Qui a exclu le tiers ?
Quelques remarques sur l’usage du principe dit du tiers exclu
Nombre de « démonstrations » sont de la forme « non A, donc B ». L’historicisme est faux, donc l’idéalisme est vrai. L’idéalisme est faux, donc le relativisme est vrai. Vous avez tort, donc j’ai raison. Il y a des Anglaises qui ne sont pas rousses, elles sont donc brunes.
Le principe du tiers exclu s’applique dans une logique à deux valeurs, vrai/faux. Les logiciens et les mathématiciens ont montré que des logiques à n>2 valeurs étaient possibles et même applicables à certains calculs concernant des objets réels. C’est le cas, notamment, lorsque des probabilités variables sont à prendre en compte. Cela seul devrait suffire à condamner les pseudo démonstrations qui utilisent ce principe, s’il n’a pas été préalablement démontré qu’il devait s’appliquer à l’univers auquel on prétend l’appliquer. Mais même lorsqu’on admet qu’il s‘applique, on l’applique souvent mal et à tort. Dans les premiers exemples cités ici, on a préalablement et implicitement réduit les possibilités à deux avant de conclure, de la négation de l’une à la nécessité de l’autre.
Il arrive que ceux-là même qui ont ainsi préalablement réduit artificiellement les possibilités à une alternative, si par hasard leurs conclusions sont discutées, mettent en quelque sorte leurs contradicteurs au défi de présenter une troisième possibilité, disant « vous voyez bien qu’on est obligé de conclure comme je le fais ». Ils opèrent, ce faisant, un coup de force, car le fait qu’une troisième possibilité ne soit pas formulée, ni même peut-être formulable, n’implique nullement qu’elle n’existe pas, mais seulement qu’on ne peut la concevoir actuellement (et même peut-être définitivement). Ce fait n’autorise pas pour autant à appliquer le principe du tiers exclu qui, comme son nom l’indique, suppose que le tiers est exclu par principe, et non de façon contingente.
Cette situation suppose alors qu’on en reste à une conclusion sceptique, c’est-à-dire sur un constat d’ignorance de la conclusion positive à tirer. On est certain de la négation de A, mais on ne peut affirmer B pour autant. Ce genre de situation est en général vécu comme inconfortable, car il génère de l’incertitude. C’est pourtant la sagesse de savoir accepter cette incertitude instruite, plutôt qu’endosser une certitude aveugle.
Le pouvoir consiste en et suppose la réduction des incertitudes. Exclure des possibilités, c’est donc s’assurer du pouvoir. Cherchez quelles sont les possibilités exclues. Elles le sont non pas par calcul sournois, mais plus généralement parce qu’elles sont invisibles pour le sujet. Et elles sont invisibles parce qu’elles ne sont pas dans sa perspective.Où il est situé, on ne les voit pas. Vous comprendrez alors d’où il parle, d’où vient la prise de pouvoir représentée par cette utilisation de la loi dite du tiers exclu.
Juin 2004