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La discographie c'est
ici...
The Strokes, c'est eux:
Loin d'être les simples antiquaires d'un prestigieux fonds de
commerce new-yorkais, du Velvet à Television, les gandins de The Strokes
s'imposent, avec leur premier album Is This It?, comme la meilleure raison
d'écouter du rock au XXI e siècle. Sourire aux lèvres et hanches en feu.
Depuis 1968, année où White Light/White Heat repeint en noir le
psychédélisme déclinant, New York a le chic pour sauver la mise du
rock'n'roll dès qu'il est réputé en faillite. Par une miraculeuse alchimie,
l'énergie mauvaise d'une métropole éternellement au bord de la crise de nerfs
se transmue alors en onde régénérante et un groupe aussi invendable que le
Velvet finit par exercer une influence aussi déterminante que celle des
Beatles. Dans sa foulée provocatrice, les New York Dolls mettent une pâtée au
rock progressif (1973), Patti Smith offre une bouffée d'oxygène à une
génération en passe d'être asphyxiée par les flatulences FM (1975) et les
garnements du CBGB enduisent de goudron les plumes poussées sur le croupion de
Freddie Mercury ou Elton John (1977).
Axiome corrélatif : Manhattan, Mecque mondiale des crève-la-gloire, produit
systématiquement les groupes de rock'n'roll les plus racés d'Amérique. Dans
une métropole où chaque chauffeur de taxi a un scénario à vendre, où les
cocktail waitresses rêvent d'être chanteuses (Debbie Harry) et où les
vendeurs de librairie fomentent de flamboyantes insurrections esthétiques (Tom
Verlaine et Richard Hell), on ne badine pas avec l'allure. Sur cette île
surpeuplée, surmenée et sursexuée, l'œil fiévreux, la maigreur féline et
la moue griffue auront ainsi survécu à toutes les modes, indissociables
qu'elles sont de la noire légende des seringues longues comme des limousines
et des limousines aussi interminables que l'ombre portée des gratte-ciel.
La découverte de cinq trognes nouvelles mais déjà amies de longue date
celles des Strokes, lesquels poussent le raffinement jusqu'à avoir pour manager
le sosie d'un Lester Bangs qui aurait survécu aux meurtrières années 80
renvoie donc illico à l'époque où on ne ratait sous aucun prétexte un
numéro du New York rocker, où la presse rock tachait les doigts et la musique
du même nom les slips. Car, depuis Too Much Too Soon, le rock'n'roll
new-yorkais est aux libidos adolescentes ce que Las Vegas est aux
comptes-épargne scrupuleusement gérés : un irrésistible défi, doublé d'une
incitation à l'irresponsabilité, à la frime et à la jouissance impatiente.
D'où l'insolente séduction des chansons des Strokes, de ces bolides princiers
qui entrent en trombe dans les cœurs et réveillent d'un baiser les nostalgies
(mal) endormies. Qui, à peine tirées du sommeil, ne rêvent que de rattraper
le temps (et le tempo alerte, leste, lascif) perdu. Des chansons altières,
fonceuses et vicieuses, fouettées par un chant d'aristo de l'asphalte
détenteur d'un trousseau de passe-partout (du ricanement hâbleur à la
pâmoison juvénile) de nature à déverrouiller le plus hermétique des
scepticismes.
Dès l'admirable deuxième titre, The Modern Age, Julian Casablancas rajeunit
impeccablement deux des registres favoris de Lou Reed modèle Loaded le
flegme nasillard et le caquètement courroucé puis enrubanne le refrain de
romantisme grand luxe. Car, comme le laisse deviner leur nom astucieusement
équivoque, les Strokes balancent régulièrement entre le horion sonique et la
caresse cambrioleuse de vertu ("Je veux te dérober ton innocence",
déclaration d'intention fièrement proclamée dans Barely Legal). Quand stroke
signifie "coup" (de boule, de bol ou de génie), la mission du groupe
est de dénicher sous les rues de Times Square (scandaleusement aseptisées par
l'empire Disney) les senteurs interlopes du vieux bitume new-yorkais. Et, pour
commencer, de retrouver par la seule magie d'un son de guitare crasseux à
souhait, l'époque où les héros du Bowery sortaient avec des go-go dancers
plutôt qu'avec des top models pour papier glacé, et mettaient dans leur jeu de
guitare autant de lubricité que leurs fiancées dans leur jeu de hanches ou de
seins. On saluera donc ici la résurrection du fabuleux Johnny Thunders, dont
les stridences sexy et les dérapages polissons refont surface dès que les
Strokes optent pour la furie rock'n'roll (Take It Or Leave It).
Mais les Strokes sont trop cultivés pour se satisfaire longtemps d'une simple
partouze punk, aussi jouissive fût-elle. Autant que la frénésie orgiaque des
Heartbreakers, ils aiment la poésie anguleuse de Television, savent aller
cueillir des étoiles noires à la lueur de Marquee Moon. Et, surtout,
n'oublient pas de traverser l'Hudson pour rendre visite à de précieux cousins
d'Hoboken. Car c'est la fébrilité hypnotique des Feelies qui innerve le plus
spectaculairement les chansons hypertendues de Julian Casablancas.
Bien nés (et très bien éduqués), les Strokes se sont évadés des
immeubles-forteresses de l'Upper West Side, au pied desquels des portiers en
uniforme tentent de tenir à distance la rumeur interlope de la rue. Mais avoir
eu pour père (ET pour beau-père) deux éminents représentants du petit monde
où se côtoient art, mode et médias a permis à Casablancas d'exceller à la
fois dans le slumming (soit l'art de s'encanailler au contact de musiques
voyoutes) et dans le songwriting et d'enrober de fragrances raffinées des
rythmes déflagrants. Quand les Strokes se souviennent que leur nom signifie
également caresse (griffue, quand même), les harmonies tiennent la dragée
(très) haute aux arts maudits de la défonce, de la déglingue et du destroy.
Car, plutôt qu'aux représentants de l'ordre social (expédiés en un "les
flics de New York, c'est pas des lumières" New York City Cops), c'est
aux filles, farouches ennemies de l'ordre sentimental, que les chansons de
Casablancas cherchent des poux ("Tu dis que tu veux rester collée à
moi/Chérie, ça va pas la tête ?" Someday).
Finalement plus porté sur l'introspection que sur la pseudo-insurrection
(domaine mis en coupe réglée par tous les skate-punks du Midwest et de
Californie), Casablancas poursuit dans ses chansons des conversations
perturbantes car restées en suspens : on n'avait pas relevé autant de "she
said" et de "you said" dans un album depuis l'époque où Lou
Reed faisait interminablement causer ses Candy, Lisa et autres Caroline. Les
Strokes s'attaquent alors à des sujets chenus (l'incommunicabilité Hard to
Explain ou l'asthénieamoureuse Is This It?) et, comme chaque fois que des
gamins aussi intrépides que précoces (le plus âgé atteindrait péniblement
les 21 ans) osent toréer des thèmes pour adultes, le résultat donne des
chansons aussi inquiètes qu'insolentes et aussi équivoques qu'explosives.
Stroke (of lightning) pouvant également signifier éclair (de ceux qui, dans
les systèmes nerveux, allument les plus beaux incendies), on aurait alors
mauvaise grâce à ne pas conclure que ces électrisants Strokes sont
décidément du tonnerre.
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