Editorial

Sans attendre, s’organiser et combattre

pour affronter, vaincre et chasser

Chirac et son gouvernement

Les dirigeants du PS, du PCF, des syndicats,

arc-boutés pour maintenir Chirac et son gouvernement

Le combat de la jeunesse étudiante et lycéenne, puissamment soutenue par la classe ouvrière, qui a abouti au retrait du CPE, l’a démontré : c’est parce que son existence même était menacée par l’irruption de la grève générale, débordant les appareils, que le gouvernement a dû précipitamment reculer, sauvé in extremis par les dirigeants qui ont négocié une sortie de crise avec le groupe parlementaire de l’UMP.

L’effroi suscité par une telle perspective chez les tenants du maintien du régime n’a d’égal que les efforts qu’ils font depuis pour tenter de gommer la réalité des rapports entre les classes, pour maintenir jusqu’aux présidentielles de 2007 un gouvernement et une majorité à bout de souffle, rongés par la division. Pas un jour ne passe en effet sans que les rivalités entre Chirac, Sarkozy, Villepin, Bayrou et leurs porte-flingues respectifs n’éclatent au grand jour, chacun prenant le contre-pied de l’autre.

Mais c’est un gouvernement qui n’en continue pas moins à développer toute sa politique anti-ouvrière (menaces sur la carte scolaire, de sélection à l’entrée de l’université, sur les régimes de retraite, suppressions d’enseignants, dégradation de leur formation et déni de leur liberté pédagogique, lois policières, sans-papiers…), avec la crainte permanente qu’un pas de trop ne déclenche l’explosion, que le cordon sanitaire mis en place par les dirigeants du mouvement ouvrier pour le protéger ne rompe.

De la loi Sarkozy…

La loi Sarkozy contre les immigrés avec ses premières arrestations d’enfants scolarisés de sans-papiers a entraîné la mobilisation de nombreux enseignants et parents pour les protéger. Mais alors que cette solidarité, défiant ouvertement la loi, donne la mesure d’une profonde volonté populaire d’affronter le gouvernement, pas une organisation n’a ouvert de perspective pour centraliser ce combat, pour appeler dans l’unité à une manifestation nationale au ministère de l’Intérieur ou à l’Assemblée nationale au mot d’ordre d’abrogation de la loi.

Toutes ont préféré disparaître derrière les " Réseaux Education Sans Frontières " (RESF) dont elles sont parties prenantes pour circonscrire l’opposition à Sarkozy et à sa loi sur le terrain d’une solidarité locale, au cas par cas. Sarkozy pouvait ainsi manœuvrer en se fendant d’une circulaire d’application censée définir les critères de régularisation des sans-papiers et RESF les invitait aussitôt à présenter leurs dossiers dans les préfectures.

Moyennant quoi Sarkozy pouvait annoncer fin août que sur 33 538 demandes déposées, 6924 cartes de séjour d’un an seraient attribuées, les autres familles étant " invitées " à quitter le territoire. Pour autant, le gouvernement, qui dispose pourtant ainsi des adresses de chaque famille, n’a pas les moyens politiques de procéder à des expulsions massives, par crainte toujours de verser la goutte de trop qui ferait déborder le vase. " Il faut refermer ce dossier explosif " comme l’indique Patrick Devedjan, conseiller politique de Sarkozy. En témoigne l’embarras du gouvernement après l’expulsion des 1000 du squat de Cachan, qui navigue à vue entre arrestations, répression et tentatives pour disperser les occupants du gymnase de la ville qui peuvent constituer un abcès de fixation.

Dans ces conditions, il est évident qu’un appel à une manifestation nationale contre Sarkozy, pour l’abrogation de sa loi, rencontrerait un écho immédiat dans la classe ouvrière et la jeunesse, menaçant le gouvernement et toute sa politique. A la suite des dernières provocations policières à Cachan, CGT, FSU, SUD et PCF ont été contraints d’appeler aux côtés des collectifs de sans-papiers, à une manifestation dite " nationale " à Paris le 30 septembre, mais sans chercher à mobiliser réellement ni à centrer cette manifestation sur Sarkozy et l’abrogation de sa loi. Cependant rien n’exclut qu’un nombre important de travailleurs et jeunes s’en saisissent malgré des mots d'ordre qui n’ouvrent aucune perspective de combat centralisé.

On retrouve ce même refus d’affronter le gouvernement dans la politique que les dirigeants suivent sur la privatisation de GDF.

…à la privatisation de GDF…

 

Pour contrer une opération lancée par la société italienne ENEL, le gouvernement a, dans l’urgence, ficelé un projet de fusion de GDF avec Suez qui implique donc la privatisation de GDF.

Du point de vue de la bourgeoisie, cette privatisation est loin de faire l’unanimité car c’est la porte ouverte pour qu’un secteur stratégique de l’énergie passe demain sous le contrôle de capitaux étrangers. Elle est d’autre part massivement rejetée par plus de 90% des salariés de GDF qui se sont exprimés lors d’une consultation interne organisée par les syndicats. Une large majorité de la population la rejette également, redoutant à juste titre la hausse des tarifs et l’inégalité de traitement qu’elle ouvrira inévitablement dans les conditions d’accès au gaz. L’opposition à ce projet traverse les partis de la bourgeoisie, l’UMP et l’UDF. Sarkozy, après avoir fait connaître son désaccord s’est montré, sur cette question comme sur le CPE, d’une discrétion prudente, pour éviter d’ouvrir une brèche plus large dans la bourgeoisie et un appel d’air pour la classe ouvrière. Il est finalement rentré dans le rang en appelant ses troupes à approuver le texte, non sans que persiste parmi les députés de l’UMP une opposition déclarée.

PS et PCF ont choisi de s’y " opposer " en déposant plus de 130 000 amendements au texte du gouvernement discuté à l’Assemblée nationale, prétendant ainsi mener jusqu’au bout la bataille parlementaire. En réalité cette débauche d’amendements n’avait qu’un intérêt : permettre au gouvernement, empêtré par les divisions de sa majorité, d’utiliser à bon compte le 49.3 permettant l’adoption du texte sans vote.

C’était oublier les effets de l’utilisation du 49.3 pour faire adopter la loi dite sur " l’égalité des chances " intégrant le CPE qui ont laissé des traces cuisantes au gouvernement. Celui-ci a donc écarté cette procédure. Pour les dirigeants du PS et du PCF, le débat s’éternisant à l’Assemblée nationale, c’était prendre le risque que les salariés de GDF n’imposent à leurs dirigeants syndicaux ce qui tombe sous le sens : pour interdire le vote de la privatisation actuellement en discussion, tous à l’Assemblée nationale !

Mais les dirigeants syndicaux de GDF ont tourné résolument le dos au combat contre le gouvernement. Après avoir appelé les salariés et les " usagers " à écrire à tous les députés, ils ont adressé le 18 septembre une lettre ouverte au Président de la République, " garant des intérêts de la nation " dans laquelle ils lui demandent " solennellement, de préserver le rôle de la puissance publique dans un secteur aussi stratégique que celui de l’énergie et de refuser la privatisation de Gaz de France ", ce qui ne peut que faire trembler Chirac et son gouvernement !

Sur la même ligne les dirigeants convoquaient le 12 septembre une journée de " grèves et de manifestations ". Elles ont été faiblement suivies, ce qui n’est pas le signe de la résignation, mais d’une maturité politique, car les travailleurs savent bien, a fortiori depuis le CPE, que l’on ne combat pas les plans du gouvernement avec un pistolet à bouchon, à coups d’appels à des grèves bidons et autres actions folkloriques. Le danger d’une mobilisation persistant cependant, Jean-Louis Debré annonçait le 19 septembre qu’un accord était intervenu avec le PCF et le PS pour clore la discussion le 28 septembre et passer au vote le 3 octobre !

…en passant par le " dialogue social "

Le ministre du Travail, Gérard Larcher l’indiquait lui-même : " Le gouvernement a commis une erreur sur le CPE en ne se concertant pas d’abord avec les organisations syndicales ". Dans les rapports politiques actuels, le passage en force est exclu, il faut au gouvernement et au Medef obtenir l’allégeance des directions syndicales au diagnostic partagé, aux réformes nécessaires.

Contrairement à sa prudence sur le CPE et Suez-GDF, Sarkozy a cru pouvoir lancer un brûlot provocateur en préconisant la suppression de la carte scolaire… suivi dans un premier temps par Ségolène Royal, tombée dans le piège avec ravissement. Devant les remous, tous deux ont reculé et il n’est plus question que de " l’assouplir ". Avec, comme but avoué, d’installer la concurrence entre les établissements. Gilles de Robien annonce donc que la concertation sur l’aménagement de la carte scolaire commencera le 20 septembre.

Nouvelles attaques contre le droit du travail, les salaires ? Une conférence avec tous les syndicats est annoncée par le gouvernement pour la fin de l’année ! Pour la CGT, " c’est en créant cet environnement revendicatif que nous permettrons à l’opinion des salariés de peser sur cette conférence " selon la méthode employée déjà non pour briser mais pour accompagner la réforme destructrice de la Sécurité sociale.

Casse des statuts de la Fonction publique ? La concertation bat son plein ! Le même Gérard Larcher a reçu fin août les dirigeants syndicaux pour renforcer le dialogue social. Il s’agit ni plus ni moins de convenir ensemble de l’agenda de l’examen des " réformes nécessaires ".

Les dirigeants ne sont pas dupes : voilà comment Bernard Thibault apprécie sa rencontre avec Larcher dans la NVO de la CGT du 15 septembre : " Le gouvernement tente de redorer son blason sur la nature des relations qu’il entretient avec les syndicats ". Mais pas question de rompre !

Sarkozy ayant demandé la suppression des régimes spéciaux de retraite des entreprises publiques, Villepin lui rétorque que cela n’est pas à l’ordre du jour - trop explosif -, mais que cette question, avec d’autres mesures contre les retraites, devra être abordée avec les partenaires sociaux dans le cadre du Comité d’orientation sur les retraites, où siègent toutes les confédérations. Loin de s’y opposer sur le fond, François Hollande, Jospin ou Ségolène Royal appellent au même dialogue.

L’hypothèque des présidentielles

Rien ne dit que le barrage mis en place par les appareils pour protéger Chirac et son gouvernement soit assuré de tenir. Mais il y a une profonde cohérence entre le soutien apporté par les dirigeants à Chirac aujourd’hui et tous les gages donnés par avance à la bourgeoisie pour l’assurer qu’en cas de victoire du candidat du PS, sans aucun doute le mieux placé pour l’emporter au 2ème tour, rien ne changera.

Leur politique vise ainsi à interdire toute perspective de combat. A cet égard, l’opération Ségolène Royal, menée dans et hors du PS, tente d’inscrire celui-ci le plus loin possible dans la soumission aux exigences de la bourgeoisie. Faute d’un parti révolutionnaire, les masses sont quant à elles contraintes d’utiliser leurs partis traditionnels pour battre ses candidats. La désignation à la candidature aux présidentielles dans le parti socialiste permettra certes de mesurer la façon dont s’y réfractent les rapports entre les classes, depuis un Fabius par exemple se réclamant des valeurs du PS, du non au référendum de 2005, jusqu’à une Ségolène Royal déclarant : " Il n’y a pas pour moi de débats internes et de débats externes (au PS), il y a un débat avec les français " (Bondy, le 19/9/06). Une posture gaullienne où elle se place non seulement à l’extérieur du Parti socialiste, mais contre lui, dans le jeu de la bourgeoisie. Mais quel que soit le choix, il ne changera pas fondamentalement le rôle politique de la social-démocratie, parti ouvrier-bourgeois historiquement attaché, et depuis fort longtemps, à la collaboration de classes et au maintien du régime capitaliste.

Les masses voteront donc sans illusion sur la volonté des dirigeants du PS et du PCF de s’attaquer au capitalisme pour satisfaire les revendications, mais elles voteront pour battre les Chirac, Sarkozy, Bayrou, Le Pen et autres.

A mesure que se rapproche l’échéance, la question de savoir qui l’emportera pèse sur toutes les classes et dans leurs partis respectifs. Du côté de la bourgeoisie, les peaux de banane se multiplient sous les pas de celui qui paraît le mieux placé, du moins le plus décidé, Sarkozy. C’est qu’au-delà des rivalités de personnes, Sarkozy et la " rupture " qu’il entend incarner inquiète une fraction non négligeable de la bourgeoisie, en raison précisément du rapport entre les classes. Une chose est d’utiliser les ficelles du populisme, d’afficher un menton volontaire, une autre chose est d’être Bonaparte. Aller plus vite, taper plus fort, est évidemment une nécessité pour la bourgeoisie, mais encore faut-il en avoir les moyens politiques. Compte-tenu de la décrépitude de la Vème République et après les assauts répétés de la classe ouvrière et de la jeunesse, ceux qui par exemple se sont cassé les dents sur le CPE doutent qu’une victoire de Sarkozy aux présidentielles suffise à inverser toute la situation.

Combattre aujourd’hui pour le front unique des organisations ouvrières, partis et syndicats, contre les lois et mesures réactionnaires et anti-ouvrières, pour affronter Chirac et son gouvernement, les vaincre et les chasser, est totalement lié à l’exigence de la constitution d’un gouvernement au service exclusif des travailleurs, un gouvernement des organisations ouvrières unies.

Pas plus qu’ils ne veulent ouvrir cette perspective aujourd’hui, les dirigeants de ces organisations ne voudront demain s’ils sont portés au pouvoir rompre avec les exigences du capitalisme pour satisfaire les exigences des masses. Mais par leur mobilisation, elles peuvent être à même d’exiger du gouvernement de leurs organisations qu’il rétablisse tous les droits et acquis supprimés, qu’il s’attaque au capitalisme comme elles peuvent commencer à le faire elles-mêmes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans ce processus, l’intervention d’un parti révolutionnaire, même embryonnaire, axé sur le renversement de la bourgeoisie et la prise du pouvoir par les masses est décisive pour balayer les obstacles des appareils et assurer la victoire.

Etre partie prenante de ce combat pour constituer un parti ouvrier révolutionnaire sur cet axe, sans sectarisme, avec les travailleurs et jeunes, les militants d’autres groupes qui cherchent à ouvrir cette voie, en avançant sur ce qui nous unit et en discutant fraternellement de ce qui nous divise, voilà l’objectif du CCI (T).

 

 

 

Le 27 septembre 2006.