme sensiblement moins humide que les précédentes. Elle se traduit par un système de sebkhas ou de marais plutôt que par des lacs, la pédogenèse est moins poussée, la flore et la faune sont très semblables aux actuelles. Il n’y a donc rien de comparable à ce qui a été observé dans le nord du Soudan, envahi par une faune de savane. Il n’y a pas eu alors de recharge significative des nappes profondes. En revanche, l’origine tropicale des pluies ne fait pas de doute, attestée tant par la présence de mangroves sur les rives d’Arabie que par celle de sapropèles en Méditerranée orientale. Lors de cette phase humide, le niveau marin se relève rapidement sur la côte du Golfe arabique et atteint son maximum (vers +1 à 2 m) autour de 6 000 BP.

Parallèlement, à partir de 9 000 BP, la présence de lacs peu profonds et de marais est attestée très fréquemment dans le Sahara, depuis l’Océan atlantique jusqu’à la mer Rouge. Une évolution très voisine est retracée dans le désert de Thar en Inde à partir de l’étude des paléolacs (Didwana, Lunkaransar) : après une période très aride, la remontée des pluies tropicales vers le nord commence vers 12 000 BP et de 9 000 à 7 000 BP se succèdent épisodes lacustres et arides, tandis que la phase lacustre proprement dite dure ensuite jusque vers 4 000 BP.

Les ergs (formations dunaires) du Nefud et du Rub Al-Khali se seraient formés sur la Péninsule arabique entre 21 000 et 9 000 BP, à la même date que les ergs du Sahara malien. Dans les Emirats, l’erg acquiert son développement et son modelé actuels avec une deuxième génération de constructions dunaires. Quelques datations (vers 17 000, 14 000 et 12 000 BP) de carbonates ou de coquilles pourraient signifier que l’aridité générale a été entrecoupée de brefs épisodes humides.
Par contre, dans les marges semi-arides du nord (Sinaï, Negev, Croissant fertile), les pulsations humides sont là plus nombreuses et plus complexes et elles ne sont pas en phase avec celles du sud de la péninsule.

En f), c’est la radiation solaire dans l’hémisphère nord qui est analysée. Les gradients saisonniers de température et de chauffage entre les deux hémisphères d’une part et les continents et les océans d’autre part ont pour conséquence la migration vers le nord de la zone de convergence intertropicale pendant l’été boréal et la mise en place de l’alternance d’une saison sèche et d’une saison humide. La courbe montre la variation de l’insolation au cours de ces derniers 150 000 ans.

En g), ce sont les variations de l’indice de mousson dans l’Océan indien. Au cours de ce dernier cycle climatique de 140 000 ans, la mousson d’été s’intensifie au cours de six intervalles de temps (129 000-118 000 BP ; 100 000-90 000 BP ; 85 000-74 000 BP ; 63 000-49 000 BP ; 27 000-24 000 BP ; 12 000 BP) avec un cycle apparent de 20 000 ans, composant majeur de la précession des équinoxes. Le renforcement de la mousson d’été et l’affaiblissement de la mousson d’hiver sont approximativement en phase. L’indice tient compte des dates d'installation et de retrait de la mousson et de la saison des pluies et du gradient d’insolation d’été dans les basses latitudes de l’hémisphère nord entre le tropique du Cancer et l’Equateur. Il est donc normal qu’il y ait concordance entre les deux courbes f) et g). La formation des sapropèles se produit quand cet indice dépasse 41.

Comme on peut le voir en comparant la forme des deux courbes f) et g), les changements dans l’insolation d’été de l’hémisphère nord et dans les conditions limites des périodes glaciaires sont nécessaires pour expliquer les modifications majeures du climat de mousson. Mais, bien que la mousson globale réagisse en premier lieu au forçage solaire, des différences locales sont fonction de la distribution géographique et de l’orographie, comme on a déjà pu le voir.
De nombreuses paléoreconstructions réalisées en Asie et en Afrique ont indiqué une intensification des systèmes de mousson au début et au milieu de l’Holocène induite par le forçage orbital. Les variations de la précession des équinoxes sont principalement responsables de la distribution méridionale et saisonnière de rayonnement solaire reçu au sommet de l’atmosphère à l’échelle de temps de l’Holocène. Ce renforcement des moussons résulterait de l’amplification du cycle saisonnier d’insolation dans l’hémisphère nord, engendrant une augmentation du gradient continent-océan et un déplacement plus au nord de la zone de convergence intertropicale (ZCIT).

En h), ce sont les épisodes lacustres au Sahara.

J’ai ajouté en i) la variation du niveau de la mer Rouge. Sur cette courbe figure le minimum autour de 135 000 ans, ainsi que deux autres moins prononcés vers 65 000 et 25 000 ans : les occasions de traverser facilement le détroit au sud de la Mer rouge ont été rares et courtes. 

Pour terminer, j’évoquerai l’importance des connaissances sur ces données climatiques pour éclairer un moment phare de l’archéologie, celui de la sortie d’Afrique de l’Homo sapiens. Selon les spécialistes de biologie moléculaire, c’est seulement depuis 65 000 ans que l’Homo sapiens aurait effectué sa radiation depuis son berceau africain, c’est-à-dire sa dispersion et son adaptation à de nouveaux environnements. Mais des fouilles récentes sur le site de Jebel Faya aux Emirats Arabes Unis ont fait apparaître des outils de pierre (bifaces, haches non emmanchées, grattoirs et perforateurs en silex), taillés selon une technique similaire à celle pratiquée en Afrique de l’Est. Ils remonteraient à 100-125 000 ans d’après une datation « de luminescence par stimulation optique ».

Cette découverte est à mettre en parallèle avec celle de squelettes d’hominidés à Skhul et Qafzeh, en Israël, remontant à la période 80-120 000 ans. Ils présentent un physique transitoire ou hybride entre Neandertal et Sapiens. Dans cette même région, la grotte de Kebara a été occupée entre 61 et 48 000 ans. Parmi les squelettes qui s’y trouvaient, celui d’un néandertalien remontant à 60 000 BP est suffisamment bien conservé pour pouvoir affirmer que son os hyoïde permettait la production d’un langage articulé.

Sur la première carte ci-dessus, le pointillé montre la ligne de côte à la fin de l’époque glaciaire précédente, vers 130 000 avant le présent, lorsque les océans atteignaient un niveau de 120 mètres au-dessous du niveau actuel. On voit que ces limites se rejoignent quasiment entre Afrique et péninsule arabique, au détroit de Bab el Mandeb. Pendant une courte période, le niveau de la Mer Rouge est resté très bas et elle ne communiquait avec l’Océan Indien que par un étroit passage évalué à quatre kilomètres de large. La traversée était peut-être possible à marée basse ou bien avecdes embarcations simples. Le site de Jebel Faya est entouré d’un ovale rouge. Les archéologues émettent l’hypothèse d’une sortie d’Afrique en passant par le sud de la péninsule arabique, et non le nord, à cette époque plus ancienne d’environ 60 000 ans que celle déterminée jusqu’à présent.
Voilà, je vous laisse avec cette incertitude, j’en ai terminé avec mon exposé sur les moussons, merci pour votre écoute attentive.

FIN

Le Monde de Cathy - Récits 2015 - SOMMAIRE