"La plus générale de ces oppositions serait
peut-être celle du réel l'idéal, de ce qui est
ce qui devrait être. Ici encore la transposition pourra se
faire dans les deux directions inverses. Tantôt on énoncera
ce qui devrait être en feignant de croire que c'est précisément
ce qui est : en cela consiste l'ironie. Tant t, au contraire, on
décrira minutieusement et méticuleusement ce qui est,
en affectant de croire que c'est bien là ce que les choses
devraient être : ainsi procède souvent l'humour. L'humour,
ainsi d finie, est l'inverse de l'ironie. Elles sont, l'une et l'autre,
des formes de la satire, mais l'ironie est de nature oratoire, tandis
que l'humour a quelque chose de plus scientifique. On accentue l'ironie
en se laissant soulever de plus en plus haut par l'id e du bien
qui devrait être : c'est pourquoi l'ironie peut s'échauffer
intérieurement jusqu'à devenir, en quelque sorte,
de l'éloquence sous pression. On accentue l'humour, au contraire,
en descendant de plus en plus bas l'intérieur du mal qui
est, pour en noter les particularités avec une plus froide
indifférence. (…) L''humour affectionne les termes
concrets, les détails techniques, les faits précis.
Si notre analyse est exacte, ce n'est pas là un trait accidentel
de l'humour, c'en est, l o il se rencontre, l'essence même.
L'humoriste est ici un moraliste qui se déguise en savant,
quelque chose comme un anatomiste qui ne ferait de la dissection
que pour nous dégoûter ; et l'humour, au sens restreint
o nous prenons le mot, est bien une transposition du moral en scientifique.
Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique.
Chap. II