Evguéni Schwartz écrit « Un miracle ordinaire »

Evguéni Schwartz est l’un des plus grands dramaturges soviétiques.

 

Ennemi du conformisme qui s’infiltrait dans la société soviétique au tournant des années 30 dont le corollaire allait être bientôt la terreur policière stalinienne, il crut pouvoir se débarrasser de la censure et des censeurs en se réfugiant dans un monde imaginaire qu’il peupla de créatures fantastiques.

Il devra attendre la mort de Staline et le tournant du XXe congrès pour être représenté en Union soviétique.

 

Mais plus qu’une dénonciation du stalinisme, la force du théâtre de Schwartz se trouve dans la forme du conte qui permet plusieurs degrés de lecture de ses récits : satire du pouvoir, pamphlet contre la lâcheté des petites gens, comédie poétique et fable humaniste.

 

Dans « Un miracle ordinaire », il jongle avec les figures du conte traditionnel (le roi, la princesse, le magicien,…), sculptant pour chacun d’eux un langage particulier (le langage administratif du Premier ministre, le parler militaire de la Dame de la cour,…). La force de son écriture est sans doute dans cette capacité qu’il a  à inventer un code de langage pour chaque personnage créant ainsi un véritable théâtre d’acteurs.

 

Sa maîtrise de l’écriture théâtrale lui permet de faire basculer des scènes ordinaires dans un univers absurde. En démontant les règles du conte, il fait passer ses personnages, au cours de la pièce, du statut de pantin à celui de créature de chair et de sang.

 

Il crée ainsi un monde où l’humour se dispute à la gravité, l’ordinaire à l’extraordinaire, la tragédie à la farce, et où le merveilleux est aux prises avec les puissances du Mal.

Un Miracle Ordinaire

La Compagnie Octavio

Un miracle Ordinaire

 

Avec le soutien de

DRAC Ile de France

Résau Creat’Yve

 

Mise en scène :

Sophie Cusset

 

Traduction :

Mattea Manicacci

 

Distribution :

Elsa Bouchain

Jean-Matthieu Fourt

Christophe Garcia

Pierre Guillois

Eric Laguigné

Sophie Langevin

Corinne Marsolier

Gilles Ostrowsky

Nicolas Quillard

 

Lumières :

Sébastien Debant

 

Costumes :

Axel Aust

 

Peinture :

Ophélie Estève

 

Maquillages :

Maby Anzalone

 

Musiques Originales :

Jean-Matthieu Fourt &

Eric Laguigné

 

J’ai commencé à faire du Russe à 11 ans, j’ai commencé à faire du théâtre à 13 ans.

Longtemps je me suis refusée à choisir entre l’une et l’autre de ces deux disciplines, comme s’il fallait choisir entre un art et une langue, entre une carrière littéraire et une carrière artistique.

J’ai achevé ma licence de russe pour entrer à l’école de théâtre, puis devenir actrice et metteur en scène.  Ce désir très fort de faire traduire et de monter « Un Miracle ordinaire » d’Evgueni Schwartz a été pour moi le moyen et le signe évident de la réunion de ces deux passions : la langue russe et le théâtre.

Une de mes amies, traductrice de russe, a traduit ce texte pour notre compagnie, (c’est actuellement la seule traduction française de cette pièce), ensemble nous avons travaillé sur l’adaptation. La traduction, elle, faisait des allers-retours fréquents entre la table et le plateau, les acteurs étaient ainsi actifs sur la matière du texte en construction, et la direction d’acteur agissait sur le texte même..

« Un Miracle ordinaire » est une pièce en marche, une réflexion sur l’acte de création, sur la frontière entre le vrai et le faux. Au travers du personnage du magicien, la pièce s’invente devant nous. Evguéni Schwartz s’amuse à déstructurer les schémas classiques de narration, il joue avec  les clichés des contes pour mieux les tordre, nous plonge dans un monde d’illusion pour faire apparaître les vérités de chacun, un monde où l’artifice et le faux provoquent des émotions vraies.

Le magicien du « Miracle ordinaire » crée ses personnages avant tout pour qu’ils puissent lui échapper. C’est à cette seule condition qu’ils prendront vie, de la même manière qu’un metteur en scène travaille avec ses acteurs. Il s’agit de les plonger dans un univers pour qu’ils en prennent possession et s’en libèrent. C’est dans ce passage de la pièce de l’un à l’autre (du metteur en scène aux acteurs) que se passe l’acte de création.

Ce qui m’intéresse c’est cet instant, ce moment où nos créatures intérieures nous échappent (celles des acteurs comme celles du metteur en scène), où l’on accepte de lâcher prise. Le magicien  est au cœur de ce processus, un « Miracle ordinaire » est une pièce sur l’acte de création

Sophie Cusset

L’HISTOIRE

Un magicien, personnage entre le directeur de cabaret et le sorcier empli de sagesse fait une déclaration d’amour à sa femme.

Il va utiliser toute la force de sa magie, magie du théâtre dans le théâtre et plonger ses créatures (un ours transformé en prince charmant, un tyran de pacotille, un administrateur véreux, une petite cour à la manière de Gombrowicz…) dans le monde de l’illusion théâtrale et leur faire traverser un univers tragi-comique, absurde et poétique peuplé de souvenirs en super 8, de tempêtes de neige, d’histoires d’amour perdues…

Tantôt présent, tantôt dans l’ombre, il poussera tous les acteurs dans leur dernier retranchement pour les forcer à aller au bout d’eux-mêmes,  à lui échapper, et à prendre vie.

L’histoire qui va s’emparer d’eux, se cristallisant autour de l’amour impossible entre un ours et une princesse, va permettre au magicien immortel de révéler à sa femme ce qu’il n’ose lui dire autrement : la passion brûlante qu’il ressent pour elle et sa peur de la mort qui un jour les séparera.

NOTE DE
MISE EN SCENE

Le magicien est le maître d’œuvre de la pièce, c’est l’Auteur. On assiste à travers lui au processus de création de la pièce et au moment où celle-ci lui échappe pour prendre vie. C’est dans sa volonté à vouloir se faire dépasser par sa création, qu’apparaît son humanité.

1. La magie du théâtre dans le théâtre

Le magicien influence le comportement sentimental des personnages en jouant du piano. Installé au-dessus du décor, jouant des airs tour à tour nostalgiques, gais ou furieux, il devient concrètement le chef d’orchestre des sentiments humains.

Pour d’autres scènes, il influence l’action de manière plus concrète. Ainsi dans l’acte 2 pour empêcher l’Ours de fuir son destin, il bloque les portes de l’auberge par une tempête. On le voit alors déchaîné, courir autour du décor, frappant des tôles métalliques pour faire entendre la foudre, secouant des paniers  de confettis pour faire tomber la neige, projetant un film sur les personnages, les plongeant ainsi totalement dans l’illusion.

La magie du théâtre règne par son intermédiaire.

 

2. Le décor : espace magique

 

 

 

Maître d’œuvre de la pièce, le magicien est le créateur du décor.

Ainsi, bien que l’action se déroule dans une maison différente à chaque acte, nous resterons toujours dans la maison du magicien : lieu privilégié de l’illusion.

Celle-ci se transformera d’une isba en automne (acte1), en une auberge sous la neige (acte II), en une datcha en été (acte III).

 

Cette maison pourrait ressembler au reste d’un décor de cinéma, mêlant structures techniques et décors réalistes.

Sur la base d’un échafaudage métallique, elle est un assemblage de divers éléments et de différents espaces. Se côtoient ainsi :

Un espace music-hall, (parquet blanc laquées, portes entourées d’ampoules) qui permet de jouer l’entrée  des personnages comme dans un cabaret,

Un espace cuisine (minuscule, trop réaliste et surchargé) où se joueront les scènes intimistes,

L’étage de l’auberge Emilia : petite reproduction de la façade d’une isba russe.

 

L’échafaudage, loin de n’être qu’une structure fait partie intégrante de la maison, il est son squelette. Il nous rappelle en permanence que cette maison n’est qu’un décor. Nous sommes bien dans le monde du théâtre et de ses illusions, le vrai et le faux se chevauchent et se côtoient sans cesse.

Les costumes

Travailler avec Axel Aust c’était pour moi marquer une fidélité de plusieurs années. C’est en effet la troisième fois qu’il créait les costumes d’un de mes spectacles.

Mais plus que sur les précédents, son intervention sur le « miracle ordinaire » m’est ici apparue évidente.

En effet, il a été costumier durant plusieurs années à l’opéra de Berlin, ce qui a renforcé sa passion  du détail et de la démesure, son talent à jongler avec les matières (mêlant les plus nobles aux plus brutes, le plastique à la soie,…). Son imaginaire m’a semblé en harmonie totale avec la poésie débridée d’Evguénï Schwartz

Il a créé pour « Le Miracle ordinaire » plus de quarante costumes pour les trois actes : le défilé de costumes lumineux pour la procession du mariage de la princesse dans l’acte 1, le tableau du froid dans l’acte 2 et le tableau de l’été : un monochrome blanc mêlant le style Saint-Tropez et le sanatorium en Crimée dans l’acte 3.

Comme l’auteur, Axel joue avec les clichés du conte de fée, dessinant des personnages improbables : le magicien chercheur soviétique, la mariée poupée russe, l’aubergiste tenancier de boite de nuit, le prince animal…

Ses choix esthétiques ont été des orientations clés de la mise en scène.