Bush-Clinton, un match

Quelques remarques sur le relativisme culturel

 

 

 

 

L’affaire Clinton avait été pour moi l’occasion d’une intéressante comparaison de relativisme culturel. Il semble que ce que les citoyens des Etats-Unis ont le plus reproché à Bill Clinton, ce n’est pas le caractère profondément dégoûtant de ses activités extra-conjugales et extra-génitales avec Monica, ni qu’il ait utilisé son lieu de travail pour se livrer à ces activités répréhensibles, ni qu’il n’ait pas eu la courtoisie de refuser de jouir de l’avantage que lui procurait son prestige et son autorité auprès d’une jeune stagiaire innocente, ni non plus qu’il n’ait pas eu la prudence d’échapper à une liaison qui eût pu être dangereuse pour l’Etat s’il s’était trouvé que Monica fût une Mata-Hari moderne. Non, rien de tout cela ne semblait vraiment avoir choqué les Américains. Ce qui les a choqués, c’est qu’il ait menti. Menti à sa femme d’abord, puis à la nation toute entière. L’ordre des valeurs de cette peuplade lointaine n’était pas le même que le mien. Pour moi, le mensonge est condamnable essentiellement en fonction de son objet et de son motif. Je ne suis pas kantien sur ce point, comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs.

 

L’affaire d’Irak m’avait donné une autre leçon de relativisme culturel. Les autorités américaines ne cessaient de prétendre « avoir de sérieuses raisons de ne pas être convaincues » que les armes de destruction massive de Saddam étaient toutes détruites et même « avoir de sérieuses raisons de croire » que de nouvelles avaient été construites. Traduites du curieux mélange de positivisme et de pragmatisme qui sert d’épistémologie courante dans les élites américaines, cela correspondait à une affirmation que ces armes existaient. Il me semblait qu’en logique ordinaire, cela signifiait seulement qu’on avait des doutes sur l’existence ou non de ces armes. Mais j’avais compris que pour ces gens « douter que non A » revenait à « affirmer A », mais de façon polie. Bon. J’avais été, je l’avoue, presque convaincu de la validité de cet argument des va-t-en-guerre.

 

Mais il semble maintenant avéré qu’il ne s’agissait pas d’une simple erreur d’appréciation des rapports entre vérité, certitude et probabilité, mais, beaucoup plus simplement, d’un mensonge. C’est donc mon troisième choc de relativisme culturel, car il semble que de l’autre côté de l’Atlantique, ce mensonge-ci soit  moins grave que le mensonge de Clinton sur ses relations avec Monica. Pourtant, j’avais cru que tout mensonge était en soi condamnable, par principe, quelle qu’en fût la taille, l’intention et l’objet. Eh bien non. Un mensonge qui coûte la vie de milliers de personnes est moins grave qu’un autre qui coûte une scène de ménage. Peut-être est-ce la cause que ces mensonges servent respectivement ? Je suis très perplexe.

 

Juin 2004

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