Extraits de 

chronique historique de la zoologie agricole française 

Livre Second - stations et thèmes géographiques - 

Pierre Grison (décédé) et Alain Fraval (1996) 

Edition et diffusion O.P.I.E. / I.N.R.A. BP 30 78041 Guyancourt (Ouvrage papier épuisé, bientôt sur Internet)

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4. La station entomologique du Sud-Est (1917-1955)

  4.1.  Ses fondements historiques

Si l'on excepte les Rapports des stations et compte rendus de travaux présentés par P. Marchal dans les Annales des Epiphyties de 1912 à 1939, quelques références étrangères, dont celles de E.A. Steinhaus, ou encore le souvenir des premières réalisations des industries des antiparasitaires à usage agricole (1), la station de Saint-Genis-Laval semble, pour un entomologiste de ce siècle, avoir eu une existence mythique. D'autant plus que, hormis Vasseur qui la dirigea, ceux qui en assurèrent - et avec quel mérite - la survie après la IIe Guerre mondiale, Bénassy, Bianchi, Burgerjon et Schvester, sont connus surtout pour leurs travaux dans d'autres stations. Et pourtant, avec Paillot, qui la dirigea pendant près de trente ans, elle fut probablement, après la station de Paris, celle qui donna un lustre incontestable à la discipline, tant dans le domaine de la biologie générale que dans celui de la pratique phytosanitaire.

C'est d'abord à Beaune qu'en 1911 Marchal avait chargé Paillot, sur la recommandation de Bouvier, de conduire les recherches en Bourgogne sur la Cochylis et l'Eudémis (cf. II 2.2 Livre Premier).

Contre les vers de la grappe (écriront Bounhiol; Bruneteau et Couturier) il utilisa des Champignons entomophytes de l'espèce Spicaria farinosa. Ce moyen de lutte se montra inefficace, mais, encouragé par Marchal, Paillot y vit un champ de recherches extraordinaire. On n'obtiendrait, pensa-t-il, aucun résultat, ni avec les entomophytes, ni avec les microbes, si l'on ne connaissait à fond les phénomènes pathologiques qu'ils entraînent ; c'est de là que partent ses recherches sur l'infection des Insectes ».

Les fondements sur lesquels la pathologie des Insectes devint très tôt en France et dans le monde, grâce à Paillot, l'une des branches originales de la zoologie sont rapportés ailleurs (*). Un hommage posthume lui sera rendu par Steinhaus dans son livre de souvenirs Disease in a minor chort (2). Ce dernier, étant encore « graduate student », lui avait écrit en 1939 pour obtenir ses travaux et publications :

“In the spring of 1940, apparently anticipating the invasion of France, he sent me volontarily and without any accompanying letter of message, a virtually complet set of reprints and publications”...

"Au printemps 1940, anticipant selon moi l'invasion de la France, il m'envoya sans aucune lettre d'accompagnement la quasi intégralité de ses publications"

Et plus tard, en 1954, Steinhaus visitera la station de Saint-Genis-Laval, prouvant par là que le nom et le souvenir du savant sont inséparables de ceux des lieux qui abritèrent ses recherches...

 

4.2.  La station de Zoologie
agricole du Sud-Est

 

Grièvement blessé en 1914, Paillot fut hospitalisé à Lyon en 1915, où il fut bientôt admis au laboratoire militaire du Prof. Courmont comme bactériologiste, en référence à ses premières études faites à l'institut Pasteur de Paris. En 1917, Marchal obtient, en location, un bâtiment situé à dans une propriété de 2 ha environ, et dans lequel deux chambres du rez-de-chaussée sont aménagées en laboratoire : c'était la Station entomologique du Sud-Est  (cf. Livre premier II 2.3.). En 1918, il écrit (3):

« La station est en mesure de poursuivre les recherches spéciales, commencées avant la guerre, sur les maladies des insectes... de même qu'en entomologie appliquée, des expériences ont été faites sur le traitement des arbres fruitiers par les arsenicaux, en différents points de la région lyonnaise ainsi que dans le jardin d'expériences de la station... ».

On a déjà mentionné (cf. II.2. Livre Premier) les principaux travaux d'entomologie agricole que conduisit Paillot, qui bénéficia de la collaboration de Pussard entre 1927 et 1932, puis de Bonnemaison de 1937 à 1939. Y a-t-il eu entre ces différents chercheurs des relations discrètes, sinon distantes, qui marquèrent leur propre solitude ? Nul ne saurait l'affirmer. Pourtant, le récit de Steinhaus évoque bien, chez Paillot, un caractère pointilleux et une tendance à une grande réserve. Mais, entre les deux guerres, ce trait de caractère était assez fréquent chez les chercheurs - tant universitaires qu'agronomes - veillant jalousement sur leur prérogatives et sur leurs objets et techniques de recherches : c'était l'époque du silence feutré des laboratoires.

Et puis l'équipement était encore très rudimentaire, ce qui ne manquera pas de surprendre encore Steinhaus lors de sa visite-souvenir à Saint-Genis-Laval en 1954 : Bénassy et Schvester  qui le reçurent –  

[...] could show me of Paillot's scientific equipement was an antiquated (suranné) centrifuge.  

Et d'ajouter :

"One of the assistants did remember that, dumped in a large box in a closet, there were thousands

 "un des assistants disait se souvenir que, jeté dans une grande caisse dans un placard il y avait des milliers

of coded, but unidentifiable, slides of sections of diseased insects. It was useless to attempt to

de plaques (de verres pour microscope) codées, mais non identifiables, de morceaux d'insectes malades. C'était inutile de tenter de

 rescue the slides without having the key to the numbered code. What a waste of precious and

récupérer les plaques sans avoir la clé des codes chiffrés. Quel gaspillage de matériel précieux et 

 historically important material that might have been preserved. »  

important historiquement parlant qui auraient dû être préservés"

Autres écrits de Steinhaus

Pour ses recherches de pathologie, Paillot était assisté de Mme Granger, technicienne histologiste, qui restera en fonction à Saint-Genis-Laval jusqu'en 1949.

Dans les années 30, la station changea d'appellation et devint station de Zoologie agricole du Sud-Est dans le cadre du réseau d'établissements de recherche agronomique regroupés au sein de l'IRA (cf. II 2. Livre Premier). Ce fut une période faste pour l'entomologie agricole, sinon quant à ses moyens, mais au moins quant à ses résultats scientifiques - symbolisée, en ce qui concerne Paillot et sa station régionale, par la publication chez Doin en 1931 de l'excellent manuel de 366 pages sur Les Insectes nuisibles des vergers et de la vigne. Et ceci dans le même temps que deux ouvrages fondamentaux, son Traité des maladies du ver à soie (4) puis L'infection chez les Insectes. Immunité et symbiose (5). Témoignages éloquents de ce que ce savant biologiste sut également satisfaire à sa mission agronomique, suscitant notamment l'intérêt des industriels pour la fabrication du soufre colloïdal avec Rhône-Poulenc et de l'oxychlorure tétracuivrique avec Progil (1).

C'est peut-être à cause de ces mérites - alliant le fondamental au pratique - que, selon Mme Granger (dixit Schvester), Marchal aurait demandé à Paillot de lui succéder à la tête de la Zoologie agricole, honneur qu'il aurait décliné car cela impliquait qu'il quittât Lyon et aussi qu'il abandonnât ses recherches de pathologie des Insectes. Nul ne peut imaginer ce qui serait advenu de la discipline, ni le sort qui aurait été réservé à une station régionale aussi prestigieuse, malgré son cadre et ses moyens bien modestes. Paillot décéda peu avant Noël 1944.

 

4.3.  La survie de la station :
le laboratoire du Pou de San-José

 

A la création de l'INRA, en 1945, la station survécut durant une décennie et Schvester, qui y débuta sa carrière, nous en rapporte son témoignage avec quelques remarques incisives : Après 1945, la station de Saint-Genis-Laval est maintenue mais seulement à titre de laboratoire temporaire dit "Laboratoire du Pou de San-José" –_genre d'appellation chère à B. Trouvelot -, en raison de la découverte récente dudit PSJ dans la région lyonnaise, de tradition fruitière, et des implications économiques de cette introduction.

René Vasseur y sera détaché de Versailles, d'abord seulement en "campagnes d'été", puis en permanence sous la direction - de principe - de Pierre Nepveu qu'on ne vit à Saint-Genis-Laval qu'en de très rares occasions car, à partir de 1947, il résidait à Villeneuve-lès-Avignon où il travaillait dans son propre domicile mué officiellement en laboratoire.

Gilberte Aubanel et P. Allegret furent "aides temporaires" de Vasseur avant de rejoindre Versailles et Paris en 1947 : le labo. En 1951, au nom du "regroupement", il est pour la première fois question de dissoudre le laboratoire de St-Genis-Laval, la décision venant d'être prise de fonder un centre de recherches agronomiques important en Avignon (cf. 9). Mais entre temps, le laboratoire du PSJ avait été étoffé en personnel avec le recrutement de Schvester en 1947, puis celui de H. Bianchi et enfin l'arrivée de C. Bénassy et de A. Burgerjon.

De plus, en raison du développement du "dépérissement de l'abricotier", les phytopathologistes en firent leur base d'accueil locale avec Morvan assisté de Castelain_; cette équipe, après la dissolution du laboratoire du PSJ, sera maintenue à Saint-Genis Laval dans les locaux de la nouvelle école ménagère agricole avec l'appui de la direction [départementale] des Services agricoles ; elle ne ralliera Avignon qu'à la fin des années 60. » 

La première mission confiée à Vasseur par Trouvelot, dans la tradition des études sur le Doryphore, fut de contrôler la nature et le degré de polyphagie du Pou de San-José, susceptible de se répandre sur de nombreux végétaux  essentiellement des Rosacées - des pépinières de la région lyonnaise. Vasseur, avec l'aide d'Allegret, devait adopter une technique d'infestation artificielle des végétaux découlant des travaux de Nepveu à Mandelieu (6). Avec d'Aguilar et Allegret, Vasseur mentionna la nature du parasitisme du PSJ dans la région lyonnaise (7). Il étudia aussi les aspects fondamentaux de la dynamique des populations du PSJ et de ses facteurs. Mais il consacra parallèlement une grande partie de son activité à l'étude et à la mise au point des traitement coccicides des arbres fruitiers et de la Vigne, reprenant ainsi la tradition de Paillot et s'intéressant comme lui à cette entomofaune dont il était devenu spécialiste en URSS, notamment à des espèces comme Aulacaspis pentagona apparu dans la région au début des années 30 (8). D'autres problèmes régionaux, intéressant toujours l'arboriculture fruitière, n'étaient pas négligés, comme la Tordeuse orientale du Pêcher, en collaboration avec Schaeffer, et la Cératite (9).

Certes, écrit Schvester, une bonne part de ces travaux est du domaine de la "mise au point technique", mais il y a à la base une connaissance biologique (au moins celle des cycles) que, dans la plupart des cas, il a fallu d'abord acquérir. Et, dans ce domaine, une coopération étroite et cordiale qu'on ne retrouvera pas toujours s'était instaurée avec le service de la PV de Lyon, où était alors, entre autres, Milaire que recruta par la suite l'INRA. »

C'est à Saint-Genis-Laval que furent entrepris les premiers élevages de Prospaltella perniciosi avant qu'ils ne fussent développés à Antibes et Valbonne par Bénassy et Bianchi (cf. 7 et 15.1.)

Dès son recrutement, en 1947, Schvester participa aux travaux sur le PSJ. Mais très rapidement Vasseur, reprenant les thèmes de recherche de Paillot sur les xylophages, lui assigna l'étude d'un Scolyte des arbres fruitiers, Anisandrus dispar. L'expérience acquise dans ce domaine l'amena à élargir son champ d'action à d'autres xylophages : Cryptorrhynchus lapathi, qui posait alors dans la région un problème assez aigu pour les Osiers, l'Agrile du Poirier, le Scolyte des arbres fruitiers, Ruguloscolytus rugulosus. Ce dernier travail devait aboutir à une thèse soutenue le 31 janvier 1956. Le décès subit de Vasseur, au début de 1953, laissait à Schvester la direction provisoire d'un laboratoire - dont la dissolution était prévue depuis un certain temps - et la charge de mener à bonne fin les travaux en cours jusqu'en 1955, année de sa mutation à Bordeaux et de la clôture de la vieille station du Sud-Est. C'est dans des conditions dramatiques, en pleine guerre froide, que Vasseur mit fin à ses jours ; sans nouvelles de sa famille restée en URSS, il avait perdu tout espoir de la rejoindre un jour. Les résultats de ses travaux ne furent cependant pas perdus et furent ultérieurement rassemblés en un important mémoire (10).

 

Contribution de D. Schvester

notes

(1)  cf. J. Lhoste et P. Grison, 1989.

(2)  Steinhaus, 1975. Disease in a minor chort Ohio, St. Univ. Pr.

(3)  Marchal, dans son compte-rendu des travaux dans les Annales des Epiphyties, 5, 1918, p. 263.

(4)(5)  Traité des maladies du ver à soie. 288 pp. Doin éd. 1930, puis L'infection chez les Insectes. Immunité et symbiose, Imp. de Trévoux, 535 pp., 1933.
(6)  Ils publieront leurs résultats Sur la contaminabilité des plantes horticoles et spontanées par le Pou de San José, d'abord à l'Académie d'Agriculture en 1946 puis dans un Document phytosanitaire n°5 de l'INRA de 40 pages en 1948.
(7)  Ann. Epiph., 1948, 59-64.
(8)  BTI, n° 49, pp. 235-245, en collaboration avec P. Dumas ; Rev. Zool. Agric. appl., 1953, p. 76.
(9)  C.R. Acad. Agric. Fr. 1947, 716 ; La Pomologie fr., 1952.
(10) Ann. Epiph., 1957, pp.5-66.

 

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