Rose Sorhaits découpe les canards
et prépare les foies gras. C.C-E
Suivre le rythme des saisons, c’est une attitude naturelle pour Rose
Sorhaits, qui lui a été transmise par sa famille à Guiche.
Chaque mois de l’année lui offre son lot de joies simples.
A l’occasion d’une randonnée pédestre en vallée
d’Aspe en mai, elle adore faire découvrir à ses amis
un parterre de muguet qui pointe entre les troncs élancés
d’une hêtraie au feuillage clairsemé, les jacinthes
sauvages mauves dont les tiges jaillissent d’un épais fouillis
de feuilles lancéolées vert sombre et luisant près
des buissons de myrtilles aux fruits rouge pâle qui désaltèreront
les passants de l’été. Le soir, une vieille fermière
chauffe devant elle une grande bassine de lait où elle a versé trois
gouttes de présure et surveille le thermomètre qui ne doit
pas monter au-delà de 36°C pendant dix minutes : c’est
la préparation du lait caillé dont tout le monde raffole,
petits et grands. En septembre, c’est la chasse aux cèpes,
où elle est passée reine. Elle sait les débusquer à la
pointe de son bâton dans les endroits obscurs, cachés sous
les feuilles mortes ou les imitant à s’y méprendre.
Elle se lève avant l’aube, arpentant les bois de chênes,
seulement munie d’une faible lampe de poche, jusqu’à ce
que son grand panier soit empli à ras bord. La cueillette des mûres
sur les buissons piquants qui bordent les chemins se termine par la confection
d’une confiture odorante et goûteuse, tandis que les châtaignes
grillées accompagnent les dernières truites de la saison
pêchées par Pierre, son mari, dans les torrents et les ruisseaux.
En décembre, Rose a coutume de commander des canards à son
amie Maïté Duboué, avec laquelle elle animait le comité des
fêtes de Guiche pendant sa jeunesse. Installée à la
ferme Bourdasse de Bergouey avec son mari, celle-ci en a développé l’élevage
et le gavage, perpétuant ainsi une pratique égyptienne d’au
moins 4500 ans, transmise aux Grecs puis aux Romains, et que le Sud-Ouest
de l’ancienne Gaule a fait sienne. Quarante canards à découper,
ce n’est pas rien. C’est surtout l’occasion de retrouvailles
joyeuses chez Dominique Caumont, son frère, qui réside à Lys
en Haut-Béarn. Il a réuni dans son moulin ses amis, initiés
par lui de longue date à cet art, et qui ont apporté leur
matériel, couteaux, bocaux, bassines, en même temps que leur
bonne humeur. Chacun s’empare d’une bête, six kilos,
ce n’est pas rien, fend délicatement la peau en suivant le
bréchet, écarte les chairs en réservant magrets et
aiguillettes avant de retirer délicatement les entrailles gorgées
de graisse blonde au sein desquelles se nichent le précieux foie
gras, le gésier et le cœur. La secousse qui détache
l’œsophage du cou et le bruit de succion qui lui succède
lorsque la masse luisante et sanguinolente cède et se laisse entraîner
par la main qui l’enveloppe doucement évoquent irrésistiblement
un accouchement, contractions et douleurs en moins. Rose contrôle
le déroulement des opérations et prend en charge la tâche
délicate de l’assaisonnement avant la mise en bocaux, installés
dans les stérilisateurs pendant une durée très précise.
C’est elle aussi qui les en retire, au milieu des vapeurs brûlantes,
et les dépose sur l’établi à refroidir, tandis
que la graisse qui a dégorgé des foies continue à émettre
un chapelet de bulles dorées derrière la paroi de verre.
Restent à confectionner confits et rillettes aux légumes
tandis que des aiguillettes et magrets sont mis de côté pour être
grillés au-dessus d’un feu de bois pendant les fêtes...
Cathy Constant-Elissagaray
Cathy Constant-Elissagaray, correspondante locale au journal Sud-Ouest pour les villages de Bassussarry et d'Arcangues
Article paru le 13 février 2009 : "Rose aime les plaisirs des saisons"