L'autre et le même

 

 

 

Ces feuilles et ces fleurs qui poussent aujourd'hui, sortant des bourgeons, sont les mêmes que celles de l'an passé, et que celles de milliers d'années antérieures. On les reconnaît bien. Elles permettent même d'identifier la tige qui les porte. Cette reconnaissance, pourtant, est fausse, puisque ce ne sont pas précisément les mêmes. Les autres ont dépéri, sont mortes, se sont même décomposées dans l'humus qui alimente celles-ci. L'identité de celles-ci avec celles-là me permet de les reconnaître, mais ce n'est possible que par leur altérité, parce que celles-ci ne sont pas celles-là, qui ne sont plus. L'identité n'a de sens que dans l'altérité. C'est un paradoxe de la même famille que ceux des Eléates, au VIème siècle avant Jésus-Christ, repris et renouvelés par chaque génération de philosophes depuis lors, comme les feuilles à chaque printemps.

 

La logique voudrait que le paradoxe se résolve facilement, l'identité étant une identité des genres et l'altérité, une altérité des individus. Il s'agirait simplement d'un mauvais usage grammatical. Mais, tout en étant les mêmes, ces feuilles et ces fleurs sont peut-être plus différentes de celles des générations antérieures qu'il ne me semble. Peut-être y a-t-il, parmi ces légères différences que je ne perçois pas ou qui sont même peut-être totalement invisibles, ce petit saut que parfois la nature fait, qui met au monde de l'inédit.

 

Les uns rêvent que dans une autre vie et un autre monde j'ai connu ces identités des genres, les autres pensent que celles-ci se révèlent en se développant dans la nature. Les hommes, sans doute, conservent, transposent et projettent ce qu'ils ont déjà vu sur ce qu'ils n'ont jamais vu, et, ainsi, croient savoir, se trompent, et savent sans savoir qu'ils savent.  

Avril 2006

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