Héroïnes

Zone de Texte: La Compagnie Octavio

A l’heure où la série «Desperate Housewives » se hisse au panthéon des séries tv culte, où Virginie Despentes écrit « King Kong Théorie » un manifeste pour un nouveau féminisme, est-il possible de répondre à cette demande de femme idéale que la société nous impose ?

Au travers du texte tragique et burlesque de Franca Ramé, assisterons nous à la libération d’une héroïne contemporaine, d’une femme aliénée par sa famille, ses passions et par son quotidien domestique carcéral ?

Dans un décor blanc « pop art », une femme fantasme sa vie comme on vivrait un film hollywoodien, dernier rempart pour échapper à sa solitude.

Elle s’invente un théâtre de femme au foyer, de star du rock, d’amante passionnée et de maman parfaite sous les feux de la rampe du salon, un fantasme qu’elle poussera jusqu’à la folie.

Un univers à mi chemin entre « une femme sous influence » de John Cassavetes et « Plan 9 from outer space » d’ED Wood.

Héroînes solo d'après

"Une femme seule" de Dario Fo et Franca Ramé

Un projet de et avec Sophie Cusset

Mise en scène

Gilles Ostrowsky

Stéphanie Chêne

Assistante mise en scène

Sylvie Philibert


Scénographie & costumes

Sophie Cusset
Réalisation:

Nicole Ostrowsky

Travail sur le corps

Stéphanie Chêne

 

Création son

Médhi Ahoudig


Régie son :

Pierre Lalance


Création lumière

Cédric Lemaignen


Coproduction

Act et compagnie Octavio

 

D’ou vient « Héroïnes » :

  Depuis cinq ans, je travaille avec des jeunes filles, des jeunes femmes de l’option théâtre à Trappes. Elles sont les héroïnes de mes distributions.

J’essaie de leur insuffler le plaisir du jeu, du plateau et souvent par mes choix de textes de les amener au plaisir pur et à la liberté que peut apporter la maîtrise du théâtre. Cette liberté qui souvent les pousse à une vraie réflexion sur la liberté de choix dans leur propre vie.

Certaines voudraient être actrices mais ont peur de la précarité, de la réaction de leurs parents…

Certaines de ces  jeunes femmes chez qui je vois naître un épanouissement personnel par le théâtre vivent souvent non pas des vies de jeunes femmes de 18 -20 ans mais portent souvent la responsabilité de leurs familles, elles sont souvent mères à la place de leurs mères : elles s’occupent de leurs frères et sœurs, gèrent le quotidien de la maison et ont peu de temps dans leur emploi du temps pour leur intimité et la  légèreté de leurs 20 ans.

C’est elles qui m’ont donné envie d’écrire ce spectacle, de parler des contradictions qui existent entre les rêves de carrière, de réussite, d’épanouissement personnel et  «les lignes de failles» que nous transmettent nos origines, notre famille.

« Toujours prête je dois être, toujours prête à l’usage, comme le nescafé. Lavée, parfumée, épilée, tiède, souple, amoureuse, mais en silence »

Une Femme Seule

Dario Fo – Franca Ramé

 


En 1970 Franca Ramé et Dario Fo activistes et en lutte pour la condition des femmes écrivent "Une femme seule", un monologue burlesque et tragique.

Une femme est séquestrée chez elle par son mari parce qu’elle a eu un amant de 15 ans de moins qu'elle. Pour échapper à sa vie, elle se perd dans une suractivité permanente, jusqu’à la folie : elle court du téléphone à la table à repasser, de la cuisine à la chambre, du beau-frère handicapé et obsédé sexuel  à son bébé affamé. Harcelée au téléphone par son mari, un pervers, des créanciers, et son amant.

Le texte est « terriblement » drôle, on a affaire à un concentré de harcèlement de vie quotidienne qui vire au cauchemar…

 

 

Trente ans plus tard, Virginie Despentes écrit "King Kong Théorie", elle parle de l’idéal de femme blanche que la société cherche à nous imposer :

 « Séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle… ».

Virginie Despentes nous dit : cette femme là n’existe pas.

En 2007 la problématique que soulève Virginie Despentes est la même que celle que soulèvent Franca Ramé et Dario Fo dans les années 70.

Pourquoi personne n’a inventé l’équivalent de Ikéa pour la garde des enfants, l’équivalent de Macintosh pour le ménage à la maison ?

Virginie Despentes (King Kong Théorie)

Le spectacle

 

Dans un décor blanc « pop art », la radio à fond crache un étrange mélange entre une retranscription d’un interwiew de Virginie Despentes et le punck rock agressif de chanteuses brésiliennes libérées. Une femme seule brandit son fer à repasser comme une arme, elle se confesse dans un micro comme une star de télé réalité, exécute un pas de tango mortel avec la table à repasser, elle est comme en transe, une danse expiatoire.

La musique s’arrête, le quotidien reprend : repassage, téléphone… Elle se parle à elle-même, au public à une voisine imaginaire, sans arrêt interrompue par les appels répétés du beau-frère/objet sexuel, le voyeur d’en face, les coups de fils du mari qui la « protège », les souvenirs qui l’envahissent. Elle ressasse toute sa vie, toutes ses peurs, ces vies qu’elle n’a pas vécu, cet orgasme qu’elle n’a jamais eu, sa culpabilité de ne pas réussir à jouir comme une femme doit jouir, ses rêves amputés, ces fantasmes qui l’obsèdent.

Elle se construit un monde entre réalité et fiction  entre rêve et cauchemar. Elle s’invente un théâtre de femme, d’héroïne de femme au foyer, de star du rock, d’amante passionnée, de  maman parfaite.

Sous les feux de la rampe du salon, cette Médée d’appartement pousse son fantasme jusqu’à la folie, jusqu’au meurtre.

Une femme sous influence au pays d’Ed Wood

 (l’esthétique, le son, le jeu)

 


Un univers de sons domestiques, de voix off, de flash-back sonores, de musiques récurrentes, obsessionnelles et génératrices de souvenirs : c’est sa voix intérieure, elle ne cesse de le répéter, elle « fait tout  intérieurement. »

 
La bande son créée pour le spectacle est son chaos mental, elle est la retranscription de son monde intérieur. D’abord réalistes, les sons qui entourent sa vie quotidienne (pleurs d’enfant, plainte du beau-frère, téléphone, bruits de porte, parole intérieure) vont muer au fur et à mesure du spectacle en notes cauchemardesques, accompagnant sa folie et la théâtralisation de son quotidien.

Dans son salon, à côté d’une plante verte, un micro sur pied est là. C’est dans ce petit espace qu’elle viendra régulièrement se réfugier : le micro comme espace confessionnel (comme dans les shows télévisés) est l’ultime moyen qu’elle a trouvé pour mettre en scène et magnifier sa vie intérieure.

 

Les choix scénographiques (un décor blanc ultra moderne : qui par le jeu des lumières devient écran, qui passe du blanc au rouge ou au rose saturé selon ses émotions), l’importance accordée au son, tout contribue à souligner le passage d’un mode quasi réaliste à une théâtralité débridée.

 

De même la direction d’acteur fait le pari de pouvoir osciller et basculer sans arrêt entre ces différents codes de jeux. Jouant d’abord sur des codes quasi-réalistes (ponctués d’une gestuelle occasionnellement chorégraphique : fugaces mouvements qui échappent au personnage, trahissant son trouble intérieur), proche d’un registre cinématographique, le jeu va basculer dans une outrance théâtrale et jubilatoire. Comme une dernière tentative d’échapper à sa folie, cette femme seule va se mettre furieusement en scène, débordant sur le public, se permettant tous les excès, jusqu’à l’asphyxie, le silence et le meurtre.