Cathy Constant-Elissagaray, correspondante locale au journal Sud-Ouest pour les villages de Bassussarry et d'Arcangues
Article paru le 8 août 2009 : "A Chourroumillas, l'étang est asséché"
Ils étaient désemparés devant ce désastre qu'ils n'avaient pu éviter. Profondément amoureux de la nature, patients observateurs de la faune et de la flore, il n'y avait rien qui les déstabilisât davantage que cette mort programmée, provoquée par une mesure qu'ils avaient eux-mêmes décidée, nécessaire, certes, mais dont ils regrettaient qu'elle ne se fût pas déroulée dans de meilleures conditions. C'est qu'ils manquaient cruellement de moyens. La France et l'Europe, toujours prêtes à légiférer, surtout pour se donner bonne conscience, s'étaient bien gardées de mettre en regard de leurs exigences les sommes nécessaires à leur application. Dans le secteur de l'environnement, les métiers rémunérés sont rares, et les bénévoles pallient la déficience de l'Etat par un travail d'une conscience exemplaire exécuté dans des conditions qui sont loin de les satisfaire.
La loi sur l'eau est révélatrice à cet égard. L'Europe entière s'est donnée pour objectif de rendre ses rivières plus pures dans un avenir qui se rapproche de plus en plus, afin de les rendre plus propices à la vie animale et végétale, et surtout potables pour les humains avec moins de traitements physico-chimiques. Toute intervention dans une zone humide est donc soumise à autorisation et ne peut se faire que dans un cadre précis et des conditions déterminées. Ceci est d'autant plus vrai dans un site comme Chourroumillas, à Bassussarry, qui est en passe d'être accrédité pour devenir une Réserve Naturelle Régionale, réceptacle de biotopes spécifiques et source d'indicateurs de la santé (bonne ou mauvaise) de son proche environnement, de son bassin versant, ainsi que des animaux migrateurs qui profitent de ce havre épargné par la "civilisation".
La famille Guilhou, propriétaire de l'ancien moulin et de l'espace naturel qui l'environne, se fait assister depuis quelques années par une association qui assure la gestion de l'ensemble, le Conservatoire Régional des Espaces Naturels d'Aquitaine, dont le responsable local, Tangi le Moal, est salarié, grâce aux fonds accordés par de multiples partenaires institutionnels et privés. Mais pour procéder à une opération d'envergure comme la vidange de l'étang de retenue qui alimentait autrefois le moulin, il a dû faire appel à des amis qui l'assistent bénévolement. Seulement munis d'équipements dérisoires, quelques épuisettes, seaux et grandes poubelles plastiques, ainsi que d'une balance et d'un cahier, ils tâchent d'inventorier, sans pouvoir les dénombrer exhaustivement, les différentes espèces qui résident dans la grande pièce d'eau, avant qu'elles ne s'échappent par le moine qui règle le débit de la cascade qui actionnait autrefois les aubes du moulin. Ils profitent de l'opération pour retirer, afin de les supprimer, les espèces indésirables qui, fort heureusement, ne sont pas légions. En l'occurence, ils trouvent des écrevisses de Louisiane, très agressives, et des perches-soleil, ou calicobas, dotées d’une dangereuse épine dorsale qui les rend peu appétissantes pour leurs prédateurs éventuels, et qui prolifèrent en quantités en dévorant les œufs des autres poissons.
Outre le problème du manque de personnel et d'équipement, le soleil s'est mis de la partie et il a contribué à augmenter les pertes par asphyxie dans une eau qui s'amenuisait, s'échauffait et dont la teneur en oxygène se raréfiait. La vidange s'est effectuée très progressivement, pendant les douze derniers jours de juillet, et je n'ai assisté qu'à la fin du processus, quand la situation était la plus dramatique. Michel Guilhou descendait par l'échelle dans le moine et, muni d'un marteau, débloquait une ou deux planches par jour afin de baisser le niveau de l'eau en permettant aux poissons de suivre le mouvement et leur laisser le temps de s'échapper dans l'exutoire, le petit canal qui coule sous le moulin en arche et se jette dans le ruisseau, affluent de l'Urdains qui vient grossir la Nive. Un filtre laissant passer l'eau du canal, à quelques mètres du moulin, ménageait un bassin où l'on pouvait trier les poissons et leur permettre de récupérer de leur changement brutal de milieu avant de les lâcher, soit en aval du cours d'eau, soit dans le deuxième étang de la propriété, plus petit.
L'assèchement des étangs de retenue est une pratique habituelle. Comme ils sont artificiels, leur tendance naturelle est de se combler avec la décantation des boues arrachées par le ruissellement des pluies au bassin versant et les feuilles des arbres alentour qui pourrissent lentement en se déposant sur le fond. De ce fait, l'herbier de l'étang de Chourroumillas commençait à s'amenuiser, recouvert et étouffé par les sédiments. Son rôle est d'importance. Sa fonction chlorophyllienne a pour conséquence le rejet d'oxygène dans l'eau, qui permet aux animaux aquatiques d'y vivre. Il offre un refuge pour échapper aux prédateurs, une source alimentaire et un lieu de nidification à toute une panoplie d'animaux, oiseaux, batraciens, poissons, mammifères, insectes, etc. Qui plus est, la variation de la profondeur du lac selon les endroits va de pair avec la variation de la température du milieu aquatique, qui offre autant de biotopes différents. Si l'eau devient moins profonde, cela la rend plus sensible aux variations de température de l'air, alors qu'une certaine inertie et une fraîcheur stable s'observe dans le cas inverse. Pour avoir une biodiversité optimale, il faudra donc procéder à des travaux de retrait de la vase au centre pour l'étaler en pente douce à proximité des berges, en platières qui seront recouvertes d'une dizaine de centimètres d'eau, prisées par les petits échassiers. Je crois que cette opération ne s'appliquera pas l'intégralité du lit, afin de préserver dans la mesure du possible les organismes enfouis dans la vase, et qui ne supportent pas d'être exposés à l'air libre.
Tangi le Moal a des difficultés à apprécier la vitesse de comblement de l'étang et la fréquence optimale de vidange, faute de recul suffisant. La dernière a eu lieu en 2001. Il est par contre certain de l'accélération du phénomène. Deux facteurs y contribuent. D'une part, l'urbanisation croissante entraîne l'augmentation du réseau de voies de communication et de terrains bâtis ou dédiés aux parkings, aux activités artisanales ou industrielles, sur lesquels l'eau ruisselle sans retenue, entraînant avec elle objets et polluants qui encombrent et empoisonnent les cours d'eau puis, en dernier ressort, l'océan. D'autre part, la modification des pratiques agricoles a transformé le paysage. Constitué autrefois de forêts, landes, marais et prairies naturelles où paissait le bétail, une fraction importante a été défrichée et consacrée à la monoculture du maïs. A cause des règlementations européennes, les agriculteurs n'ont plus eu intérêt à cultiver d'autres plantes en alternance, ce qui a eu pour résultat de laisser la terre à nu, livrée à l'érosion la majeure partie de l'année, durant les trois saisons les plus humides.
Compactée par le poids d'engins agricoles multifonctions de plus en plus volumineux, la couche de terre superficielle qui est en plus souvent très argileuse et plutôt imperméable empêche la pénétration de l'eau. On se retrouve par conséquent dans la situation curieuse d'un pays pluvieux dont les nappes phréatiques se remplissent difficilement. Lorsque Tangi le Moal a commencé à rencontrer les agriculteurs, ceux-ci étaient ouverts à l'idée d'évoluer dans leurs pratiques pour réduire l'érosion, à condition de trouver des subventions qui les aideraient à franchir le cap de la conversion. Entre temps, l'idée du biocarburant a fait son chemin, et les agriculteurs se sont relancés à corps perdu dans le maïs, même sur des terres qui n'étaient pas du tout propices, avec la bénédiction des états européens...
Ce dimanche 26 juillet, le soleil brille de tous ses feux. Une petite table a été dressée à l'ombre, près de la digue. Des seaux contiennent quelques rescapés de la dernière heure, essentiellement rotangles, anguilles et brochets. Les autres, gougeons, carpes, carassins, gardons, ont sans doute déjà trouvé la voie salvatrice. Sophie, une bénévole très compétente, pèse les poissons sur une balance adaptée, toute en longueur, les mesure, et marque les éléments sur un cahier tout maculé de boue. Un autre bénévole passe son temps à emmener les seaux de poissons répertoriés pour les déverser dans le ruisseau en contrebas, d'où il remonte des seaux emplis d'eau limpide, pour y plonger les survivants et les nettoyer de la vase qui les étouffe. Tangi regrette amèrement leur dénuement : "Si seulement nous avions eu un filet !" A sa décharge, un salarié de l'ONEMA (Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques), témoin de l'opération, déclare qu'une vidange ne s'effectue jamais sans provoquer le décès d'une fraction de la faune aquatique. De grands brochets, signes de la bonne santé et de l'équilibre écologique du lac, gisent lamentablement le ventre en l'air, tandis que des anguilles, plus résistantes et capables de se déplacer à l'air libre un moment, se tortillent vers la nappe d'eau qui s'amenuise inexorablement. Près du moine, tout un monde de petits poissons frétille parmi les cadavres entraînés par le lent courant. Ceux-là, ils sont presque sauvés et Michel Guilhou se hâte d'ôter les dernières planches pour les délivrer de leur enfer d'eau chaude raréfiée en oxygène où ils s'asphyxient.
Sophie et Vincent s'arment d'épuisettes et de grandes poubelles et pénètrent dans la vase où ils enfoncent profondément. Il n'est plus possible désormais d'utiliser la barque, mais la progression à pied est difficile car le fond de l'étang est encore imbibé d'eau. Nous les admirons depuis la murette ombragée d'où nous avons une vue dominante sur le site. Dans leur tenue de pêcheur, une combinaison gris-vert qui remonte jusqu'à la poitrine, soutenue par des bretelles, ils sont maculés de boue, chaque pas est un effort. Parfois, ils sont aspirés dans un trou d'eau jusqu'au torse, poursuivant malgré tout leur tâche de sauvetage en maniant d'un geste habile leur épuisette qu'ils enfilent par la queue du poisson et relèvent d'un mouvement preste et tournant, se hâtant de coincer l'animal qui tente de s'échapper et de le mettre dans la poubelle pourvue d'un fond d'eau. Nous admirons la technique et leur persévérance. Honteux des cadavres qui gisent, de ci, de là, ils les récoltent également et mesureront ensuite les plus belles pièces, pour information. Le plus gros brochet répertorié - malheureusement mort - fait 84 cm et 1,354 kg. Sophie explique que ces beaux carnassiers sont équipés de pas moins de 700 dents, dont certaines se logent même sous les ouïes ! Leur présence est un bon indicateur de l'abondance des poissons herbivores dont ils régulent la population. Une partie des fingerlings, les tout jeunes brochets, sera transférée dans le petit étang.
Lorsque l'eau se sera complètement évaporée, un tracteur remodèlera le fonds de l'étang qui restera quelques mois en assec, afin que la vase se minéralise. A l'automne, les planches seront replacées dans le moine, celles qui bloquaient l'arrivée d'eau dans le bief seront retirées, et la pluie doublée du ruissellement permettront à l'étang de s'emplir lentement. Aucun animal ni aucune plante ne seront introduits, la nature fera son oeuvre et l'herbier renaîtra, accueillant une faune de plus en plus abondante dans un équilibre qui se réalisera sans intervention humaine. C'est ce qu'on m'a expliqué ce chaud dimanche de juillet, et je l'avais déjà trouvé étonnant, mais, à l'écrire, cela me semble proprement miraculeux. Le ruisseau qui alimente cet étang ne vient pas de la montagne, c'est un cours d'eau minuscule qui prend sa source dans les collines boisées à quelques kilomètres de là. Comment peut-il fournir une telle variété d'animaux ? Les deux étangs ne sont pas reliés et ne sont pas alimentés par le même ruisseau, il ne peut donc y avoir aucun apport de l'un à l'autre. Les oiseaux peuvent peut-être transporter des micro-organismes, éventuellement des oeufs, mais cela me semble très marginal. Pourtant, l'expérience montre que, depuis 2001, une multitude d'êtres ont proliféré dans un équilibre harmonieux qu'il faut malheureusement détruire aujourd'hui, mais qui se reconstituera sans aucun doute, à la condition que la pression anthropique (humaine), toujours plus forte, n'empêche pas ce processus extraordinaire de se dérouler convenablement.
Autrefois, l'eau de l'étang servait de force motrice pour moudre la farine, c'était aussi une réserve de pêche et l'on chassait aux alentours, où l'on se pourvoyait sûrement aussi en mûres, champignons et dizaines d'autres plantes utiles. Désormais, des spécialistes défilent au gré de leur bonne volonté et de leur disponibilité (toujours dans le bénévolat le plus complet), ils décomptent les espèces, dans un premier temps pour en faire l'inventaire, et pour servir de repère afin de déterminer par la suite si l'évolution tend vers une moindre ou plus grande biodiversité et si les populations croissent ou se réduisent. De ces éléments, confrontés à ceux qui sont collectés dans les autres sites de la région, il sera élaboré un diagnostic et suggéré des conseils pour que l'humanité ait un impact le moins négatif possible sur son environnement...
Remarques de Tangi Le Moal :
- c'est plus par inexpérience que par manque de moyens que nous avons
connu des pertes lors de la vidange, mais la mort des poissons est le lot commun
de
toute
vidange. Ce qui a été en notre défaveur, c'est plutôt
la température très chaude le jour même et les jours précédents,
qui a favorisé plus rapidement que prévu une désoxygénation
des eaux restant dans l'étang. En effet, dans le cadre du plan de gestion
de ce site, au vu des partenaires impliqués (Conseil Général,
régional et Agence de l'Eau), les difficultés restent mineures à obtenir
les moyens nécessaires pour une bonne gestion du site (dont le coût
reste modéré).
- Par ailleurs, notre empressement a été bienvenu, nous avons pu "sauver" l'essentiel
de ce qui devait l'être (les poissons autochtones : brochets, anguilles,
rotengles, gardons, goujons, parmi lesquels finalement une très petite
proportion est restée sur le carreau), et éliminer les espèces
invasives (un gros "volume" de perches-soleil notamment, spectaculaire,
mais aussi les carassins, poissons-chats), ce qui était un des objectifs
de la manipulation.
- Avec le recul, dans la vase, je ne sais pas si le filet nous aurait été très
utile, finalement. Je pense qu'il nous a surtout manqué un peu de main
d'oeuvre, et surtout un peu d'expérience. Une fois passée la pression
de l'événement, même si nous devons déplorer la perte
d'une vingtaine de brochets (un moindre mal, à mon avis), nous en avons
relâché un nombre incalculable, et sommes tous assez contents des
très faibles pertes, de la façon dont ça s'est déroulé,
et de l'efficacité de l'équipe. (je suis pour ma part retourné sur
place le lendemain et le surlendemain pour extraire les perches soleil restées
dans la pêcherie, et les éliminer)
-l'inventaire exhaustif des espèces présentes a pu être réalisé sans
problème, mais il était difficile, quel que fût le matériel à notre
disposition, d'évaluer un volume ou une biomasse de poissons, du fait
des caractéristiques du site.
Article |