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Décentralisation de la mode

Cinq couturiers, portant cinq des plus grands noms de la couture, viennent de s'unir pour permettre à la Française moyenne de porter des toilettes signées d'eux dont la façon, la ligne, la qualité soient indiscutables ; cette collection comporte 35 modèles, 7 par couturier, allant de la petite robe à la robe de cocktail en passant par le tailleur et le manteau ; ils coûtent de 20.000 francs à 40.000 francs, sont prévus pour les tailles 40, 42, 44 et 46 avec essayage, sont déposés dans les grandes villes de toute la France : dans chacune d'elle le plus grand magasin a été choisi et un seul par ville ; plus de 60 grandes villes déjà sont pourvues. Chaque modèle porte la griffe « Couturiers associés, modèle exclusif de ... Jacques Fath, Jean Dessès, Paquin, Robert Piguet ou Carven », car ce sont là les cinq qui se sont entendus pour mener à bien cette entreprise.

La jeune association est à Paris très discutée ; les uns l'approuvent, les autres la critiquent ; ceux-ci prétendent que ces grands maîtres de la grande couture vont ainsi galvauder leur griffe, ceux-là que leur initiative permettra à bien des Françaises, dont le budget est limité, de porter des toilettes signées, de les avoir à portée de la main, quelle que soit la lointaine province qu'elles habitent, et d'affiner en outre leurs goûts. Le résultat dira qui avait raison ; il me semble que cette initiative est excellente. Pour ma part, j'ai dit bien des fois, ici, mon goût des élégances de qualité plutôt que nombreuses, mon horreur des à peu près, des rafistolages, des inutiles surcharges de garnitures, de tout ce qui crée un comportement vulgaire, une tenue voyante. J'ai aimé dans la collection des Couturiers associés la sobriété, la netteté de la ligne dépouillée, l'excellence des matériaux employés. Les tailleurs parfaits, habillés ou sport, sont classiques de forme, raffinés dans le détail rare ; les manteaux amples, confortables, d'une haute élégance sans excentricité, les petites robes absolument charmantes, les robes habillées à transformations habiles et de grand goût faites dans de fort belles soieries noires, mais éclairées par la surprise de revers qui s'ouvrent en ravissant décolleté, d'un mobile boléro qui dénude un décolleté pour les réunions du soir.

Quand on a l'habitude de suivre les collections de couture, on retrouve immédiatement la personnalité de chacun des « Cinq » dans ces créations séduisantes ; c'est assez dire que nos couturiers ont mis tous leurs soins à étudier ces modèles qu'il fallait sobres, à coup sûr, mais tout de même méritant leur prix, et, dans les grandes collections même, ces 35 modèles ne dépareraient nullement l'ensemble.

Paris, qui a tant de ressources par ailleurs, ni ses environs immédiats n'auront droit à la collection des Couturiers associés ; on dit que Versailles a réclamé et qu'on envisage de donner satisfaction à la capitale du Roi Soleil ; elle devait également être réservée à notre province et à nos colonies ; nos amis Belges, Suisses, Néerlandais et Scandinaves la réclament, tant mieux ; notre Couture, qui est une de nos richesses nationales, doit rechercher tous les moyens d'expression et d'expansion.

G.-P. DE ROUVILLE.

Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 689