Photo : Jeannine et Jean-Baptiste Eyharts devant les maquettes d’Apollo
11 réalisées par leurs fils Léopold et Philippe. C.C-E
« J’étais partagée entre deux sentiments opposés,
la hantise que Léopold ne périsse dans l’explosion
de la fusée, et le bonheur de le voir réaliser ainsi son
rêve d’enfant », se remémore avec émotion
Jeannine Eyharts, alors qu’une décennie s’est quasiment écoulée
depuis ce 29 janvier 1998, quand elle assistait au décollage de
son fils vers la station MIR depuis Baïkonour (Kazakhstan). Quel contraste
avec sa vie très sédentaire ! Née à Arcangues,
elle grandit au château du Bosquet où son grand-père
paternel (M. Bourthayre) est passé du poste de cocher à celui
de régisseur, puis elle travaille aux côtés de ses
grands-parents maternels à l’épicerie du Chapelet, à quelques
centaines de mètres de là, avant d’en prendre la direction,
aidée de trois employés, puis de la mettre en gérance. « J’aurais
pu avoir un autre métier, mais je n’ai pas eu le choix. Pendant
des années, quatre générations ont cohabité dans
le logement contigu, et l’entente n’a pas toujours été évidente,
bien que les enfants n’aient jamais eu à en souffrir. » raconte-t-elle.
Son mari, Jean-Baptiste, voyageait pour deux et il regorge d’anecdotes.
Cadet de onze enfants, élevé dans la métairie insérée
dans les vestiges du château de Laxague à Ostabat, sa vie
est ballottée au rythme des guerres. Il fuit à 20 ans la
zone occupée en 1940. Transitant par Marseille pour gagner Casablanca,
il s’engage en 1941 dans l’armée aux côtés
des Marocains alors sous Protectorat français, puis avec les Américains
en 1942. En 1944, il accoste à Saint Tropez et combat jusqu’en
Allemagne. Sa famille le croyait mort, son père est décédé dans
l’intervalle, sa mère six mois après, les frères
prisonniers reviennent. Ayant pris goût au Maroc et appris la langue
arabe, il y retourne en 46-47, puis il est envoyé en Indochine en
49-50. Il profite d’une permission pour rendre visite à un
oncle vicaire à St Esprit et curé de l’église
Ste Thérèse dont la paroisse réunit les quartiers
de Biarritz la Négresse, Hydro et Chapelet à Arcangues :
il y rencontre Jeannine et l’épouse. Il repart en Afrique
du Nord jusqu’en 1962, date de l’indépendance de l’Algérie
et de son retour en France. Les deux fils, Philippe, né en 1954,
et Léopold, né en 1957, -ainsi que son épouse-, le
voient au rythme de ses permissions. En 1968, il accepte un poste de chef
de personnel à l’hôpital de Bayonne pendant deux ans
avant de prendre sa retraite à Arcangues à l’âge
de 49 ans. Il deviendra conseiller municipal pendant les deux mandats de
M. Viala à la tête de la commune d’Arcangues.
Les enfants ont développé des aptitudes précoces,
autant sur le plan scolaire que pour l’organisation de leur temps
libre. Léopold rêve de devenir pilote de chasse dès
son plus jeune âge, au point que ses parents lui offrent un baptême
de l’air à Parme. Il collectionne des coupures de journaux
sur cette profession et prépare son avenir. C’est l’époque
des fusées Apollo, le 21 juillet 1969, Neil Armstrong est le premier
homme à marcher sur la Lune, Léopold passe la nuit devant
la télé à suivre l’événement et
il écrit à l’astronaute sans en parler à ses
parents. Les deux frères passent des heures à construire
des maquettes de la fusée Apollo 11 avec des boîtes de Tonimalt
et des bouts de carton, à l’échelle, avec tous les
détails. « Il n’y avait pas intérêt à les
leur déplacer, sinon c’était la colère ! »,
se rappelle la maman en souriant. Tous deux suivent la voie scientifique,
l’école de génie chimique à Toulouse pour Philippe
et Saint-Cyr puis l’école de l’air à Salon-de-Provence
pour Léopold. Philippe fait son service militaire au CEA (Commissariat à l’Energie
Atomique) qui l’embauche pour l’envoyer pendant dix ans à Limeil,
puis au Barp au CESTA où il dirige la réalisation du prototype
du Mégajoule. Pendant ce temps, Léopold devient pilote de
chasse et se porte candidat pour aller dans l’espace. Il est sélectionné parmi
800 à 900 pilotes pour être d’abord une doublure, effectue
une formation à la Cité des Etoiles à Moscou après
avoir appris le russe. En ce moment, il est à la NASA pour préparer
son vol de l’automne vers la Station Spatiale Internationale.
Cathy Constant-Elissagaray
Cathy Constant-Elissagaray, correspondante locale au journal Sud-Ouest pour les villages de Bassussarry et d'Arcangues
Article paru le 24/02/2007 : "L'épicerie et Apollo"