ANDALOUSIE
L’Andalousie est la séduction de l’Espagne. On croit la saisir
d’emblée sous son apparence brillante et facile, mais elle plonge
des racines profondes dans le passé. L’art andalou, à la
rencontre de l’Orient et de l’Occident, permet de suivre ces antiques
cheminements.
L’Andalousie est la plus vaste des régions d’Espagne et celle
dont le cadre naturel est le mieux défini. Deux chaînes de montagnes
en forment l’ossature, mais tandis que celle du Nord, la sierra Morena,
constitue la frontière avec la Castille et l’Estrémadure,
celle du Sud, la sierra Nevada, n’est qu’un obstacle en arrière
de la grande corniche andalouse sur la Méditerranée. Entre les
deux chaînes, la plaine du Guadalquivir s’ouvre largement sur l’Atlantique.
Ces conditions géographiques expliquent le rôle essentiel joué
dans l’histoire espagnole, notamment en ce qui concerne la création
artistique, par cette contrée qui surveille l’entrée de
la Méditerranée et constitue en même temps une façade
de l’Espagne sur l’Océan. Son importance va de pair avec
une diversité, née de la variété des paysages naturels
et, plus encore, de la personnalité des villes qui ont toujours dominé
l’économie et la culture.
«Pays d’al-Andalus»: c’est sous cette forme que très
tôt presque tous les auteurs arabes ont désigné la partie
de la péninsule Ibérique soumise à la domination musulmane.
Cependant l’origine du mot reste assez mystérieuse: on a voulu
y voir un rapport avec les Vandales, passés d’Espagne en Afrique
du Nord au début du Ve siècle. Mais quelles traces leur nom y
aurait-il laissées, pour être ainsi repris? Ce qui est certain,
c’est que, par la suite, lorsque l’Espagne musulmane perdit ses
territoires, l’application du mot subit la même restriction; il
désigne aujourd’hui les huit provinces du Sud: Cordoue, Séville,
Grenade, Huelva, Cadix, Jaén, Málaga et Almería.
L’Afrique du Nord à peine conquise, son gouverneur Musa eut l’idée
de détourner vers l’extérieur les forces vives de ces Berbères
qui lui avaient opposé une si farouche résistance. En 711 (année
92 de l’hégire), il envoya, sous le commandement de Tariq, 7 000
Berbères conquérir l’Espagne dont la richesse et les divisions
promettaient un facile butin. L’écrasement imprévu du roi
wisigoth Rodrigue à la bataille du Guadalete (19-26 juill.) amena Musa,
non sans réticences de la part du calife, à passer lui-même
en Espagne, à y faire sa jonction avec Tariq et à entrer avec
lui à Tolède. La faiblesse du parti wisigothique, mené
par le prétendant Akhila dont l’appel lui avait servi de prétexte,
lui inspira même l’idée d’une occupation durable, et
il commença à conclure des accords en ce sens avec les chefs locaux.
En 94/713 il parvenait au-delà de Saragosse. Mais en 95/714, Musa et
Tariq furent appelés à Damas pour enquête: Akhila ayant
renoncé à toute prétention royale, la conquête de
la péninsule fut achevée (sauf une petite partie de la chaîne
cantabrique) par le nouvel émir al-Hurr, qui détruisit Tarragone
et occupa Barcelone (de 97/716 à 100/719). Ses successeurs occupèrent
même, au-delà des Pyrénées, la Septimanie wisigothique
(bas Languedoc) et lancèrent de là des expéditions en direction
du nord.
L’arrêt de la conquête arabe en Occident s’explique
surtout par l’insurrection berbère en Afrique du Nord, appuyée
sur le kharidjisme (121/740). Les Berbères d’Espagne se soulevèrent
eux aussi, formant plusieurs colonnes qui menacèrent Cordoue et Tolède.
Face à ce péril, les Arabes, peu nombreux, n’étaient
même pas unis: une opposition traditionnelle se perpétuait entre
Kaisites, Bédouins nomades de l’Arabie septentrionale et centrale,
et Kalbites, cultivateurs sédentaires originaires du Yémen. L’insurrection
ne fut matée que grâce à l’arrivée du Kaisite
Baldj, avec quelques milliers de Syriens qui avaient été évacués
de Ceuta assiégée, et qui restèrent finalement en Espagne.
Plusieurs années de cruelles famines (d’env. 132/750 à 137/755)
apaisèrent ces luttes. Malgré tout, la situation restait fort
confuse en Espagne durant cette «époque des gouverneurs»
et ceux-ci, bien que peu puissants et souvent remplacés, dépendaient
en fait de moins en moins du calife damascène.
L’émancipation de fait de l’Espagne musulmane fut assurée
par la fondation de l’émirat umayyade (ou omeyyade). Abd al-Rahman,
petit-fils du dernier calife de cette dynastie, échappé au massacre
de celle-ci par les ‘Abbassides triomphants, se réfugia en Afrique
du Nord, parmi les tribus berbères, dont sa mère était
issue. Son affranchi Badr lui ayant obtenu le ralliement des Syriens et d’une
partie des Kalbites d’Espagne, il passa dans ce pays et s’empara
de Cordoue, où il se contenta de se proclamer émir (138/756).
Son autorité ne s’y imposa pas sans peine, tant aux Berbères,
qui résistèrent longtemps dans le Centre, qu’aux chefs arabes.
Deux d’entre eux, les gouverneurs de Barcelone et de Saragosse, provoquèrent
même l’intervention de Charlemagne (161/778). Cependant, après
la mort d’‘Abd al-Rahman (172/788), ses descendants – non
sans lutte de succession pour les premiers – réussirent à
consolider sa dynastie dans l’émirat cordouan: Hisham Ier (de 172/788
à 180/796), puis al-Hakam Ier (de 180/796 à 206/822), ‘Abd
al-Rahman II (de 206/822 à 238/852), Muhammad Ier (de 238/852 à
273/886). Ce siècle d’histoire andalouse apparaît très
troublé.
Les Berbères, presque constamment, participèrent aux soulèvements.
Or les luttes entre Arabes se poursuivaient, et la part qu’y prenaient
les Espagnols convertis à l’islam (ou muwallads ) en accroissait
la gravité. La «révolte du faubourg» installé
sur la rive sud du Guadalquivir à Cordoue dut être sauvagement
réprimée en 202/818. Les grandes villes des marches de l’Ouest
et du Nord, Mérida, Tolède, Saragosse, étaient aussi des
foyers d’agitation: plusieurs centaines de notables tolédans furent
massacrés lors de la «journée de la fosse», en 181/797;
les murs de Mérida furent démantelés en 219/834. Dans la
région de Saragosse, les Banu Kassi, descendants d’un comte wisigoth,
se rendaient pratiquement indépendants. Les chrétiens sous domination
musulmane (ou mozarabes ) n’étant pas l’objet de persécution
religieuse restaient en général calmes; cependant, de 237/850
à 245/858, sous l’effet de la prédication de mystiques comme
le prêtre Euloge, un mouvement de martyres volontaires se produisit à
Cordoue.
La lutte contre les États chrétiens du Nord se poursuivait, défensive,
lorsque les troubles intérieurs, auxquels participèrent à
plusieurs reprises les rois asturiens, accaparaient les émirs de Cordoue,
offensive dès que les circonstances le permettaient. Dans l’ensemble,
les frontières reculaient, tant à l’est (perte de Barcelone
en 185/801) qu’à l’ouest. Signalons encore les pillages des
Normands, qui mirent Séville à sac en 229-230/844, et tentèrent
encore quelques débarquements de 245/858 à 248/861.
Sous Hisham Ier s’était introduite en Espagne la doctrine malikite,
très orthodoxe et rigoriste dans l’interprétation du Coran
et de la Tradition. À Cordoue et dans les grandes villes se développa
ainsi une aristocratie de faqihs, juristes théologiens, qui s’ingéraient
dans le gouvernement ou faisaient de l’opposition.
Le règne d’‘Abd al-Rahman II et les débuts de son
successeur furent relativement tranquilles et brillants. Puis l’agitation
reprit. Depuis 237/850, le muwallad ‘Umar ibn Hafsun pratiquait dans la
région de Bobastro un brigandage qui tendait même à la formation
d’une principauté; depuis 254/868, non sans accalmies, le muwallad
Ibn Marwan entretenait dans l’Ouest une agitation soutenue par les Asturiens.
Après le court règne d’al-Mundhir (de 273/886 à 275/888),
son frère ‘Abd Allah (de 275/888 à 300/912) s’efforça
de maintenir, malgré l’agitation montante, la dynastie hispano-umayyade.
C’est son petit-fils ‘Abd al-Rahman III qui rétablit la situation
et fonda le califat de Cordoue.
L’apogée de l’Espagne musulmane
Sous ‘Abd al-Rahman III et son fils al-Hakam II (de 350/961 à 366/976),
l’Andalousie, pacifiée et prospère, connut un véritable
apogée, un remarquable équilibre entre sa puissance politique
et militaire et l’éclat de sa civilisation.
Si, au Xe siècle, le monde musulman a perdu son unité religieuse
et politique, il forme un ensemble économique, vivifié par d’importants
courants de circulation (qui favorisent aussi celle des idées). L’Espagne
reçoit (du Soudan en particulier) de grosses quantités d’or,
qui alimentent un abondant monnayage, complétant les traditionnelles
pièces d’argent. Elle trouve des débouchés, qui stimulent
sa production. Son agriculture a bénéficié de la venue
des paysans berbères, de l’introduction de meilleurs procédés
d’irrigation et de cultures nouvelles (riz, canne à sucre, coton,
oranger). L’Espagne est surtout le pays du blé et du vin; elle
peut aussi fournir du bois, avantage rare parmi les pays musulmans. Le Calendrier
de Cordoue rédigé pour al-Hakam II permet de se représenter
avec précision l’activité agricole. Les vieilles ressources
minières (argent, fer, mercure) sont exploitées plus activement.
Les industries urbaines, certaines anciennes (comme les cuirs de Cordoue), d’autres
plus nouvelles (soieries, tapis de laine, armes de Tolède) fleurissent
à l’envi.
Cette vigoureuse activité, qui se traduit par la relative aisance du
monde paysan soumis en général à une sorte de métayage,
par l’ampleur des villes, qu’il ne faut pas exagérer (Cordoue
arrivait peut-être à 100 000 habitants, Tolède à
35 000), mais qui était sans équivalent dans l’Europe chrétienne,
alimente aussi les finances du calife et lui permet de donner à ce pays
la forte armature politique et militaire dont il a besoin.
En effet, son peuplement fait de l’Andalousie une véritable mosaïque,
où les conquérants ne sont qu’une faible minorité.
L’énorme majorité de la population est formée des
Espagnols eux-mêmes: muwallads et mozarabes, ceux-ci en communautés
régies par leurs évêques et leurs «défenseurs»,
ou comtes. Dans toutes les villes il y a d’importantes communautés
juives. De nombreux esclaves d’origine slave ont été introduits
par le trafic; parmi eux, les mawali , ou affranchis, peuvent s’élever
à des postes importants. Les Berbères ont fourni un notable contingent
d’immigrants (de 200 000 à 300 000), mais ceux-ci sont mal arabisés
et vivent surtout à la campagne. Les Arabes (de 30 000 à 40 000)
forment une infime minorité, que ne renouvelle plus aucun apport d’Orient.
S’il est vrai que finalement le pouvoir du calife repose sur la force
– qui s’est souvent manifestée avec rudesse –, l’organisation
administrative atteint un développement avec lequel aucun pays chrétien
ne pourrait alors rivaliser. À la tête de l’ensemble des
services se trouve le hadjib , qui est le premier des vizirs (le vizirat étant
plus une dignité bien payée qu’une fonction précise).
Richement alimentées par les impôts légaux des divers sujets
(dîme des musulmans, impôts fonciers et de capitation des infidèles)
et par les ressources extraordinaires (taxes sur les transactions, douanes),
les finances permettent de payer tout un personnel administratif, ainsi que
des mercenaires (slaves, berbères) dont le rôle croît dans
l’armée. L’organisation provinciale est assez mal connue:
les kuras pacifiées, correspondant sans doute aux anciens comtés
wisigothiques, sont dirigées chacune par un wali ; dans la zone de guerre
bordant l’Espagne chrétienne, des caïds militaires siègent
à Saragosse et à Medinaceli.
Les califes de Cordoue éprouvèrent le désir de s’entourer
de savants et d’artistes. La persécution chassait alors d’Orient
des érudits juifs. Dès la fin du Xe siècle, l’Espagne
accueillit ainsi les sciences et la philosophie développées dans
le monde islamique; de là elles pourront passer dans l’Europe chrétienne.
Tout ce mouvement se caractérise en Espagne par la place moindre qu’y
occupent théologie et grammaire – disciplines proprement arabes
– et par la forte participation des infidèles. Non sans arbitraire,
on peut détacher: Abu l-Qasim, médecin d’al-Hakam II, auteur
d’une Encyclopédie médicale ; le vizir Ibn Hazm (mort en
456/1064), de Cordoue, qui dans son Livre des religions et des sectes développe
une intéressante comparaison; al-Zarqali, né à Cordoue
vers 420/1029, mais qui vit à Tolède, y compose des Tables tolédanes
d’observations célestes. Évolution caractéristique
du mouvement de décentralisation qui se produit au XIe siècle:
d’abord seul grand centre intellectuel, Cordoue se voit concurrencer par
Tolède, Almería, Saragosse. Mais cette décentralisation
affecte aussi la vie politique de l’Andalousie.
Le déclin, c’est d’abord la décomposition du califat.
À la mort d’al-Hakam II, son fils Hisham II n’a que dix ans.
De l’aristocratie militaire qui gouverne en son nom se détache
bientôt un jeune Arabe, Ibn Abi ‘Amir, que son énergie, son
habileté et la faveur de la mère d’Hisham II placent au
premier plan. Hadjib , il conduit presque tous les ans contre les États
chrétiens du Nord des expéditions victorieuses: la prise de Barcelone
(374/985), celle de Coïmbra (376/987), celle de León (378/988),
celle de Compostelle (387/997) jalonnent cette intense activité qui porte
au plus haut point le renom de l’Islam en Occident, et permet à
Ibn Abi ‘Amir – plus connu dès lors sous son surnom d’al-Mansur
(le Victorieux) – d’éliminer ses rivaux. Mais ses succès
n’entraînent pas la conquête des États chrétiens,
qui se relèvent vite. Ils sont obtenus grâce à une forte
immigration de soldats berbères, qui constitue un facteur de déséquilibre
pour l’avenir. Et l’action d’al-Mansur déconsidère
le califat. Aussi sa mort (Medinaceli, 392/1002) est-elle suivie d’une
période de troubles et de guerres civiles qui opposent plusieurs candidats
au califat et auxquelles prennent part des contingents chrétiens, jusqu’à
ce que, Cordoue se lassant d’être l’enjeu de ces luttes stériles,
le califat lui-même disparaisse (422/1031).
Alors s’ouvre la période dite des reyes de taifas (rois des clans).
Il s’agit d’une série de principautés, dont la carte
évolue au souffle des guerres qu’elles se livrent, mais parmi lesquelles
on peut détacher quelques-unes: des Berbères règnent dans
le Sud, à Grenade et Málaga; des Slaves dans le Sud-Est, à
Valence et Almería; surtout des Arabes, à Saragosse, Tolède,
Badajoz, et en premier lieu les ‘Abbadides de Séville. Le XIe siècle
reste une période de prospérité économique et d’éclat
intellectuel et littéraire. Mais la puissance militaire et politique
décline vite: les princes emploient des contingents chrétiens
dans leurs luttes, puis s’habituent à payer aux souverains chrétiens
des tributs ou parias , moyennant lesquels ceux-ci promettent de ne pas les
attaquer, voire de leur fournir de l’aide. Enfin l’avance chrétienne
se traduit par la reconquête de territoires.
En 478/1085, le passage du royaume de Tolède aux mains d’Alfonse
VI de Castille décide les rois de Séville et Badajoz à
faire appel à la puissance des Almoravides, qui vient de se constituer
au Maroc. Le débarquement de Yusuf b. Tashfin, son éclatante victoire
de Sagrajas sur les chrétiens (479/1086) ouvrent la période des
grandes interventions africaines. Les Almoravides remportent encore d’autres
succès sur les chrétiens, les obligent à évacuer
le royaume de Valence, les ramènent à la frontière du Tage,
sans leur enlever Tolède. Une partie de leur activité se tourne
d’ailleurs contre les princes hispano-musulmans, déclarés
libertins et impies, et détrônés; seul le royaume de Saragosse
résiste quelque temps, jusqu’en 503/1110. Une trentaine d’années
plus tard, la puissance almoravide est minée au Maroc par les Almohades.
Vainqueurs, ceux-ci interviennent à leur tour en Espagne, où ils
s’emparent assez vite de Séville (542/1147) et de Cordoue, mais
se heurtent ensuite à des résistances tenaces, comme, à
Valence et Murcie, celle d’Ibn Mardenish, petit-fils de renégats
chrétiens, soutenu par la Castille, et qui lutte jusqu’à
sa mort (567/1172). Les derniers Almoravides passent dans les Baléares,
d’où les Almohades les délogent en 599/1203.
Ces interventions ont temporairement rendu une unité à l’Espagne
musulmane, y ont produit un renouveau religieux et l’essor d’une
civilisation originale. Elles ont entraîné un durcissement de la
lutte contre les chrétiens qui, de part et d’autre, prend alors
le caractère d’une guerre sainte. Mais elles n’ont pas brisé
l’Espagne chrétienne. Au début du XIIIe siècle, celle-ci
prend à son tour l’offensive, et la défaite de Las Navas
de Tolosa (609/1212) marque l’effondrement de la puissance almohade. Par
pans entiers, l’Espagne musulmane passe aux mains des souverains chrétiens
au cours des décennies suivantes. En fin de compte, elle est réduite
au royaume de Grenade, qui subsiste jusqu’à la fin du XVe siècle.
La communauté autonome d’Andalousie est une des plus vastes d’Espagne
(87 268 km2, presque le Portugal) et c’est la plus peuplée (7 millions
d’habitants en 1989). Mais elle est peu développée et les
inégalités sociales y sont fortes. Al-Andalus, le territoire de
l’Espagne musulmane, a fini par être identifié aux terres
reconquises à partir du début du XIIIe siècle qui constituèrent
plusieurs «royaumes» de la couronne de Castille.
L’Andalousie s’oppose vigoureusement aux hautes plaines intérieures
de la péninsule et aux littéraux du Levant dont elle est séparée
par de vastes étendues désertes. Sa réputation d’opulence
et de raffinement qui en ferait une «terre donnée», selon
la formule d’Ortega y Gasset, est fondée sur l’abondance
des matières premières: produits des mines de cuivre, de plomb,
de fer ou d’argent et productions agricoles telles que le blé,
le vin ou l’huile d’olive. Mais elles étaient exportées
sans créer pour autant de richesses et d’emplois sur place. La
prospérité agricole traditionnelle avait pour assise principale
la dépression parcourue par le Guadalquivir, la plus vaste étendue
de collines et de plaines de toute la péninsule Ibérique. Sur
les sédiments marins meubles et fins se développèrent des
sols profonds à caractères vertiques dont la capacité de
rétention en eau et la saturation du complexe absorbant en ions calcium
en font les meilleures terres céréalières de la péninsule.
Sur une étendue comparable à celle de la Belgique, la dépression
du Guadalquivir est le domaine du blé et du tournesol, des olivettes
et de quelques vignobles de qualité (Montilla et, surtout, Xérès).
L’irrigation, qui ne s’y est développée que depuis
la fin des années 1920, porte sur le maïs, le coton principalement,
les fruits et légumes et, dans la plaine alluviale des Marismas, sur
le riz. Mais l’agriculture est confrontée à de difficiles
problèmes de marché.
Des régions montagneuses enserrent la dépression bétique.
Au nord, la sierra Morena, rebord méridional du socle ancien profondément
entaillé par l’érosion, s’est dépeuplée
à partir du début du XXe siècle. Les mines en furent longtemps
la principale richesse, et les noms de grandes multinationales s’y trouvent
associés (Río Tinto, Tharsis, Peñarroya, etc.).
Au sud, les chaînes Bétiques de type alpin culminent à 3
478 mètres dans la sierra Nevada. Un chapelet de dépressions y
permet une ciculation aisée. Cette région aux pentes fortes et
aux sols squelettiques fut, jusqu’à la fin des années 1970,
un pays de petits paysans. Les paysages de terrasses et d’arboriculture
fruitière sont les vestiges d’un labeur séculaire qui appartient
désormais au passé, tandis que les dépressions intramontagneuses
comme celle de Grenade sont le lieu d’une très ancienne irrigation.
Enfin, l’étroit littoral méditerranéen bénéficie
d’un climat d’abri aux hivers doux et ensoleillés. Ces avantages
furent mis à profit pour pratiquer des cultures tropicales comme la canne
à sucre ou les anones et, plus récemment, pour développer
le tourisme international à l’ouest de Málaga (Costa del
Sol) ou l’agriculture intensive de contre-saison (Campo de Dalías
et région d’Almería).
L’émigration d’une partie de la population fut longtemps
la seule réponse à la misère et au chômage saisonnier.
Dans les années 1950, elle fut dirigée vers les grandes agglomérations
espagnoles: Bilbao, Madrid, et, surtout, Barcelone. L’Andalousie enregistrait
alors un fort excédent des naissances sur les décès. À
partir des années 1960, l’exode s’étendit hors des
frontières, à destination de l’Allemagne, de la France et
de la Suisse. Depuis le milieu des années 1970, ces flux se sont taris
et, malgré la diminution considérable des taux de natalité,
la population a de nouveau augmenté. Mais, entre-temps, les campagnes
et les petites villes se sont dépeuplées. Seules les capitales
provinciales se sont accrues mais sans constituer une hiérarchie urbaine.
D’ailleurs, depuis le califat de Cordoue, l’Andalousie n’a
jamais eu de capitale. C’est à la suite de l’instauration
de l’autonomie que Séville est devenue le siège du gouvernement.
Elle ne parvient pas cependant à étendre son influence à
toute l’Andalousie. Toutefois, Séville a mis à profit l’organisation
de l’Exposition universelle de 1992 pour réaliser de grands travaux
d’urbanisme et entamer la réhabilitation d’un centre historique
très étendu, à la mesure d’un glorieux passé.
Les efforts déployés pour améliorer la navigation et pour
se prémunir contre les inondations amenèrent les ingénieurs
à recouper des méandres du Guadalquivir. Le dernier recoupement
en date, en 1982, semble avoir mis la ville définitivement à l’abri
des crues. On a ainsi une réserve foncière d’un demi-millier
d’hectares à proximité du centre-ville, rendant possible
la tenue de l’exposition, source de prestige et d’investissements.
Ce fut l’occasion d’obtenir des crédits de diverses origines
et de réaliser des améliorations considérables. Désormais
reliée à Cordoue et à Madrid par un train à grande
vitesse, équipée d’un réseau routier et autoroutier
important, Séville, dont l’agglomération atteint un million
d’habitants en 1992, a les moyens de remplir sa fonction de capitale de
l’Andalousie.
L’Andalousie fait son apparition dans l’art avec les plus impressionnants
dolmens que l’Ouest européen ait jamais construits, de l’Ibérie
aux rivages de la Baltique, en passant par l’Armor. Visitant les hypogées
géants d’Antequera, Le Corbusier se plaisait à rendre hommage
«à ses prédécesseurs». Il s’agissait
plus particulièrement des constructeurs de la «cueva de Menga»,
tombe de forme ovale, qui n’a pas moins de 25 m de long pour une largeur
maximale de près de 16 m, et de sa voisine, la tombe à tholos
«del Romeral».
L’art ibérique
Dès le début du premier millénaire avant J.-C. –
la fondation de Cadix date des environs de 1100 – les Phéniciens
firent entrer l’Andalousie, alors connue sous le nom de Tartessos, dans
leurs circuits commerciaux. Ils y achetaient le cuivre de Río Tinto et
l’étain venu des îles Britanniques. Vers 636, les Grecs fondaient
à leur tour leur première colonie à Mainakè, entre
les ports phéniciens de Malaca (Málaga) et de Sexi (Almuñecar).
Sous l’influence orientale naquit, probablement autour de Cadix et dès
le VIIIe siècle avant J.-C., l’art que nous appelons ibérique.
Il y eut dans le sud-est de l’Espagne et dans la vallée du Guadalquivir
des ateliers travaillant l’ivoire, l’argent, l’or et le bronze,
pour la production de vases et de bijoux. Diverses trouvailles ont révélé
les trésors de Tartessos.
La découverte à Cadix d’un chapiteau proto-ionique, datant
de la fin du VIIe ou du début du VIe siècle, signifie que les
courants orientalisants s’exerçaient jusque dans le domaine de
l’architecture. Toutefois, l’influence de la Grèce semble
avoir été capitale pour la grande sculpture, tant dans le domaine
des représentations humaines que dans celui de l’art animalier.
Les premières sont surtout connues par des découvertes faites
dans le Levant. L’Andalousie, où l’on a cependant trouvé
la «dame assise» de Galera (Grenade), aujourd’hui au Musée
archéologique national de Madrid, a livré de préférence
des animaux: lions, taureaux et même louve allaitant ses petits. Pour
Martin Almagro, le génie artistique ibérique se montre ici très
manifestement influencé par le monde grec. Les plus anciennes de ces
œuvres ont dû être sculptées dès le Ve siècle
avant J.-C., mais, jusqu’à l’époque romaine, cet art
conservera un caractère archaïsant qui peut faire illusion.
De même les vases ibériques peints, si beaux et si nombreux, sont
inspirés par les vases grecs. «Apparue aux VIe et Ve siècles,
la céramique se borne dans ses débuts à disposer des motifs
géométriques, parfois riches et complexes comme ceux des amphores
de Galera (Grenade) et de Villaricos (Almería). À partir du IVe
siècle et surtout au IIIe, elle s’enrichit en créant les
types les plus célèbres, avec des animaux et des figures humaines
aussi expressifs que barbares (Martin Almagro).»
Après avoir conquis Cadix et toutes les villes puniques, les Romains
s’installèrent dans l’ancienne Tartessos, où ils fondèrent,
dès 206 avant J.-C., Itálica , tout près de l’actuelle
Séville. La romanisation de la province de Bétique fut rapide
et complète: Sénèque et Lucain virent le jour à
Cordoue; Trajan fut le premier empereur né en dehors de l’Italie.
La prépondérance des villes dans le domaine de la civilisation
explique qu’elles aient à peu près entièrement monopolisé
l’activité artistique. L’architecture romaine est une architecture
urbaine et de caractère universaliste.
Cordoue, la Colonia Patricia Corduba , capitale de la Bétique, dut posséder
une brillante parure artistique, mais d’autres créations urbaines
sont venues à toutes les époques se superposer aux ruines romaines,
situées à quatre ou cinq mètres au-dessous du niveau du
sol actuel.
Des cités de moindre importance ont mieux conservé les vestiges
de leur passé romain. Il s’agit parfois d’enceintes et de
tours, comme à Carmona qui, au dire de César, était la
ville la plus forte de la Bétique; à Ilipa (Alcalá del
Río, au nord de Séville); à Baelo (Bolonia, entre Cadix
et Tarifa), une fondation de l’empereur Claude; à Osuna, datant
peut-être de la fin de la République.
De même que les théâtres, les amphithéâtres
romains d’Espagne se trouvaient surtout en Bétique et ils dataient
de la fin du Ier siècle. Celui de Carmona, situé entre la cité
et sa vaste nécropole, ne mesurait pas moins de 100 m dans son axe principal,
Itálica , promue au rang de cité par Hadrien, sous le nom de Colonia
Aelia Augusta , avait un amphithéâtre plus vaste encore et comparable
aux plus imposants d’Italie. Quant aux thermes, leurs vestiges sont innombrables.
La présence d’une bourgeoisie cultivée de propriétaires
terriens, de négociants et de magistrats explique que les découvertes
de sculptures aient été plus nombreuses en Bétique que
dans les autres provinces romaines d’Espagne, notamment en ce qui concerne
les œuvres hellénistiques, que l’aristocratie collectionnait.
Les statues et les mosaïques provenant d’Itálica sont allées
enrichir le Musée archéologique de Séville, lorsqu’elles
n’ornent pas les palais patriciens (Casa de Pilatos, Casa de la Condesa
de Lebrija).
L’art chrétien jusqu’à l’invasion arabe
Tout en devenant l’un des centres de diffusion du christianisme, l’ancienne
Bétique manifesta une fidélité remarquable à la
culture antique. L’occupation de l’ensemble de ses côtes par
les Byzantins, à partir de 555, contribua à ce sauvetage. Après
la conversion des Wisigoths au catholicisme (589), Séville – l’antique
Hispalis , qui grandit au détriment d’Itálica – devint
le grand centre intellectuel de leur royaume et elle le demeura au moins jusqu’à
la mort de saint Isidore (636).
Pour illustrer les relations artistiques avec Byzance, on dispose de deux sarcophages
datant probablement du Ve siècle: le plus beau se trouve dans l’église
de la Santa Cruz, à Ecija. Durant la période suivante, de nombreux
chapiteaux, des pilastres et des fragments de chancels permettent de suivre
l’évolution de la sculpture monumentale, ainsi que du décor
du mobilier d’église. Malheureusement, l’étude de
nombre de ces pièces a été rendue difficile par leur réemploi
dans des édifices postérieurs. Enfin, la plupart des monuments
de l’époque ayant disparu, il est difficile de porter un jugement
sur le développement architectural.
La conquête de la majeure partie de l’Espagne par les musulmans,
en 711, et surtout l’installation à Cordoue d’‘Abd
al-Rahman, dernier descendant de la famille califale des Omeyyades de Syrie,
imprimèrent à l’histoire de l’art dans l’ancienne
Bétique une orientation toute nouvelle: un art musulman d’Espagne
allait naître. ‘Abd al-Rahman apportait avec lui la nostalgie de
sa Syrie natale, pays doté depuis longtemps d’une tradition urbaine
et d’une civilisation brillante, que les siens avaient entretenues à
Damas. À l’instar de ses ancêtres, il se voulut un mécène,
notamment dans sa capitale.
Son œuvre essentielle fut la construction d’une nouvelle mosquée
entre 785 et 788. Considérablement accrue par ses successeurs, cette
œuvre ne représente que l’angle nord-ouest du bâtiment
actuel; elle n’en demeure pas moins le premier édifice important
de l’Islam en Espagne et son style fut respecté dans les agrandissements
ultérieurs. Elle se caractérise par l’existence de onze
nefs de douze travées perpendiculaires au mur de la qibla et, en élévation,
par la superposition de deux rangées d’arcades polychromes, au-dessus
de colonnes et de chapiteaux réemployés. On peut y voir à
la fois l’influence des basiliques chrétiennes à nefs multiples
et des aqueducs romains d’Espagne. Tous les traits de ce chef-d’œuvre
furent imités par le calife ‘Abd al-Rahman II lorsque, en 848,
il ajouta huit travées aux douze anciennes.
Cordoue, capitale du califat
En 929, ‘Abd al-Rahman III (912-961) se fit proclamer calife et réunit
ainsi entre ses mains le pouvoir politique et l’autorité religieuse.
Alors commence pour l’Espagne musulmane la période la plus brillante
de son histoire. Cordoue est la ville la plus peuplée d’Occident,
comparable seulement aux opulentes cités orientales de Constantinople,
de Damas et de Bagdad.
Afin d’accroître son prestige, le calife s’entoure d’une
cour nombreuse, dotée d’un cérémonial compliqué,
pour laquelle il fit construire à Madinat al-Zahra’, à 5
km au nord-ouest de Cordoue, un immense palais, qui était en même
temps la ville du gouvernement. Abandonnée dès 1013, détruite
de fond en comble lors des guerres qui provoquèrent la chute du califat,
pillée à plusieurs reprises, Madinat al-Zahra’ servit ensuite,
et pendant des siècles, de carrière. Cependant, les fouilles pratiquées
sur son emplacement, et accompagnées de nos jours par une œuvre
patiente de restauration, permettent à l’imagination de faire revivre
ce palais des Mille et Une Nuits. Déroutant au premier abord, le plan
comprend, comme il arrive souvent dans les demeures de type oriental, des constructions
distribuées autour de patios. Un soin tout particulier avait été
accordé à la salle de réception qu’on est en train
de relever en utilisant les anciens éléments sculptés.
Des revêtements en pierre et en marbre couvraient en effet d’immenses
étendues; ils représentent les origines d’une décoration
architecturale, qui se développera largement par la suite dans l’art
hispano-mauresque.
À Cordoue même, ‘Abd al-Rahman III fut l’auteur de
plusieurs constructions importantes et notamment du minaret (945) voisin de
la porte du Pardon, qui constitue le noyau du clocher actuel.
Madinat al-Zahra’ fut le berceau de l’art du califat, tel qu’il
se développa sous le règne du fils et successeur d’‘Abd
al-Rhaman III, le calife al-Hakam II (961-976). Sans négliger l’œuvre
de son père, qu’il embellit encore de façon considérable,
celui-ci s’intéressa plus spécialement à la grande
mosquée de Cordoue, devenue insuffisante pour la population toujours
croissante de la ville.
L’adjonction nouvelle, d’une profondeur de douze travées,
se fit encore en direction du sud et atteignit les rives du Guadalquivir. Jusque-là,
on s’était borné à marquer l’importance de
la nef centrale conduisant au mihrab en lui attribuant une largeur supérieure
à celle des autres. L’architecte d’al-Hakam II ajouta des
coupoles à ses extrémités et deux coupoles supplémentaires
s’élevèrent devant les portails qui encadrent le mihrab.
Les parties du monument ainsi mises en valeur reçurent un riche décor
de mosaïques et de sculptures, où se combinent dans un savant éclectisme
les traditions locales, les influences de l’Orient abbasside et les apports
byzantins.
Un dernier agrandissement de la mosquée (987) fut réalisé
par al-Mansur, qui gouverna pendant une trentaine d’années à
la place d’un calife incapable. Mais il s’agit d’une construction
hâtive et peu soignée, juxtaposant en direction de l’est
huit nefs aux onze précédentes.
Peu après la mort d’al-Mansur, survenue en 1002, le califat de
Cordoue sombra dans l’anarchie et le pouvoir s’éparpilla
entre les mains des reyes de taifas , les rois des clans, qui se partagèrent
son territoire. Ces roitelets locaux eurent pour ambition de se présenter
en héritiers des califes sur le plan artistique. Ainsi en fut-il des
‘Abbadides de Séville et des Zirides de Grenade.
À deux reprises cependant, des dynasties originaires d’Afrique,
celles des Almoravides et des Almohades, rétablirent une unité
de l’Espagne musulmane, à l’intérieur d’un État
comprenant également une partie importante de l’Afrique du Nord.
Dans cet empire, l’art hispano-mauresque poursuivit son évolution
à la fin du XIe siècle et au cours du XIIe siècle. C’est
en Afrique qu’on trouvera la plupart de ses créations essentielles.
Quelques-unes existent cependant à Séville qui devint la résidence
de Yusuf (1163-1184), second souverain almohade.
Élevés au moment où l’empire almohade atteignait
son apogée, les édifices musulmans de Séville étaient
d’une très haute qualité. La grande mosquée, construite
sur l’emplacement d’une mosquée omeyyade, devait rivaliser
avec celle de Cordoue. Elle a malheureusement été à peu
près entièrement détruite après la Reconquête
pour faire place à la cathédrale actuelle. La construction du
minaret – la célèbre Giralda – ne fut ordonnée
qu’en 1184. Extérieurement, avec ses panneaux d’entrelacs,
elle constitue un bel exemple du «style large», caractéristique
du décor hispano-mauresque à l’époque almohade.
Tout près de la grande mosquée, se dressait l’Alcazar, à
la fois citadelle et palais royal. Il ne subsiste de l’époque que
le petit patio dit del Yeso . Le port, qui s’étendait entre l’enceinte
– dont quelques pauvres restes se voient près de la porte de la
Macarena – et le Guadalquivir, était gardé par la monumentale
tour de l’Or.
C’est dans l’architecture militaire que les vestiges de l’occupation
almohade sont les plus nombreux en Andalousie où ils comprennent des
enceintes, des tours et des barbacanes.
L’architecture nasride à Grenade
Les appels répétés à l’Afrique n’avaient
pu freiner de manière durable les progrès de la Reconquête.
La bataille de Las Navas de Tolosa, en 1212, signifia la condamnation à
terme de l’Islam ibérique, qui ne se maintint que dans le bassin
supérieur du Guadalquivir et sur la côte méditerranéenne,
de Gibraltar à Almería, grâce à une tolérance
chrétienne accordée à l’émir Muhammad Ier,
de la famille des Nasrides. Dans ce refuge des derniers rois des taifas , un
art musulman allait se maintenir pendant deux siècles et demi.
La manifestation la plus caractéristique de cette floraison d’art
est constituée par les constructions de l’Alhambra, al-Qal ‘at
al-Hamra’ , la «citadelle rouge». À l’intérieur
d’une enceinte pittoresque, dont les tours abritent une série de
résidences de plaisance luxueusement ornées – tours du cabinet
de la Reine, du Partal (ou portique) de la Captive et des Infantes – deux
palais furent successivement construits par les souverains les plus connus de
Grenade: Yusuf Ier et Muhammad V.
Le plan du premier ne s’écarte pas de la tradition architecturale
musulmane. Ses bâtiments sont disposés autour d’une longue
cour rectangulaire, presque entièrement occupée par un vaste bassin
bordé de myrtes: d’où vient son nom de patio de la Alberca
(du Bassin) ou de los Arrayanes (des Myrtes).
Après avoir achevé le palais de son père, en lui donnant
une façade sur un patio à l’ouest de la cour des Myrtes
– patio del Cuarto Dorado – Muhammad V entreprit de bâtir
le sien propre, dans l’angle formé par cette cour des Myrtes et
par les thermes de l’Alhambra. Il adopta le parti oriental du riadh ,
le jardin encadré d’architecture. Les diverses salles – des
mouqarnas («stalactites»), des Rois, des Abencérages et des
Deux-Sœurs – prennent jour sur des galeries d’une finesse aérienne.
Leur décor est une véritable féerie, grâce à
de savants effets de perspective qui fragmentent l’espace à l’infini,
aussi bien qu’à la complexité du décor où
se dissolvent les surfaces et à l’amour du pittoresque. On peut
y voir le feu d’artifice final d’un art qui est arrivé à
l’extrême aboutissement de ses moyens.
Un chef-d’œuvre un peu plus ancien est constitué par le petit
palais du Généralife, que les Nasrides possédaient sur
la hauteur qui avoisine l’Alhambra au nord-est. Par les qualités
de son site, l’abondance de ses eaux et la richesse de sa végétation,
il combine tous les attraits d’une superbe résidence d’été.
Mais l’Alhambra n’était qu’une faible partie de Grenade,
et dans cette métropole de l’Espagne musulmane à son déclin,
dont la population était gonflée par le flot des réfugiés
venus des provinces reconquises par les chrétiens, bien d’autres
monuments affirmaient la survie de l’art hispano-mauresque. Dans l’Albaicin,
quartier aujourd’hui déchu, mais qui avait à l’époque
un peuplement aristocratique, on peut citer les restes du petit palais dit Casa
de la Reina et la cour de la mosquée, qui a été remplacée
par la collégiale San Salvador. Dans le reste de la ville, d’autres
monuments illustrent les rapports entretenus par la Grenade nasride avec l’Islam
oriental: les ruines très restaurées d’une medersa , un
ancien ermitage (rabita ) transformé en église chrétienne
(San Sebastián), enfin un funduq , ou caravansérail connu sous
le nom de Corral del Carbón .
En dehors de Grenade, Ronda et Málaga évoquent avec brio les dernières
manifestations de la civilisation musulmane en terre d’Espagne.
La conquête de la basse Andalousie par saint Ferdinand n’avait
pas entraîné la disparition de l’art musulman. Il s’y
maintint, grâce à d’importantes colonies de mudéjars
, c’est-à-dire de musulmans soumis.
L’art mudéjar se présente sous deux aspects. Le plus souvent
il s’agit d’œuvres liées à des techniques artistiques,
dont les musulmans avaient gardé le monopole: on peut parler de mudéjar
populaire. Dans un certain nombre de cas, moins nombreux, les souverains prirent
à leur service des artistes venus de Grenade, qui élevèrent
des monuments comparables à ceux de la capitale nasride. Pour qualifier
cet art, Élie Lambert a proposé de parler de mudéjar de
cour.
Les travaux les plus importants de ce style furent réalisés dans
l’Alcazar de Séville sur l’ordre du roi Pierre le Cruel (1350-1369),
sans doute par des artistes envoyés par son ami l’émir Muhammad
V, auxquels se joignirent des mudéjars de Séville et de Tolède.
L’œuvre ne saurait rivaliser avec ses modèles grenadins, à
cause des restaurations multiples et pas toujours très heureuses qu’elle
subit du XVIe au XIXe siècle. Le même style caractérise
aussi la synagogue de Cordoue, édifiée sur un plan à peu
près carré par Isaac Mejeb en 1314 ou 1315.
À côté des monuments qui appartiennent à l’art
aristocratique et qui reflètent fidèlement l’évolution
générale de l’architecture hispano-mauresque dans ses formes
les plus parfaites, la masse des œuvres musulmanes fut exécutée
uniquement par des artistes locaux. On peut distinguer deux foyers principaux
en Andalousie: Cordoue, où l’art mudéjar procède
de traditions califales, et Séville, où il s’inspire de
motifs almohades.
La chute de Grenade (2 janv. 1492) détermina pendant un bref moment une
faveur toute spéciale de l’art mudéjar. À Séville
surtout, où l’on construisit dans ce style le Palacio de las Dueñas
et la merveilleuse demeure de la famille Ribera, plus connue sous le nom populaire
de Casa de Pilatos . Mais il ne s’agit que d’un feu de paille. Les
Capitulations de Grenade, qui avaient garanti aux musulmans la liberté
de leur culte, ne tardèrent pas à être violées. L’Espagne,
politiquement unie sous l’autorité des Rois Catholiques, entreprit
de parfaire cette œuvre, en établissant l’unité de
foi.
L’art gothique
La prédilection marquée par saint Ferdinand et ses successeurs
pour Séville, où ils résidaient volontiers, y avait favorisé
le développement de l’art gothique. On multiplia dans ce style
les constructions civiles, que ce soit le Torreón de Don Fadrique , vestige
du palais où habita le frère puîné du roi Alphonse
le Sage, ou les importants édifices qui s’insèrent curieusement
dans l’Alcazar, entre la partie almohade et le palais mudéjar de
Pierre le Cruel. Dans l’architecture religieuse, l’édifice
le plus représentatif fut d’abord l’église de Santa
Ana, au faubourg de Triana.
La pénétration gothique inspira de manière durable l’usage
de certains éléments architecturaux, comme la voûte d’ogives
sur les absides, les portails en arc brisé à multiples ressauts
(l’église de Omnium Sanctorum ) et les baies à lancettes,
qui furent même adoptées par l’art mudéjar. Surtout
elle provoqua la construction, à partir de 1402, d’une immense
cathédrale, dont le caractère méridional est souligné
par les grandes horizontales des toitures.
Dès la fin du XVe siècle, l’Andalousie participe de la
manière la plus directe à toutes les entreprises qui vont créer
la puissance de l’Espagne moderne. Une activité intense et multiforme
exalte les énergies et favorise l’épanouissement des personnalités.
L’art bénéficie des conditions les plus favorables et son
développement s’opère dans des centres créateurs,
puissants et dynamiques.
L’architecture et la sculpture à Grenade
Le départ fut donné à Grenade, aussitôt après
la Reconquête. Les Rois Catholiques marquèrent pour cette cité
ardemment désirée une prédilection qui ne se démentit
jamais. C’est là que la reine Isabelle reçut Colomb et lui
accorda son appui. C’est également dans cette ville chère
à leur cœur qu’elle et son mari voulurent reposer.
Rapidement, les meilleurs artistes du royaume furent appelés. Enrique
Egas, l’architecte officiel, à qui fut confiée la construction
de la chapelle royale (1506-1521), est encore un homme du passé. Sa chapelle
ne diffère pas des églises monastiques de la fin de l’époque
gothique. Pour l’hôpital royal, il reprend le plan cruciforme qu’il
avait déjà utilisé à Saint-Jacques-de-Compostelle
et à Tolède.
Une phase de style plus avancé commence en 1515, avec l’arrivée
de Diego de Siloé. Ce fils du sculpteur Gil de Siloé s’était
formé à Tolède et il résume les conquêtes
du premier art plateresque, création charmante des débuts de la
Renaissance espagnole. Son ambition de bâtir comme les Romains trouva
matière à s’exercer, moins dans le fastueux monastère
des Hiéronymites, où il adapta un décor italien à
des structures encore gothiques, que dans la cathédrale, dont il dirigea
le chantier à partir de la mort d’Egas, survenue en 1526. Son prédécesseur
l’avait conçue comme une réplique de la cathédrale
de Tolède. Il en fit une œuvre foncièrement originale et
profondément attachante. Sans doute son art bénéficia-t-il
de l’émulation entretenue à Grenade par la présence
de grands sculpteurs: l’Italien Iacopo di Pietro, dit l’Indaco (1520-1526),
compagnon de Michel-Ange, et le Français Philippe Biguerny, qui intervint
dans la réalisation du retable de la chapelle royale. Il fut aussi le
collaborateur du grand Bartolomé Ordóñez, dont le chef-d’œuvre,
le tombeau de Philippe le Beau et de Jeanne la Folle, est solennellement exposé
aux regards à côté de celui des Rois Catholiques, une œuvre
du Toscan Francelli.
L’œuvre de Siloé fut considérable à Grenade,
où il exécuta de nombreux portails et le très beau patio
de la Chancillería , ainsi que dans la région. Il donna notamment
les plans de San Salvador de Úbeda et des églises de Iznalloz
et de Montefrío. Son art fut propagé par Andrés de Vandelvira
(1509-1576), dont le chef-d’œuvre, la cathédrale de Jaén,
représente, avec celles de Grenade et de Málaga, l’une des
créations les plus importantes de la Renaissance, en Andalousie. Le maître
intervint plus particulièrement dans les constructions de deux autres
villes pittoresques de la haute Andalousie: Úbeda, où il travailla
à San Salvador, à divers palais et à l’hôpital
de Santiago; et Baeza, à la cathédrale et au couvent de San Francisco.
À Grenade, où les Rois Catholiques avaient établi leur
sépulture, Charles Quint voulut résider. Il choisit le site de
l’Alhambra, conservé et entretenu comme un trophée de victoire,
dont le charme l’avait conquis. La construction du nouveau palais, confiée
à Pedro Machuca, représente le sommet de la Renaissance dans la
ville. Cette œuvre ne garde que peu de traces de la tradition hispanique:
il convient d’y voir un hommage à l’Italie. Le tracé
circulaire de la cour intérieure affirme clairement le retour à
un type de plan d’origine antique, qui avait déjà retenu
l’attention de Bramante. Quant à l’élévation,
elle appartient aux palais romains, dessinés par le même Bramante
et par Raphaël.
Cependant, la principale bénéficiaire de la découverte
de l’Amérique et de l’exploitation de ses richesses fut Séville,
qui fut dotée par les Rois Catholiques du monopole du trafic avec les
Indes. L’apport de la Renaissance est sensible dans l’Alcazar et
dans la cathédrale. Si le gigantesque retable de la Capilla mayor , commencé
en 1482 par le Flamand Pieter Dancart et continué durant le XVIe siècle
par divers artistes, est un exemple de mélange de styles, la grande sacristie
et la chapelle royale représentent deux manifestations importantes de
l’art plateresque: empreint d’élégance dans le premier
cas, plus lourd dans le second.
Ce même style est encore illustré par les Casas consistoriales
, une œuvre raffinée de Diego de Riaño, architecte savant
qui sut utiliser avec adresse le répertoire décoratif lombard.
Le grand hôpital de la Sangre ou des «Cinq Plaies», d’abord
conçu par Martín Gainza sur le modèle cruciforme introduit
en Espagne par Enrique Egas, représente au contraire une réaction
dans le sens d’un art plus dépouillé. On arrive à
la perfection classique avec le bâtiment de la Casa de Contratación
, chambre de commerce chargée de la direction du commerce colonial. Philippe
II en demanda les plans à Juan de Herrera. Renonçant aux belles
salles à colonnes des loges marchandes levantines, l’architecte
de l’Escorial imagina un sobre palais dont toute la qualité repose
sur le respect des proportions. L’exécution en fut assurée
par son disciple Juan de Minjares.
La peinture
Longtemps indifférente aux recherches picturales, aisément satisfaite
durant l’époque gothique, d’abord par le charme archaïque
de l’art byzantin connu à travers l’Italie, puis par le pittoresque
flamand, l’Andalousie, qui ne sut pas retenir le grand Bartolomé
Bermejo, ne fait vraiment son entrée dans le domaine de la peinture qu’avec
Alejo Fernández. Celui-ci, d’origine nordique, épousa la
fille d’un peintre local et s’installa à Séville,
où sa réputation grandit avec la cité. Dans un style grave
et même mélancolique, il incarna la grâce andalouse avec
la Vierge à la rose de Santa Ana et il célébra les marins
et les marchands de Séville dans la belle Vierge des navigateurs de l’Alcazar.
Par suite, divers peintres maniéristes nordiques – le Bruxellois
Pierre de Kempeneer (Pedro de Campaña, 1505-1578), le Hollandais Storm
– furent attirés par le marché sévillan de peintures
qui fournissait, outre la clientèle locale, celle des colonies d’Amérique.
Cependant, durant la seconde moitié du XVIe siècle, la relève
put être assurée par des peintres andalous formés à
l’école de l’Italie: le Sévillan Luis de Vargas (1502-1568)
et le Cordouan Pablo de Céspedes (1538-1608).
Au XVIIe siècle, l’Espagne accumule les désastres militaires,
qui réduisent à néant son rôle de grande puissance.
À l’intérieur, une crise économique et financière
a des conséquences encore plus funestes. L’appauvrissement du pays
paralyse la construction et réduit le nombre et l’importance des
chantiers. Dans ces circonstances difficiles et souvent tragiques, l’Église
assume à peu près seule le mécénat artistique. Encore
doit-elle réduire considérablement son activité dans le
domaine architectural durant la première moitié du siècle.
Le principal chantier fut alors celui de l’hôpital de la Charité,
à Séville, fondé par le célèbre pénitent
Miguel de Mañara. Une reprise ne s’opère réellement
qu’après 1650. Alors se définissent les caractères
de légèreté et de luminosité de l’architecture
baroque andalouse, tels qu’ils s’épanouiront à la
fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle.
Deux grandes entreprises annoncent ce renouveau: la façade de la cathédrale
de Grenade, d’une simplicité toute classique, par Alonso Cano (après
1664) et celle de la cathédrale de Jaén, beaucoup plus élaborée,
par Eufrasio López de Rojas (après 1667). Mais on retiendra surtout
les noms de deux architectes, qui furent aussi des décorateurs de qualité:
Leonardo de Figueroa (des environs de 1650 à 1730) et Francisco Hurtado
(1669-1725).
Bien qu’il fût originaire d’Utiel, près de Cuenca,
le premier exerça ses talents à Séville. Avec beaucoup
de goût et d’ingéniosité, il sut tirer d’heureux
effets de polychromie de l’emploi de la brique. Un exemple particulièrement
réussi de cette architecture est fourni par l’hôpital des
Venerables Sacerdotes du chanoine Justino de Neve, dont Figueroa dirigea la
construction à partir de 1687. Cependant, l’influence italienne
se marque sur la plupart des réalisations de l’architecte, comme
la majestueuse collégiale du Salvador ou San Luis, l’église
du noviciat des jésuites. Plus tard, il s’engagea à construire
le grand cloître de la Merci, aujourd’hui musée des Beaux-Arts,
et il fit accomplir des progrès décisifs à l’œuvre
du palais de San Telmo, un des sommets de l’architecture baroque de Séville,
qui reprend en l’amplifiant le rythme de la Lonja (1724-1734).
Francisco Hurtado travailla surtout à Grenade, où il est l’auteur
du Sagrario de la chartreuse (1702) et de celui de la cathédrale (1704).
Bénéficiant du rôle privilégié accordé
à l’image par la Réforme catholique, la sculpture connaît
une activité intense. Elle apparaît très différente
de ce qu’elle était au Moyen Âge. Son rôle était
alors d’instruire et elle se voulait narrative. Désormais, elle
doit émouvoir. Les personnages sont traités pour eux-mêmes.
On multiplie les statues isolées et on affirme la personnalité
des figures qui entrent dans la composition des retables ou qui sont portées
pendant les processions de la semaine sainte.
La sculpture andalouse manifeste alors un goût très vif pour l’observation
exacte de la réalité et pour l’exécution réaliste.
On trouve dans cette tendance l’origine de sa préférence
pour le bois polychrome, qui permet de faire plus vrai.
Le génie de l’école sévillane, Juan Martínez
Montañés (1568-1649), fut célébré par ses
contemporains comme le «dieu du bois» et la postérité
a ratifié cette consécration. Il réalisa le passage de
la Renaissance au réalisme, au cours d’une évolution qui
est marquée par le Christ de la clémence de la cathédrale
(1603), par le retable de l’ancien couvent hiéronymite de San Isidoro
del Campo à Santiponce (1609-1613) – non loin des ruines d’Itálica
– et par l’Immaculée Conception de la cathédrale (1630).
Il fut le maître de Juan de Mesa, l’auteur de quelques-unes des
statues les plus célèbres et les plus vénérées
de Séville.
À Grenade, la place de Martínez Montañés fut tenue
par un sculpteur de moindre talent: Alonso de Mena (1587-1622). La ville bénéficia,
à partir de 1652, de l’activité d’Alonso Cano, non
moins remarquable sculpteur qu’architecte. Le principal disciple de Cano,
Pedro de Mena, le fils d’Alonso, transporta son atelier à Málaga,
en 1658, pour y terminer la décoration du chœur de la cathédrale.
Il allait devenir l’un des sculpteurs les plus sollicités d’Espagne.
Par un curieux décalage entre l’art et l’histoire, qui a
été maintes fois signalé, c’est au XVIIe siècle
seulement que la peinture andalouse connut son véritable âge d’or,
grâce surtout à l’éclatante fécondité
de Séville.
Très rapidement, l’école était parvenue à
la maturité, moins par l’action de Pacheco (1564-1654), qui fut
surtout le théoricien de l’Arte de la Pintura , que grâce
au talent de Juan de las Roelas (vers 1560-1625). Ce peintre, encore trop peu
connu, sut établir une sorte de correspondance entre ses affinités
vénitiennes et les grâces andalouses (Saint Jacques chargeant les
Maures à la bataille de Clavijo, à la cathédrale de Séville;
Martyre de saint André et Mort de saint Isidore , au musée de
la ville).
C’est ensuite l’apothéose marquée par quatre tempéraments
d’artistes de tout premier ordre: Francisco Herrera le Vieux (1576?-1656),
Velázquez (1599-1660), Zurbarán (1598-1664), Alonso Cano (1601-1667).
Le plus doué de tous, Velázquez, quitta cependant Séville,
dès 1623, pour devenir le premier peintre du roi.
Herrera représente la violence et l’audace. Alonso Cano, plus traditionnel
dans son œuvre de peintre, doit à sa formation d’architecte
son amour des belles formes. Zurbarán apprit son métier à
Séville, mais il a conservé un tempérament d’Estrémadurien,
qui s’exprime par une simplicité candide, rustique, volontiers
archaïsante, ainsi que par une tendance à la contemplation. Les
cycles monastiques, réalisés pour des couvents de Séville
entre 1626 et 1631, assurèrent sa gloire et, après un séjour
à Madrid, son activité gagna toute l’Andalousie (ensemble
de la chartreuse de Jerez de la Frontera, dont une partie se trouve au musée
de Grenoble).
Zurbarán fut le peintre des moines, dont il excella à fixer les
visages et les costumes et auxquels il fournit de vastes cycles narratifs, consacrés
à leurs gloires et à leurs saints. Il a également laissé
un nombre impressionnant de figures de jeunes saintes, altières, richement
vêtues, qui s’avancent sur un pas de procession en portant leurs
attributs. Ses images de piété comprennent aussi des scènes
de martyres traitées avec discrétion, des images de l’Immaculée,
des Enfances de Jésus et de Marie. L’esprit moderne apprécie
également dans son œuvre l’amour des choses, qui transparaît
dans la représentation d’objets familiers.
La génération suivante, dominée par Murillo (1618-1682)
et Valdés Leal (1622-1690), offre la même variété
et la même richesse. Pour reprendre la terminologie de M. Paul Guinard,
l’un est le «baroque de la grâce», l’autre le
«baroque de la violence». Ils sont d’ailleurs d’une
importance inégale. La gloire de Murillo rayonna sur l’Espagne
entière, parce que l’époque se retrouvait dans son œuvre,
à la fois en ce qu’elle a de meilleur – la gentillesse et
la spontanéité – et dans ce qu’elle a de pire –
la religiosité fade. Ces caractères se révèlent
à Séville dans la suite des vingt-deux tableaux des Capucins (au
musée) et dans le cycle de l’hôpital de la Charité.
La réputation de Valdés Leal, d’abord régionale,
a grandi par la suite. Aussi inégal que Murillo, il est souvent emphatique
et ennuyeux, mais il sait aussi éblouir. L’ensemble principal qui
se trouve dans l’église des Carmes de Cordoue (la Magdelena ) sera
complété à Séville par les tableaux du musée
et les célèbres Fins dernières de l’hôpital
de la Charité.
Le début du XVIIIe siècle vit la décadence de Séville.
L’ensablement du Guadalquivir lui fit préférer Cadix, comme
siège de la «Casa de Contratación de Indias» (1717).
Trois ans plus tard, on commençait dans cette dernière ville la
construction d’une vaste cathédrale, dont les plans furent donnés
par Vicente Acero. Celui-ci prit comme modèle le chef-d’œuvre
de Diego de Siloé à Grenade, mais simplifiant, rectifiant, recomposant,
il l’interpréta dans un esprit tout nouveau.
Le même architecte paraît avoir introduit l’art «rococo»,
avec le dessin de la façade de la cathédrale de Guadix. L’Andalousie
y découvrit un mode d’expression convenant à son goût
traditionnel pour le décor libre et exubérant. Ce fut, en fait,
son dernier style régional. On croit voir renaître l’inspiration
des décorateurs hispano-mauresques dans les stucs de la sacristie de
la chartreuse de Grenade (1747-1762). Mais le déploiement du faste «rococo»
s’effectua surtout dans les petites villes de la province, qui bénéficièrent,
au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, de la prospérité
matérielle développée par la politique économique
du roi Charles III. Des centres comme Priego, Lucena, Utrera, Estepa, Ecija
se réveillèrent, pour un temps, d’un sommeil séculaire
et retinrent les meilleurs architectes et décorateurs.
Quant à Séville, dépouillée de son rôle de
direction, elle se borne alors à perpétuer le passé, soit
qu’elle s’inspire une dernière fois de l’exemple de
la Lonja pour édifier la monumentale Manufacture des tabacs (1725-1765),
soit que ses peintres développent leur art sous le double signe de Murillo
et de Valdés Leal._________________________________________________________________
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