SÉVILLE


Bien que située à 120 kilomètres de l’océan Atlantique, Séville eut toujours son destin étroitement uni à la mer. Dès l’Antiquité, Hispalis exporte vers Rome l’huile d’Andalousie. Son importance ne pouvait cependant être comparée à celle de la cité toute voisine d’Italica, dont les dépouilles viendront, au moment de la Renaissance, embellir les riches demeures des patriciens sévillans.


À l’époque wisigothique, Séville émerge nettement et devient la métropole religieuse de la Bétique. Son évêque, Léandre, réussit fort habilement à négocier la conversion du roi Reccarède au catholicisme, préparant ainsi l’unification du royaume. La ville devient aussi un centre de haute culture religieuse et profane, qu’évoque le nom d’Isidore de Séville, véritable gloire intellectuelle du VIIe siècle. Les Umayyades lui préfèrent Cordoue comme capitale d’al-Andalus, mais, dès l’époque des reyes de Taifas , à partir des Abbadides, par conséquent, puis sous les Almoravides et les Almohades, Séville supplante sa rivale par son activité industrielle et commerciale. Les bateaux remontent le Guadalquivir directement jusqu’à une cité qui devient célèbre par ses industries de luxe.


On comprend que l’Almohade ‘Abu Ya ‘qub Yusuf (1163-1184) en ait fait la capitale péninsulaire de son empire. Il consacra, de même que son fils, Ya ‘qub al-Mansur, des sommes considérables à l’embellir. Alors sont mis en place quelques-uns des monuments célèbres qui caractérisent le paysage urbain sévillan: la Giralda, minaret de la grande mosquée, qui devient plus tard le clocher de la cathédrale, et la tour de l’Or, petite forteresse établie sur la rive gauche du Guadalquivir au point où une extrémité du rempart rejoint le fleuve. Un pont de bateaux est lancé et des quais construits.


Après la reconquête chrétienne survenue en 1248, les rois de Castille, qu’il s’agisse de saint Ferdinand — qui y mourut en 1252 — ou d’Alphonse le Sage, se montrèrent aussi sensibles que les souverains africains aux séductions de Séville. Au siècle suivant, Pierre le Cruel (1350-1369) se fixe dans l’Alcázar, dont il ordonne la reconstruction par des architectes musulmans, sans doute venus de Grenade. Il existe en effet, entre le palais sévillan et ceux de l’Alhambra, les plus étroites parentés. En 1402, on ouvre le chantier de l’immense cathédrale: il demeurera actif jusqu’à la fin du Moyen Âge. La ville demeure donc un foyer d’art et un centre de culture. C’est aussi une capitale économique, reliée par la route aux grandes cités castillanes, dont le trafic se nourrit des ressources de la grande plaine vinicole et oléicole voisine, et que fréquentent les marchands étrangers, notamment italiens. Au début du XVIe siècle, la voici promue au rang de métropole mondiale. Comme l’a écrit Fernand Braudel, l’Amérique lui fut donnée pour plus de deux siècles. Elle obtint en effet le monopole du commerce avec le Nouveau Monde. Pour le gouvernement espagnol, regrouper ce commerce était le meilleur moyen de le contrôler. La plaine d’Andalousie, riche et fertile, s’offrait d’ailleurs pour nourrir la population qui allait se concentrer en cet endroit privilégié. Enfin, le choix de Séville s’explique par des raisons géographiques: “Le chemin d’Amérique est sous la dépendance des alizés et Séville est à la porte de ces mêmes alizés.”


Séville organise donc les flottes marchandes assurant le trafic entre l’Espagne et ses colonies: tous les bateaux partent de Séville et y retournent. En 1503 est établie la Casa de contratación (chambre de commerce) qui s’occupe de l’ensemble des questions relatives à l’Amérique (mouvement des navires, et également émigration et contrôle fiscal).
À Séville s’entassent les marchandises de toute origine. Là se constituent de grandes fortunes, mais il s’agit de fortunes spéculatives, menacées par les banqueroutes. “Dans cette république, écrit un auteur du XVIe siècle, un banquier prend en charge un monde; et il embrasse plus que l’Océan; mais parfois il étreint si mal que tout s’écroule avec lui.” De là résulte le caractère fiévreux, trouble et instable de la vie sociale du temps.
Dès la seconde moitié du XVIIe siècle s’amorce le déclin de la ville. Les causes en sont multiples. Les plus graves sont celles qui provoquent la décadence de l’Espagne. D’autres sont d’origine locale. L’ensablement des passes du Guadalquivir lui fait préférer Cadix comme siège de la Casa de contratación en 1717.


Au milieu du XIXe siècle, Séville vient juste après Madrid et Barcelone pour le montant de la contribution industrielle, et le pont de fonte inauguré par la reine sort des usines locales. Mais l’initiative passe alors aux hommes d’affaires catalans et basques. La guerre civile est l’occasion de l’implantation d’industries navales, aéronautiques, textiles, métallurgiques, par les nationalistes; mais celles-ci survivent difficilement et la création d’un pôle de développement en 1964 permet tout au plus d’enrayer ce déclin. Aussi, la bourgeoisie locale vit-elle plutôt du commerce, de la rente foncière et de l’administration.
Séville (659 100 hab. en 1991 et plus d’un million dans l’agglomération), capitale politique de l’Andalousie, est la quatrième ville d’Espagne. C’est un centre administratif et touristique; l’industrie est relativement diversifiée (agroalimentaire, chimie, faïence, textile, machines agricoles, armement, tabac). Son port est le plus important port intérieur d’Espagne (trafic de 2,6 Mt en 1993).
La ville accueillit en 1992 l’Exposition universelle axée sur le thème de la commémoration de 1492. De grands travaux furent accomplis à cette occasion, principalement afin de maîtriser le Guadalquivir: le recoupement du méandre de la Chartreuse en 1982 mit définitivement l’agglomération à l’abri des crues et permit de dégager une surface de 500 hectares proche du centre-ville (où se tint l’Exposition), et aussi d’améliorer le réseau de communications: réorganisation des voies ferrées, liaisons entre le centre et les banlieues, construction de plusieurs ponts. La réhabilitation méthodique des quartiers historiques, entreprise également, se poursuit.