1°) L'affirmation du personnage de Doggett :
John Doggett trouve ses marques ; il prend de l'assurance et se permet des petites piques moqueuses envers sa partenaire. Voilà qui aura de quoi réjouir les nostalgiques de l'humour mulderien, même si l'ex-cop new yorkais est encore loin de sortir des "doggettismes" aussi farfelus que Mulder.
Il faut dire que l'enquête sur laquelle il est sensé travailler n'a rien de solide (!) au départ si ce n'est - justement - une voiture dont l'avant a été littéralement éventré en deux par un "objet" dont la densité est 400 fois supérieure à celle de la carrosserie, des empreintes de chaussures à l'endroit de l'impact et des empreintes digitales sur les restes du pare-brise...
Il faut beaucoup de flegme à Doggett pour ne pas éclater de rire devant la théorie de Scully : un homme mort et enterré le matin même à assouvi sa vengeance sur le conducteur de la voiture accidentée !
Car oui, Robert Patrick donne à son personnage une certaine distinction - Côte Est, Nouvelle Angleterre (Doggett vient de New York) - son visage a un port altier et sa démarche une certaine élégance britannique qui tranche avec le genre guindé et faussement strict - c'est-à-dire sur un mode ordinaire, stéréotypé et non pas cultivé, aristocratique - auquel sont accoutumés les autres agents du FBI. Depuis la disparition de l'Homme aux Mains Manucurées (WMM, well-manicured man) les X-Files avaient un peu cédé à la vulgarité (notamment dans les dialogues de la 7ème saison). Ce retour au langage châtié et aux bonnes manières est aussi le signe que les X-Files ne sont pas perdues...
Enfin, comment ne pas voir un nouveau clin d'œil à Terminator dans l'histoire de cet homme - Ray Pearce - qui perd son humanité et devient une machine...
2°) Qu'est-ce qu'être un homme ?
La tenue des dialogues et la rigueur de l'écriture scénaristique (dues ici à Jeffrey Bell) sont à la hauteur des ambitions de leur auteur. Ray Pearce se déshumanise-t-il parce que son sang se métallise ou parce que son cœur devient de pierre ?
Le malheur qui le frappe - il a été contaminé par inadvertance - est si inacceptable, son sort si insupportable qu'il décide de retourner son infortune contre ceux qu'ils tient pour responsables. Ce sentiment - car Ray est encore humain - de vengeance est certes bien compréhensible mais comme le choix des victimes expiatoires n'est pas judicieux nous assistons à la brutalité sauvage d'un homme que la détresse aveugle.
Ni l'intérêt compatissant d'une assistante sociale (ancienne toxicomane), ni celui aimant de son épouse, Nora, ne parviennent à le faire sortir de son enfermement intellectuel. Ray se mure dans le silence et accomplit sa vengeance en attaquant "arbitrairement" les personnes qui l'ont côtoyé suffisamment près pour l'avoir contaminé. Mais il s'agit d'un accident et non d'une malveillance. Ray est une victime mais pas une cible.
La cruauté du destin est ce qui fait "craquer" Ray. Le choc psychologique est trop dur à encaisser, la violence éclate alors à l'extérieur : il tue des personnes pour expulser son trop plein de colère.
Notons que Ray n'est pas le seul à recourir à la force. Doggett et Scully sortent la "grosse artillerie" pour l'empêcher de nuire. La réponse des forces de l'ordre est donc dans une logique d'escalade, pas d'apaisement. Il faudra attendre l'ultime scène de l'épisode pour qu'un peu de sérénité revienne...
3°) Conclusion :
Le portrait que nous obtenons d'un être humain n'est guère flatteur : il ressemble à l'expression nietzschéenne "humain trop humain". Car c'est bel et bien dans l'excès que l'homme est le plus humain ; dans la douleur ou la joie intense, dans la cruauté ou l'amour, plus que dans la politesse ou l'élégance. Jeffrey Bell postule que l'homme est homme par ses sentiments et ses sensations plus que par ses réalisations et ses perceptions intellectuelles.
C'est faire peu de cas de la culture, qui rapproche les peuples plus que les préjugés (fondés sur des impressions), mais c'est aussi un constat très lucide. Ce qui sauve Ray - au sens quasi religieux du terme - c'est la sollicitude de l'assistance sociale et l'étincelle d'amour que sa femme a su maintenir en lui lors de leur ultime rencontre. Deux femmes ont su lui parler, et c'est cette parole qui a réussi à franchir le barrage de haine dont il avait entouré son esprit. Son suicide est un acte d'amour et une demande de pardon.
Finalement, qu'est-ce qu'être humain sinon éprouver des sentiments, ressentir des choses ET savoir en parler ? C'est ce à quoi Jeffrey Bell a parfaitement réussi dans cet épisode.