LA PRATIQUE et LES ARTS PLASTIQUES, AUTONOMIE et INTERDISCIPLINARITE
Gilles Le Guennec
En supposant que la pratique désigne le moment où quelque chose se fait, il paraît implicite qu'elle ne se dit pas parce qu'on a coutume de ne pas appréhender la théorie comme pratique du signe. Pourtant et en dépit des efforts du plasticien pour s'affranchir du langage il ne cesse de se représenter son travail sans se passer de mots ; la chose à faire devenant alors une chose à dire. Mise en oeuvre spécifique d'une capacité instrumentale et technique, la pratique compose avec l'imaginatif et la pensée mais elle inclut d'autres composantes qui en font encore une pratique subjective et sociale, projective et critique. En somme toutes les déterminations y sont impliquées, naturelles et culturelles. La nécessité de les formuler sinon de les distinguer ne s'impose qu'à l'enseignant qui littéralement met en signe, fût-il en arts plastiques parce que déontologiquement il désigne pour autrui ce qu'il fait.
La perspective que je voudrais ici présenter qui est liée aux sciences du langage est une option déconstructive et analytique dissociant quatre réalités dans le rapport au réel. La pratique des arts plastiques en est une. Invoquer les sciences en arts plastiques c'est dire un gros mot dont la seule conséquence exigeante pour l'instant est de savoir en même temps d'où et de quoi nous parlons. C'est dire que loin de cacher ma dette dans des emprunts divers, je me réfère axiologiquement et déontologiquement à la médiation de l 'école de Rennes y voyant simplement un travail d'équipe qui présente l'avantage non d'un prêt-à-penser mais d'un appareil conceptuel lié à l'expérimentation et l'observation clinique. C'est dire qu'il inclut ainsi la résistance du réel, un réel pathologique sur la base duquel la rationalité de l'humain se diffracte neurobiologiquement en quatre processus non hiérarchisés: le langage, l'art, la société et le droit.
Pourquoi retenir cet appareil conceptuel qui se présente comme une totalité après la chute des totalitarismes de la pensée et à l'heure du post modernisme?
La réponse est plurielle: historiquement, parce qu'il y a eu l 'invention de l'atechnie qui a fait passer l'analyse des gestes d'une description praxique en termes de mise en rapport du moyen et de la fin à une distinction entre fonction praxique et faculté technique ; parce qu'à l'encontre d'une certaine rumeur, l'anthropologie en question ne se présente pas comme un savoir absolu mais circulaire, l'objet étant toujours relativisé par la méthode ; parce que son présupposé de l'immanence du critère d'analyse a une conséquence principale: à savoir que l 'art comporte en lui-même sa propre analyse, ce qui rompt avec une certaine " sémiologie" qui, sans expérimentation, applique à l'art le modèle de fonctionnement du langage ; parce que cette anthropologie encore, intègre et réactive à mon sens trois courants de pensée majeurs liés au concept de structure de Saussure, au matérialisme historique et dialectique de Marx et à l'inconscient freudien. Au total, parce que la médiation se place après la Gestalt limitée à l'organisation des sensations opposée à la structure du signe, après l'opposition nature / culture, après une prédominance du langage tenu de surcroît comme seul lieu de manifestation du désir implicite, après l'idéalisme et le positivisme et les «ismes» de tous bords. Quoi qu'il en soit, quelles que soient les positions des uns et des autres, nous sommes de plus en plus confrontés en arts plastiques à des savoirs extérieurs qu'on ne saurait dénigrer en bIoc sans prendre en compte et mesurer les écarts de points de vues: l'interdisciplinarité est à ce prix, la question est aussi de savoir pour chacun si cela en vaut la peine. Car parler d'interdisciplinarité sans que les frontières soient définies c'est retrouver les débats où l'on se débat avec des malentendus.
Je ne saurais évidemment m'aliéner en me limitant à la fonction de porte- parole ou même de porte-voix d'un autre qui est quelqu'un à qui pourtant je dois. Je remercie par avance tous ceux qui ont le souci de ma liberté de penser et de faire et qui ne manqueront pas de mettre le doigt sur ce qui m'échappe d' expression impensée de l'autre dans ce " vouloir dire" quelques problématiques liées au pouvoir faire. Repérer de l'écho, s'avèrerait compliqué puisque l 'autre n'est pas seulement quelqu'un mais une équipe d'enseignants, de neurologues, de sociologues et de psychanalystes liés par une ambition scientifique. C'est dire qu'il y a autant de médiations qu'il y a de médiationnistes, les théories comprises n'étant jamais des vêtements prêts-à-porter. L'appropriation est même inéluctable vu la diversité des situations; pour ma part je n'ai jamais cru qu'on apprenait à lire ni à voir avec une paire de lunettes mais toujours en fonction d'une méthode qui nous fournit non la chose à voir ou à faire mais plusieurs réalités au lieu d'une, rapports à la chose qui nous situent en pleine relativité, en pleine médiation.
A- Interdisciplinarité, pluridisciplinarité et transdisciplinarité
Qu'elle porte sur l'art ou le langage, la discipline s'établit entre deux polarités : celle des pistes de recherche s'affirmant particulièrement exigeantes pour chacun dans des directions singulières, vernaculaires, et celle des pensées établies, instituées en doxa. Le pensable trouve ainsi le chemin du conventionnellement admis. Selon cette oscillation pendulaire propre à toute socialisation le paradoxe, impensé parce qu'inadmissible mais non impensable, est en instance de paraitre doxa. La connaissance qui s'établit par la pratique des arts plastiques n'est pas celle qui procède du langage: l'une implique du style, l'autre de la langue.
L' Interdisciplinarité qui porte sur l'artistique implique la transversalité des arts, l'échange des façons de faire et des visées, pas seulement une plastique qui s'autoriserait une correspondance, un éclectisme, un baroquisme ou une synthèse des arts, cinéma, musique, architecture, design, théâtre, danse, etc. mais une plastique forte de l'ingérence des arts et métiers, de l'" industriel" et du rituel, secteurs qui font valoir le pratique et le magique. On se rend compte que cette interdisciplinarité est déjà là, non comme stratégie d'enseignement mais à travers des tactiques variées, encombrantes parce qu'elles perturbent les critères de la plastique. L'autre, cet étranger, est donc chez nous, dans cet établissement des arts plastiques ; mais puisque " je est un autre", il s' agit de reconnaître cette altérité comme le fit Arthur Rimbaud ce qui ne va pas sans altération de ses propres habitudes.
Le problème est que la prise en compte de l'alter ego suppose de tout humain qu'il admette d'altérer sa pensée, non de la détruire comme nulle et non avenue mais de la transformer par transversalité.
"Faire de l'autre en nous" comme le préconise Paul Ricoeur, c'est exposer sa pratique à une altération forte, de sorte qu'on ne sort pas indemne de ce rapport à l'hétérogénéité (diversité et multiplicité confrontées des méthodes et des approches, des champs d'étude et des visées) mais c'est aussi aller vers l'aliénation altruiste sans fuir le conflit (le post modernisme qui ne connait aucune polémique n'en est pas loin).
Lourdes de ces enjeux les politiques du savoir et du savoir faire sont un va-et-vient entre deux tendances contradictoires: la pluridisciplinarité adepte des domaines réservés, des compétences établies, respectueuse jusqu'au légalisme et l'interdisciplinarité fondamentalement indiscipline, déstabilisation incessante des savoirs. Peut-on entrevoir une transdisciplinarité visant à mettre les savoirs en fête?
L'interdisciplinarité, si on ne l'assimile pas à de la multi ou pluridisciplinarité par laqueIle on ajoute sans heurt, c'est-à-dire sans souci de cohésion et de cohérence les divers points de vue, implique déontologiquement de ne pas ressortir indemne de la mise en rapport avec la pensée de l'autre, voire l'absence de pensée qu'il revendique (ce que l'artiste légitime parfois).
Nous sommes confrontés à des sciences et à des productions involontaires ou infamantes au sens où elles détrônent les arts admis au rang de " Beaux-Arts" et postulent la non-évidence d'une fonction plastique. Autrement dit il y a de l 'indiscipline dans l 'air et c'est face à ce constat que la relativité des arts plastiques tend socialement à apparaître en tant que manifestation de principes qui ont aussi lieu ailleurs.
C'est sur ce fond d'indifférenciation des pratiques qu'il y a à reconsidérer la spécificité des arts plastiques, ce qui m'amène à vous faire part des apports méthodologiques constitutifs d'une anthropologie qui intègre un tropos à l'égal du logos et que l'école de Rennes initiée par Jean GAGNEPAIN qualifie de " médiation".
QueIles sont donc les questions soulevées par cet autre que sont les sciences du langage de Rennes 2 qui intéressent les arts plastiques?
Voici d'abord quelques idées se rapportant au langage à reconsidérer qui remettent en question directement ou par transposition analogique des conceptions dominantes dans le rapport à l 'art (autonomie) mais aussi quelques a priori largement partagés quant au regard que projette l'art sur la société et le droit.
Si le langage est fondé non sur l'arbitraire mais sur l'impropriété fondamentale du signe dans le rapport aux choses à dire alors on peut poser la question: le nominalisme est-il une question de langage ou de personne, de propriété ou d'arbitrarité?
si le symbole n'est pas réductible à l'association d'un indice à un sens mais un enchaînement toujours ouvert d'objets de telle sorte que le sens devient indice d'un nouveau sens,
alors on peut créditer le glossologue d'une analyse de l'imaginaire qui n'est pas fermée au symbolisme ;
si tout n'est pas signe parce que le signifiant n'est pas le support matériel d'un signifié qui serait le sens mais une analyse du son et une analyse du sens toutes deux systématiques ;
alors, (chose à dire bien qu'elle soit passée de mode) la sémiologie de l'art qui voyait du sème partout jusque dans l'architecture, apparaît comme une annexion, une interdisciplinarité où se dissout la pratique de l'art qui ne vise pas la production d'un sens mais plus largement un service ;
alors l'image faute d'être une élaboration de sèmes ne peut être polysémique. En revanche, paraît plus appropriée pour prendre en compte des effets de sens divers et distincts la polyvalence du fait technique qui se moque de nos intentions, j'y reviendrai et qui permet socio-artistiquement l'évolution du sens de l'oeuvre. C'est faute de sociologie que la sémiologie de l'art manqua de s'intéresser à sa propre façon d'établir du sens comme résultat d'un rapport de force. Au lieu de porter une attention au service produit qui n'est pas toujours du sens, elle ne fit qu'instituer du sens sans se donner comme objectif de parler du sens institué ;
si la poésie .est l'esthétique du langage, alors il faut relativiser l'esthétique de l'art qu'est la plastique par une esthétique sociale et axiologique à concevoir distinctement comme chorale et héroïsme ;
si la poésie se précise par différence avec la science et le mythe, autres modalités de la désignation ;
si la science privilégie la chose à dire en réaménageant les mots pour la dire à l'inverse du mythe qui suscite des objets en se fondant sur les mots ; alors, pour l'enseignant chargé de dire les modalités de la production, la plastique est à concevoir dans le rapport à deux autres visées: le pratique et le magique.
Reconnaître l'homme de l'art, ce n'est pas seulement prendre en compte le regard du grammairien pensant l'art (glossoartistique), celui du citoyen cherchant à le connaître, (socio-artistique) et de l'axiologue soucieux de le critiquer librement (axio-artistique). Tenir compte de l'autre qui investit plus particulièrement dans l'activité, l'artiste, l'artisan ou le travailleur manuel ou l'informaticien, c'est entrevoir une ergolinguistique, une ergocénotique et une ergodicée pour faire exister le regard du technicien, reconnaître l'importance de la technique dans le jeu social et l'exercice de sa liberté par chacun des constructeurs .
Ceci dit pour aborder maintenant cette hypothèse d'une organisation spécifique de l'activité.
B- Autonomie et autonomisation de la pratique plastique
L'autonomie ne désigne pas la restriction à un domaine d'étude mais à un point de vue. Ce qui a pour conséquence que l'art s'occupe de tout mais selon une perspective qui n'est pas glossologique, ni sociologique ni axiologique.
Les arts plastiques partagent avec la musique, les sciences et techniques des activités physiques et sportives le fait d'être des disciplines portant principalement non sur un savoir
mais sur un faire.
Un hiatus est donc à gérer entre une pratique plastique et une pratique d'un autre ordre, celle de la pensée. Alors que les autres disciplines se sont constituées un métalangage, les arts plastiques sont tributaires d'analyses qui ne mettent pas en jeu la manipulation autrement que par l 'écriture inféodée au langage. Il existe pourtant au sein des établissements d'arts plastiques une pratique reconnue d'analyse d'oeuvre dont on n'a pas à mon sens tirer les conséquences et considéré la portée quant à l 'autonomie qui est ainsi rendue effective. Dans la mesure où les étudiants sont toujours confrontés à des oeuvres réalisées avec un matériel dont ils ne disposent pas, il leur faut toujours traduire l'oeuvre selon une autre technique qui fait généralement appel au dessin. Dans ces conditions nous sommes bien dans une conjoncture d'échange des techniques par lequel aussi l 'art analyse l'art, ce que le grec permet de désigner par le terme de « métergie » par analogie avec le métalangage. Chaque technique apporte une façon de voir de même que chaque langue ses concepts, ses objets conçus. Alors qu'on met bien souvent le sujet au premier plan on en est encore à considérer la technique comme universelle.
Bien des inventions procèdent de l'emprunt c'est-à-dire de l'impossibilité de traduire un mode d'emploi étranger et de la nécessité d'adapter un système à un autre - je vous renvoie à « Milieu et technique » de Leroi-Gourhan. Il ne s'agit pas de dénaturer l'oeuvre mais de faire valoir l 'écart qui nous en sépare parce qu'elle est d'un autre et faite selon une technique que n'a pas le spectateur, autre constructeur. Si l 'art ne peut s'enseigner au sens étymologique de la mise en signe, il peut lui même s'analyser. Mais pour cela, c'est toute l'activité qui est à impliquer: le processus d'analyse des moyens .et des fins et pas seulement le produit qu'on expose. Il y a notamment une façon de sombrer.dans la socio-artistique en ne traitant que de l 'art admis. Tout l'art est à prendre en compte en tant qu'organisation du faire, sans hiérarchie et indépendamment de son statut social . Ainsi il faut admettre que du point de vue d'une capacité d'analyse des moyens et des fins les arts plastiques ne se distinguent pas de n'importe quelle activité tendant à la production d'un ouvrage bien que du point de vue de la mise en oeuvre de cette analyse la visée plastique soit à différencier de la visée pratique et magique.
Un certain sens de la pratique entendue comme moment de performance, d'investissement dans une conjoncture milite pour dire que la pratique, c'est la chose et son chaos, une terre d'abandon pour dire le réel empirique immédiat, non déconstruit où tout a lieu: de la pensée, de l 'action, de l'appropriation, du plaisir. Moment de performance où la conscience, la conduite, la condition, Ie comportement se préoccupent du rapport au réel , moment aussitôt nié par notre capacité instancielle à décoller de la conjoncture pour relativiser les choses désignées, produites, situées, éprouvées, par les mots, les appareillages, les établissements sociaux et les droits de chacun. Mais ce qui nous fait invoquer la pratique plastique à titre de cible, c'est la spécificité d'une analyse qui n'a lieu que par le faire, non la séparation institutionnelle du métier d'enseignant plasticien ou d'artiste mais un certain rapport à la chose quand, par l'action, il faut en extraire du trajet. C'est dire que la manipulation ne se situe pas dans le rapport à un objet de sensation, de représentation, indice ou sens, symbole ou signe mais relativement à la réalité de l'éIaboration sous tendue par l'émergence d'un moyen ou d'une fin.
La fin dont il s'agit n'est pas non plus le projet qui fait l'intérêt d'une chose, l'intention qui anime, le but poursuivi, explicite ou non : une certaine interaction colorée comme la surface à peindre ne précise en rien le pourquoi de mon acte mais le pour faire quoi. Si de plus on s'accorde à reconnaître qu'il n'y a pas d'activité sans technique, la fin, que la technique rend disponibIe en permanence par ses dispositifs, est une autre fin à repérer dans une téléologie qui n'a pas le souci de ce que l 'on veut faire et qui se distingue en cela de celle d'Aristote ("visée morale du bien") ou celle de Kant (téléologie comme "finalité objective de la nature"). La technique étant souvent réduite à un ensemble de moyens, cette fin là, ce déjà là inhérent à l'activité humaine est exploité en tant que fonction et aussitôt oubliée par la prégnance de la chose à faire.
Enfin, autre distinction nécessaire, le trajet n'est pas réductible à la chose dans sa présence concrète au sujet qui l 'incorpore dans son schéma environnemental . C'est dire que « la matérialité » souvent invoquée aussi se réfère en fait parfois à ce processus qui fait exister ou non telle ou telle chose.
Toutefois, l'autonomie de l'art n'est plus à revendiquer, elle est à analyser comme analyse implicite déjà là en se fondant sur la neurologie, les travaux de Pick (1905) et Liepman (1908) qui mirent la praxie naturelle en évidence par son défaut pathologique et sur l'invention récente de Jean Gagnepain et d'Olivier Sabouraud qui isolèrent cliniquement ce qu'ils appellent l'atechnie ou troubles culturels de la manipulation technique.
À l'encontre d'un sentiment de contingence que l'artiste est enclin à développer quand il dit qu'il peut tout faire, l'art ne peut se faire contre ses propres conditions de réalisation: pas de produit en dehors de la technique qui le rend possible, pas de regard qui ne soit artificialisé par la technique du regardeur (c'est aussi en ce sens qu'on peut prendre le mot de Marcel Duchamp:" les regardeurs font les tableaux" ). Ce présupposé de la détermination technique comme conduite implicite en quelque sorte « préfabriquée » mais produisant une réalité spécifique va contre le privilège accordé à l'oeuvre en tant que «produit fini» . L'attention qui porte légitimement sur la fin tend à escamoter la disponibilité d'un potentiel lié à l 'activité et qui cependant informe l'ouvrage par l 'analyse implicite de ses moyens et de ses fins. Se départir de ce qui constitue notre pouvoir faire est de l'ordre de l'impossible, ce qui rend possible le fait est aussi une contrainte, ce que Kant suggère dans l'introduction de sa "Critique de la raison pure" : " La colombe légère, lorsque dans son libre vol , elle fend l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle réussirait bien mieux encore dans le vide". La métaphore est aussi intéressante quand on la prend littéralement . La culture technique de Kant tend au réaménagement de l'action naturelle: puisqu'il ambitionne de voler (négation de la fin naturelle biologiquement organisée dans la marche) et autrement que l'animal en élaborant d'autres moyens que le pouvoir de résistance de l'air. Du coup, un autre vide apparaît , celui de l'outil qui procède par négation du moyen et de la fin: la pratique humaine inclut sa contestation comme analyse: la chose faite est niée par la cécité de pouvoir faire autrement et par d'autres faits pour aboutir à un résultat relativement identique. C'est là énoncer la polyvalence (pour aller au plus court) du fait technique qui industriellement peut servir à une pluralité comme à une diversité de productions, en faisant fi des matières, des énergies les plus variées et de leur unité matérielle. C'est plus largement supposer un moment d'analyse, de désinvestissement dans l'activité humaine qui se présente alors sous trois moments dialectiquement liés où le praxique le dispute au technique et en même temps la besogne de l'instrument au loisir de l'outil. Cette hypothèse a pour conséquence de préciser deux regards de l'opérateur dans le rapport à l'art: l'un dans l'asservissement de l'action, préoccupé de la chose à faire et de l'adaptation constante du moyen à la fin, ce qui tend à le rendre laborieux, esclave du travail, l'autre détaché de l'affaire particulière à traiter, situé dans un hors d'oeuvre qui confère au technicien sa légèreté, de l'assurance en même temps que la disponibilité d'un préfabriquant et d'un préfabriqué.
En somme le prêt-à-porter est là comme un prêt-à-faire qui introduit du même coup une négligence relative puisque la technique fait pour le constructeur mettant en veille son attention; il voit alors ce qu'il sait taire. Toutefois, troisième moment de la production niant la fabrication, la nécessité de parvenir à la chose à faire, trajet final de Son travail, l'amène dans le contrôle de la réalité des moyens et des dispositifs à composer avec de l'attention ; il voit ce qui est à faire ou ce qui est visé particulièrement.
Par cette dialectique du travail , ces deux capacités d'analyse ne sont donc que neurologiquement et pathologiquement isolées par la distinction clinique entre apraxie et atechnie. J'ajoute que la synthèse est dite, selon la dialectique marxiste et hégélienne, troisième moment de la dialectique, pour ceux qui se rappellent qu'analysis en latin désigne la décomposition.
Au total, ces processus tels que je les ai invoqués concerne tout art , la pratique des arts plastiques comme celle du toilettage quotidien ce qu'on est prêt de reconnaitre dans la confusion actuelle où la plastique s'immisce dans toute activité et que toute activité peut être promu socio-artistiquement.
Revenons sur ce point de divergence sinon de rupture: ce fracas de l'art considéré comme incluant toute production industrielle, la peinture comme la peinture en bâtiment, le bâtiment d'architecture comme la cafetière ou la cabane d'enfant. S'il y a des arts mineurs c'est en raison d'une axiologie et de différentes modalités de production qui bien qu'elles coexistent dans le même travail ne sont pas toutes prises comme visée. On comprend que dans l'oeuvre il y a de l'ouvrage pratique irréductible malgré la perspective plastique de tout intégrer, de ne rien oublier parce que le constructeur n'est jamais seul à produire il est toujours tributaire d'une conjoncture de sorte que dans une exposition il y a toujours de l'accrochage. Il s'agit alors d'adapter le matériel au monde à transformer faute de quoi c'est l'inverse qui se produit, c'est à dire une modification de l'ouvrage par ce dont on dispose pour faire: le matériel dicte alors la chose à faire et dans le passage à la limite sa possession équivaut magiquement à la chose faite. L'ouvrage miroite toujours un peu. Il est certain que la confusion entre la visée plastique et magique est souvent exploitée: l'oeuvre est dotée de pouvoirs au-delà de ceux que le plasticien a élaborés: représentations énoncées quand aucune forme ne les matérialisent mais que telle tache, tel fait pourrait porter au-delà du résultat effectif. Nous ne cessons en somme d'interpréter, de poser des objets non garantis par des indications formelles quand bien même il s'agit de s'en tenir au critère de l 'image réellement construite. Cette façon de voir n'est pas que négative: elle virtualise le faire, elle est un moment d'ouverture aux possibilités, autrement dit , elle donne des idées (entendons au sens large des choses à faire, à reprendre plastiquement et pratiquement).
Ainsi l'esthétique de l'art dans l'hypothèse médiationniste se précise dans le rapport à une perspective magique qu'on cultive toujours beaucoup en arts plastiques, et une perspective utilitaire, pratique que l 'enseignant en arts plastiques refoule par préférence pour l'esthétique. Mais la plastique s'appréhende encore par opposition à d'autres esthétiques: celle du langage que manifeste la poésie, celle de la société présente par la fête (chorale), celle enfin du droit affirmée par l'héroïsme. Dans toutes ces modalités, l 'esthétique procède d'un retour sur les conditions de possibilité d'un fait , ce qui en nécessite un autre sans contrainte extérieure. C'est ainsi que la plastique en ses figures rejette l'iconique en tant que perspective pratique de la production d'image, que la poésie n'a rien à dire autrement que par son rythme, que la société dans les compétitions et les théâtres donne à voir le classement des sujets et l'imitation propre au métier et que le héros fait valoir le Bien comme son Prix en risquant gros sur une satisfaction, ou en ajoutant des règles en surnombre.
Ne retrouve-t-on pas dans l'esthétique dominante et notamment par son parti lié avec le plaisir, cet héroïsme qui est à distinguer de la plastique et que les arts plastiques socio-artistiquernent entendus cultivent encore, post modernisme inclus?
Je termine sur une autre interrogation: la perspective scientifique n'est pas spécifiquement la nôtre, pas plus que celle du mythe et de la poésie, mais l'institution universitaire nous y a habitué dans l'écriture en prenant l'art en compte à titre d'objet, de contenu. N' y a t-il pas un enjeu à considérer que c'est une forme, au sens d'une analyse, qui est mise en oeuvre dans notre pratique d'atelier de telle sorte qu'il est temps d'inverser l'anthropo-Iogie en anthropo-tropie, de faire reconnaître que l'art fait voir et penser, de même qu'il fait être et pas seulement sur le mode négatif de la robotisation, puisqu'il assure un "quod libet" donc une liberté?
GLG 1997