1°) Le parcours politique de David Vincent :
Si l'on regarde la série dans son entier et avec un peu de recul, on ne peut qu'être frappé par la cohérence du parcours de son personnage principal. D'homme seul, témoin fortuit d'un événement qui déclenche en lui une prise de conscience qui bouleverse tant sa vie propre que sa vision (politique et philosophique) du monde, David Vincent devient (à partir de l'épisode 31) le leader d'un groupe de militants anti-envahisseurs "convaincus" (The Defenders).
Avant d'en arriver là, il doit franchir les différentes étapes qui jalonnent le parcours de l'homme politique débutant :
- l'expression publique (il s'adresse aux autorités qui, de nature conservatrice et prudente, le raillent et/ou le freinent dans ses entreprises) ;
- l'agit-prop (il mène quelques actions "commando" pour attirer l'attention des officiels sur la présence des envahisseurs parmi nous) ;
- la campagne de terrain (il arpente les États-Unis du Nord au Sud et d'Est en Ouest pour 1°) rallier des "foules" incrédules à ses convictions ; 2°) démasquer les humains coupables de collusion avec l'ennemi ; et 3°) convaincre, convaincre, toujours convaincre...) ;
- la constitution d'un group(uscul)e de personnes prêtes à agir dans le même sens que lui (le groupe des Defenders tient à la fois du lobby et du mouvement politique embryonnaire).
D'architecte américain "upper middle class" aux opinions ordinaires, David Vincent devient donc un militant témoin de son temps. Ce changement de statut l'apparente tantôt à un Don Quichotte luttant contre des moulins à vents (car nous soupçonnons rapidement que son combat face à un adversaire dont les ressources et les complicités sont inépuisables est perdu d'avance), tantôt à un José Bové détruisant des têtes de pont symboliques (OMC à Seattle, restaurant McDonald's à Millau, maïs transgénique en Dordogne, etc.) dans le but d'attirer l'attention de ses concitoyens sur la gravité de la situation.
Il ne faut pas s'étonner dès lors que David Vincent subisse de la part de ses adversaires répression et condamnation de ses agissements...
2°) La résistible ascension de David Vincent :
J'emprunte cette expression au titre de la pièce (anti-fasciste et anti-nazi) de Bertolt Brecht La résistible ascension d'Arturo Ui qui décrit la carrière (heureusement) funeste d'un dictateur inspiré des figures historiques d'Hitler et de Mussolini.
Sauf que, dans la série, les rôles sont inversés ! C'est le militant anti-envahisseur (David Vincent) qui est stoppé en pleine ascension par le pouvoir totalitaire que les envahisseurs mettent en place.
Totalitaire, car les adversaires de Vincent s'emploient bel et bien à TOUT contrôler sur Terre, tandis qu'un homme seul se dresse pour défendre la liberté - individuelle et collective - des humains.
Mais la portée politique de ce combat reste ambivalente, car il y a deux lectures possibles :
- soit, David Vincent est un nostalgique conservateur et réactionnaire qui éprouve un immense sentiment de malaise face à l'évolution technologique, mais aussi morale, de la société dans laquelle il vit, et alors il est un humaniste libéral (car il défend les libertés) rétrograde de droite ;
- soit, à l'instar du George Orwell de 1984, il est un visionnaire éclairé qui a compris avant tout le monde que la fascination pour la technologie pouvait mener à la perte des valeurs éthiques qui sont les fondements mêmes de la démocratie, et il est alors un démocrate libertaire de gauche.
Dans un cas comme dans l'autre, son combat se heurte (au mieux) à l'indifférence et (au pire) à l'hostilité de la majorité de ses concitoyens, et son ascension ne peut qu'être stoppée brutalement...
3°) L'arrêt brutal de la série :
On peut avancer deux explications complémentaires à l'interruption inopinée des Envahisseurs :
- l'audience médiocre du show poussa la chaîne ABC à interrompre la diffusion et la production pour des raisons commerciales ;
- le contenu idéologique subversif de la série, même s'il ne fut pas consciemment perçu comme tel par les dirigeants d'ABC, ne pouvait décemment pas continuer à être propagé sur un média généraliste et consensuel.
En effet, par leur message insidieusement ambigu et dérangeant, Les Envahisseurs "crachent dans la soupe" (commerciale) que les média servent aux téléspectateurs.
Aussi le caractère radical, inflexible et sans concession des créateurs (Larry Cohen et Quinn Martin étaient des "grandes gueules" et avaient de fortes personnalités), et que l'on retrouve dans celui du personnage de David Vincent, ne pouvait-il qu'incommoder une chaîne prudente, voire frileuse...
(c) 2001 éric alglave