L'histoire (fin) :
ACTE TROIS : N°6 est élu
Le "test" réclamé par le N°2 sera effectué sous la conduite du nouveau directeur du Bureau des Placements - le précédent ayant échoué lamentablement (cf. l'épisode Arrival). Son successeur est un homme accueillant, affable et distingué. Tout bascule ensuite très vite, car le N°20 reçoit de nouvelles instructions du N°2 (lui-même "briefé" par téléphone rouge quelques instants auparavant).
Tentant de se lever, le Prisonnier se retrouve cloué à son siège par une décharge électrique. Et pourtant, il ne s'agit "que de la phase un" du test ("first stage only") !
Un dispositif très ingénieux permet de visualiser les réponses : carré = vérité, rond = mensonge. Et le Prisonnier n'a pas besoin de parler puisque la machine lit dans ses pensées. Il s'agit de savoir pourquoi il a souhaité être candidat. Or, la réponse d'un être humain normalement pensant ne saurait être qu'ambigüe. Aussi les pensées du N°6 sont-elles inévitablement ambivalentes. Après une vaine tentative de résistance, le Prisonnier est contraint d'abandonner la bataille pour la défense de ses valeurs : "You mustn't think only of yourself" lui dit le N°20 (ne pensez pas qu'à vous"). Nous comprenons bien vite, au sourire niais qu'il arbore à son réveil, que le test fut en réalité un lavage de cerveau.
La campagne électorale peut dès lors reprendre sur de nouvelles bases, plus conformes aux attentes des dirigeants du Village.
Son premier discours télédiffusé est on ne peut plus "consensuel" :
Transporté à l'hôpital, il est "reconditionné" plus efficacement, de façon à poursuivre "correctement" sa campagne. Celle-ci conserve un semblant de contestation, mais toute cohérence en a été ôtée :
La fin de campagne est très chaotique. Le Prisoniier est pris d'accès de fureur alternant avec des phases d'apathie de plus en plus rapprochés, le tout aiguillonné par une forte envie d'alcool (prohibé au Village).
Là, il fait la rencontre du N°2, apparemment très éméché. Le lieu, qu'il appelle "The Therapy Zone", est situé hors du périmètre de surveillance. Les deux rivaux peuvent donc se soûler sans crainte et sans retenue.
Faut-il s'étonner dès lors que le N°6 finisse vainqueur à une majorité... unanime ! Le Prisonnier devient le Nouveau Numéro Deux, et c'est en compagnie de la soubrette N°58, toujours aussi niaisement enthousiaste, qu'il découvre les multiples gadjets de son nouveau bureau . C'est alors que surgissent de trappes escamotables deux hommes en combinaison grise, venus neutraliser le "nouveau numéro deux" passablement survolté.
Une course-poursuite s'engage dans les souterrains du Dôme Vert, jusqu'au moment où ils tombent nez à nez avec un étrange groupe d'adorateurs du rôdeur Ramené inconscient au Dôme Vert, le Prisonnier se réveille face au Véritable Nouveau Numéro Deux qui n'est autre que... le N°58 ! La conclusion :: Le bilan est cette fois-ci très défavorable au Prisonnier qui a été manipulé de bout en bout et finit plus humilié et déconsidéré que jamais.
Il porte le N°20. Et il s'avère être un fin psychologue :
N°20 : They told me you were coming. You take sugar ? (...) Please let me assure you that I could be a friend.
P. : Friend ?
N°20 : Yes, indeed ! You know they're watching, I know it, it does not prove that you or I are sympathetic. But the Community has to live. So must you. Come, have some tea and we'll talk. How many lumps ?
P. : No lumps.
N°20 : You don't take sugar ? Good ! That shows discipline for a start ! Of course I knew it anyway.
P. : How's that ?
N°20 : From your records. We have everything. (reading file) "Gave up sugar four years and three months ago on medical advice". That shows you're afraid.
P. : Of what ?
N°20 : You're afraid of death.
P. : I'm afraid of nothing !
N°20 : You're afraid of yourself...Ils m'avaient prévenu que vous arriviez. Vous prenez du sucre ? (...) Je vous prie de croire que je suis votre ami.
Ami ?
Absolument ! Vous savez qu'ils regardent, je le sais, cela ne prouve pas que vous ou moi soyons sympathisants. Mais la Communauté doit vivre. Vous aussi. Venez prendre un thé et allons bavarder. Combien de sucre ?
Pas de sucre.
Vous ne prenez pas de sucre ? Bien ! Cela montre de la discipline. Bien sûr, je le savais déjà.
Comment ça ?
Par votre dossier. Nous avons tout. (lisant son dossier) "A renoncé au sucre il y a quatre ans et trois mois, sur avis médical". Cela montre que vous avez peur.
De quoi ?
Vous avez peur de mourir.
Je n'ai peur de rien !
Vous avez peur de vous-même...
Sur l'écran, le disque et le carré noirs rivalisent un moment puis ils finissent par atteindre ex aequo le cerveau épuisé du N°6.
Sous le choc, le Prisonnier s'évanouit.
P. : Thanks for the tea.
N°20 : Anytime.
P. : You're voting for me, of course ?
N°20 : Naturally.
P. : Be seeing you.Merci pour le thé.
Quand vous voulez.
Vous votez pour moi, évidemment ?
Naturellement.
Bonjour chez vous.
P. : The Community can rest assured that their interests are very much my own and that anything I can do to maintain the security of the citizens will be my primary objective. Be seeing you !
(to Nr.58) : You see ? Although you've only been here a short time my dear, there's only one thing to learn and it can be learnt very quickly : obey the rules and we will take good care of you.La Communauté peut être assurée que ses intérêts sont les miens et que tout ce que je pourrais faire pour garantir la sécurité des citoyens sera mon objectif premier. Bonjour chez vous !
(au N°58) : Vous voyez ? Bien que vous ne soyez ici que depuis peu, il n'y a qu'une seule chose à apprendre et elle s'apprend vite : obéissez aux règles et nous prendrons grand soin de vous.
Mais l'effet du lavage de cerveau ne semble pas être très stable sur les individus à forte personnalité. Le Prisonnier récupère quelques flashes de lucidité qui le désorientent et le poussent à s'enfuir (une fois de plus).
Repoussé par ses partisans (qui scandent "Six ! Six !") ainsi que par le Majordome nain, il est acculé à la mer.
Sautant alors dans un bateau à moteur, il prend le large, bientôt survolé par l'hélicoptère du N°2.
Ce dernier ayant déclenché l'alerte orange, le "rôdeur" intercepte rapidement l'embarcation et le Prisonnier suffocant sous la boule hurlante est ramené au rivage.
P. : Place your trust in the old regime. The qualities are divine, the future certain. The old regime forever, the old N°2 forever. Confession by coercion is that what you want ? Vote for him and you'll have it !
Or stand firm upon this electoral plattform and speak a word without fear. The word is freedom. They say "Six of one and half a dozen of the other", not here ! It's Six for Two, and Two for nothing, and Six for free, for all, for free, for all. Vote, vote !
Placez votre confiance dans l'ancien régime. Ses qualités sont divines, le futur certain. L'ancien régime pour toujours, l'ancien N°2 pour toujours. Les aveux par coercition, c'est cela que vous voulez ? Votez pour lui et vous l'aurez !
Ou restez fermes sur vos positions et dîtes un mot sans crainte. Ce mot c'est liberté. Ils disent "Six ou un autre, c'est du pareil au même", pas ici ! C'est Six à la place de Deux, et Deux à la place de rien, et Six pour la liberté pour tous pour la liberté pour tous. Votez, votez !
Son chauffeur-soubrette finit par le conduire en un lieu secret (une grotte) où il pourra trouver toutes les boissons alcoolisées qu'il désire.
En fait, le verre du Prisonnier a été drogué. Il s'agissait de lui administrer une nouvelle dose de drogue pour tenir jusqu'au résultat des élections.
Mais soudain, le sifflement aigu et l'oeil lumineux - déclenchés par le N°58 - ramènent le Prisonnier à la cruelle réalité.
La "servante" prend même un plaisir sadique à le gifler à toute volée.
Comprenant alors la situation, le N°6 se rue sur les téléphones pour exhorter frénétiquement la population à quitter le Village.
Bien évidemment, ce discours (que Patrick McGoohan joue sur un mode totalement halluciné) laisse les villageois de marbre.
De son visage a disparu le sourire débile qu'elle arborait depuis le début. Le regard est glacé et le ton cruel lorsqu'elle dit :
N°2 (ex-58) :
Will you never learn ? This is only the beginning. We have many ways and means, but we don't wish to damage you permanently. Are you ready to talk ?
N'apprendrez-vous donc jamais ? Ce n'est que le début. Nous avons quantité de manières et de moyens, mais nous ne voulons pas vous endommager définitivement. Etes-vous enfin disposé à parler ?
Retenons la cruauté et le raffinement méthodique avec lesquels les mystérieux dirigeants du Village ont une fois de plus opéré.
Les images :
Cliquez sur l'image pour revenir au texte. Le Labour Exchange Office dans Arrival.
N°6 et le nouveau directeur. Le détecteur de mensonges. No escape
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Les notes:
Psychologue : Le N°20 c'est 10 fois le N°2. Délaissant les jeux de mots raffinés et les menaces voilées, le nouveau directeur du Labour Exchange manie la langue avec douceur et persuasion. Le choix de ses mots est tout sauf innocent ; il évolue d'ailleurs au cours de la scène. Le N°20 commence sur le registre de la confiance et de la connivence (assure, good, friend, sympathetic), puis il passe à celui de l'autorité compétente (that shows..., discipline, of course, knew, medical advice),
et termine dans celui de l'intimidation (you're afraid, death, yourself).
La construction de ce passage amène tout doucement le P. a croire - d'autant qu'il est déjà affaibli - que l'ami c'est l'autre et l'ennemi lui-même. Très habile !
Ambigüité, ambivalence : quel homme politique n'a souhaité être élu que pour le bien de la Communauté, de ses semblables et non pour le pouvoir, la gloire personnels ? Le "détecteur de mensonges" ne fait que nous confirmer ce que nous savions déjà : le Prisonnier est bien ce qu'il dit être, "a person". Il n'est sûrement pas parfait. En lui, comme en tout homme cohabitent à tout instant le bien et le mal, la vérité et le mensonge, la gentillesse et la méchanceté.
The old N°2 : Une première incohérence dans ce discours. Nous, villageois, savons tous que les Nos 2 vont et viennent ! Ou bien s'agit-il encore d'une nouvelle ruse ?
Six for free for all : Le jeu de mots sur for free (pour rien et aussi pour la liberté) permet une triple lecture de ce discours : 1°) il est une parodie de discours politique où l'on promet tout et n'importe quoi sans souci de crédibilité ; 2°) il discrédite un peu plus le Prisonnier qui promet une nouvelle réalité trop subversive ; mais 3°) il laisse aussi au spectateur (et à l'électeur utopiste qui sommeille en chacun de nous) l'espoir que le N°6 n'ait pas tout perdu de ses idéaux dans la bataille électorale.
Texte : © eric alglave 1999
Images : © ITV/Polygram Video