Dauger, de Manech à Jean
Le destin contrarié du plus grand attaquant français
Jean Louis Etcheto
• Jean Dauger (photo Presse Sport)
“ Ma vie est un roman “ avait confié à son mémorialiste, dans son exil
lointain, un personnage illustre de l’Histoire de France. Plus
modestement la carrière sportive du Bayonnais Jean Dauger se reflète
quant à elle dans une impressionnante “éditographie” où s’entremêlent
les signatures de la presse régionale et nationale, voire
internationale, aux noms les plus fameux et prestigieux de la
profession plumitive. Et cela durera pendant plus de soixante ans, de
l’éloge à la critique, de la vénération au doute, de l’humeur aigre aux
plus loyales amitiés. Faut-il les énumérer les Gaston Bénac,
Jacques Goddet, Marcel de Laborderie, Loys Van Lee, Carmen Tessier,
Philippe Chatrier, Paul Haedens Michel Villeneuve Henri Garcia, Denis
Lalanne, Géo Villetan Jean Monest, Robert Perrier, Georges Pastre,
Georges Duthen, Gaston Meyer, Jean Denis, et des dizaines d’autres qui
en l’absence d’image ont forgé sa légende ? Selon leurs témoignages
patiemment recueillis auprès d’une multitude de dirigeants,
d’adversaires les plus glorieux, de partenaires les plus doués, Jean
Dauger est bien le plus grand attaquant de son temps. Meilleur
marqueur, excellent buteur, redoutable plaqueur, mais surtout
exceptionnel créateur de jeu. Les ailiers de Dauger battaient tous les
records d’essais, comme se souvient Jean Pétriacq, futur grand reporter
à France-Soir qui en une saison en inscrivit 53 au côté du grand
Jeannot. Pour les plus anciens le phénomène bayonnais égalait le
prestigieux François Borde, de vingt ans son aîné, qui mettait
régulièrement sur orbite son partenaire du Stade Toulousain, Adolphe
Jaureguy.
Non Jean Dauger n’est pas seulement le nom d’un stade! Il y a quelques
années, un jeune international du Stade Toulousain à la belle
allure, intercepta au cours d’un repas amical une bribe de conversation
entre Denis Lalanne, journaliste à l’équipe et André Boniface, le
célèbre trois quarts centre montois. Le premier disait à l’autre, en
montrant le jeune Toulousain: “à qui te fait-il penser? – à Jeannot
Dauger!” Le compliment tomba à plat quand l’intéressé leur demanda: “il
jouait quoi ce Dauger”. Sans doute nos deux compères, amis proches du
grand Jeannot, auraient-ils préféré qu’on leur demande: “il jouait
comment?” Et la discussion aurait sans doute tendu vers l’infini...
L’homme qui remplissait à lui seul les stades, qui mobilisait les
défenses adverses, qui changeait souvent le cours des rencontres,
admiré par ses partenaires, et louangé par la plupart des grands
champions, à XIII comme à Quinze, pour son talent , pour ses qualités
physiques exceptionnelles, et pour ses qualités humaines d’intelligence
et de modestie, était en effet un intarissable sujet de conversation
pour le monde sportif.
Pourquoi n’a-t-il pas eu alors ce destin historique que lui aurait
conféré une longue et brillante carrière internationale? Le paradoxe
est que Jean Dauger – mais cela se sait peu- reste aujourd’hui encore
l’international français à la plus grande longévité. Sélectionné à XIII
à 18 ans, il disputera sa dernière rencontre à XV à 34 ans. Mais
entre ces deux matches, que de polémiques.
Vendu pour 30.000 francs
Le sort injuste réservé à Jean Dauger les héros de la Grèce Antique
l’auraient attribué aux Dieux. Hercule moderne Jean Dauger dut livrer
tout au long de sa carrière un combat incessant contre des forces
occultes voulant l’empêcher de devenir ce dieu du stade, rôle pour
lequel la nature l’avait prédisposé. A 17 ans, en 1936, 1,80m pour déjà
70kg, et à peine plus de 11” au cent mètres... des jambes souples
portant un solide buste, au service d’un sens du jeu
génial. Et tout cela parce qu’un jour dans une petite bicoque de
cheminot, au bord de la voie ferrée entre Bayonne et Boucau, un père
peu fortuné, élevant six enfants, n’avait pas compris que les trois
“messieurs” en pardessus épais qui venaient de descendre d’une voiture
américaine noire, pour lui mettre sous le nez une trentaine de billets
de 1000 francs –trois ans de son salaire- en échange de son fils de 17
ans, n’était pas là pour le bonheur de la famille, mais pour le malheur
de son Manech, le dernier et le plus doué que pourtant il aimait tant.
Et Manech, “vendu pour 30.000 francs”, monta dans la limousine, les
larmes aux yeux en cette fin du mois d’août 1937. Il venait d’entrer
dans le professionnalisme. Sans vouloir, sans savoir, et surtout sans
imaginer que la décision paternelle lui collerait à la peau durant
toute sa carrière. Et il n’en voudra pourtant jamais à personne.
Dans la limousine qui file vers Roanne et qui laisse derrière elle le
quartier Saint Bernard, et au loin les flèches de la cathédrale,
Jeannot pense à ce champ des Russes où il a commencé à manier le ballon
avec quelques aînés du quartier, ses initiateurs, dont l’un fera par
ailleurs une brillante carrière professionnelle, mais chez les
cyclistes: Paul Maye. Durant le voyage il fait plus ample connaissance
avec son nouveau patron, le président du Racing Club Roannais, Claudius
Devernois, un industriel aisé qui emploiera Manech comme tisseur dans
sa bonneterie. Il y a aussi le capitaine, Robert Samatan et le manager
Gérard Putanier qui observe le garçon au fond de la voiture, les yeux
embués de larmes. Il dira plus tard “si ça avait été ma voiture, je
rebroussais chemin pour le ramener à sa mère, tellement ce gamin me
faisait de la peine.” On était donc loin de l’ambitieux assoiffé de
gloire et d’argent que certains condamneront plus tard,
• Jean Dauger tisseur à Roanne en
1938, à 19 ans, dans la bonneterie de son président Claudius Devernois
(médaillon). Il gagne 1000 francs par mois (reportage Géo Villetan
Paris-Soir
Il rêvait du maillot bleu et blanc
Jean Dauger est triste de quitter sa famille, mais il l’est tout autant
d’abandonner son “second papa”, celui qui lui a donné une vraie chance
de pratiquer le sport qu’il adore, le rugby. A ce moment là secrétaire
général de l’Aviron Bayonnais, Georges Darhan avait accueilli et mis
sous sa protection ce grand garçon mince et timide qui développait déjà
sur le terrain une maturité étonnante. Après une première découverte du
vrai rugby, lors d’une rencontre contre Navarrenx disputée sans licence
sous les couleurs de l’AS Bayonnaise (souvenir qui remplissait de joie
Félix Abéradère, emblématique dirigeant, animateur de ce club, toujours
heureux de faire la nique au rival bleu et blanc), Manech Dauger
s’était dirigé vers Hardoy.
“Par un bel après-midi de septembre 1935, Jean Dauger –il avait
quinze ans et demi- le béret à la main, abordait à Hardoy, Georges
Darhan pour lui demander de réaliser son rêve: porter le maillot
bleu et blanc...incorporé dans les juniors jeannot “le petit caïd de
Saint Bernard”, à l’ouverture poste où il excellait forma pendant deux
ans avec Tastet à la mêlée, le tandem d’une fameuse équipe qui parvint
à la demi finale du championnat,” témoignait à l’époque Jean Labourd,
alias Peillic, alias le Vieux des tribunes, le très respecté chanoine
Jean Lamarque professeur de Lettres au collège Saint Louis de Gonzague,
éminent correspondant de presse de plusieurs titres régionaux et
nationaux, et fidèle observateur des bleu et blanc.
Cette affaire fut une rude déception pour le dirigeant bayonnais qui
n’en tint cependant pas rigueur à son jeune protégé auquel il
prodiguait souvent des conseils et offrait des gâteaux les soirs de
victoire. Il l’accueillera trés paternellement à plusieurs reprises
lorsque Manech viendra “en permission” rendre visite à sa famille, en
distribuant largement des pulls tissés à Roanne sur les métiers
Duvernois (l’entreprise existe toujours). Jean Labourd assista avec
gourmandise à l’une de ces rencontres rue du 49ème au siège du club où
“chaque jeudi de 18h à 19h se retrouvaient dirigeants, joueurs et
journalistes pour discuter. En présence de “Monsieur Georges”, qui lui
claqua amicalement la joue, de Maurice Celhay et André Tastet, Dauger,
étoile de Roanne XIII répondit à toutes les questions. Il n’en
finit pas de bavarder avec cette volubilité nerveuse que nous lui
connaissons... bien entendu le grand sujet de conversation c’est
l’Aviron bientôt opposé à Toulon pour son quart de finale...”
“Nous avons un as mais on le cache”, disait Darhan avant le passage des
recruteurs treizistes. “Ils me l’ont volé” dira-t-il plus tard. Mais
pas tout à fait puisque Jean Dauger dans sa gloire naissante avait
toujours Bayonne et les couleurs bleu et blanc au coeur, et gardait
secrètement dans son portefeuille cette photo prise à Hardoy sous le
maillot de l’Aviron. Un secret dont s’amusait son nouvel ami Max
Rousié, une des figures du XIII qui avait pris le jeunot sous son aile
protectrice et accompagna le nouveau champion sur les chemins de la
gloire.
Un héros de 18 ans
L’adaptation au jeu à 13 s’était faite instantanément pour Jeannot qui
arpentait les grands espaces de son nouveau domaine. L’entente à Roanne
était réellement amicale et Manech devint vite le chouchou de ses
dirigeants, de ses partenaires et du public. On aimait sa discrétion et
son intelligence. On admirait son talent. Et quand, à l’initiative du
sélectionneur Jean Galia, il fut incorporé dans l’équipe nationale qui
devait affronter les Kangourous australiens, en janvier 1938 à
Marseille, la renommée du Basque fit un formidable bond en avant.
D’autant qu’il fut , à 18 ans, le héros de ce match salué même par ses
adversaires, joueurs et dirigeants, des Antipodes. Le monde du XIII
s’était découvert une nouvelle idole. Jean Dauger ne tarda pas à
confirmer avec ses sept sélections en deux saisons, faisant aussi
l’admiration des Britanniques dont un prestigieux entraineur Gallois
qui n’hésita pas à dire “si votre Dauger veut jouer ici je connais sept
ou huit clubs anglais qui sont prêt à payer mille livres (180.000
francs). Le père Devernois avait fait semble-t-il un bon placement!
Il y eut malheureusement la guerre. Une tragédie pour tous et une
fatalité pour le jeu à XIII qui fut interdit par le gouvernement de
Vichy et son ministre des sports Joseph Pascot. Il y avait eu aussi la
Débâcle, les communications interrompues. Bref la pagaille. Jeannot
après un passage obligé par les camps de jeunesse, à Mazamet, entreprit
de regagner Bayonne où il lui pressait de rejouer au ballon. Et où il
pratiqua effectivement quelques matches avec Côte Basque XIII. Il
aurait dû suivant le protocole entre le Comité National des Sports, la
FFR et la Ligue à XIII dissoute, être amnistié. Mais on lui reprocha
d’avoir été contacté par des clubs professionnels de la zone libre ! En
fait il n’avait disputé que quelques matches en amateur, avec Mazamet,
son lieu provisoire de résidence. A Paris les “gros pardessus”
voulurent faire un exemple et Dauger écopa d’un an de suspension. Il ne
put reprendre qu’en novembre 1941 sous les couleurs de son cher Aviron.
Pour le plus grand attaquant Français, “ce n’était pas la fin des
ennuis ni, comme disait Churchill de l’autre côté de la manche , le
commencement de la fin, mais seulement la fin du commencement.“
Champion au Parc des Princes
Malgré la grisaille de l’Occupation où l’on essaie de vivre à peu près
normalement, le rugby va tenter de donner un peu d’espoir à ses joueurs
et à son public. Un championnat est maintenu. Il est disputé en deux
zones, nord et sud. L’Aviron vainqueur de la première affronte,
le 21 mars 1943 au Parc des Princes, Agen qui s’est imposé dans
le sud. A Bayonne tous les anciens connaissent la suite. Le match fut
très serré, “ à vingt minutes de la fin personne ne pouvait dire qui
l’emporterait. Il y eut alors deux attaques conduites par Dauger. La
première échoua sur Larre poussé en touche in extremis. La seconde fut
lancée par Dauger qui fila droit visa dans le trou puis transmis la
balle au petit ailier blond, Larre qui marqua un des plus beaux essais
que l’on puisse voir.” Maurice Celhay, le capitaine, qui fit lui aussi
un match excellent fut porté en triomphe par ses coéquipiers. L’Aviron
remportait son troisième titre. Il le devait beaucoup au “petit caïd”
de Georges Darhan.
Pour Jeannot qui assurait royalement maintenant à 24 ans, ses
près de 80 kilos ses 11 secondes au cent mètres, une foulée redoutable,
des accélérations diaboliques, une paumelle (aussi appelée raffut)
meurtrière, un coup de pied remarquable et un excellent plaquage,
l’heure de la plénitude est venue. Les publics accourent à ses
exploits, les adversaires multiplient les cartons (dont il gardera plus
tard quelques traces aux articulations), Dauger est devenu synonyme de
“danger” pour toutes les équipes adverses, dans sa frénésie de
l’attaque il renverse le sort des matches, fait battre à ses ailiers
des records d’essais. Lui-même en marquera cinquante-cinq au cours
d’une saison. Pour l’Aviron cependant les fortunes seront diverses. Les
bleu et blanc sont encore finalistes en 1944, mais battus par l’USAP,
et l’Aviron glissera dans la hiérarchie.
C’est pourtant la Libération, et malheureusement le retour des
recruteurs à XIII. Martyr du régime de Vichy le jeu à XIII revient
conquérant, avec son jeune président-résistant Paul Barrière. Ses
dirigeants n’ont pas oublié leurs anciens champions. Jean Dauger est en
tête des listes de recrutement. Les journaux publient des cotes
exorbitantes. Un rédacteur affirme dans ses colonnes que Dauger s’est
vu proposer en août 1.000.000 de francs, 1.500.000 en septembre,
2.000.000 en octobre, puis 2.500.000 quelques semaines plus
tard... Tour à tour arrivent à Bayonne les dirigeants de Roanne,
de Bordeaux, de Toulouse, de Marseille qui frappent à la porte de Jean
Dauger qui ne veut plus repartir. Cette fois il est majeur et c’est lui
qui décide. Et l’Aviron veut lui proposer une situation plus stable: la
gérance du Club des Clubs, lieu emblématique des sportifs bayonnais,
qui jouxte, rue du 49ème, le siège social des bleu et blanc.
Le retour en grâce
A la reprise des relations avec les Britanniques, après quelques
tergiversations la FFR a fini par amnistier l’ancien treiziste qui
décroche ses premières caps d’international avec le XV de France ( le
1er janvier 1945 face à l’Army Rugby Union, et le 28 avril 1945 face à
l’Empire britannique avec comme ailier Jacques Chaban-Delmas). D’autres
anciens treizistes avaient déjà été repêchés, “pourquoi pas moi ?”
réclamait Jean Dauger, appuyé par une presse qui ne manquait pas de
relayer ses exploits, soutenu par le public et par de glorieux anciens
qui reconnaissaient son talent exceptionnel et qui finirent par
convaincre les sélectionneurs et dirigeant fédéraux, déjà bien
instruits par ce qu’ils voyaient sur les terrains. Un épisode plus
fâcheux que les autres vint encore ternir injustement la réputation de
Jeannot.
Jean Galia qui avait contribué à sa gloire en le sélectionnant en 1938
contre l’Australie le mit en difficulté en tentant de le recruter pour
son nouveau club le Stadoceste Toulousain. Le dirigeant treizistes
s’était déplacé pour contacter Dauger qui vivait chez ses
beaux-parents, avec sa femme et ses deux filles, aux allées Marines,
pour proposer au champion outre un appartement ,un contrat de 200.000
francs, la gérance d’un café toulousain avec 10.000 francs de fixe par
mois, un salaire de 4.000 francs par mois et 500 francs de prime par
match. En 1945, il y avait de quoi faire réfléchir un modeste employé
de bureau et émouvoir sa famille. Jeannot eut la faiblesse d’hésiter un
soir et une nuit, avant de filer à la poste au matin, pour renvoyer à
Jean Galia, le mandat de 100.000 francs que ce dernier avait laissé en
acompte. Le toulousain déçu le prit fort mal, et une campagne fut
lancée contre Jean Dauger par les treizistes qui demandèrent à la FFR
de le radier. L’affaire se corsa d’autant que le président de la FFR,
Alfred Eluère, était aussi membre du conseil d’administration de
l’Aviron Bayonnais. L’affaire finalement se tassa, et l’Aviron garda
son joueur prodige.
Ce dernier continuait à vibrer pour le jeu et, parfois contesté,
souvent jalousé, gardait sa place, compensant l’érosion de ses belles
qualités physiques par un accroissement de son expérience. Il délivrait
toujours d’excellents ballons à ses partenaires, même s’il marquait
moins d’essais. “Quand je me regarde je m’inquiète, quand je me compare
je me rassure”! Il aurait pu faire sienne cette boutade de Talleyrand
car finalement il se trouvait encore à 34 ans parmi les meilleurs
centres français. Et sur son seul nom on remplissait les stades comme à
Toulouse où il était invité chaque année à renforcer les locaux pour le
match de prestige contre les Gallois de Clamorgan.
L’arrivée de René Crabos à la présidence fédérale, sans doute
aussi l’influence d’Adolphe Jaureguy, devenu sélectionneur, et la
persévérance de Serge Saulnier, président d’Ile de France,
contribuèrent à débloquer la situation pour tenter de rendre justice au
grand attaquant. Les Britanniques se montrant moins intransigeants, il
fut sélectionné pour la première fois en Tournoi des Cinq-Nations, le
10 janvier 1953 à Colombes contre l’Écosse. Une équipée qu’il partagea
avec le talonneur Paul Labadie (21 sélections) son ami et partenaire de
club. La France l’emporta 11 à 5. Dauger ne toucha presque pas le
ballon, et cette rencontre, confessera-t-il plus tard, lui laissa des
doutes et des regrets sur son utilité car à elle seule elle ne pouvait
résumer l’ensemble de sa carrière. D’autant que ce fut aussi la
dernière. Redevenus frileux les dirigeants français, à l’étonnement du
public et de la presse, ne convoquèrent plus celui qui avait marqué
l’ensemble du rugby français, pendant plus de quinze ans, malgré tant
d’adversité. Il deviendra paradoxalement sélectionneur en 1973.
C’était l’heure de ranger les crampons. Il ne restait plus à Jean
Dauger qu’à devenir, comme certains autres avant lui, ce patriarche du
rugby bayonnais, attentif à la montée des jeunes, à la préservation du
jeu d’attaque. Il le fit merveilleusement, derrière son comptoir du
club des clubs où venaient s’accouder annuellement les Blondin, Kleber
et Paul Haedens, Jean Loup Dabbadie et combien d’autres, sur la pelouse
des vétérans Old Boys avec les Moga, Haroun Tazieff, Soro, Celaya,
Herrera et les autres, comme spectateur avisé de toutes les rencontres
importantes de rugby, en famille avec tous ses petits enfants, entre
amis, des tablées de belote du club des clubs aux paseos dans les rues
de Saint Sébastien ou sur les gradins des plazas de Pampelune et de
Bilbao, dans son cher club house bleu et blanc où il regrettait
toujours la brouille avec son ami René Arotça, à Paris-Presse où il fut
rédacteur, au club du Lys de Chantilly cher à Philippe Chatrier. Il fit
une exception pour la cueillette des champignons où il aimait rester
seul pour savourer un peu de ce temps précieux qui file si vite
lorsqu’on a de grands desseins, mais qui est d’une telle gourmandise
quand on a de beaux souvenirs.
Depuis le 23 octobre 1999, Jean Dauger chevauche sur les terrains de l’éternité.