Récemment un son de cloche favorable pour l’épargne :
le marché libre de l’or était officiellement rétabli. Ceci après dix ans de
suspension de liberté, de contraintes de toutes sortes au service d’idéologies
aussi variées que contradictoires, mais ayant toutes ce caractère commun d’être
ennemies de la liberté individuelle et du libre choix de chacun.
Ce recul du dirigisme n’intéresse peut-être pas directement
l’épargne. Les cyniques feront remarquer qu’en fait il n’y a pas grand’chose de
changé, et qu’une fois encore le seul moyen pratique de juguler les opérations
du marché noir aura été de les officialiser ! Certes, mais il y a dans ce
retour à la liberté quand même davantage. Il y a aussi l’aveu et la
reconnaissance de ce fait que les lois sont impuissantes contre l’esprit
public ; ce qui est très heureux pour la démocratie. Que les lois, pour
être efficaces, doivent suivre les mœurs et non l’inverse. Vérité connue depuis
longtemps, mais bien désagréables aux esprits systématiques qui croient toujours
pouvoir modeler la Société à leur fantaisie.
En gros, cette renaissance de la liberté c’est l’aveu
officiel que les impératifs sociaux ou politiques, qui se disputent notre pays
depuis plus de dix ans, se sont tous « cassés le nez » sur la vieille
idole du Veau d’Or. Ce dont tous les gens tranquilles ne peuvent que se
réjouir.
C’est d’ailleurs ce que nous avions prévu vers 1936, lorsque
nous rompions ici quelques lances avec les doctrinaires du planisme qui
parlaient alors de « dévaloriser » l’or ! Et que, prévoyant la
tempête qui s’annonçait, nous donnions ce conseil aux épargnants d’éviter alors
les placements en valeurs de bourse qui n’étaient pas faits pour eux et, si
l’on s’en rappelle, de limiter leur ambition à une petite maison et quelques
terres, quelques pièces d’or et leurs disponibilités indispensables à la Caisse
d’Épargne.
Bien des choses ont sombré ces dernières années, mais la
terre et l’or ont tenu bon, mieux que la plupart des placements strictement
financiers. Bien d’autres gloires sombreront encore dans les années à venir, ne
serait-ce qu’en conséquence inéluctable des récents événements. Et à plus forte
raison si, comme le pensent certains, nous ne vivons actuellement qu’un
entr’acte en attendant la reprise du bal. Car alors la question se poserait de
satisfaire simplement les besoins élémentaires comme elle se pose actuellement
en ces temps de paix relative à tous les dirigeants européens. La sombre
période de l’occupation pourrait devenir alors un souvenir presque acceptable,
car maintenant nous n’avons plus aucune réserve d’aucune sorte pour tenir.
Si personnellement nous ne voyons pas le proche avenir aussi
noir, nous n’en pensons pas moins, en ce qui concerne les épargnants, que notre
ligne de sauvegarde d’autrefois, la terre et l’or, est toujours valable. En
faisant remarquer toutefois que le prix actuel de 4.000 francs pour le
louis est très nettement au-dessus de sa valeur monétaire réelle et que les
biens ruraux dans l’ensemble sont probablement trop chers : cent fois les
prix de 1914 est un niveau dangereux à trop dépasser sur les données
économiques actuelles. La situation économique de notre pays est moins mauvaise
qu’on ne le croit généralement. Et si aucun événement international majeur ne
vient encore une fois tout bouleverser, le proche avenir montrera que c’est
encore la France qui a, en Europe, le plus d’atouts majeurs de relèvement
économique rapide. Ce que les pessimistes par principe feront bien de ne pas
perdre de vue dans leurs spéculations.
Le rétablissement de la liberté du marché de l’or est
probablement la première mesure raisonnable prise depuis la Libération. Il
serait malheureux qu’elle n’eût pas la suite escomptée, c’est-à-dire d’aider au
rétablissement de la confiance financière et monétaire, et de « dégeler »
des capitaux thésaurisés dont l’activité serait génératrice d’impôts et de
salaires, tout en libérant des quantités d’or qui seraient actuellement bien
utiles pour régler notre balance commerciale. Déjà les bons effets en ont été
partiellement émoussés par des mesures psychologiquement maladroites
— comme le retrait des billets de 5.000 francs — imposées par
les idéologues de la contrainte à tout prix. Espérons que les dégâts
s’arrêteront là, car notre situation économique reste sérieuse.
Elle est sérieuse pour de nombreuses raisons. D’abord le
ralentissement de l’activité capitaliste, le risque inhérent à toute entreprise
n’ayant plus de contrepartie bénéficiaire suffisante par suite des mesures
démagogiques de toutes sortes ; d’où thésaurisation, et surtout thésaurisation
occulte et conséquences monétaires sérieuses, comme nous l’avons déjà expliqué
récemment. Ensuite disparité entre les prix de vente des objets usuels et les
possibilités d’achats, non seulement des « travailleurs », mais de
tout le monde, car aujourd’hui à combien s’élève le nombre des non-travailleurs
volontaires, même parmi les vieillards qui auraient droit au repos depuis
longtemps ? Disparité dont on accuse facilement l’âpreté des
intermédiaires ou des paysans, mais qui a probablement bien davantage sa source
dans les impôts et les para-impôts que sont les charges sociales, et qui
s’incorporent obligatoirement au prix de revient des marchandises. Enfin, dans
la crise économique menaçante, amenée en partie par les mesures indispensables
d’assainissement financier, et que les données financières (bilans comparés de
la Banque de France, etc.) laissent entrevoir pour bientôt. Car il est
impossible de bloquer un processus d’inflation monétaire sans contre-coups
sérieux.
Le principal sera d’éviter le chômage, ce qui ne sera
possible que par un abaissement des dépenses indispensables actuellement
consacrées à la nourriture, ce qui amènerait une augmentation des achats de
marchandises industrielles et le dégorgement des stocks qui commencent à
sérieusement gêner la production. Toutes perspectives qui impliquent, pour la
plupart des grosses affaires industrielles dont les titres sont cotés en Bourse
des lendemains plus difficiles que la publicité financière ne le fait
pressentir aux acheteurs éventuels ... et désirés.
L’ère des gros dividendes n’est pas pour cette année, ni
pour les prochaines, et l’ère des risques de toutes sortes n’est pas close.
Sauf probablement pour quelques rares affaires, à activité très spéciale étayée
sur un quasi-monopole.
Marcel LAMBERT.
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