Un pouvoir affaibli ?

Toute la presse parle depuis la rentrée de l’affaiblissement du gouvernement Raffarin. Qu’en est il ?

On peut dire qu’en effet, ses capacités politiques ne sont plus les mêmes qu’aux lendemains des élections de l’an passé.

Le mouvement de mai-juin, soldé malgré sa puissance par une défaite, n’en est pas la cause, même s’il a contribué à un rejet de plus en plus sensible du gouvernement dans toutes les couches de la population, comme en témoigne la bordée de sifflets qui a accueilli le Premier ministre au Stade de France en fin août. Son incapacité à remédier aux dégradations du système de santé pour répondre aux urgences révélées par la canicule, et sa politique du bouc émissaire, en sont un facteur évident. De même son impuissance patente devant la situation économique, sur laquelle la « détermination » affichée par Raffarin et les discours principiels de Chirac ne donnent pas le change, surtout après les démêlés avec Bruxelles.

Mais l’essentiel n’est pas là. Le danger d’une résurgence immédiate du mouvement de classe écarté, le discrédit du gouvernement est pour celui ci secondaire. Il lui faut affronter des difficultés d’un autre ordre.

Suite à la gifle reçue par Sarkozy avec l’échec du référendum et avec la recrudescence des attentats, toutes ses ambitions en Corse se sont effondrées et il en est réduit à garantir la sécurité…des gendarmes par la voix d’Alliot Marie. Au sein même du gouvernement, et dans ses rapports avec l’Elysée, la cohésion n’est pas la qualité dominante. Le ²couac² de l’opération personnelle de Villepin en Amazonie ; Francis Mer déclarant publiquement que la baisse des impôts promise par Chirac est irréalisable ; les rivalités et tensions telles que la succession de Raffarin apparaît déjà ouverte, avec Fillon, Sarkozy, voire Debré comme candidats ; Ferry plus décridibilisé que ne l’était Allègre ; Juppé obligé d’appeler les parlementaires UMP à la discipline envers le « capitaine » Raffarin ; Chirac, rappelant sèchement les ministres eux mêmes à l’ordre…tout cela ne va pas dans le sens de la solidité du gouvernement. Au point que l’éventualité d’un remaniement ministériel a été évoquée, écartée par la nécessité de ne pas interrompre les chantiers en cours (Sécurité sociale, décentralisation, privatisations, éducation…) et par l’échéance des élections régionales, au printemps 2004.

Cette proximité accentue d’ailleurs un problème récurrent, qui traverse toute la majorité, divisée, de façon plus ou moins accentuée entre deux lignes politiques : celle de la prudence et de l’inquiétude devant les témoignages de désaffection de son électorat, et celle qui pousse à aller plus vite et plus loin dans les réformes, option dont le MEDEF affiche le programme, le jour même du discours de rentrée de Raffarin : « faire sauter les 35 heures », supprimer les aides à l’emploi, instaurer le service minimum en cas de grève, pousser plus loin encore l’allègement des charges des entreprises, augmenter les impôts indirects, dits de « service »…

On ne doit pas oublier non plus l’importance des clivages provoqués par la question de l’Europe, de façon plus ou moins ouverte selon les circonstances, dans la bourgeoisie française, et qui traversent nécessairement dans la majorité. La question du déficit, et la raideur avec laquelle Raffarin l’a traitée face à la Commission européenne y ont notoirement semé le trouble, y compris au sein de l’UMP, alors que les avis y sont également partagés sur le projet de constitution européenne.

Tout cela est vrai mais on se tromperait en pensant que ces aléas l’amènent au bord d’une crise qui l’obligerait à mettre un frein à son offensive. Au contraire, comme en témoigne la nouvelle vague des mesures en cours ou en préparation.

La guerre contre la classe ouvrière continue…

Le discours « de politique générale » prononcé par Raffarin le 23 septembre à Nancy devant les parlementaires UMP (et leurs doutes) a été particulièrement clair : le gouvernement dirigé par Chirac n’a pas l’intention de ralentir le rythme. Il n’est pas question de pause. Le cap des baisses d’impôts sera maintenu, la décentralisation menée à son terme, et « l’agenda » respecté indépendamment des régionales et européennes. La Sécurité sociale sera réformée avant la fin du premier semestre 2004, la loi d’orientation pour l’éducation et la modernisation des universités seront préparées pour la rentrée suivante, une loi sur l’emploi et « pour favoriser le travail » verra le jour avant Noël prochain.

Autrement dit le gouvernement entend profiter au maximum du fait que la classe ouvrière et en particulier les fonctionnaires sont « sonnés » pour tenter de les pousser au KO. Les plans de Fillon contre leur pouvoir d’achat et pour le salaire au mérite en sont l’illustration.

On doit cependant noter qu’il sait aussi faire preuve d’une certaine prudence. Après avoir annoncé la baisse de l’allocation logement pour les étudiants, il revient sur sa décision et annonce la préparation d’un rapport sur cette question. Mais subsistent les augmentations des droits d’inscription, de 3 à 5 %, et de 4 % pour les tarifs de restaurant…). Sa crainte de provoquer une mobilisation des étudiants largement absents du mouvement de mai-juin, était réelle mais toute relative.

Plus important est le report de la réforme de la Sécurité sociale. Le ministre Mattéi faisait part à l’UNSA, le 22 avril, de son désir « d’aller vite et de boucler la réforme pour la fin de l’année 2003 ». L’essentiel des plans, au moins, était donc déjà prêt. Cependant au début septembre, la « modernisation » de la Sécurité sociale était reportée à 2004. La raison de ce report est à l’évidence la crainte de relancer, sur une question aussi cruciale, la mobilisation de la classe ouvrière, cette fois dans son ensemble, et d’y jouer son existence.

Il n’a pour autant renoncé en rien à porter un nouveau coup destructeur sur la Sécu. Mais il faut pour cela auparavant s’efforcer de prendre toutes les garanties possibles d’une neutralisation des réactions des masses.

… avec l’aide des dirigeants syndicaux.

C’est le but de l’appel aux dirigeants syndicaux pour qu’ils participent, avec le patronat, les mutuelles, les médecins, etc… à un « diagnostic » partagé, suivi d’une phase de concertation, puis de négociation, sous l’égide d’un « Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie », appel auquel ils répondent en se précipitant dans le dialogue social.

C’est la même méthode qu’il veut utiliser avec le lancement du « grand débat sur l’école » qui doit se conclure en 2004 par une loi d’orientation. De même avec le report de la décision concernant le statut d’EDF-GDF en fin d’année, ses interventions pour calmer le jeu face aux exigences du MEDEF et des ultras de l’UMP sur la durée du travail, sous couvert de l’abrogation des 35 heures, etc …

Le gouvernement Chirac-Raffarin a parfaitement conscience qu’il ne doit sa réussite sur les retraites et la décentralisation qu’au blocus imposé par les appareils syndicaux au mouvement des masses qui pouvait le balayer. Le 25 juillet, il rendant d’ailleurs hommage non seulement à la CFDT mais à la direction de la CGT pour leur comportement sur les retraites, et donnait pour première priorité de son « agenda », le « dialogue social ».

Cela suffit pour définir dès maintenant les premiers mots d'ordre de combat correspondant à la situation de l’heure :

  • A bas le dialogue social !
  • Dirigeants syndicaux, rompez avec le gouvernement !
  • Pas un représentant syndical, au côté du MEDEF, dans les conseils de concertation de Chirac-Raffarin !

SERRE, le 4 octobre 2003.