«A leur rencontre»
Il est en 1936, au moment du Front Populaire et des congés payés, c'est un « formateur passionné »*, encore en activité aux Girondins de Bordeaux section Football, c'est Pierre Labat surnommé Pierrot depuis toujours. Dresser un portrait de ce personnage n'est pas si facile, car on devine derrière le landais un homme en éternelle effervescence aux facettes multiples et variées. Nous l'avons rencontré au centre d'entraînement du Haillan , écouté religieusement avec mon compère photographe Régis Hazenfus nous parler d'un parcours de vie sans pareil. Dans son ouvrage paru en 2008, Pierrot Labat revient largement sur ses «quatre mousquetaires» qui ont changé sa vie. Peu de formateurs dans le pays ont eu la chance de travailler avec Bixente Lizarazu (1986-1996), Christophe Dugarry (1985-1996 puis 2000-2003 ), Zinédine Zidane (1992-1996) et Didier Deschamps (1990-1991) . Bien d'autres joueurs ont pu bénéficier de ses conseils avisés, mais il a pour les précédents des «yeux de Chimène». Ces derniers ont d'ailleurs tendance à s'humidifier, quand il évoque cette nuit magique au Stade de France , ses protégés devinrent Champions du Monde, le 12 juillet 1998. Que fit-il ce soir-là, alors que des millions de Français faisaient la fête et qu'il était l'invité de Bixente en personne dans la capitale ? Il retourna dans sa chambre d'hôtel, et il revit la partie ! L'émotion était immense, et, sans doute, Pierrot vécut -il ces moments comme une forme d'aboutissement. Tout ne fut pas rose toutefois, pour celui qui vit sa carrière bordelaise de footballeur rapidement écourtée, pour cause de blessure. Après une parenthèse professionnelle non aboutie, il réintègre le club à l'initiative de Jacques Debeleix, et de Didier Couécou , alors respectivement secrétaire et directeur sportif. Il s'occupe alors en tant qu'éducateur bénévole des minimes des Girondins de l'époque (U13, U14 d'aujourd'hui). Il comprend très vite, pour reprendre sa formule «qu'un bon second vaut mieux qu'un mauvais premier». En 1986, ses qualités de pédagogue et de technicien sont remarquées par Philippe Goubet , entraîneur de l'équipe réserve, qui lui propose de le rejoindre au centre de formation. «Je suis chauffeur du minibus à cette occasion, j'accompagne les joueurs à l'école tous les matins. Je joue autant un rôle de protecteur, de surveillant que de technicien.». La rencontre décisive pour Pierrot Labat s'effectue au même moment. Dans cette fin des années 80, les Girondins de Bordeaux restent le club français de référence ( Coupe de France, 1986, doublé de 1987, place de dauphin 1989-1990), notre landais découvre le technicien yougoslave Ante Mladinic , dont il apprécie toute la palette des entraînements. «Trop d'entraîneurs voient les joueurs avec les qualités qu'ils voudraient qu'ils aient et pas nécessairement celles qu'ils ont !», précise Pierrot. Mladinic est un technicien mais plus que tout autre il est désireux «de transmettre à autrui». Son savoir ne lui appartient pas, il veut le partager farouchement. Très concrètement, la méthode Mladinic/ Labat est axée sur le travail individuel, la maîtrise du geste et du ballon. «Tout enchaînement mal exécuté, doit être corrigé comme une faute d'orthographe !», précise le formateur dans le DVD « Les gammes du Football »** où il dispense son art. Bien évidemment, la répétitivité des gestes ne garantit en rien la réussite au plus haut niveau. Le talent personnel est indispensable, et cela à juste titre Labat pense qu'on le possède de façon innée. Au cours du temps, et au contact du football professionnel, le Girondin a encore mis en exergue la force mentale dans la compétition. Elle se définit «autour de 5 qualités : l'humilité, le courage, la volonté, la détermination, la persévérance.» Au fur et à mesure de l'entretien, on sent chez Pierrot que la force de conviction ne s'est pas érodée avec le temps. «Quand la passion croise l'excellence !», on est proche de la réussite ! Et au cours de ces quatre décennies, Pierrot Labat aura été de toutes les aventures des Girondins, heureuses ou malheureuses, le plus souvent dans l'ombre. Il est fréquemment plus qu'un recours de substitution pour des joueurs ou joueuses en panne de confiance. Elie Baup , de 1998 à 2003, puis Michel Pavon , de 2003 à 2005, n'hésitaient pas à lui confier leurs joueurs individuellement. Ainsi a t-il entraîné techniquement Yoann Gourcuff et l'a t-il accompagné psychologiquement après son départ des Girondins vers l'Olympique lyonnais en 2010. L'ex-bordelais avoua à cette occasion «ne ressentir aucune douleur dans ces séances animées par Pierrot Labat ». Ce dernier n'a pas d'équivalent, pour débusquer le point faible d'un de ses siens. Zinédine Zidane dont il appréciait l'aisance technique à l'entraînement laissait apparaître une certaine déficience du jeu de tête. A force de persuasion ajoutée au travail du joueur talentueux, on sait à quel point ces «carences» ont été comblées pour aboutir à l'apothéose de l'été 98. Pierrot Labat a été souvent un père de substitution pour tous ces jeunes coupés du foyer parental. Bixente Lizarazu , qui ne manque pas une occasion de l'appeler encore, concédait dans la préface de « Mémoires d'un formateur passionné ». «Tout ce que je sais de la moralité des hommes, c'est au football et à Pierre Labat que je le dois». Il n'y a pas de plus bel hommage que celui-ci, car l'homme a toujours eu l'ambition de tirer le maximum des qualités sportives et humaines de ses poulains. Le formateur malgré ses 80 ans passés est toujours là, « plus vivant que jamais ! », invariablement accompagné de son petit chien dont il ne se sépare pas. Avide de progrès, encore et toujours, il continue de servir son club, grâce à des solutions innovantes. Il allie tests psychologiques, images vidéos et pratique de la gestuelle, et propose un travail de «gammes du football» personnalisé. Le but étant toujours de faire progresser au maximum les joueurs. Il reste dubitatif sur la réussite et l'échec de certains de ses protégés, n'hésitant pas à consulter « Zizou» en personne récemment, pour l'interroger sur cette énigme. «C'est quand je ne serai plus qu'on mesurera l'importance de la mise en œuvre des «gammes», que peu d'entraîneurs ont appris à faire travailler !», concède t-il ultimement. Les Girondins et Saint Pierre ne sont pas pressés, mais gageons que le second réserve une place de choix dans son vestiaire au « formateur passionné » ! * Pierrot Labat, Mémoires d'un formateur passionné , Éditions le Tiers Livre, 2008 ** Pierrot Labat, Les gammes du football , DVD et CD, 2008, proposés à partir du travail par la vidéo dont le formateur est un adepte. Christophe GAMEIRO