Entraînement aux épreuves du baccalauréat / Questions d'examen
Remarques générales
Questions portant "sur un aspect ou une partie de l'oeuvre"
Comparez le narrateur et le Dr. B.
Importance et signification du dénouement de la nouvelle.
Les personnages de la nouvelle sont-ils vraisemblables?
Questions portant "sur l'ensemble d'une oeuvre"
Peut-on dire de B. qu'il a "perdu la partie" ?
Quelles sont les valeurs défendues par Zweig dans Le Joueur d'Échecs, et comment les défend-il ?
ET SI C'ÉTAIT ÇA, L'UNE DES QUESTIONS DE BAC, LE JOUR DE L'EXAMEN?
DANGERS ET PIÈGES
Le Joueur d'Echecs est une uvre facile à lire. A quoi bon l'étudier, alors ? On pense la connaître après l'avoir lue. Mais seul un travail d'analyse permet d'acquérir une " connaissance de l'uvre " au sens où on l'entend dans les études littéraires Peut-être même que ce travail d'analyse est rendu plus difficile par le caractère lisse, évident, du récit (et du style) de Zweig.
On pense la connaître après l'avoir lue. Et donc on va la raconter Mais, encore une fois, être capable de rendre compte de l'intrigue ou d'une partie de l'intrigue ne correspond pas à la " connaissance de l'uvre " telle qu'on l'entend et l'attend dans le cadre d'une étude littéraire
On la lit sans se questionner, sans chercher à construire des liens avec d'autres connaissances. Et tout cela reste alors très approximatif Or des connaissances historiques peuvent être exigées, dans certains cas : on ne peut traiter de cette unique uvre de Zweig qui fait explicitement référence à l'époque contemporaine (Schuschnigg, l'entrée des Nazis en Autriche, les camps de concentration, le " 13 mars " ) sans utiliser ses connaissances historiques, sans situer précisément sa réflexion dans la chronologie du XX° siècle. Sinon, on en arrive à des absurdités impardonnables, comme affirmer qu'il s'était écoulé 20 ou 25 ans entre la détention de B. et son voyage de New York vers l'Amérique du Sud
Un peu de respect...
Stefan ZWEIG n'est pas Stephen KING. Merci d'orthographier correctement son prénom.
Les échecs - qui nous occupent - sont un nom masculin pluriel. Ainsi, il serait bienvenu de retenir correctement le titre de l'oeuvre: Le Joueur d'Echecs, avec un "s" à "échecs". De même, on écrira "le jeu d'échecs", "une partie d'échecs". Et pendant que nous y sommes, on parlera d' ÉCHIQUIER (et pas de chéquier, malgré Czentovic), on utilisera l'adjectif ÉCHIQUÉEN/ENNE, et pendant que nous y sommes toujours, on se souviendra que ce sont des PIÈCES qui sont disposées sur l'échiquier, et pas des pions (le pion est l'une des différentes sortes de pièces, avec le Roi, la Dame, le Cavalier, le Fou et la Tour). Avec ces quelques bagages de vocabulaire élémentaire, on dira déjà un peu moins de bêtises...
Comparez le narrateur et le Dr. B.
Connivence et complicité entre le narrateur et B.
- ils ont la même origine, ils sont tous deux Autrichiens (le steward révèle aux adversaires de Czentovic réunis autour de MacConnor que l'inconnu est Autrichien ; c'est en tant que compatriote que le narrateur est désigné par le groupe pour aller tenter de convaincre l'inconnu de jouer contre le champion du monde) ; ils ont fréquenté le même monde (le nom de B. n'était pas inconnu du narrateur, certains membres de sa famille ont fait partie de la haute société viennoise, dans " le Monde d'Hier ", celui de l'Empire austro-hongrois).- ils ont les mêmes manières : courtoisie, politesse, délicatesse (le narrateur, ayant " senti " la " délicatesse " de B. et craignant un refus, évite de parler d'argent lorsqu'il l'incite à accepter de jouer contre Czentovic Sommet de l'attention portée à autrui que d'anticiper sur ses réactions !). Ces manières constituent d'ailleurs, dans un premier temps, un obstacle pour le narrateur, obligé de recourir à MacConnor pour attirer l'attention de Czentovic. (Pas de place pour la politesse dans l'univers contemporain : le narrateur et B. sont des hommes du passé. Cela apparaît en particulier par les relations de B. citées lors de son récit : tous appartiennent à la génération d'avant &endash; père, oncle -)
- ces caractéristiques renvoient au portrait des deux personnages ; mais connivence et complicité sont encore renforcées par la forme narrative : le narrateur et B. sont les seuls personnages connus " de l'intérieur ", leurs récits sont faits à la première personne (le récit de B. est fait au style direct, mais à la fin le narrateur révèle " l'artifice ", avouant avoir " beaucoup abrégé son propos ", et reconnaissant donc un travail de recomposition). De la sorte, les deux personnages apparaissent proches du lecteur, qui leur accorde sa sympathie.
Destins et comportements différents.
- on sait peu de choses du narrateur (il est habitué des voyages, puisqu'il parle de l'activité " habituelle " lors du départ du paquebot ; il est marié ; il est curieux), mais les indices dont on dispose ne semblent pas construire une personnalité tourmentée, au passé agité ; B. en revanche peut parler de son passé comme d'une " illustration " de l'époque où il vit. L'Histoire des années 30 ne semble pas avoir touché les deux personnages de la même manière (même si la possible assimilation du narrateur avec l'auteur peut faire imaginer que tous les trois sont des exilés, des apatrides )- on peut, dans un premier temps, opposer la curiosité distante du narrateur à l'instabilité pathologique de B. (au bord de la folie, suite à son isolement en détention et à la façon dont il a cherché à y résister). Cependant, autour du thème central du jeu d'échecs, on comprend que la folie est proche de chacun de nous, peut atteindre n'importe qui : le narrateur, dans son éloge paradoxal du jeu d'échecs, s'interroge sur la possibilité d'éviter de devenir fou, à force de pratiquer ce jeu ; et la passion le gagne petit à petit, comme ses compagnons, lors des parties d'échecs contre Czentovic &endash; à la fin, il a beau ne plus rien comprendre à ce qui se passe sur l'échiquier, il vit et vibre intensément. Ainsi, l'étude psychologique menée par le narrateur sur les monomaniaques révélerait un possible latent chez tout être humain, que les circonstances viennent à mettre au jour.
- Dès lors, les différences entre B. et le narrateur révèlent deux manifestations de la conscience humaine. L'observation, l'étude, ou la pratique du jeu en dilettante correspondent à une façon d'être mesurée, " respectable " ; quand ce comportement cède la place à l'obsession, à la passion, à la démesure (une forme d'hybris), la nature humaine est menacée. B. était ô combien raisonnable et respectable, jusqu'à son arrestation par les Nazis ; les circonstances extrêmes dans lesquelles il est placé, seules, le conduisent à la folie. On retrouve, dans ces portraits croisés, une thèse chère à Zweig : le monde moderne agresse et détruit le monde ancien, qui était mesuré et respectable. Les figures du narrateur et de B. reflètent deux attitudes de ces hommes du passé : la distance ironique de l'observateur blasé, ou l'implication forcée dans les troubles du présent. Ce qui est sûr, avec B., c'est qu'une fois que le présent a fait irruption dans une existence, on ne s'en remet jamais entièrement. Même au Brésil, même à Petropolis, même quand on s'appelle Stefan Zweig - sans doute décliné dans Le Joueur d'Echecs sous les deux facettes de B. et du narrateur.
En quoi les différentes parties d'échecs jouées sur le paquebot contribuent-elles à l'intensité dramatique de la nouvelle ?
Ce sujet méritait un minimum d'attention, avant qu'on ne se lance dans la rédaction. D'abord, il s'agissait de recenser les différentes parties d'échec jouées sur le paquebot. Cela commence avec la partie entre le narrateur et sa femme Ensuite, faire un sort acceptable aux autres références au jeu d'échecs (le discours du narrateur sur les échecs, l'expérience de B. en détention...): si on ne peut s'en passer, ne pas présenter ces épisodes comme des éléments décisifs de réponse à la question posée
Enfin et surtout, il fallait éviter comme la peste un " plan " qui suivrait le fil du récit. Premier risque : se contenter d'une énumération et d'une juxtaposition des différentes parties, ce qui ne permettait guère de donner une réponse gloable ; second risque, de succomber aux charmes du texte narratif, où l'on se complaît à raconter encore une fois l'histoire, dans le moins pire des cas limitée au récit-cadre - mais où est l'argumentation dans tout ça ?
Les différentes parties d'échecs jouées sur le paquebot rythment le récit et renouvellent l'intérêt. " Aidé " dans ses attentes par le narrateur, le lecteur est amené à se poser progressivement de nouvelles questions qui le tiennent en haleine : le narrateur parviendra-t-il à approcher Czentovic (partie avec sa femme, parties contre MacConnor)? Qui est cet inconnu qui parvient à tenir tête au champion du monde (seconde partie contre Czentovic)? B. sera-t-il capable de jouer une " vraie " partie d'échecs de haut niveau, lui dont toute la culture échiquéenne est d'origine livresque (affrontements du lendemain, entre Czentovic et B.)?Chacune de ces parties contribue aussi à révéler la nature profonde des personnages : distance hautaine de Czentovic, orgueil de MacConnor Surtout, on voit petit à petit comme la passion s'empare des joueurs, y compris du narrateur. Cette passion peut prendre une forme pathologique, comme on le voit avec B. qui devient de plus en plus nerveux au cours des deux parties qu'il joue contre Czentovic. (L'intérêt dramatique des manifestations physiques ressenties par B. et observées par le narrateur a bien sûr été habilement préparé par le récit de B.) La succession de parties d'échecs dénonce les risques de la " monomanie ", comme l'appelle le narrateur.
Enfin, la succession de ces parties prépare l'affrontement au coeur de la nouvelle, où les cases et les pièces du jeu d'échecs (le noir et le blanc) symbolisent l'affrontement manichéen entre le Bien et le Mal. La présentation des caractères (morgue de Czentovic qui provoque ses adversaires, délicatesse de B. qui par exemple s'excuse après son intervention en cours de partie), la supériorité évidente du champion du monde face à tous ses autres adversaires sur le paquebot, les sentiments partisans du lecteur, ont été mis en place au cours des premières parties. L'affrontement final dès lors peut avoir lieu, les forces en présence sont clairement définies. Ainsi, la dernière partie et la nouvelle s'achèvent de façon ouverte : le Bien a été vaincu, mais non par son adversaire ; Czentovic témoigne d'une certaine admiration pour B. ; et, si B. n'a pas gagné, grâce au narrateur, il n'a pas non plus sombré de nouveau dans la folie.
Importance et signification du dénouement de la nouvelle.
L'effet d'une nouvelle repose fréquemment sur sa chute, inattendue ou problématique. Or, le dénouement du Joueur d'Echecs de Stefan Zweig n'est pas vraiment surprenant. En quoi la fin de cette uvre, dès lors, est-elle importante et significative ?
Toute la nouvelle est construite autour de l'affrontement final entre deux figures antagonistes, Czentovic et le Dr. B. La défaillance de B. a été minutieusement préparée : d'abord, à la fin de son récit, le docteur qui le sauve signale qu'une rechute reste toujours possible ; ensuite, lors la première confrontation entre B. et le champion du monde, les manifestations physiques déjà décrites lors de son isolement (soif, impatience, tics, aller-retours machinaux) se reproduisent de façon de plus en plus marquée. Ainsi le suspense et la tension qui s'installent dans les dernières pages de la nouvelle caractérisent mieux l'importance du dénouement qu'un effet de surprise plutôt hypothétique.
Stefan Zweig, par la voix passionnée puis inquiète du narrateur, fait partager cette tension au lecteur. Celui-ci vit et vibre à son tour, enthousiasmé par la victoire initiale de B., inquiet par son acceptation d'une revanche (alors qu'il avait promis de ne disputer qu'une seule partie), indigné par la tactique dilatoire utilisée par le champion du monde pour déstabiliser son adversaire, soulagé mais perplexe enfin. A la fin de la nouvelle, les choses semblent rentrer dans l'ordre : l'honneur de Czentovic est sauf (de son point de vue au moins), B. a prouvé sa capacité à vraiment jouer aux échecs mais a aussi pu s'arrêter avant de sombrer à nouveau dans la démence, et Czentovic peut même prononcer un commentaire élogieux : " Pour un amateur, il ne joue pas mal du tout. "
En fait, ce dénouement suggère bien plus qu'une simple opposition autour des soixante-quatre cases de l'échiquier. Si l'implication du lecteur est aussi grande, c'est qu'il reconnaît dans ce match un combat entre valeurs antagonistes. Le " monde d'hier " (dont Zweig garde la nostalgie, figuré par B., au service des puissants d'autrefois et exilé par les puissants du jour) affronte le monde moderne (affichant des valeurs matérialistes, où la fin justifie les moyens) ; c'est aux yeux de Zweig le Bien contre le Mal, l'Humanité contre la force brutale. La symbolique du jeu d'échecs, aux cases et aux pièces noires et blanches, reflète bien la vision manichéenne de Zweig à l'époque où il achève sa vie. Czentovic, comme les Nazis, est parvenu à menacer la santé morale de B., à le rendre fou, à le priver de ce qui le fait être véritablement Homme : sa conscience.
La signification du dénouement en devient plus complexe : en effet, l'auteur ne donne pas vraiment la victoire aux forces pour lesquelles il a pris parti. B. est contraint à abandonner la seconde partie, au mieux il a fait match nul contre Czentovic sur l'ensemble du match. C'est à Czentovic qu'appartiennent les derniers mots de la nouvelle. L'avancée du mal, grâce à des moyens peu recommandables aussi, semble inéluctable. Cependant, grâce à son allié le narrateur, B. a su s'arrêter à temps, retourner à son anonymat, préserver sa conscience. Peut-être faut-il voir là l'équivalent de ce que Zweig a voulu faire, avec la montée du nazisme : se préserver, se trouver un refuge où l'individu pourrait continuer à exister.
Le dénouement du Joueur d'Echecs est l'aboutissement des différents récits de la nouvelle ; la confrontation entre Czentovic et B. marque l'apogée de la tension et symbolise le combat toujours renouvelé entre le Bien et le Mal. Zweig ne tranche pas définitivement et, malgré son pessimisme d'alors, semble offrir une issue honorable au héraut de sa cause. Cependant, son suicide, quelques mois plus tard, montre peut-être à quel point une telle attitude était difficilement tenable.
Les personnages de la nouvelle sont-ils vraisemblables?
Une copie se contentant de présenter successivement les différents personnages principaux sera jugée insuffisante. De même, une copie présentant une réponse tranchée sans discussion ne sera pas satisfaisante. On valorisera les copies qui, à l'issue d'un parcours argumentatif, proposeront une réponse (nuancée sans doute, mais claire) à la question posée.
On attendra une discussion orientée à partir des deux axes suivants:
des personnages vraisemblables :
- inscrits dans un cadre historique précis- aux contours psychologiques nettement dessinés (capacité de Zweig à créer des figures inhabituelles, extraordinaires et pourtant crédibles)
des personnages représentant des idées (et, dès lors, on pourra aller jusqu'à dire "caricaturaux")
- tout ce qu'on sait d'eux est orienté en fonction de l'action centrale de la nouvelle et de sa chute- ils représentent l'affrontement entre le Bien et le Mal.
"C'est une histoire assez compliquée, et qui pourrait tout au plus servir d'illustration à la charmante et grandiose époque où nous vivons." Cette phrase, que B. prononce pour introduire son propre récit, peut-elle s'appliquer à l'ensemble de la nouvelle, Le Joueur d'Echecs ?
Analyse de la citation
- " Histoire assez compliquée " ? En tout cas, on la comprend aisément. (De même que la nouvelle ) Faudrait-il comprendre alors une histoire dans laquelle il y a des complications, pour B. ?- " l'époque où nous vivons " : c'est B. qui parle, l'histoire se déroule après mars 1939 (un an de détention pour B. après l'Anschluss) et avant 1941 (moment de l'écriture de la nouvelle par Zweig). Il est donc indispensable d'interpréter cette pnhrase en fonction des contextes. Par " l'époque où nous vivons ", il faut d'abord comprendre le début de la Seconde Guerre Mondiale ; dans un sens plus large, on peut y voir le monde moderne (celui des MacConnors et Czentovic) par opposition au " Monde d'Hier ". En revanche, voir dans ce " nous " un nous de vérité générale, désignant notre époque contemporaine, n'apporte rien à la réflexion.
- Auto-ironie de B. ou relativisme de l'auteur, " charmante et grandiose époque " ? Quelle que soit l'interprétation que l'on donne à l'attitude de l'auteur, vu le contenu
- du récit de B., il est clair que dans sa bouche l'expression est ironique. On pourra traduire par " horrible et mesquine ", par exemple
- " servir d'illustration " : le destin de B. est un bon exemple de ce qui se passe ou peut se passer à l'époque où est située la narration.
Analyse du sujet
- Inutile de montrer que le récit de B. correspond bien à une telle définition, ce n'est pas le sujet. On ne discute pas la pertinence de cette présentation de B. de son propre récit.- Il s'agit de considérer la nouvelle dans son ensemble, et dans ses contextes.
Pistes de réflexion
- une complexité élaborée, qui a pour effet de donner une impression de simplicité et rend la lecture aisée (voir remarques sur narrateur et narration).- l'action principale de la nouvelle, l'affrontement de deux esprits autour d'un échiquier, peut assez bien illustrer le grand conflit qui agite le monde au début des années 40.
- la personnalité des adversaires suggère également une opposition entre les forces de l'esprit et les forces beaucoup plus brutales, bestiales, ou un affrontement entre des valeurs humanistes et des valeurs exclusivement matérialistes.
Peut-on dire de B. qu'il a "perdu la partie" ?
Il y a parfois des " fondamentaux " dont il peut être utile de se souvenir. Pour étudier un personnage, on propose souvent de voir trois aspects :- ce qu'il est,
- ce qu'il fait,
- ce qu'il représente.
La question posée ici n'est pas l'étude d'un personnage (elle est plus précise : traiter d'un personnage serait une question de cours, peu plausible dans le cadre d'une réflexion argumentée), mais elle a pour point de départ toutefois le personnage de B. Il sera assurément utile de se rappeler ces trois aspects d'un personnage, pour la traiter.
" Perdre la partie " est entre guillemets, il s'agit donc de l'expression courante, et l'on est en présence d'un jeu de mots : il est bien sûr question de la dernière partie d'échecs de la nouvelle, qu'il dispute face à Czentovic, mais aussi et surtout de façon plus générale de sa place dans l'uvre, de la morale ou de la leçon qu'on peut en tirer.
Question en oui/non, elle devra en tout cas être discutée. En effet, la réponse est complexe. Faisons le tour des arguments :
* B. a perdu la partie, en apparence :
- ayant joué un coup irrégulier (l'annonce d'un échec au Roi qui ne correspond pas à la situation sur l'échiquier), et rappelé à la raison par le narrateur, il reconnaît avoir perdu et abandonne la partie ;- alors qu'il voulait jouer une seule partie (pour se prouver qu'il était capable de jouer une véritable partie, sur un véritable échiquier), sa passion l'a repris, il a accepté une seconde partie contre Czentovic et a de nouveau été victime de sa monomanie, de sa folie : il n'est pas guéri de son mal ;
- Autrichien, il a dû quitter son pays (et ses fonctions) et se retrouve en exil &endash; comme l'auteur de la nouvelle, Stefan Zweig.
* B n'a pas tout perdu, loin de là
- d'abord, il a battu le champion du monde lors de la première partie qu'il a jouée seul contre lui ; au total, il est à égalité avec Czentovic (une victoire, une défaite, plus un nul dans la partie où il est intervenu) ;- les moyens utilisés par Czentovic (jouer très lentement, même pour les coups les plus simples des débuts de partie) peuvent être assimilés à des moyens peu loyaux de vaincre. Bien sûr, seul le narrateur et le lecteur connaissent la raison du comportement étrange de B., mais leur sympathie lui est définitivement acquise ;
- Czentovic est obligé de reconnaître en lui un adversaire de valeur : la dernière phrase de la nouvelle en témoigne expressément ;
- au bord de la folie, il est sauvé par l'intervention du narrateur, qui le ramène à la raison. B. s'excuse, reconnaît sa défaite et redevient le personnage courtois que l'on connaissait précédemment. On peut imaginer que la leçon aura servi, et que, même s'il est fragilisé, sujet à de possibles séquelles, B. s'en est sorti avec les honneurs (il n'a pas trahi ses mandants pendant sa détention, il s'est prouvé qu'il savait vraiment jouer aux échecs, il redevient " normal " à la fin).
* Cette difficulté à trancher doit nous amener à franchir un pas, vers l'interprétation symbolique ou métaphorique de l'affrontement entre Czentovic et B. :
- l'échiquier (blanc contre noir) est symbolique de l'affrontement entre le Bien et le Mal. Pour Zweig, le Bien est le "Monde d'Hier", aux valeurs humanistes, aux formes raffinées et courtoises. B. (tout comme le narrateur) représente cet univers. Le Mal est personnifié par le côté mécanique, bestial, uniquement attaché aux valeurs matérielles, de Czentovic. La lutte est perpétuelle- au moment où Zweig écrit, cependant, le Mal &endash; sous la forme de la domination nazie &endash; semble l'avoir emporté. B. en route vers l'exil conduirait alors un combat d'arrière-garde, où la seule chose qui puisse encore être sauvegardée, ce serait sa propre existence et &endash; au mieux &endash; sa propre dignité. B. n'aurait alors pas " perdu la partie ", mais cela ne signifierait pas pour autant qu'il l'aurait gagnée !
Pour introduire.
Le Joueur d'Echecs de Stefan Zweig a pour action principale l'affrontement, autour d'un échiquier, entre deux personnalités totalement opposées, le champion du monde Czentovic et le Dr. B. Ce dernier, rattrapé par son passé, se voit contraint d'abandonner la partie, dans les dernières pages de la nouvelle : peut-on dire pour autant qu'il a " perdu la partie " ?
Pour conclure.
B. a perdu la dernière partie, B. a perdu son pays et sans doute ses valeurs aussi sont-elles sur le point de disparaître ; cependant, ayant gagné la sympathie du narrateur et du lecteur, il " s'en sort " plutôt bien. Dans un monde et à une époque jugée désolante par l'auteur, B. parvient au moins à préserver, pour l'essentiel, et avec l'aide du narrateur, son intégrité personnelle. Zweig, lui, qui ressemble sur bien des points à B., ne verra, quelques mois plus tard, pas d'autre issue que le suicide.
À propos de son oeuvre, Stefan Zweig écrivit : " j'ai composé une petite nouvelle sur le jeu d'échecs". Vous semble-t-il pertinent de caractériser ainsi Le Joueur d'Echecs?
Comment bien analyser le sujet, et comprendre qu'il interroge le thème plus que le genre ? Interrogez-vous sur les justifications possibles pour montrer que c'est bien " une petite nouvelle ", et vous tomberez toujours sur le jeu d'échecs (thème majeur, action principale, ce qui réunit les personnages )
Le type même de questions où l'essentiel de la réponse est attendu, où des incontournables doivent être déclinés, et où la différence (dans l'appréciation) se fait dans la qualité et la rigueur de l'organisation et de la rédaction.
Pour être clair :
- sera jugé insuffisant un devoir qui oppose l'interprétation qu'on peut donner de la phrase de Zweig à d'autres interprétations ;- sera jugé faible un devoir qui juxtapose cette interprétation à d'autres ;
- on commencera à trouver des qualités à un devoir qui parviendra à montrer que la nouvelle parle bien (et surtout) du jeu d'échecs, mais qu'à travers cela elle permet de parler aussi d'autres choses.
Que cet " autre chose " ne se résume pas à l'étude psychologique de différentes monomanies, comme le narrateur voudrait nous le faire croire, cela semble évident. Il s'agira dès lors de trouver un équilibre entre différents savoirs et différentes interprétations :
- les savoirs historiques,- les savoirs biographiques,
- les interprétations psychologiques (sui renvoient à la connaissance de l'Homme,
- les interprétations morales (en termes de valeurs représentées),
tout cela devant systématiquement être mis en relation avec des analyses de l'uvre elle-même : on ne peut accepter une dissertation purement théorique autour du véritable sujet, qui est l'uvre au programme.
Quelques pistes (avec, entre parenthèse, des propositions pour étayer l'argument) :
1) c'est bien une " petite nouvelle à propos du jeu d'échecs "- le titre, en allemand (Schachnovelle) est plus explicite que le titre français ;- tous les personnages pratiquent, à un moment ou une autre, cette activité (même l'épouse du narrateur) ;
- elle fait l'objet de réflexions théoriques (discours du narrateur au début de l'uvre, considérations de B. Si on en a en mémoire, on pourra citer l'une ou l'autre de ces remarques ; on se souviendra au moins du caractère paradoxal du jeu tel que le définit le narrateur) ;
- le thème de l'affrontement aux échecs entre Czentovic et B. structure l'uvre (action principale de la nouvelle, autour de laquelle tous les autres éléments viennent s'inscrire : on peut ainsi justifier la biographie de Czentovic, le récit de B., les premières parties où le désir de défier le champion du monde va croissant )
2) mais le jeu d'échecs n'est que l'image concrète d'un affrontement symbolique
- des liens étroits avec la biographie de l'auteur peuvent être faits (similitude de destins d'exilés entre l'auteur, le narrateur et B.) donnant à cette nouvelle une dimension autobiographique autre que l'anecdote (à Petropolis, Zweig jouait et rejouait des parties d'échecs à l'aide d'un manuel &endash; comme B. dans sa prison.)- on peut refuser d'assimiler Czentovic au nazisme (encore que leurs progressions fulgurantes soient parfaitement contemporaines, chacun dans son domaine, entre 1918-19 et 1940-41 : voir la biographie du champion du monde, au début de la nouvelle) ; l'épisode de la détention de B. serait alors circonstanciel et ne serait pas surdéterminé dans sa rencontre avec Czentovic.
- mais, quoi qu'il en soit, de façon plus générale, le jeu d'échecs, autour des cases et des pièces blanches et noires, prend la valeur symbolique d'un affrontement entre le Bien et le Mal. Ainsi certains personnages (B., le médecin, l'infirmière) nous sont rendus sympathiques, d'autres (Czentovic, MacConnor, le pitoyable commis de B., les nazis bien sûr) antipathiques.
Le Joueur d'Echecs est bien une " petite nouvelle à propos du jeu d'échecs ", à la simple condition qu'on précise bien que le jeu d'échecs devient la métaphore ou le symbole d'un affrontement beaucoup plus général. Peut-on imaginer que Zweig, observateur méticuleux et fin psychologue, soit resté aveugle quant à la portée politique de son uvre ? Exactement au même moment, Bertold Brecht achevait La Résistible Ascension d'Arturo Ui Encore une fois, à la croisée des chemins, le " monde d'hier " et le monde de demain se côtoient.
"
"Il ne soupçonne pas qu'il y a d'autres valeurs en ce monde que les échecs et l'argent", dit l'ami du narrateur à propos de Czentovic.
Quelles sont les valeurs défendues par Zweig dans Le Joueur d'Échecs, et comment les défend-il ?
On n'attend pas une question de cours sur les idées et valeurs de Zweig à partir de sa biographie. De telles références peuvent venir appuyer l'analyse de la nouvelle. En ce sens, je ne crois pas qu'une large place puisse être faite au pacifisme de Zweig, pour traiter ce sujet.
La réflexion pourra se fonder sur l'analyse de la forme et de la structure de la nouvelle, qui amènent forcément le lecteur à se positionner (connaissance "de l'intérieur" du narrateur et de B. par les récits à la première personne, regard légèrement amusé ou ironique sur MacConnor, supériorité du point de vue dans la présentation de Czentovic ) Cela n'est cependant pas indispensable : on ne pénalisera pas un devoir qui n'expliquerait pas comment le lecteur identifie les valeurs défendues par Zweig dans son oeuvre.
On valorisera les copies qui interrogeront aussi le dénouement de la nouvelle, pour montrer que l'auteur lui-même doute peut-être des valeurs auxquelles il est attaché.
Valeurs traditionnelles (ou conservatrices, ou passéistes)
- présence forte du "monde d'hier" dans le récit de B., avant son arrestation- extrême politesse du narrateur et de B., héritiers d'un monde où formes et convenances avaient une extrême importance (le narrateur évite de parler d'argent à B. lorsqu'il lui demande de jouer contre Czentovic ; B. demande qu'on l'excuse de son intervention intempestive )
Valeurs idéalistes (contre le matérialisme)
- regard méprisant porté par le narrateur et son ami sur Czentovic- regard ironique porté par le narrateur sur MacConnor
- intérêt "gratuit" du narrateur pour les personnages extraordinaires
Valeurs humanistes (contre la barbarie)
- dénonciation des tortures physiques et morales infligées par les nazis à leurs opposants- avantage donné à l'intelligence, à l'esprit, à la culture, sur le mécanique (façon de jouer aux échecs de Czentovic)
- principe fondamental : la liberté individuelle, contre toute forme de totalitarisme
- soutien porté par le narrateur à B. à la fin de la nouvelle
Voici deux représentations du jeu d'échecs, contemporaines de Stefan ZWEIG.
A gauche, un échiquier et ses pièces, réalisés par le Bauhaus;
à droite, un tableau de Juan Gris (1917).
Peut-on lire Le Joueur d'Échecs de Stefan ZWEIG à partir de ces deux images?
illustrations de la page: Bauhaus ; Juan GRIS (1917)
http://www.cowderoy.com/graphics/index.htm