POUR UNE LECTURE PLUS AISÉE

 

JOURNAL : LA NOUVELLE REPUBLIQUE du 4 OCTOBRE 1944

CRIMESSOUS LA BOTTE ALLEMANDE

La tragédie de St Pierre de Clairac

Quatre mois déjà se sont écoulés depuis la tragédie. Comme le temps passe… Pour ceux qui ont eu l’heureuse chance de conserver intacte leur demeure et de ne point payer de leur vie, le temps passe, le temps passe vite, très vite … Hélas il n’en est pas de même pour ceux ou celles qui, après avoir vu leur demeure flamber virent abattre sous leurs yeux leur soutien, leur compagne, tous les êtres qui apportaient au home familial gaieté, joie, bonheur, vie.

De tout cela, que reste t’il ? Rien.

Par une matinée, je suis allé à St Pierre de Clairac.

A mon arrivée, le pampre buvait encore les doux présents de l’aurore.

Tout était calme et reposant. Pas le moindre vent n’agitait les cimes des peupliers bordant la sinueuse « Séoune ».

 

J’ai pu, à mon gré, et avant le réveil du village, contempler ce petit hameau enchâssé dans un écrin de champs richement cultivés.

Les vignobles laissent pendre avec nonchalance de superbes et multiples grappes, tandis que le faite des maïs de balais s’incline lourdement vers le sol.

Tout autour du bourg, un cintre de verdure et de petits bosquets forment une ceinture champêtre du plus charmant effet.

Saint Pierre de Clairac se fait tout à fait campagne et ses immeubles n’offrent pas une apparence cossue, par leur architecture, par leur pierre. On sent, on devine qu’un trésor est caché dedans.

Saint Pierre de Clairac, concrétise l’âme paysanne dans toute l’acceptation du terme.

] ] ]

Et c’est dans ce cadre enchanteur que le mercredi 7 juin, le « boche «  est allé assouvir sa soif de vengeance, de haine, de mort.

Cette petite bourgade a vécu une des plus terribles journées de l’occupation germanique.

Une fusillade nourrie a couché à tout jamais dans cette plaine gasconne des bons, des glorieux, des héroïques Français. Tandis que des immeubles flambaient, l’écho des crépitements des flammes se mélangeait aux râles des moribonds.

] ] ]

Donc ce jour, s’arrêtent à l’entrée du bourg deux camions chargés d’Allemands, six voitures.

Trois voitures légères pénètrent dans le village. Une s’arrête chez le forgeron; la seconde chez le charron; la troisième chez l’épicier.

L’épicier est absent de chez lui et ne peut, de ce fait, répondre. Peu importe les boches prennent le beau-père, M. Doumic. Hissé dans la voiture, il doit conduire les boches chez un nommé Juteau, agent à la « Séquanaise » et chez un sieur Balsan, cultivateur, dont la ferme est distante de 1500 mètres du bourg au lieudit Rougére.

Doumic fait l’impossible pour gagner du temps, mais le temps presse, la voiture démarre.

Entre temps, le fils Juteau, appartenant à la Résistance, ainsi que l’épicier recherché - ils étaient ensemble à ce moment là - prévenus de l’arrivé des boches, s’échappent et se séparent chacun de leur côté pour alerter les intéressés.

Spectacle poignant

Agée de 18 mois la fille du fils Juteau s’échappe dans les bras de la grand’mère, âgée de 66 ans.

Soudain une fusillade retentit et la pauvre grand’mère, se retournant, aperçoit sa maison en flammes.

Les boches aperçoivent le fils Juteau s’enfuyant. Ils tirent, le blesse. Blessé, il court encore; mais les boches le rejoigne, l’assomme et l’achève d’une balle dans la tête.

La tragédie fut si soudaine que M. Balsan, qui se trouvait dans la grange, séparée de la maison par un chemin vicinal, n’eut pas le temps de « réaliser »; il fut abattu d’une balle dans l’estomac.

Retour au village

Ces atrocités commises, les boches repartent dans la même voiture, toujours avec Mr Doumic, et stoppent sur la place du village.

Ils ont, au préalable, cerné le village. Ils procèdent à l’appel des hommes, les comptent, puis déposent M. Doumic devant sa demeure.

A mon commandement

Un commandement retentit :

«  Ceux qui ont des armes ! Avancez ! »

 

Malheureusement huit s’avancent…

Alors l’épicerie est noyée dans un flot d’essence et incendiée. Les hommes sont placés côte à côte, deux par deux. Derrière cette petite colonne, des Allemands sont placés.

En avant, marche…

L’exécution

L’épouvante rive sur place les habitants.

Que va t’il se passer ?

Las! bientôt tout le monde sera fixé.

A quelques mètres du village, face à un mur, une fusillade éclate.

Des cris, des plaintes, des hurlements de douleur s’entendent du village.

Sercan, Routaboul, Gaentzler, Doumic, Fontaine et un autre, dont le nom m’échappe - je m’en

excuse – tombent.

Dostes et Castex ne sont pas touchés à mort, ils s’échappent. Rejoints dans les champs environnants, leur crâne est transformé en bouillie.

Puis des coups sourds raisonnent. On achève les blessés – et les morts – à coup de pieds, à coups de crosse.

Que pensez-vous de ce geste ?

.

D’indignation, ma plume frémit quand je songe qu’un habitant de la localité, blessé au cours de la fusillade – car les boches tiraient dans toutes les directions sans rien voir, au jugé – fut pansé par un soldat allemand puis conduit devant le mur maudit où il fut abattu au milieu des autres victimes.

A ceux qui nourrissent encore des sentiments de piété envers les hordes nazies, je demande :

 « Que pensez-vous de ce geste. »

Vision d’horreur

Les habitants du hameau ne pourront que quelques heures plus tard se rendre, dans un pieux pèlerinage « sur les lieux du crime »  et constater « de visu »  dans quel état sont les pauvres victimes.

Personne n’assistera aux obsèques.

Le boche l’a interdit.

Attention gare aux représailles.

Pillage

Pendant que s’accomplissaient ces monstrueux assassinats, les vandales pillent la boulangerie et font main basse sur une somme de 40.000 francs, opèrent une razzia complète chez Mme Vergne et Laglayze. Tous les bijoux sont emportés.

Une mitraillette est braquée sur le ventre d’une femme enceinte qui doit à son état de n’avoir pas été tuée.

Ils tordent les poignets d’une jeune fille de 18 ans, Melle Lasjunies pour qu’elle indique la cachette de son père. Peine inutile d’ailleurs. Cette héroïque Française ne parle pas. Félicitons là.

Puis ils dérobent tissus, sucre, liqueurs, machines à écrire, volent 1.150 francs à une femme de journée et dérobent à une autre personne un coffret contenant 50.000 francs devant un enfant qui demeure atterré dans son lit.

J’ai terminé

Voilà, brossé à grands traits, ce que l’on peut appeler la tragédie de Clairac.

Pour écourter mon récit, je n’ai fourni que les principaux détails.

Les atrocités commises sont telles qu’une profonde émotion m’étreint.

C’est de grand cœur que j’aurais préféré traiter un autre sujet.

Mais l’actualité crée des exigences et le journalisme ne peut ne doit se dérober.

Jamais au grand jamais, le Français ne sera assez renseigné sur les crimes commis sous la botte allemande.

A cet air qui brûle et qui pèse,

Ces maisons ne sont plus et, miroir du passé,

Sur leurs débris éteints s’étend un lac glacé

Qui fume comme une fournaise.

Il est de notre devoir de le renseigner. Par de prochains articles, très bientôt vous le serez. Je vous le promets.

 

André BUSQUET.