

HRVATSKA
La tournée
avec Jacques YVART en CROATIE
par
Michel HONORE
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- Avec S.A.T.S.,
nous avons déjà effectué, Karine TISON et
moi, plusieurs tournées à l'étranger, en
particulier trois tournées de dix à quinze jours
en Espagne avec Denis COUVREUR.
- Lorsque Jacques
YVART m'a demandé de l'accompagner en CROATIE, pour une
tournée d'une semaine mi-octobre 1999, j'ai ressenti comme
cette proposition amenait des craintes dans mon entourage.
- Pourtant, de Villeneuve
d'Ascq, Zagreb est moins loin que Madrid.
- Mais le poids
de l'histoire est là, et ceux qui, il y a quelques années,
partaient en vacances en Yougoslavie, ont du mal à penser
que quelques uns des morceaux de ce pays restent des états
civilisés, modernes, accueillants et, à défaut
d'être riches, généreux.
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- Première
difficulté, le transport du matériel et les formalités
douanières. Tant qu'on circule en Europe, tout va bien,
pas de formalité. Le voyage fait traverser la Belgique,
l'Allemagne, l'Autriche, puis la Slovénie avant d'entrer
en Croatie.
- Merci à
la personne qui m'a accueilli à la Chambre de Commerce
de Lille d'avoir été patiente et d'avoir guidé
mes pas dans le dédale des formalités de transit
et d'import-export.
- Une leçon
à retenir : lorsqu'on passe un frontière avec un
carnet de transit, surtout ne pas prendre la file des camions,
mais continuer avec les voitures, comme si on était un
touriste. Lorsqu'on est devant le douanier, présenter
le carnet, comme si on ne savait pas ce qu'il faut faire. Les
formalités vont alors très vite. Je n'avais pas
cette naïveté à l'aller, et malgré
une lettre de recommandation de l'Institut Français de
Zagreb, j'ai perdu plus de 2h30 aux frontières, en attente,
fouille, tamponnages et vérifications diverses. Au retour,
les trois mêmes frontières ont été
laissé dans le sillage en une demi heure.
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- Excellent accueil
en CROATIE où Robert HORN, le directeur de l'
a très correctement préparé cette tournée.
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- Première
prestation de Jacques YVART,
- accompagné
au bouzouki, au uilleann pipe (pour ceux qui ne connaissent
pas, une espèce de cornemuse à soufflet avec plusieurs
hautbois et des tuyaux partout) et à la voix par Gérald
RYCKEBOER,
- le samedi 16 octobre
à la Salle Lisinski de Zagreb, dans le cadre de Chansonfest,
festival international de chanson.
- Surprise à
l'entrée dans ce bâtiment culturel : sur la porte
un panneau d'interdiction, non pas de fumer, mais d'entrer avec
une arme
. Impressionnant et, on me l'expliquera
plus tard, totalement nécessaire en raison du nombre d'armes
qui circulent encore en Croatie.
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- Chantons la paix,
nous ne sommes pas venus pour rien.
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- Techniquement,
la prestation de Jacques est une catastrophe. Je n'ai pas été
admis à rejoindre la cabine technique et ne peux qu'assister,
désespéré, à une suite de larsens
que le technicien ne maîtrise visiblement pas. Dur lorsqu'on
a qu'une chanson pour s'imposer. Jacques est visiblement furieux
et je le comprends. Mais il y a une véritable émotion
qui passe dans la salle qui ovationne.
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- Le reste de la
tournée se déroulera heureusement beaucoup mieux,
quoique les lieux ne soient pas toujours adaptés à
un spectacle de musique amplifiée.
- Ainsi le superbe
musée Mimara, où Jacques chante le dimanche 17
octobre. L'immense salle du second étage où nous
montons une tonne de matériel (!!!) accueille habituellement
des concerts de musique classique que la réverbération
tion tion ion ion ion on on n n n n doit servir.
- En l'occurence,
elle nous dessert plutôt. Mais avec un réglage très
fin du niveau, ça passe bien, et ce concert en Espéranto
est très apprécié par un nombre inattendu
de spectateurs dont une grande partie doit rester debout.
- Je n'avais jamais fait une
régie adossé à un tableau de Véronèse,
avec, pour fond de scène, un tableau de Rembrandt, et entouré
d'oeuvres tout aussi prestigieuses. Mais pourquoi un gardien m'a-t'il accompagné
en permanence ?...
- La soirée
au restaurant (un détail : on mange très
bien en Croatie) en compagnie des membres du cercle espérantiste
et à la fois très agréable et très
particulier. Car nous découvrirons, dans les discussions
avec plusieurs personnes, la réalité de la guerre.
- Par exemple, ce
monsieur, assis près de moi, qui a perdu onze membres
de sa famille, tous exécutés comme otages. Comment
peut sortir intact d'une telle épreuve ? Et peut-on pardonner
?
- Autre exemple
: ce jeune adolescent derrière moi qui, il y a trois ans,
revenant de l'école, a vu sa jeune soeur ramasser un petit
objet en plastique, un genre de yo-yo sur lequel est gravé
"Made in Sweden". En rentrant chez elle, elle le nettoie
et le pose près d'elle pour dormir. Le lendemain matin,
elle cherche a ouvrir l'objet et le frappe au sol. C'est ainsi
que ce jeune garçon a vu sa soeur mourir devant lui dans
l'explosion d'une mine anti-personnel. Sans commentaire !
- Et puis, pour
mieux comprendre le contexte de cette guerre, deux anecdotes
- à l'école,
on apprenait aux jeunes yougoslaves, durant les cours de défense
passive (!) que, lorsqu'une alerte aérienne retentissait,
c'est qu'un avion ennemi avait passé la frontière,
et qu'il restait 3 minutes pour s'abriter.
Mais quel temps reste t-il lorsque l'avion décolle de
l'intérieur des frontières ?
- lorsque Zagreb
a été bombardé, l'une des cibles a, bien
sûr, été l'immeuble de la télévision.
Seul le quatrième étage, qui recelait les émetteurs,
a été visé et dévasté. Le
reste du bâtiment restant pratiquement intact.
Comment atteint-on une telle précision ?
En ayant pour directeur de tir l'un des dirigeants de la télévision...!
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- Paradoxe de cette
guerre, l'ennemi était l'ancien voisin, et quelquefois
même, le voisin actuel était l'ennemi
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- Un peu abasourdis,
nous rejoignons l'hôtel, le même que la veille, un
immense palace aux portes de Zagreb, où les chambres sont
de véritables appartements. Il abrite les observateurs
de l'ONU et les Range Rover blanches garnissent abondamment le
parking. Beaucoup de Mercédes aussi, mais je suis le seul
à porter le sigle "208D". Bizarre.
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- Le 18 octobre,
en route pour Osijek (prononcer
oçiek)
, à 280 Km à l'est de Zagreb, dont une bonne partie
par l'autoroute.
- Dans tous les
pays, les autoroutes traversent de grandes étendues peu
habitées, et, en général, on ne voit que
des champs cultivés.
- Ici, la surprise
est de traverser (et quasiment dès la sortie de Zagreb)
des terrains en friches ou faiblement boisés. "Micho"
(c'est
son surnom, pardon, je ne connais pas son véritable nom), le technicien de l'Institut,
qui m'accompagne, m'explique que :
- d'une part, la
Croatie a plus de terre à cultiver que de cultivateurs,
et la surproduction agricole est déjà un problème
- d'autre part,
l'autoroute longe sur plus de 100 Km la frontière bosniaque,
et des champs de mines sont encore présents un peu partout.
Ce qui explique ces terres en friches et soigneusement clôturées.
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- Surprise, vers
la fin de l'autoroute : je m'arrête dans une station service,
mais toutes les pompes sont inactives. Par contre, un jeune homme
et une jeune femme se précipitent pour nettoyer le pare-brise,
et je sens une certaine tension entre eux et Micho lorsqu'il
s'agit de donner un pourboire. La station n'est pas encore en
service, mais ces squatters ont trouvé un bon moyen de
se faire de l'argent.
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- On nous a parlé
de la guerre, mais nous n'en n'avions pas vu les traces matérielles.
- Osijek est une
ville qui, à certaines périodes, a reçu
un obus toute les deux minutes. Malgré un travail énorme
de rénovation, certaines maisons en portent encore les
traces. De plus, toutes les toitures sont neuves, trop neuves.
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-
- On me raconte
que, durant les bombardements, les habitants ont au maximum continué
leur vie normale, avec une entraide extraordinaire, réparant
la nuit ce que les serbes démolissaient le jour, rétablissant
le courant en tirant des centaines de mètres de câbles
entre les maisons.
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- Nous sommes là
pour distraire.
- Ce soir, formule
cabaret, dans un café/restaurant qui arbore une enseigne
"Stella Artois" assez surprenante. L'établissement
comporte plusieurs salles et un balcon, et me rappelle, par ses
dimensions, le défunt "café de la Paix"
sur la Grand'Place de Lille (je vous parle d'un temps que les
moins de vingt ans ne peuvent pas connaître...). Grâce
à la traduction de Micho, je parviens à faire comprendre
à l'électricien du lieu que je désire brancher
du triphasé, qu'il ira chercher en cuisine, par un branchement
assez sauvage, mais parfaitement efficace.
- Ah, on est loin
des Véronèse. La régie est coincée
en partie sous un escalier, pour dégager le plus de place
possible pour un nombreux public. Le son est correct, l'éclairage
modeste mais efficace, et les spectateurs rappellent à
tout va.
- Jacques a vraiment
le talent de s'adapter aux situations et au public, et la complicité
avec Gérald permet de réorienter le répertoire
au fil du spectacle sans difficulté.
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- Un repas très
convivial réuni les organisateurs du cercle français
au balcon pendant que Micho et moi démontons et rangeons
le matériel. Dure loi de la technique de commencer longtemps
avant et terminer longtemps après le spectacle. Mais on
nous a gardé notre part (ce n'est pas toujours le cas).
- Au cours du repas,
la décision est prise d'aller, le lendemain, "visiter"
(je n'aime pas ce mot dans ce cas précis, mais je trouve
que pèlerinage n'est pas non plus adéquat) la ville
martyre de Vukovar. C'est un long détour, mais je crois
que nous nous en serions voulu de ne pas le faire.
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- On l'a vu (et
on le voit encore au Kosovo et en Tchétchénie)
à la télévision, on l'a vu et on le voit
en photo,
mais la confrontation avec la réalité et proprement
stupéfiante, d'autant que Micho m'emmène dans des
quartiers où la reconstruction s'est bornée à
remettre un toit et des fenêtres sur des carcasses de maisons
constellées d'éclats d'obus.
- Le marché
couvert n'en n'a plus que le nom, et sous les toiles du marché
de ce jour, je ne vois que des femmes qui vendent à des
femmes. Pas d'homme, peu de jeunes, et particulièrement,
pas de jeune femme. Je souffre d'imaginer ce qui s'est passé.
- Dès l'entrée
dans ce qui fût une agglomération à la fois
industrieuse et balnéaire (ah ! cet ancien restaurant
au bord du Danube, où l'on dégustait des plats
de poisson, sur la terrasse, face à la Serbie, là,
juste de l'autre côté), je découvre ce qui
fût une zone industrielle, et particulièrement,
le cadavre d'une usine qui était ce qu'est Michelin pour
la France. Lambeaux de murs calcinés, ferrailles tordues
en convulsions sauvages sur un sol définitivement noirci
et vierge de toute végétation, malgré les
années. Et, pas très loin, une petite usine intacte
: elle appartenait à un Serbe et les tirs étaient
bien réglés. Pour régler le tir, deux moyens
: les Serbes de Vukovar qui guidaient de l'intérieur même,
et un immense château d'eau où flotte maintenant
le drapeau croate.
- Il a reçu
un seul obus décisif, qui l'a crevé de part en
part, et puis les Serbes on tiré devant, derrière,
à gauche, à droite, défonçant systématiquement
tous les quartiers croates qui entourent cette relique.
- Et au pied même
de ce monument funèbre, au fil de ces rues où l'herbe
mange le rare bitume, des maisons qui gardent toutes les traces
des explosions, et des femmes agées, seulement des femmes
agées. Parmi le linge qui pend, pas un seul vêtement
d'enfant.
-
-
à suivre...