Dièses et bémols de la pensée

 

 

Depuis quelque temps, les pensées sont organisées en courants « post », « néo », « ultra », etc. Ces préfixes agissent un peu comme les altérations de ton en musique. L’idée reste la même, mais avec une légère modification qui lui permet de s’intégrer sans heurt dans une autre gamme. Le néolibéralisme est toujours du libéralisme, mais avec suffisamment de nuances pour ne plus être associé à son versant politique, et au côté romantique et désuet qui l’accompagne – Lamartine, c’est fini ! Par contre, il peut s’associer sans difficulté aux politiques militaristes des Nixon et autres Bush.

 

Les « post-quelque chose » sont tous meilleurs que les quelque chose qui les précèdent. En fait, ils en ont vaincu les difficultés et les contradictions principales.Le post-modernisme a condamné la modernité dépassée et est encore plus moderne que moderne. Finalement, la notion de progrès, souvent rejetée par les post-quelque chose, revient clandestinement dans ce préfixe accolé à l’idée originelle altérée.

 

L’ « ultra-quelque chose » est généralement mauvais. Non pas nécessairement par un refus implicite de l’extrémisme, mais tout simplement parce qu’il part d’une idée qui serait peut-être bonne, mais dont il altère la portée par une application exclusive et unilatérale. Pour ses critiques, l’ultra-libéralisme, c’est le libéralisme déjà condamné parce qu’ultra. « On pourrait à la rigueur discuter du libéralisme, mais là, il s’agit d’ultra-libéralisme ». Il n’est donc plus besoin de discuter le libéralisme, mais seulement de montrer en quoi cette forme de libéralisme est de l’ultra-libéralisme.

 

Les « néo-quelque chose » sont des ressuscités. Le fascisme et le nazisme sont morts, mais ils revivent sous la forme des néofascisme et néonazisme. Ce sont donc des formes, pas forcément des réalités.

 

A la différence des altérations musicales, les bémols et dièses de la pensée n’explicitent pas vraiment la nature de l’altération. Ce ne sont pas des demi-tons en plus ou en moins, ce sont des dépassements (cas des « post ») , des résurgences (cas des « néo »), ou des applications monomaniaques (cas des « ultra »). Mais ces altérations restent vagues et approximatives, jamais définies, rarement thématisées en tant que telles. Elles sont donc, en fait, des masques.

 

Mai 2004

 

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