Jean-François Gl. et son fils Hugo, Jacques, Pascal, Cathy
A la recherche de l'ours
5 mai 2016

Après cet intermède, reprenons le cours de notre randonnée. A l'issue du plateau, nous cheminons dans la hêtraie-sapinière du bois de Lusque. En bordure du sentier, un arbre présente des marques. S'agit-il de griffures d'ours ? Peu probable, nous dit Jean-François, ce sont plutôt des entailles faites au couteau, elles sont trop basses et convergentes, il n'y a pas assez d'espace entre elles. C'est plutôt un repère pour un cueilleur de champignons ou un chasseur.Il nous rapporte qu'on avait trouvé sur le plateau de Besse, il y a quelques années, des crottes de cerf, un animal très rare ici : il descendait à l'automne jusqu'au hameau. Un peu plus loin, Jean-François nous désigne un arbre blessé, typiquement griffé durant des années par des ours. C'est peut-être le premier arbre marqué par Jean-François lorsqu'il faisait partie du Réseau Ours Brun (ROB) : on y voit la trace du rivet par lequel était fixé un petit grillage de 5 x 2 cm. En quoi consiste ce réseau ? Pour le savoir, il faut faire un petit retour en arrière en lisant dans les archives du site de l'institut patrimonial du Haut-Béarn (IPHB), la rubrique suivante rédigée en 2011 par Laurent Mermet et Farid Benhammou. - Photos : Jean-Jacques Camarra (Au moment de la pause pique-nique, Jean-François extirpe avec précaution de son sac un numéro spécial Pyrénées de la revue Terre sauvage d'octobre 1993. Une grande photo a pour libellé : "Sous la direction de Jean-Jacques Camarra, un membre du Réseau ours brun s'apprête à explorer un sanctuaire dans la vallée d'Ossau"). - Marques sur un tronc dont la convergence montre qu'elles ont été creusées par l'homme, et non par l'ours -

Le suivi de l’ours des Pyrénées : un dispositif en réseau
Avant la fin des années 1970, il n’existait pas de véritables savoirs "scientifiques" sur l’ours dans les Pyrénées. Seuls quelques chasseurs et quelques bergers véhiculaient encore un savoir empirique. En 1954, un médecin et chasseur grenoblois qui avait arpenté les Pyrénées pour la chasse à l’ours avait compilé ces connaissances dans un premier ouvrage qui soulignait déjà le déclin rapide des populations d’ours. Vingt ans plus tard, entre 1976 et 1981, de manière concomitante à l’investissement du dossier de l’ours par le mouvement associatif, puis par le ministère chargé de l’environnement, des naturalistes et des biologistes de terrain commencent à s’intéresser de près aux ours pyrénéens. C’est dans ce cadre que s’inscrit en particulier la démarche du jeune biologiste Jean-Jacques Camarra.
Originaire des Hautes-Pyrénées, il s’installe en vallée d’Aspe en 1976 dans le but de développer une connaissance fiable des derniers ours. Pour cela, il va à la rencontre de chasseurs locaux, travaille et vit avec des bergers pour récolter leurs savoirs tout en parcourant intensément la montagne. L’objectif est d’ancrer la base de départ de la connaissance de l’ours dans les savoirs locaux montagnards. - Photo : Fourmilière éventrée par un pic ou un blaireau -

Mais à l’époque où s’engage ainsi le suivi naturaliste, les chasseurs d’ours qui avaient eu sans doute une connaissance intime de l’animal et de son milieu ont pratiquement disparu. Au bout de quelques temps, J.-J. Camarra constate que les informations recueillies sur l’ours dans les vallées, pour intéressantes qu’elles soient, s’avèrent insuffisantes et souvent peu compatibles avec les constats biologiques de terrain. Il constate aussi la prévalence d’histoires largement mythifiées, ressassées et, au total, d’une connaissance archétypale et simpliste de l’ours, reflet d’une connaissance du milieu montagnard environnant qui a diminué à mesure que les usages de la montagne se modifiaient.


Assez rapidement, les résultats de ses propres prospections débordent les connaissances des principaux acteurs: " Alors que je présentais des résultats de suivi à des chasseurs locaux, je leur présentais des choses qu’ils ne connaissaient pas et notamment des tanières ; ceux-ci m’ont traité de menteur. Les habitants ont toujours l’impression qu’on empiète sur leur jardin secret, alors c’est très délicat ".
- Photo ci-dessous : Panorama depuis le plateau de Lusque -

De 1978 à 1983, J.-J. Camarra élabore les méthodes nécessaires à l’étude et au suivi des ours. En plus des prospections, il part régulièrement se former en Amérique du Nord où les études scientifiques sur l’ours sont plus avancées. Il travaille de manière indépendante et en synergie avec quelques gardes du parc national des Pyrénées (PNP) et avec le Fonds d’intervention éco-pastoral (FIEP), où Gérard Caussimont travaille lui aussi à l’étude du problème de l’ours. Ce cadre de collaboration plus ou moins informel devient la base des remontées d’information aux services de l’administration naissante de l’environnement. - Photo : Hêtraie-sapinière -

En 1981, J.-J. Camarra est intégré à l’Office national de la chasse (ONC). En 1983, l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) est chargé par le Ministère en charge de l’écologie du suivi et de l’étude de la population d’ours bruns dans les Pyrénées françaises. A l’initiative de la Fédération départementale des chasseurs, un dispositif de suivi systématique de la population d’ours est mis en place : le Réseau ours brun. Repérer une espèce aussi discrète que celle de l'ours demande beaucoup de patience. On entend peu de manifestations sonores des ours, mais par contre ils aiment se frotter aux arbres pour se débarrasser des parasites (ou lors de la mue de printemps). Ils reniflent aussi les arbres pour détecter la présence d'un autre ours, particulièrement en mai-juin pendant la période du rut. Il y a ainsi des arbres qui sont griffés par excitation depuis des générations d'ours. Maintenant, comme ils sont moins nombreux et beaucoup plus espacés, il y a moins de chance de voir ces marques.
- Photo : Encore une marque bien humaine -

J.-J. Camarra forme donc les gardes-chasse de l’ONC, il travaille étroitement avec les agents du parc national des Pyrénées, de l’Office national des forêts (ONF) et des bénévoles des associations environnementales. Un système de récolte d’informations sur l’ours est organisé, fondé sur la collecte d’indices (traces, poils, crottes,…) et sur les témoignages d’observations fournis par les techniciens d’organismes publics, les associations naturalistes et les autres usagers locaux. Dans le courant des années 1980, les études génétiques d’un laboratoire de recherche de Grenoble permettent de préciser les connaissances concernant les ours. Le suivi et l’identification des individus sont complétés aussi par des dispositifs de photos automatiques grâce à une cinquantaine de caméras réparties sur le massif des Pyrénées qui offrent des images rares et précieuses. Depuis peu, des agents sont accompagnés d'un chien renifleur. - Photo : Contreforts du pic de la Gentiane -

Dès 1984, après 6 ans d’études de terrain et alors que le dispositif de suivi systématique n’en est encore qu’à ses débuts, on dispose d’études permettant de cerner la situation. L’effectif des ours est connu à quelques unités près. Leur localisation est suffisamment bien connue pour permettre une cartographie précise des zones vitales pour leur reproduction, leur alimentation et leur protection contre le braconnage. Ensuite, le suivi ne cesse de s’étoffer. Il confirme et précise les résultats de 1984 et permet de suivre la dégradation de l’état de conservation de la population d’ours (d’une quinzaine au début des années 1980 à cinq en 1995) et d’en cerner les causes avec une précision suffisante pour alimenter la réflexion sur les actions souhaitables et possibles.
Bibliographie : "L'Ours brun" - Jean-Jacques Camarra - 1989 - Hatier - "Boulevard des ours - Vingt ans sur les traces des derniers grands fauves de France" - Jean-Jacques Camarra - 1996 - Milan - "Encyclopédie des Carnivores de France - Fascicule 5 : L'ours" - Jean-Michel Parde et Jean-Jacques Camarra - 1992 - Société Française pour l'Etude et la Protection des Mammifères.

Selon l’ONCFS, ces indices permettent de répondre aux trois principaux objectifs relatifs au suivi patrimonial de l’espèce :

Il y a deux antennes techniques sur les Pyrénées :

Jean-François nous relate que Dominique Ardouin, garde-chef de la fédération départementale des chasseurs des Pyrénées Atlantiques, se perdait lui-même sur le circuit très compliqué dont nous parcourons une portion. Il est maintenant octogénère et habite à Ispoure. Les ronds verts signalent les bifurcations. Au mois de mai se déroule une opération de recherche simultanée d'ours (ORSO), tous les circuits sont parcourus sur 4 jours simultanément avec tous les gardes des vallées. Elle devrait avoir lieu incessament puisque nous sommes le 5 mai. Ensuite, un membre du ROB passe toutes les trois semaines à un mois pour repérer la fréquence par période qui permet de déterminer l'Indice kilométrique d'abondance (IKA). Mais le budget est faible, il faut donc faire appel à des bénévoles, des passionnés qui aiment crapahuter. Jean-François nous dit que les naturalistes forment un milieu fermé, c'est difficile d'avoir des cartes, des informations, des bilans. Les gens sont peu consciencieux et il y a un manque de coordination. En outre, Jean-Jacques Camarra est un peu "ours", il donne peu d'informations. Jean-François voit des choses et Jean-Jacques Camarra connaît un sapin griffé, mais il n'en dit mot au garde Dominique Ardouin qui en est fou de rage.

Voici donc le stratagème imaginé pour repérer la présence de l'ours de façon non intrusive, sans (trop) le déranger. Depuis 20 ans, on pose tous les 1000 m sur un arbre un petit grillage arrosé de thérébentine. Cette odeur énerve l'ours qui arrache le grillage d'un coup de patte, y laissant du même coup quelques poils qui sont récupérés et étudiés pour en déduire l'identité de l'ours (grâce à l'analyse ADN dans un laboratoire de Grenoble). La hauteur des griffades est déjà un indice (jusqu'à 1,60 m ou 1,80 m). On analyse également les empreintes, car trouver des poils, c'est presque devenu un événement, en raison de la réduction du nombre d'ours. Sur le plateau de Besse, une autre année, on a trouvé 3 ou 4 grilles arrachées, mais c'était du sabotage, il n'y avait pas de poils, c'était bizarre. Jean-François a vu des crottes, une fois (conservées dans un bocal dont il nous montre le contenu le soir, de retour à la voiture). Aujourd'hui, le sol est trop sec pour y trouver des empreintes. - Photos : Scille lis jacinthe - Jasione pérenne ou globulaire ponctuée ? - Gérard Caussimont (à gauche) -

Il évoque également la figure de Gérard Caussimont, un pisteur capable de lire les empreintes, même dans les tapis de feuilles mortes ! Il est l'auteur du livre "Plaidoyer pour Cannelle", paru en 2005 aux éditions Loubatières. Cannelle, c'est le nom de la dernière ourse autochtone des Pyrénées qui a été abattue d'un coup de fusil le 1er novembre 2004. " Ce livre est un cri du cœur d´un naturaliste qui voit comment notre "Amazonie pyrénéenne" est menacée par les affaires des hommes. Un massif montagneux, très riche et diversifié, risque de devenir banal si l´ours, véritable baromètre vivant, disparaît. Grâce à la réintroduction d´ours de souche compatible avec les ours autochtones, l´espèce peut vivre dans les Pyrénées. L´homme doit accepter de réparer et de restaurer ce qu´il a détruit depuis bien longtemps. Il existe un avenir pour l´ours dans les Pyrénées, de même qu´il existe un avenir pour le berger. Tous deux font partie du patrimoine pyrénéen et peuvent parfaitement cohabiter. A quoi sert l´ours ? Est-il dangereux ? Mange-t-il beaucoup de brebis ? Quelles relations a-t-il entretenues avec l´homme ? Comment est-il perçu dans les Pyrénées ? Que faut-il faire pour le protéger ? etc. Voilà les principales questions auxquelles l´auteur a essayé d´apporter des réponses dans un ouvrage qui est avant tout un plaidoyer pour la Vie." Professeur d'espagnol depuis 1978 et chef d'établissement du collège-lycée Saint-Joseph d'Oloron depuis 10 ans, Gérard Caussimont a pris sa retraite en 2013 après 41 ans d'enseignement. S'adressant au journaliste de la République des Pyrénées, il déclare à cette occasion qu'en tant que président du Fonds d'intervention éco-pastoral (FIEP), association de protection de la nature "pro-Ours", il souhaite remettre le sujet de la réintroduction d'une ourse dans les Pyrénées sur le tapis. "Il est urgent de sauver le petit noyau de population qui reste, soit deux mâles en Béarn". Il minimise les dégâts de l'ours : "trois brebis indemnisées l'an dernier, une seule la semaine dernière." Gérard Caussimont se montrera aussi actif au sein des conseils d'administration et scientifique du Parc national. En 1997, il avait déjà publié "Avec le Naturaliste, sur les pas de l'ours brun des Pyrénées" et en 2010, "L'ours brun, une nature à découvrir". - Photo : Primevère coucou (p. officinale) -

Au second arbre également profondément creusé, aucune trace de grillage. Le circuit aurait-il été abandonné et n'y aurait-il plus de suivi ? Un peu plus loin, nous admirons une belle loupe sur un sapin. Jean-François nous dit que des vaches montent par ce chemin pour se rendre sur les estives. Le troisième arbre semble aussi abandonné : y aurait-il du laisser-aller dans le réseau ? Alors que je monte tête baissée, en queue de file, je sens une grande ombre sombre passer sur moi. C'est un pic noir. Ayant rejoint mes compagnons qui ont fait halte, je me retourne et découvre la loge creusée au-dessus de la première branche d'un hêtre à une quinzaine de mètres du sol. Il émet un cri à son passage, suivi d'autres cris d'excitation. Soit il s'agit d'un couple, soit nous sommes trop près et le gênons. Nous reculons un peu et attendons, espérant son retour. Jean-François nous fait remarquer que, contrairement aux Landes où l'oiseau sélectionne de préférence un pin mort (à cause de la résine), il a choisi ici de creuser dans un hêtre bien vivant, alors que le bois est plus dur à perforer. Le pic noir niche aussi à Chiberta, la forêt municipale d'Anglet. Le pic à dos blanc fréquente ces parages, mais nous n'en voyons pas. Par contre, nous entendons très fréquemment la mésange à tête noire. Ça y est, chut, la femelle du pic noir s'est perchée au bord de la loge l'espace d'un instant, nous avons bien remarqué la petite tache rouge vif sur sa nuque, et le mâle n'est pas loin, nous entendons ses cris. Elle s'envole aussitôt et tous deux vont et viennent autour de nous, sans que nous puissions les apercevoir à cause du feuillage printanier. - Photos : Arbre sur lequel était fixé un grillage pour repérer le passage d'ours - Jean-François consulte sa carte du circuit -

Nous finissons par reprendre la marche en admirant le sous-bois constellé d'hépatiques trilobées, d'anémones sylvie et de pulmonaires. Sur le quatrième arbre, le rivet est encore fiché dans le bois. 1700 m, c'est le lieu de prédilection de l'ours. Des buissons de daphné lauréole, à ne pas confondre avec le rhododendron, poussent parmi les euphorbes et les hellébores. Les petites fleurs jaunâtres regroupées en bouquets axillaires au milieu des feuilles ôtent toute ambiguïté à l'identification. Elles sont un peu tardives, en principe la floraison est plus précoce, avant que les hêtres ne plongent le sous-bois dans l'ombre épaisse de leur feuillage. Leur nom provient du grec Dáphnê (laurier), qui désignait dans la mythologie une nymphe d'une très grande beauté, fille du dieu fleuve Pénée. Sa légende est notamment rapportée dans les Métamorphoses d'Ovide : pour se venger d'Apollon qui s'est moqué de lui, Cupidon, dieu de l'Amour, décoche simultanément deux flèches, une, en or, sur le dieu lui-même, qui le rend fou amoureux de la belle Daphné, l'autre, en plomb, sur la nymphe, qui lui inspire le dégoût de l'amour. Alors qu'Apollon la poursuit, celle-ci, épuisée, demande à son père, le dieu fleuve Pénée, de lui venir en aide : celui-ci métamorphose sa fille en laurier-rose (en grec rhododaphné). Apollon, qui est toujours amoureux d'elle, en fait alors son arbre, et le consacre aux triomphes, aux chants et aux poèmes... Le daphné lauréole, comme les autres daphnés (bois-gentil, garou, camélée des Alpes), est une espèce toxique (écorce des tiges, racines, fruits). Autrefois, les fruits des daphnés entraient dans les appâts destinés aux loups et aux renards (on retrouve la lutte paysanne ancestrale contre les prédateurs des troupeaux ou volaille) ou encore dans les mélanges d’herbe servant à endormir le poisson. Son écorce donnant une teinture jaune-pâle a été utilisée pour colorer la laine. - Photos : Daphné lauréole - Chrysomèle - Ci-dessous : L'Arrec de Besse -

Nous marchons à flanc de montagne, sous une falaise qui forme un premier contrefort du Pic de la Gentiane et au-dessus d'un torrent qui bondit en cascades sonores, l'Arrec de Besse. Arrivés sur un méplat, nous traversons une tourbière maculée de bouses de vaches et poursuivons l'ascension jusqu'à une large vallée où persistent des névés. Dans la neige, des traces de chevreuil s'éloignent vers le haut. Nous poursuivons la montée jusqu'au plateau de Besse où nous pique-niquons. Ce faisant, Jean-François nous raconte qu'un jour, Jean-Jacques Camarra mangeait devant la cabane de Besse que nous apercevons au loin, minuscule au centre de l'alpage entouré d'un cirque de montagnes. Tout d'un coup, il vit passer un ours (prénommé Lagaffe, car il faisait des bêtises tout comme le personnage de bandes dessinées). Celui-ci fut ultérieurement piégé au lacet pour lui fixer un collier avec une balise émettrice, car il provoquait la panique parmi les troupeaux de brebis. Tandis que nous l'écoutons, le grondement d'une avalanche nous fait sursauter. Elle est loin toutefois et n'arrive même pas au bas de la falaise. Deux autres dégringolent à sa suite : c'est le printemps, la neige fond. Loin dans le ciel au-dessus des falaises dénudées, un gypaète traverse l'espace et disparaît derrière les crêtes. - Photo : Jean-François aide Jacques à traverser l'obstacle -

Alors que nous reprenons notre ascension en direction du col d'Abet dominé par le pic de Bouerzy, nous stoppons net pour observer des marmottes, trop loin malheureusement pour mon appareil photo. Nous franchissons les névés où l'on enfonce peu, mais ils sont devenus glissants car la neige est lourde et humide. Jean-François peine à monter, ses articulations le font souffrir. C'est en ces lieux, nous dit-il une fois rendu sur la piste, que s'est rendu le photographe animalier François Merlet (ses photos d'ours prises dans le bois de Bouerzy et le bois d'Isabe, en vallée d'Ossau, figurent dans son livre "L'ours, seigneur des Pyrénées"). Stéphan Carbonnaux, auteur d'une magnifique biographie "Robert Hainard, chasseur au crayon", relate sa rencontre tardive avec le photographe en septembre 2005, peu de mois avant son décès. Ses héritiers font donation au Museum d'histoire naturelle de Bourges de ses travaux et matériel, qui donnent matière, début 2010, à une exposition. Le fonds est constitué de plusieurs milliers de photographies (diapositives, négatifs noir et blanc, contacts, tirages : en format 24x36 et 6x6), de nombreux carnets de terrain, de relevés sur cartes, de sa bibliothèque, des articles qu’il a écrit, des courriers qu’il échangeait avec ses collègues naturalistes ainsi que d’une partie de son matériel de prise de vue.

"Premier photographe animalier professionnel français (1930-2006), poète et journaliste, homme au caractère entier, Françoit Merlet a fait de sa vie un combat pour soutenir une cause, celle de la Nature, qu’il honorait d’une majuscule dans ses écrits.", peut-on lire sur le site Internet du Museum d'histoire naturelle de Bourges, à la rubrique Collections. Stéphan Carbonnaux le décrit ainsi : " Voilà un garçon, tôt marqué par la lecture de Jacques Delamain* et de Robert Hainard**, qui abandonne le fusil Mauser du grand-père, retrouvé dans une mare, pour son premier appareil photographique. "Espion chez les bêtes" paraît chez Maraboutscope en 1964 (« Admirable. J’aime ce dédain de la photo réussie au profit de la vie et du mouvement », écrira Robert Hainard). L’ours le travaille si fort qu’il s’installe au Pays Basque, à Montory, en septembre 1965. Fruit de plus de cent nuits d’affût, "L’Ours, seigneur des Pyrénées" paraît à Pau en 1971 avec les premières photographies en couleurs de nos ours. Comme pour beaucoup, les écrits de François Merlet auront été pour Jean-Jacques Camarra le catalyseur pour sa recherche de l'ours dans les Pyrénées. Ce livre pédagogique où l'origine, l'ethnologie et l'histoire de l'ours brun sont complétés par de nombreux renseignements (traces, laissées, alimentation,...), est le fruit d'une longue expérience de terrain de l'auteur. De nombreuses photos de "Lou Moussu" sur sa terre natale pyrénéenne ne fait qu'augmenter l'intérêt de lire ce livre. François Merlet fait paraître une nouvelle édition du "Seigneur des Pyrénées" chez Erables en 1988, puis viendra "France sauvage, au Sang de la terre" en 1989 (qui contient un émouvant "Adieu les ours !"), et enfin "Pyrénées sauvages" chez Chabaud en 1991." - Photos : François Merlet - Fonds Merlet, Ourse des Pyrénées et son ourson (Museum d'histoire naturelle de Bourges) -

* J'ai personnellement adoré la lecture de son livre "Pourquoi les oiseaux chantent", écrit en 1928.

** La bibliothèque du museum d'histoire naturelle de la Plaine d'Ansot à Bayonne contient plusieurs livres du sculpteur-philosophe Robert Hainard que l'on peut emprunter, notamment les deux gros volumes sur les Mammifères sauvages d'Europe, aux articles émaillés de réflexions originales tirées de sa propre expérience de naturaliste de terrain et d'artiste.

On peut encore lire plus loin : "François Merlet, ce grand naturaliste, chasseur d’images à l’immense talent, mais aussi journaliste, poète et pamphlétaire, a réalisé la plupart de ses images en Sologne et dans les Pyrénées. Il a essentiellement pratiqué le noir et blanc qu’il traitait comme un art, et a beaucoup travaillé ses images en laboratoire, créant des photos qui dépassent de loin la  simple image animalière. "Ses images d’oiseaux et de mammifères n’ont que quelques décennies, mais elles témoignent déjà d’un temps qui s’efface sous nos yeux : celui de la vie sauvage", dit Stephan Carbonnaux. Au début des années 60, il entreprend une recherche des ultimes loups qui survivaient en France et passaient en Berry. François Merlet était persuadé de la survivance de quelques loups en France après-guerre, et du passage de quelques bêtes (en provenance d’Espagne notamment), par leurs antiques chemins. Merlet lit, interroge les paysans, dévore les cartes, recoupe les renseignements et réussit à photographier la bête,  quelque part du côté d'Ennordres, entre le 9 et le 17 janvier pendant l’hiver glacial de 1963. On imagine mal aujourd’hui l’effet produit par leur publication dans l'hebdomadaire "Paris Match"! Cette anecdote ne révèle qu'un aspect du travail de François Merlet, précurseur dans sa  passion de la nature, amoureux  et défenseur de la vie sauvage à laquelle il consacra sa vie." - Bibliographie : "La cause de l'ours" - Claude Dendaletche - 1993 - Edition  Sang de la Terre - "L’Ours des Pyrénées" - Nanou Saint-Lèbe - Photos de Claude Dendaletche & François Merlet - 1991 - Éditions Loubatières - "Le cantique de l'Ours - Petit plaidoyer pour le frère sauvage de l'homme" - Stéphan Carbonnaux - 2008 - Transboréal - Collection "Petite philosophie du voyage" - "L’Ours brun" - Marcel Couturier -  1954 - Grand. in-8° (18 x 25 cm), 209 photos, 17 clichés au trait, 32 cartes, 43 tableaux, 974 index bibliographiques, XI - 904 p.- Couronné par l’Académie des sciences. - Photos : Fonds Merlet, Loup (Museum d'histoire naturelle de Bourges) - Robert Hainard, Ours -

Avalanche de neige terreuse dans le cirque entourant le plateau de Besse
Arbre mort perforé de partout par les pics
La loge du pic noir
Rivet de fixation du grillage qui a disparu

Alors que nous passons la crête au col d’Abet et plongeons précautionneusement sur la pente très raide d’un vallon dominé par le pic de Bouerzy, nous nous immobilisons brusquement pour observer un isard dont Jean-François a d’abord perçu les aboiements qui se répercutaient contre la paroi rocheuse. Il traverse tranquillement un petit espace à découvert et finit par disparaître après avoir franchi le sommet. Pendant que Jean-François se concentre, les yeux rivés à ses jumelles, son fils se met à crier d’excitation pour le prévenir de la présence d’un autre animal qui passe juste sur notre gauche. C’est un chevreuil. Jean-François fait la sourde oreille, mais son fils insiste, faisant évidemment fuir l’animal. Son père le réprimande, mais le gamin, décidément très enthousiaste, recommence à crier en voyant le chevreuil réapparaître un peu plus loin. Malgré cette absence totale de discrétion, nous voyons encore un autre chevreuil près du col et une biche dans une pente ombragée à mi-chemin entre l’isard et nous. Plus bas, c'est un lézard si fin que Jacques le prend d'abord pour un orvet, ses pattes ne sont visibles qu'en zoomant sur ma photo. Quelle jolie bête ! Il hésite un instant, puis se faufile entre les pierres plates d'une borde désaffectée dont il ne reste plus que la base. En lisière du bois, les chrysomèles se parent au soleil de leurs plus belles couleurs allant du vert au bleu métallisé. C'est l'époque de leur reproduction, les scènes d'accouplement ne sont pas rares. De nouveau, la succession d'arbres-repères délaissés plonge Jean-François dans un abîme d'interrogations. De retour à la voiture après 900 mètres de dénivelé, il extirpe de son coffre un bocal où il tient conservée une couleuvre verte et jaune, juvénile (morte) pour nous la montrer. - Photos : Ci-dessus, Panorama depuis le col d'Abet - L'équipe au complet - Marmottes - Ci-dessous : Ours photographié en plein jour dans les Pyrénées par une caméra automatique -

Je termine par ces paroles de Robert Hainard, issues de son livre "Mammifères sauvages d'Europe" : "L'ours! La bête par excellence, puisque Baer (Bär, ours en allemand) est l'équivalent de Tier (animal en allemand). C'est la bête, celle qu'on n'ose pas nommer, car ce serait l'appeler. Dans les langues slaves, medved est le mangeur de miel. C'est celle qui a frappé le plus l'imagination de nos ancêtres, qui a inspiré tant de contes, de mythes, de cultes ! L'extermination a été rendue possible par la démocratisation de la chasse d'une part, et la multiplication des possesseurs d'armes à feu. La mue a lieu en juin-juillet, l'ours se frotte alors volontiers aux arbres. J'ai vu à Esbas, Jouéou (Luchon, Pyrénées), un épicéa dont les ours avaient lacéré l'écorce et s'étaient frottés à la résine, y laissant beaucoup de poils. J'ai une grande estime pour les Pyrénéens qui suivent des traces, apprennent beaucoup sur l'ours et en voient très peu. Dans les Pyrénées, son aire se rétrécit sans cesse. En 1954, Couturier estimait leur nombre à 70. Maintenant (1989), ce serait plutôt 10 ou 15. - Photo : Chrysomèles, accouplement -

Protégé par l'administration, "Les Messieurs de Paris", l'ours est en butte à la haine des paysans et surtout des bergers qui continuent à l'empoisonner avec de la strychnine achetée en Espagne, bien que les dégâts soient indemnisés et, je crois, de mieux en mieux. Le Fonds d'Intervention Eco-Pastoral milite pour une meilleure intégration de l'ours à la vie pastorale, pour le versement d'indemnités de dérangement dans les régions à ours, même en l'absence de dégâts. En 1984, le Ministère français de l'Environnement a consacré 3 millions de francs à un plan de sauvegarde comprenant diverses mesures assez mal accueillies par les particularismes locaux. J'ai vu un ours, dans la vallée d'Aspe, pendant quelques secondes, à 400 m. Il descendait une pente de bruyères, d'ajoncs et d'asphodèles, au fond d'une combe boisée. Et Jean-François Terrasse a vu deux ours de tout près, en juillet 1960, à 100 m l'un de l'autre. Un ours a été vu assez régulièrement pendant une douzaine de jours, en 1958 sauf erreur, sur une pente dominant le village de Gabas (vallée d'Ossau). Les touristes ont pu l'admirer et le garde pense que c'était une ourse qui avait ses petits aux environs... Je crois que le problème de la coexistence de l'ours et d'une civilisation raffinée est avant tout un problème de psychologie humaine. Veut-on accepter quelques frais (rien du tout à côté de ce que nous dépensons pour maints plaisirs futiles et discutables), un éventuel risque (on m'a dit: si l'ours était réintroduit sur vos conseils et que quelqu'un fut tué, quelle serait votre situation? A quoi je réponds que dans ce cas, M. Ford aurait dû se suicider dix fois par jour; et qu'une statistique un peu étendue ferait apparaître que le tabouret est un instrument très dangereux, à proscrire)." - Photos : Hugo - Dorine (cresson doré), à feuilles alternes ou opposées ? - Ci-dessous : Couleuvre verte et jaune juvénile (morte) - Bataille de boules de neige entre Jacques et Hugo -

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