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Revue de presse
Tous les articles (bons ou mauvais!) seront sur cette page,
ainsi vous pourrez lire ou relire les piges que vous aurez raté dans les
colonnes de nombreux quotidiens, hebdomadaires ou mensuels.
Le réveillon de Noël se déroulait hier soir, au Zénith parisien,
lors de la halte française des américains The Strokes, venus bien accompagnés de
leurs camarades Ben Kweller et Kings of Leon. Récit d’une soirée magistrale où
le père Noël dansait le pogo dans la fosse… Les plannings des concerts
parisiens ont de quoi faire sourire : hier soir, The Strokes, accompagnés des
Kings of Leon et de Ben Kweller remplissaient très logiquement un Zénith de
jeunes avides de rock’n’roll vintage. Le soir précédent, au même endroit, Ian
(in)"Cult" Astbury tentait de faire croire à une foule compacte qu’il était la
réincarnation du roi lézard aux commandes d’une douteuse reformation des Doors.
Entre ces jeunes et fringants revivalistes qui singent avec énergie leurs
ancêtres et ces vieux croûtons qui tentent de rouvrir les portes de la
perception à coup de lightshows stroboscopiques et de fumigènes à la fraise,
vous comprendrez aisément que j’ai choisi de me rendre à l’unique date française
des New-yorkais de The Strokes venus présenter leur deuxième album, Room on
Fire.
C’est un Zénith des grands jours, rempli à ras bord, qui accueille en première
partie le jeune Ben Kweller à la tête de son énergique trio. Même si ma camarade
Caroline H. s’est déjà largement épanchée sur les multiples talents du jeune
homme lors de son concert de la veille à la Boule Noire, je vais me faire un
plaisir d’en remettre une couche.
A mon grand étonnement, ce garçon à l’allure timide s’adaptera parfaitement à la
scène disproportionnée du Zénith, alternant ballades au piano et joyeusetés
power-pop aux guitares franches. Du haut de ses vingt-deux ans, l’ami Ben a le
grand mérite d’oser se mettre en danger en improvisant sur les mélodies naïves
de son splendide album Sha Sha. Face au professionnalisme quasi étouffant
des têtes d’affiche de la soirée, Ben Kweller séduira par son naturel bon enfant
et son sens inné de la fragilité pop.
Après une courte pause, les rustiques Kings of Leon envahissent la scène pour ce
qui sera leur première prestation française. Attendus au tournant, les Kings of
Leon ne décevront aucunement, déroulant devant l’auditoire la quintessence de
leur excellent premier album Youth & Young Manhood. Même si le son
desservira le début de leur prestation, tout rentrera dans l’ordre dés le rageur
Spiral Staircase, formidable condensé du rock’n’roll sous influences des
Kings of Leon.
La famille Followill, avec son look incompréhensible (Matthew, le chanteur, est
le croisement parfait entre un hippie allumé et Derek Smalls, le bassiste à
moustache des rigolos Spinal Tap), voudrait nous faire croire que la musique
s’est arrêtée dans le bayou rock’n’roll des Creedence Clearwater Revival mais il
n’en est rien : le pop-punk California Sun ressemble plutôt à une
chouette chute de studio des Strokes. Quelques nouveaux morceaux, tous
d’excellente qualité, viendront également montrer que ce groupe de musiciens
doués compte bien s’ouvrir de nouveaux horizons sur ses prochains
enregistrements.
Alors qu’ils ont passé tout le concert à fond les manettes, soutenus par la
frappe martiale de leur batteur Nathan, les Kings of Leon terminent leur concert
sur une version dévastatrice de Trani. Sur ce dernier morceau au rythme
assagi mais à la puissance démultipliée, la voix rauque de Matthew, poussée dans
ses derniers retranchements, nous laissera la chair de poule pendant quelques
bonnes minutes après que les lumières se soient rallumées.
Inutile de dire qu’au vu de la qualité de ces deux premières parties, la
pression sur les épaules des Strokes n’en était que plus redoutable. Il ne
faudra pourtant pas plus d’une dizaine de secondes, sur l’intro pétaradante de
Reptilia, pour faire oublier au public les amuses bouches qui les ont
précédés. S’il ne fait aucun doute que l’une des grandes qualités de ces
New-yorkais est de maîtriser parfaitement leur mur du son sur disque, ce soir,
ils démontreront que la scène a droit à ces mêmes traitements de faveur sonique.
A tel point qu’il faudra se pincer, demander à son voisin ou même changer
régulièrement de place pour vérifier que l’on n'a pas forcé sur la bière :
rarement, de mémoire d’amateur de musique, on aura entendu un tel feu d’artifice
sonore. Avec un tel arsenal, les perles pop-punk des New-yorkais défilent comme
autant de bolides customisés, lancés nonchalamment par ces musiciens qui, à
force de jouer tout autour de la planète, ont sacrément perfectionné leur tenues
scéniques.
Le groupe alterne intelligemment les morceaux de Is This It ?, leur
premier album devenu classique, et celles du nouveau Room on Fire. Modern Age
s’enchaînera ainsi directement à un 12:51, un magistral New York City
Cops joué aux coudes à coudes avec un You Talk Way Too Much charmeur,
le tout avec cette nonchalance ébouriffée qui est désormais leur marque de
fabrique.
Le très Oasis What Ever Happened nous rappelle ainsi que les frères
Gallagher sont dans le même état d’esprit sur scène, ils se contentent d’être là
en somme. Mais c’est déjà beaucoup. Julian Casablancas arpente la scène
mollement, les autres restent statiques mais les moulinets de leurs bras sur
leurs instruments témoignent de l’intensité de leur prestation. Parmi les autres
grands moments du concert, on retiendra Last Nite, The End Has No End, le
splendide Someday ou encore Hard To Explain.
Devant ce défilé métronomique du hit-parade de nos rêves, un malaise finit
pourtant par s’installer. Tout est tellement maîtrisé, carré, professionnel dans
cet abattage de musique qu’une certaine forme de lassitude finit presque par
l’emporter. Aucun bout de gras ne dépasse, tout est cliniquement parfait : les
morceaux, joués à la note près comme sur disque, y perdent en émotion. On aurait
tellement aimé qu’un grain de sable, rien qu’un tout petit grain de sable,
viennent perturber cette machine proche de la perfection et lui rendre ainsi son
humanité.
Mais ce grain de sable n’arrivera pas et au bout de la courte heure
réglementaire, le groupe finira sur un Take It Or Leave It joué pied au
plancher. Ne boudons pas notre plaisir, car ce soir, les Strokes ont été au
sommet de leur art. Rendez-vous dans deux ans, pour leur prochain passage en
France, en espérant que le feu sacré sera toujours là.
Les Inrocks, 11 Décembre 2003, Martin Cazenave
"Sans exagérer, il faut bien admettre que ces Strokes
ont de la gueule. En ces temps de règne électronique, leur arrivée sur le
toit du monde rock a fait l’effet d’une tempête rafraîchissante. Car les
Strokes connaissent tout de ce qui fait les mythes du rock : une attitude, un
son, une arrogance, un savant dosage entre des structures pop
archi-traditionnelles et la sauvagerie électrique, des textes limpides écrits
au fil d’histoires de rues et de rencontres ratées. En un seul disque, Is
this it?, les Strokes ont encapsulé tout cet héritage laissé par leurs
illustres aînés new-yorkais. The Modern Age, Barely legal et tous ces
singles en puissance approchent au plus prêt la toxicité du Velvet
Underground, les hymnes de Blondie, l’esthétisme de Television, les chansons
orgasmiques des Ramones et la déglingue de Johnny Thunders. Avec un tel
pedigree, ces cinq dandies n’ont plus qu’à offrir leur fulgurante classe
sur scène pour être à la hauteur des promesses faites sur disque.
La découverte de cinq trognes nouvelles mais déjà amies de longue date –
celles des Strokes – renvoie illico à l’époque où on ne ratait sous aucun
prétexte un numéro du New York rocker, où la presse rock tachait les doigts
et la musique du même nom les slips. Car, depuis Too much too soon, le rock’n’roll
new-yorkais est aux libidos adolescentes ce que Las Vegas est aux comptes
épargne scrupuleusement gérés : un irrésistible défi, doublé d’une
incitation à l’irresponsabilité, à la frime et à la jouissance impatiente.
D’où l’insolente séduction des chansons des Strokes, de ces bolides
princiers qui entrent en trombe dans les cœurs et réveillent d’un baiser les
nostalgies (mal) endormies. Qui, à peine tirées du sommeil, ne rêvent que de
rattraper le temps (et le tempo – alerte, leste, lascif) perdu. Des chansons
altières, fonceuses et vicieuses, fouettées par un chant d’aristo de l’asphalte
détenteur d’un trousseau de passe-partout (du ricanement hâbleur à la
pâmoison juvénile) de nature à déverrouiller le plus hermétique des
scepticismes. Comme le laisse deviner leur nom astucieusement équivoque, les
Strokes balancent régulièrement entre le horion sonique et la caresse
cambrioleuse de vertu."
Les Inrocks, 28 Août 2001, Bruno Jouffin
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